Les Stinky Toys, pour la sortie d’un 45t inédit, Hervé Zénouda raconte le groupe.

jeudi 17 novembre 2022, par Franco Onweb

Au printemps derniers, au cours d’une interview sur son superbe album, « Mitzpah », Hervé Zénouda, l’ancien batteur des Stinky Toys m’annonçait que le label toulousain Pop Supérette allait sortir dans le courant de l’année un 45t trois titres de son ancien groupe. La nouvelle avait fait l’effet d’une bombe et Hervé m’avait promis de m’accorder une interview sur son ancien groupe. C’est à l’occasion du crowdfunding pour la sortie de ce disque que j’ai pu discuter avec lui des Stinky Toys.

Pour présenter le groupe on dira juste que les Stinky Toys sont, peut-être, un des groupes français les plus importants qui aient existé. Né en juillet 1976, le groupe se vit coller une étiquette punk, qu’ils leur colla à la peau bien malgré eux. Ils furent les premiers à faire un pont entre le rock anglo-saxon (Rolling Stones, Who…) et la variété française (Françoise Hardy, Jacques Dutronc…) avec une assurance … tranquille. Malgré les talents individuels (Jacno, Elli Medeiros, Hervé Zénouda, Bruno Caronne et Albin Deriat) et une presse dithyrambique le groupe jeta l’éponge suite à un manque de succès.

Les morceaux de ce 45t sont issus des maquettes du deuxième album. Elles ont été enregistrées au début de l’année 1979. Ce sont les enregistrements d’un groupe qui est au sommet de son art et qui prépare un deuxième album qui fera date dans l’histoire de la musique d’ici.

Comment sont nés les Stinky Toys ?

Le groupe s’est formé en 1976 pour un concert à la Pizzeria du Marais le 4 juillet 1976. L’histoire c’est après que Denis (Jacno, NdlR) se soit fait viré du lycée Charlemagne, Il a fondé les Bloodsuckers avec Pierre Meige. Ensuite il a fait un duo avec Elodie Lauten. Il jouait de la batterie à l’époque. Après quelques concerts, il s’est mis à la guitare et le duo s’est vu augmenté par les frères Boulangers (Futurs Herman Schwartz et Pat Lüger de Métal Urbain, NdlR), un violoniste électrique new yorkais Boris Gladstone et moi à la batterie. Ensuite, Denis a fait une maquette avec Elli (Medeiros, NdlR) de trois ou quatre morceaux. A ce moment-là, je jouais dans un groupe qui s’appelait Loose Heart avec Pascal Regoli (bassiste d’Angel Face) et Pierre Goddard (futur 1984 et Suicide Romeo) à la guitare et au chant. On a cherché à faire un concert et on a trouvé la pizzeria du Marais. Il devait y avoir Angel Face, les Stinky Toys et Loose Heart. Mais ce dernier groupe s’est dissous la veille du concert. Les autres groupes ont joué. Les Stinky Toys sont vraiment nés ce soir-là puisqu’avant c’étaient juste des maquettes.

Les Stinky Toys, de gauche à droite Elli Médeiros, Jacno, Hervé Zénouda, Bruno Carone et Albin Dériat
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Il y avait qui dans le groupe ?

Albin Dériat, qui était aussi à Charlemagne. C’était le voisin et l’ami d’enfance de Denis. Il a pris la basse. Bruno, qui est le fils du photographe Walter Carone, à la guitare. C’est Pierre Benain (journaliste et organisateur de concerts, NDLR) qui nous a mis en contact avec lui. J’étais à la batterie, Denis à la guitare et Elli au chant. On a répété quelques jours avant et on a fait ce concert.

Etiez vous des punks ?

Ça dépend de ce que tu appelles punk… C’est un esprit ? un style musical ? une énergie ? Si tu prends des groupes comme les Ramones et Television par exemple, ils n’ont pas vraiment de points communs, pourtant ils font partis de la même scène et identifiés comme punks. De toute façon Denis détestait les étiquettes…. On avait sûrement l’attitude et l’énergie punk mais pas trop la musique. Denis adorait les Who et Albin les Stones. Les Toys du début étaient plutôt dans cette lignée là avec des tempi accélérés mais aussi avec des références françaises comme Dutronc et Hardy que Denis adorait. De son côté, Elli avait une référence très forte aux années soixante, notamment dans ses dessins et son look vestimentaire.

Il y a eu un festival à Laborde, un hôpital psychiatrique ?

