Yann Perreau, le chanteur québécois en liberté

vendredi 14 novembre 2025, par Franco Onweb

Le 24 juin dernier au Parc Maisonneuve à Montréal, pour la fête nationale du Québec, devant 50 000 personnes Yann Perreau montait sur scène pour un concert triomphal ! Véritable star au Québec, il recevait, enfin, ce jour-là, un accueil digne de son talent. C’était la suite d’une carrière commencée dans les années 90 et qui a vu, peu à peu, éclore un artiste au talent incroyable.

Attention, ici on parle d’artistes, pas de musiciens ou de chanteurs, parce que dans le cas de Yann, ce serait trop restrictif : il chante, il est auteur compositeur, il a fait du théâtre et sort des livres de poésie, entre autres… Vous l’avez compris, c’est « un-touche-à-tout » de talents qui a besoin de plusieurs disciplines artistiques pour pouvoir exprimer toutes ses facettes.

Yann Perreau était de passage à Paris pour une série de concerts à Paris, Bruxelles et Valence. Lui et moi avons quelques relations communes et c’est comme ça que j’ai pu échanger avec un artiste aussi talentueux qu’attachant !

Peux-tu te présenter ?

Je suis Yann Perreau, québécois de la région de Montréal. J’ai commencé le métier à 18 ans avec le groupe Doc et les Chirurgiens, avec qui j’ai fait deux albums à la fin des années 90. Mon premier album Solo « Western Romance » est sorti en 2002. Depuis Je roule ma bosse.

Yann Perreau
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Tu es chanteur, auteur-compositeur, poète, comédien et tu as travaillé pour un spectacle de marionnettes. Tu mets quoi sur ton passeport ?

Je mets artiste (sourire). Au Québec, je suis surtout reconnu comme auteur-compositeur mais c’est vrai que j’ai enchainé pas mal de choses comme la mise en scène. J’ai joué au théâtre. J’ai fait une formation d’acteur avec une femme incroyable, Pol Pelletier. Elle était très reconnue à l’époque dans ce milieu. C’est une anarchiste. C’est avec elle que je suis allé chercher l’essentiel de ma technique pour faire de la scène.

Tu pourrais remplacer artiste par Troubadour ?

Oui, c’est un terme qui sonne un peu… vieillot, mais c’est ce que je suis : ménestrel, troubadour… Quelqu’un qui aime la musique mais aussi l’art de la scène en général. Dans mon show solo, il y a de la musique et des mots mais aussi de l’humour et un peu de théâtre.

Mais quand on regarde tes vidéos : on voit de la musique, des textes mais aussi beaucoup de mise en scène, comme si tu avais besoin de te mettre en scène.

Pour la réalisation chacune de mes chansons, il y a toujours ce désir de mettre en scène. Ce doit être mon amour du cinéma ! j’aime amener chaque chanson dans l’ambiance qu’elle mérite. Pour certains c’est une qualité, pour d’autres un défaut parce qu’ils préfèrent les albums avec un mood homogène.

Tu n’es pas un rockeur, puisque tu te moques du rock sur une chanson, tu as un titre avec Tiken Jah Fakoly… Dans un marché de la musique qui est très formaté, ce doit être compliqué pour toi qui n’est pas formaté ?

Je préfère faire à ma tête. S’il y a un artiste français qui m’a beaucoup influencé, c’est Jacques Higelin. J’ai fait sa première partie pour 5 concerts au Québec en l’an 2000. Je ne le connaissais pas. On m’avait appelé à la dernière minute. J’ai découvert un artiste incroyable non formaté qui avait fait du rock, des chansons poétiques et d’autres à la limite de la variété. C’est un artiste que les jeunes générations connaissent moins. Pour ceux et celles qui ne me connaissent pas, pour comprendre, un peu mon art, il faut peut-être me rapprocher d’Higelin. Il a clairement exercé une influence sur mon rapport avec la création et le métier de la scène.

