On parle de la genèse de ce disque ? Il est né comment ?
H.Z. : De ma rencontre avec Grégory, qui était réfugié politique en France. Il travaillait ponctuellement dans une société de communication en bas de mon appartement et il m’entendait jouer de la batterie toute la journée. Il est monté me voir pour me proposer de jouer dans son groupe Spions. Après un premier 45 tours très punk chez Barclay (« Russian Way Of Life »/« Total Czecho-Slovakia » (Egg, 1979)), il a fait un album avec le groupe Artefact (groupe parisien, NdlR) chez Dorian Record, dans lequel j’ai joué de la batterie. J’avais aussi un projet de disque personnel sur des paroles de Loulou Picasso et d’Olivia Clavel (membre du collectif artistique Bazooka, NdlR). Dans ce projet, je voulais un chanteur différent pour chaque morceau. J’avais donc proposé à Grégory de chanter sur un titre. Mais c’est à l’été 1981 que l’on a commencé à travailler sur les chansons qui sont devenues le disque de Mitzpah plus de quarante ans plus tard…
Vous vous êtes donc souvent croisés ?
H.Z. : En quelques années, on a eu trois ou quatre projets communs… J’ai été très impressionné par Grégory, son parcours, son apport sur mon travail… C’était un regard très différent de ce que je connaissais du rock parisien. Il était l’héritier d’une autre culture, d’une autre tradition… Il m’a vraiment ouvert sur l’art contemporain, la performance. Il était un représentant de l’intelligentsia, de l’avant-garde artistique d’Europe centrale et cela a été vraiment important pour moi.
Hervé, tu as été le batteur de la scène parisienne de la fin des années 70 et début 80 ?
H.Z. : Oui, j’ai fait partie de la génération pré-punk. On a commencé assez tôt, on était très jeune. C’est parti du lycée Charlemagne dans le Marais à Paris, qui était, à l’époque, un quartier populaire. Il y avait dans ce lycée, Pierre Goddard (1984, Suicide Roméo Ndlr), les frères Boulanger (Métal Urbain Ndlr), Denis futur Jacno, et moi, avec Elli pas loin dans le lycée de filles du quartier. Je ne sais pas pourquoi, tout s’est passé autour de ce lycée. On a commencé vers 1974, 1975 et émergé avec la première vague punk. On a joué au « Colloque de Tanger » à Genève avec Patrick Eudeline autour de William Burroughs en 1975 avec Pierre Goddard et les frères Boulanger. Après on a fait Loose Heart toujours avec Pierre et aussi Pascal Régoli d’Angel Face à la basse. Groupe dans lequel j’étais vraiment investi. Quand le groupe s’est séparé, j’ai rejoint les Stinky Toys au départ par amitié. On avançait dans le même temps que le mouvement punk, on n’était pas des suiveurs, on était dans le même temps que Clash et les Sex Pistols.
Vous avez commencé à travailler ensemble, avec Gregory, vers 1981 ?
H.Z. : En 1981 c’est le projet Mitzpah qui prend forme mais pas sous ce nom. J’avais participé au disque « the Party » en 1979. Pendant deux ans, on s’est tourné autour sans que rien ne prenne forme. « The Party », avec Artefact, c’est un très bon disque dont je suis fier. Avec le deuxième album des Stinky Toys, le 45t des Guilty Razors, l’album de GYP et celui de Mathématiques Modernes, ce sont les disques dont je suis le plus fier, à la fois pour mon apport à la batterie mais aussi évidemment pour ces musiques que je trouve remarquables.
Le disque de Mitzpah est un disque de son époque : c’est la rencontre d’un artiste et d’un musicien.
H.Z. : Oui mais c’est aussi un croisement Est – Ouest vraiment intéressant. Gregory a un côté conceptuel passionnant. Il est dans les jeux de symboles qui peuvent paraître parfois austères et abstraits. Il a aussi un aspect politique avec lequel il travaille. Les punks jouaient avec les symboles politiques, parfois nazis, et il a été mal perçu parce qu’il a aussi joué avec ça : la faucille et le marteau, la croix gammée, l’étoile juive… Moi, je suis plus dans l’émotionnel. Pour moi, mon apport dans le projet Spions était d’amener quelque chose de plus humain et de moins idéologique. C’était un croisement entre l’Europe Centrale et la New Wave. Cela aurait pu fonctionner, il chantait en anglais avec des paroles vraiment brillantes et une vraie vision.