Oui, durant l’été 1976, c’était assez marrant comme truc. C’était Félix Guattari qui tenait cet hôpital dans un château du côté de Blois. C’était l’époque de l’anti-psychiatrie et tout y était très permissif. Il y a eu un festival de musique pendant une semaine. Les patients se promenaient seuls un peu partout et il était difficile de différencier patients, soignants, musiciens et public extérieur. Il y avait aussi Jean Pierre Kalfon qui y jouait et qui, suite à certains excès, est resté une bonne semaine de plus (rires). Ensuite les choses se sont goupillées assez vite.

Le 21 septembre 1976, vous jouez au premier festival punk de Londres ?

C’est un concours de circonstances ! Elli aurait croisé Mac Laren, dans la rue, il y aurait aussi Pierre Benain qui lui aurait passé notre cassette. Ce concert au Club 100 était important. Il y avait tout le monde : Clash, Sex Pistols, Damned, Siouxie, Subway Sect … Bon, le concert ne s’est pas forcément bien passé mais il a donné un éclairage sur le groupe, surtout qu’Elli a fait la couverture du Melody Maker.

Suite à ça vous allez beaucoup jouer ?

Oui, plusieurs concerts, mais les Toys n’ont jamais été un groupe de tournée, on avait pas vraiment de manager et il n’y avait pas à l’époque le réseaux alternatif qui s’est structuré ensuite avec la seconde vague punk française des années 90 (les Béruriers noirs, la Mano negra…)

Vous avez permis à une scène d’apparaître ?

Je n’en suis pas sûr ! C’est surtout les personnalités de Denis et d’Elli qui étaient un couple très charismatique, très beaux et avec une forte personnalité, qui ont fait que les médias se sont intéressés à nous. On est devenu les figures de proue de cette mode punk parce qu’on peut vraiment parler de mode à l’époque. Mais étions-nous punks ? C’était sûrement plus vendable pour les maisons de disques. A part pour les Modern Guys, dont le chanteur Guillaume Israël était proche du groupe, à qui on a pu servir de tremplin mais pour les autres non, je ne vois pas. Pour moi, il y a eu cette vague punk qui était un phénomène de société et dès que l’on parlait de la France, c’était ce couple qui était mis en avant mais à part les Modern Guy, je ne vois pas de groupes que nous aurions influencé.

Et là vous signez sur une maison de disques importante ?

En raison de cette mode, beaucoup de maisons de disque nous tournaient autour. Tu connais l’histoire avec Kraftwerk ?

Bien sûr mais raconte, c’est drôle !

Il y avait RCA qui nous avait invité au lancement de l’album Trans Europe Express de Kraftwerk et c’était un gros évènement. Ils avaient loué un train pour les journalistes avec la musique du groupe qui passait et ils amenaient tout le monde à Reims en servant un grand dîner dans le wagon. On a un peu abusé, enfin eux… moi j’ai toujours été un garçon sage (rires). On a mis un peu la pagaille en buvant trop et Elli a vomi sur le sol dans la salle de réception : ça a fait un scandale (rires) et ça a stoppé net les négociations (rires). Les gens de Kraftwerk rigolaient, ils étaient très cool. Finalement on a signé avec Polydor.

Et là c’est le premier album ?

Oui, avec Patrick Chevallot, un grand ingénieur du son à Ferber. On a tout fait en une semaine. C’est un très bon souvenir cet enregistrement : le studio était magnifique et il y a eu une vraie rencontre avec Patrick. Il a continué à travailler avec Denis pendant pas mal de temps après. Le son est un peu « roots » mais ça sonne bien.

Pourquoi tu n’es pas sur la pochette du premier 45t ?

Parce qu’au départ j’étais surtout engagé dans Loose Heart et j’ai joué avec les Toys parce c’étaient des amis et qu’ils avaient besoin d’un batteur. Quand Loose Heart s’est arrêté j’ai, quelques temps plus tard, rejoint officiellement les Toys !

Les retours étaient bons ?

On a eu de la presse mais le groupe ne faisait pas vraiment l’unanimité musicalement ! Peut-être à cause du fait que nous n’étions pas totalement punk, peut-être trop grand public pour les rockeurs et trop punk pour ce fameux grand public.

Vous avez beaucoup joué suite à ce disque ?

Oui, on a fait sept concerts en Angleterre mais moins remarqué que le 100 Club, on a fait une petite tournée dans le sud sous un chapiteau, beaucoup de salles à Paris comme le Palace ou l’Olympia. On a ensuite voulu faire un deuxième disque et Polydor nous a demandé de faire des maquettes pour ce futur album.

Et c’est là que vous allez enregistrer ces trois titres qui sont aujourd’hui rééditées ?