Quelles seraient tes influences musicales : on te définit comme électro rock. Tu as des morceaux rock, de la chanson. Tiken Jah Fakoly a fait un featuring sur une de tes chansons, toi qui n’est pas un pas Reggaeman…

Ha ! Ha ! Je lui ai envoyé deux morceaux, un dub et un rock, et il a choisi le rock ! Le titre « un pour cent », pour le texte m’a-t-il dit. En effet, il est à contre-emploi, une sorte de parfait anti-casting ! Il y a un côté clash dans ce titre. Pour en revenir à mes influences, il faut préciser que j’ai deux grands frères qui m’ont fait découvrir le rock avec Led Zeppelin, Janis Joplin Jimi Hendrix, les Doors, Queen. C’est ma première influence, ce rock « classique » mais à côté j’écoutais beaucoup de chansons françaises comme Brel, Brassens, Gainsbourg… au Québec il y a un auteur compositeur-poète, richard Desjardins mais aussi Jean Leloup, qui m’ont emmené vers la découverte de la chanson française plus actuelle au début des années 2000. Des artistes comme Alain Bashung, Arthur H, Thomas Fersen… Là, ça a été une révélation parce que quand j’étais avec mon groupe on était influencé par le rock américain. Quand j’ai connu Arthur H ou Brigitte Fontaine, j’ai commencé à penser la musique autrement.

En concert
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Mais tu as un son très moderne : tu connais l’électro !

Oui, peut-être parce que j’aime danser… C’est une des facettes qui ressort lorsqu’on me voit en concert, surtout quand je suis accompagné par des musiciens… Le fait d’aller danser toute la nuit dans des raves, plus jeune, m’a donné envie d’ajouter une touche électro à ma musique. Quand on était en studio lors de l’enregistrement de mon premier album, western romance, on s’est mis à essayer des trucs avec des machines et cette influence m’a permis de développer un son qui m’est propre.

Tu n’as aucunes influences anglaises ?

Quelques-unes quand même, notamment avec les Clash. Aussi, j’ai un amour inconditionnel pour le trip-hop anglais. Massive Attack, Morcheeba, Tricky…
Autre point tu as fait des choses en rapport avec Robert Charlebois, tu as repris Gilles Vigneault, c’est l’intégrale de la chanson franco-québécoise !

C’est un parcours obligatoire de reprendre ces gens-là ?

(Rires) j’ai même repris Félix Leclerc ! En fait j’ai souvent repris leurs chansons dans les fêtes nationales ou événements… par exemple, j’ai chanté lors d’un hommage à Gilles Vigneault dans le cadre des Francofolies de Montréal. Cela ne venait pas de moi et je ne l’ai jamais repris sur un disque. Parfois je chante « A capella » une de ses très beaux morceaux « la chanson démodée » en concert et beaucoup de gens de ma génération, et de ceux de la génération d’après ne le connaissent pas. Sa poésie est tellurique et mystérieuse. Ses mélodies souvent folks sont très belles. Son œuvre est attachée au territoire.

Je voudrais que l’on parle de tes mots. Tu travailles beaucoup dessus. Tu joues beaucoup avec les mots et en plus comme les québécois tu es très libre.

Peut-être que c’est dû au fait qu’on vient d’un pays où il y a beaucoup d’espace, contrairement à vous, 10 fois plus nombreux qui vivez dans un territoire 3 fois plus petit que le nôtre. Nous, on est habitué à lâcher nos voix et nos musiques. Mais bon, il y a tout de même un réseau très formaté au Québec. Mais ma génération a été très influencé par Jean Leloup, un vrai de vrai électron libre. Je crois qu’il nous a tous poussé à vouloir rester libre. On est plusieurs à faire de la chanson plus à gauche et à ne pas rentrer dans le « moule ». Je crois qu’on lui doit beaucoup.

Entre les mots et la musique tu es donc un artiste totalement libre ? Tu ne rentres pas dans les cases du chanteur « québécois » comme on l’imagine ?

Oui, surtout que je m’auto-produit, donc je fais ce que je veux. J’ai toujours tenu à ma liberté artistique.