Oui, on a enregistré dans le studio de maquette de Polydor rue Cavallotti, derrière la place de Clichy. Ça s’est déroulé au début de l’année 1979. Ils ont refusé les maquettes et on a quitté Polydor comme ça.

Pochette du 45t édité chez Pop Supérette
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Tu en dirais quoi de ces maquettes ?

Pour moi, ces maquettes ont une valeur historique pour ceux qui s’intéresse au Toys ou plus généralement au rock français de cette époque. Il montre l’évolution du groupe vers plus de maturité musicale. Si le premier album est ancré dans cette filiation Stones/Who, le deuxième album propose une voie plus originale qui allie cette double filiation anglo-saxone (ici plus dans une ligne claire new-wave à la Television ou B-52) et les références françaises (Françoise Hardy principalement dont nous avions repris la chanson Je veux qu’il revienne) voir aussi l’influence de Nino Rota. Le tout a donné un disque particulièrement original il me semble. Il y eu aussi un élan plus démocratique avec des morceaux amenés par chacun des musiciens.

Dans ce disque (et donc déjà dans ces maquettes) on peut entendre les Toys comme groupe avec l’apport de chacun comme les guitares de Bruno Carone très riches harmoniquement et l’excellence de la basse d’Albin Deriat. Souvent les maquettes ont un charme que l’on ne retrouve pas dans la production finale et ici, cela me semble être le cas. Le son est plus brut et abrasif. De ce point de vue, il faut souligner l’excellent travail de mastering de Pierre Sojdrug de Pop Supérette. C’est aussi dans cette période qu’Elli a trouvé sa voix. Son chant avait été souvent critiqué sur le premier album et l’évolution de son chant sur le deuxième disque est assez remarquable. Jusque dans ses disques solos plus récents, on retrouve cette manière de chanter que je dirais héroïque initiée à cette époque (particulièrement dans « Beauty and pride »)

Vous ouvrez aussi votre son avec l’arrivée du saxophone de Daniel Brunetti ?

Oui, c’est un son plus clair, plus proche des Talking Heads ou Televison qui sont des références importantes pour moi. On a tous composé un morceau pour ce disque. Bruno avait déjà composé un morceau sur le premier, il en fait un deuxième le deuxième album, Albin et moi aussi. On est plus posé, avec des variations plus importantes et il y a Daniel Brunetti qui vient jouer du sax sur quelques morceaux. Michel Bellocq (de Suicide Roméo) joue aussi de la guitare sur un morceau. Tout de suite après l’enregistrement, Albin a quitté le groupe pour continuer ses études de mathématiques. C’est pour ça qu’il n’est pas présent sur les photos de promo du deuxième album. Jean Paul Rouard (fondateur de Warm gun et chanteur bassiste d’Artefact) nous a rejoint. On a fait quelques concerts et on s’est arrêtés !

Comment s’est passée la séparation ?

Il n’y a pas eu une réunion de séparation (rires), ça s’est passé naturellement. Ça ne marchait pas assez. Denis a fait son album solo chez Dorian, « Rectangle » qui a eu du succès. On aurait pu imaginer deux carrières en parallèle mais Denis ne l’a pas vu comme cela, pour lui un groupe ça ne le faisait pas ou en tous cas plus... La fin des Toys, c’est l’histoire d’un groupe qui ne marche pas et un disque solo qui marche !

Ça ne marchait pas les Stinky Toys ?

On a toujours eu une presse incroyable mais on ne vendait que très peu de disques. On n’avait pas de manager, on faisait peu de concerts… bref ça ne prenait pas ! Je me souviens d’un rendez-vous avec Denis chez un mec du business et il était bluffé par notre press-book. On avait vraiment beaucoup de presse dans de gros journaux nationaux. Ce mec n’en revenait pas qu’avec tout ça, les maisons de disques n’en avaient pas fait quelque chose de plus construit…

Mais c’est ce qui a clôturé les Stinky Toys ?

Pour moi, ce qui a clôturé le groupe c’est le succès de « Rectangle » de Denis.

On a l’impression que le groupe est plus célèbre aujourd’hui que lorsqu’il existait ?

(Rires) C’est le relevé médiatique qui reste ainsi que la dimension historique. Mais si le groupe est plus connu aujourd’hui, c’est aussi bien sûr parce qu’il bénéficie du succès ultérieur de certains de ses membres…

Tu as sorti le très beau disque de Mitzpah au printemps, n’était- ce pas la manière pour toi de clôturer cette époque ?

Bien sûr, le groupe se disloquait et il me fallait une nouvelle étape. J’étais un peu connu comme batteur mais j’étais toujours porteur de projets personnels et l’étape suivante était de sortir un disque autour de mes compositions. Il y a eu ma rencontre avec Grégory Davidow (chanteur du groupe Spions et de MitzpahNdlR ) qui a permis d’avancer mais on n’a pas réussi à concrétiser à l’époque et il aura fallu plus de quarante ans pour sortir le disque.