Et c’est une obligation pour toi de chanter en français ?

C’est ma langue maternelle, celle que je maitrise le mieux. Je pourrais le faire en anglais, je le fais parfois, quand je chante des covers, mais ma voie m’amène à chanter en français. En France, beaucoup chantent en anglais alors que chez nous c’est, à la limite, un peu ringard. Chanter en français en Amérique c’est quelque chose de signifiant, de politique !

En concert
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Tu as un côté militant ?

Je dirais davantage, engagé. Je chante en français parce que c’est comme ça, j’aime ma langue et ma culture est une richesse en Amérique, on se doit de la célébrer et d’en être digne. Ça me parle. il faut savoir qu’il y a de plus en plus de francophiles au Canada et aux USA, qui s’intéressent et qui écoutent la musique francophone. Et c’est dû au fait qu’il y a de plus en plus de bonne musique faite en français.

On parle de tes textes ? J’ai l’impression que tu as dû beaucoup jouer au « Cadavre Exquis » ?

J’ai joué à ça parfois, oui ! la majorité de mes textes viennent d’une impulsion. J’aime la poésie et le surréalisme.

Avec un côté deuxième degré ?

Bien sûr. Comme sur ma chanson « jouer du rock’n’roll » dans laquelle je me fous de la gueule de tout le monde, moi y compris (rires).

Pourquoi sur ton dernier « Perro Del amor », tu as mis l’image de ce chien ?

Un jour, après avoir entendu l’entrevue du grand poète québécois, Gaston Miron, dans laquelle il avait dit qu’il serait toujours fidèle à l’amour. J’ai pensé, moi aussi « je suis un chien de l’amour ». J’ai joué avec ça et mon avec nom (Perreau). J’ai fait écouter une démo de cinq titres à mon illustrateur, alors que j’étais en pleine production. Il n’y avait aucun nom sur les titres et il m’est arrivé avec cette proposition-là. La chanson « Perro del Amor » a été enregistrée après et elle est devenue la chanson titre de l’album.

Tu te sens bien en France ?

Oh oui, j’ai habité ici et depuis la première fois que je suis venu, je me sens bien.

Tu ne te sens pas formaté ici ?

C’est l’industrie qui formate. Moi je fais ce que je fais, je suis comme je suis. Le public capte toujours quand on fait avec amour et honnêteté.

Tu l’as fait où et avec qui L’album Perro Del Amor ?

A Montréal, j’ai un studio où j’ai fait les maquettes. Ensuite je suis allé dans un autre studio pour recorder les batteries puis on a terminé à Toronto chez Gus Van Go, coréalisateur et mixeur de plusieurs grands succès (dont les trois derniers albums des cow-boys fringants). Il y a quelques overdubs qui ont été faits à Paris mais tout ça a été finalisé chez gus à Toronto.

Qui jouent sur le disque ?

Ce sont les musiciens qui jouaient avec moi sur scène sur ma dernière tournée entre 2016 et 2019. Des tops musiciens dont Maxime Bellavance à la batterie, Frank Plante à la basse. Aussi, j’ai l’honneur d’avoir sur cet album les voix de quelques invités de marque dont Tiken Jah Fakoly, ainsi que celles de supers choristes qui ont chanté, entre autres, avec Robert Charlebois.

Pochette du disque Perro Del Amor
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Et là, en France, tu te produis seul ?

Mon copain Aurélien Mourocq à la clarinette m’accompagne. On s’est connu pendant mon séjour de deux ans à Paris. On s’amuse bien ensemble. Il est flamboyant physiquement et son jeu accentue l’aspect « cabaret » du show.

Tu n’es pas distribué en France ?

Je suis distribué en digital par « the Vault », une boîte qui a pied à terre à Montréal et paris. Pour acheter mes disques en physique, il faut venir à mes concerts. Un de mes objectifs est de trouver une équipe afin d’être plus présent, ici, en France.

Et là tu vas aussi à Bruxelles ?

Oui, c’est une ville tellement cool ! J’adore la Belgique. Je suis fan de « Warhaus » un flamand qui chante en anglais, qui fait des trucs supers. J’aimais beaucoup Arno aussi.

Quels sont tes projets ?

Je joue mardi le 18 novembre au bateau El Alamein à Paris, puis le lendemain à Bruxelles au jardin de ma sœur. Nous terminons cette tournée européenne de cinq dates à Valence, le 21 novembre (les trinitaires). En 2026 j’ai une belle tournée au Québec et Je pense en sortir un live.

Tu es considéré comment au Québec : un chanteur, un auteur, un artiste ?

Plutôt comme un « homme à tout faire » ! ha ! ha ! non, sérieusement, je suis reconnu comme auteur compositeur. Plusieurs de mes chansons jouent à la radio, mais toujours un pied dans l’underground. Je être inviter à chanter de la poésie un soir, et le lendemain aller crier et danser avec des punks et des rockeurs. Je trouve ma place un peu partout. Ça fait trente ans que je fais ça. J’ai toujours été polyvalent !

Je pensais que tu allais aller plus vers l’image, puisque tu mets en avant beaucoup l’imagerie.

Eh bien faut aller voir mes vidéoclips, j’en ai produit plus de 25. Pour être honnête, je rêve de cinéma !

Tu as un vrai univers que tu n’arrives pas à développer parce que tu es formaté par le format chanson.

Mon rêve ce serait de faire un opéra façon « Tommy » avec des chansons différentes et des clips pour tous les titres. Je viens de trouver des productrices qui vont m’aider pour aller au bout de certains projets. Il ne faut pas oublier que le Québec c’est 8 millions de personnes et contrairement à vous, où vous êtes presque 10 fois plus nombreux, c’est plus compliqué de vivres de projets artistiques. Le réseau underground est petit et il serait difficile de vivre de mon métier en n’écoutant que mes pulsions expérimentales. J’ai toujours un pied dans la pop parce que ça me permet de toucher un public plus large.

Donc le rock t’emmerde ?

Si je ne faisais que ça, cela m’emmerderait, si je faisais que piano voix, ça m’emmerderait… j’aime quand ça bouge !

Et ton expérience de comédien ?

J’ai été comédien au théâtre mais au bout d’un moment je me suis emmerdé aussi ! (Rires). Non, c’était une super expérience, vraiment ! la pièce se passait à Paris dans les années 30. Ambiance « cabaret berlinois » … l’histoire tournait autour d’Anaïs Nin, je jouais l’amant de Jude Miller.

Tu viens de dire le mot cabaret. Je pense que c’est quelque chose qui te caractérise.

Oh oui, j’ai grandi dans un cabaret : mes parents en avaient un, qui faisait bar aussi. Il y avait des spectacles de « pianomen », des shows de chansonniers, des groupes de country, des djs. J’ai grandi là-dedans. Je suis une éponge, je suis un autodidacte, j’ai appris seul en regardant. À chaque fois cela me nourrissait et je continue à le faire. J’aime toucher à tout.

Mais est ce que la voix c’est trop restrictif pour toi ?

Restrictif ? non ! chanter pour moi c’est salvateur, voire guérisseur. Ça m’emmène plus loin !

Tu vas re enregistrer quand ?

Je travaille dessus. J’ai déjà quatre titres en travaux. J’ai un studio à Montréal, le studio pacifique. J’aimerais aussi développer en petite salle de concerts intimes avec enregistrements live.

Tu veux donc tout maîtriser : c’est DIY (Do It Yourself) ?

Oui, c’est mon côté punk (rires).

Le mot de la fin ?

Il n’y a pas de murs pour les miracles de l’amour !

Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’emmener vers la musique ?

The Strokes « The New Abnormal », c’est du vécu : mon fils de huit ans a adoré ce disque à la première écoute. Rock et mélodique à souhait, c’est super bien !

En concert le 18 novembre 2025 sur la Peniche El Alamein
https://www.bateauelalamein.com/event-details/mar-18-11-yann-perreau

https://yannperreau.com/