Mais Mitzpah est le disque dans l’esprit de la continuité des Stinky Toys ?

Peut-être, mais ce n’est pas conscient chez moi je ne m’en rends pas vraiment compte. Je dirais éventuellement au niveau de l’esprit. J’ai découvert très tôt grâce à Michel Esteban (producteur et fondateur de ZE RecordsNdlR ) qui ramenait des cassettes de New York, vers 1975, Television et les Talking Heads, qui m’ont beaucoup marqué. Le disque de Mitzpah est d’ailleurs dédié à Tom Verlaine (chanteur et leader de Television, NdlR). Avec ses guitares claires et cette production, le disque de Mitzpah est, peut-être, dans la continuité de son travail que l’on retrouve d’une autre manière dans le deuxième album des Toys mais aussi de manière plus marquée dans les albums de Marquis de Sade à Rennes. L’apport des Toys est là, en acceptant les influences françaises et européennes et pas forcément qu’Anglo-Saxonnes. Cette liberté de ton et d’attitude que Denis et Elli avaient. Mitzpah a aussi cette liberté, une manière de faire de la musique en France en assumant notre héritage. Après les Toys il y a eu Rita Mitsouko qui ont aussi brillamment assumé tout ça.

Pochette de l’album de Mitzpah
Crédit : Loulou Picasso

Tu as quel regard sur les Stinky Toys maintenant ?

Le même qu’à l’époque : au début j’avais une position à part, je n’adhérais pas totalement au projet et étais critique sur le premier album mais j’aime beaucoup le second album, et suis particulièrement fier d’y avoir participé. Au point de vue humain je ne regrette rien : on était jeunes, c’était vraiment marrant. On a fait quelques concerts marquants dont le Club 100 et le mariage de Loulou de La Falaise. On a joué au Palace, à l’Olympia et au Rose Bonbon. On a fait un concert à Rennes qui reste dans les mémoires (le 20 décembre 1979 à la salle de la Citée avec Marquis de Sade et Etienne Daho à l’organisation, Ndlr). Nous étions des amis, une vraie histoire d’amour…. Dans quelques interviews, Elli disait que les Toys était une de ses plus belles histoires d’amour, notre adolescence. Elli a dit aussi qu’elle avait souffert de la séparation du groupe, de même pour moi…

Tu verrais qui comme héritiers des Stinky Toys ?

Je n’en vois pas particulièrement, même si Etienne Daho a toujours dit qu’il était fan du groupe, je ne crois pas qu’on entende cette influence dans sa musique. Peut-être quelques réminiscences musicales dans le jeune groupe Toulousain Fotomatic produit par Pop-Supérette… Comme dit plus haut, les Modern Guy avaient aussi cet esprit… Tout a été précisé après dans le travail de Denis avec ce qu’il a fait avec Elli ou Lio.

Tu as des regrets ?

Je trouve que la production du second album ne met pas vraiment en valeur la qualité des morceaux, d’où l’intérêt de la sortie de ce 45 tours. Cet album est un bon disque qui aurait pu être un grand disque. Maintenant, j’ai de beaux souvenirs de concerts notamment un au Rose Bonbon après le deuxième album où tout était parfait. Un groupe ça grandit et un jour ça trouve sa maturité, c’est pourquoi ces maquettes ré-éditées par Pop-Supérette sont importantes pour moi : on est vraiment un groupe dessus. Bien sûr que les Stinky Toys sont le projet de Denis et Elli et parfaitement porté par eux. Sans eux, pas de groupe, mais l’identité sonore des Toys est le fruit de chacun de ses membres. L’apport important de Bruno Carone qui était un excellent guitariste ainsi que celui d’Albin était lui aussi un très bon musicien ou encore mon jeu de batterie assez particulier. Je trouve que le mastering de Pierre rend justice à chacun et met en valeur l’énergie et la maturité du groupe. C’est pour ça que pour moi il était important que ces maquettes aient une existence publique. Je les ai proposés à Pierre pour ça, montrer le moment où un groupe trouve son identité. Tout le monde est en place et Elli chante vraiment bien.

Pas de regrets alors ?

On a tous une certaine nostalgie de sa jeunesse... Si c’est vrai face à des photos, c’est encore plus intense à l’écoute de musiques dans lesquelles on joue. Et Il m’arrive, de temps à autre, d’essayer d’imager à quoi aurait pu ressembler le troisième et le quatrième album des Toys…

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