En 1982, Hervé, tu pars à New York alors que Gregory part au Canada. Vous étiez loin l’un de l’autre ?
H.Z. : Cela n’a effectivement pas arrangé les choses. Ce projet a changé mon parcours. Quand Grégory a quitté la Hongrie, il devait juste s’arrêter à Paris pour Londres mais il a perdu son passeport, eu quelques problèmes administratifs et est resté en France. Au bout de quelques années, il a pu émigrer. On devait se retrouver à New York mais là encore, il a été bloqué à Toronto et on n’a jamais pu finir le disque. De mon côté, j’étais en phase avec la première génération des punks new-yorkais et j’ai eu du mal avec la pop française du début des années 80. Je n’arrivais pas à me projeter. J’étais très rock avec quelques influences de jazz et de musiques expérimentales et je ne me voyais pas comme musicien de studio pour la variété française. Je voulais jouer ma musique. Le projet avec Grégory avait une vision mais à Paris je n’y arrivais pas. En tant que batteur sur des disques qui avaient eu du succès, j’avais des rendez-vous avec des maisons de disques importantes mais ils pensaient que j’amènerais un sous « Amoureux solitaires » alors que j’arrivais avec quelque chose qui n’avait rien à voir et qui n’était pas très français… Même si avec le temps je me rends bien compte que ce n’est évidemment pas donné à tout le monde d’avoir la légèreté de la pop… (rires)
Vous aviez fait des maquettes à Paris ?
H.Z. : Oui, une au studio de maquettes de Polydor derrière la place Clichy où on avait enregistré là-bas avec les Guilty Razors, et aussi fait des maquettes du second album avec les Stinky Toys (maquettes qui devraient faire l’objet d’une sortie en 45t trois titres chez Pop Supérette prochainement). Polydor m’a fait faire deux morceaux avec Yann Le Ker à la guitare, Jean François Coen à la basse et Fred Versailles aux claviers. Les bandes ont été refusées. Dorian, le label, m’a aussi fait faire un morceau dans un autre studio mais rien n’a abouti !
Tu pars à New York, où tu trouves ton son. Quand tu arrives là-bas, ta musique va changer. Tu t’es senti à l’aise dans cette ville, parce que selon moi il y a trois artistes auxquels on peut ramener ce disque : Tom Waits, Leonard Cohen et Tom Verlaine à qui le disque est dédié.
H.Z. : Ma musique a changé à New York mais sur d’autres aspects. J’ai toujours été plus sensible à la musique américaine qu’à la musique anglaise même si j’ai beaucoup aimé Subway Sect ou les Sex Pistols. Très tôt j’ai découvert, grâce aux enregistrements cassettes des concerts que ramenait Michel Esteban (du magasin Harry Cover et créateur du label ZE Records) de ses séjours New-Yorkais, les Talking Heads ou Télévision que j’aimais beaucoup. J’adorais aussi le Velvet Underground, les Stooges et les Modern Lovers. Cette influence américaine a donc toujours été présente pour moi. Mon choc esthétique, quand j’étais à New-York, c’est plutôt avec Glenn Branca et son orchestre de guitares électriques que je l’ai eu, la naissance du Art-rock… Pour Leonard Cohen et Tom Waits, cette proximité n’était pas présente à l’époque et est apparue surtout à cause de la voix actuelle de Gregory qui est devenue plus grave, plus profonde et éraillée. C’est aussi le côté littéraire de ses paroles qui pourrait renforcer cette proximité. Quant à Tom Verlaine, il a toujours été une influence très forte pour moi et je le réécoute beaucoup depuis quelques années.
Mais on pouvait s’attendre à un disque de « jeunes gens modernes », un truc un peu post-punk, new-wave. Là, il y a du rock, du blues, de la pop, du jazz. C’est un disque profond, loin de ce que peut être la pop.
H.Z. : Cela a été mon problème ! Après le punk et la new-wave j’ai eu beaucoup de mal à trouver ma place dans la pop, new-wave variété française avec ce côté néo-yéyé. Je voulais vivre le présent et non un fantasme des années soixante vécu dix ans plus tard. Le projet avec Gregory était tout sauf ça ! Et c’est dans cette même optique que j’ai abordé la conception de ce disque. Le disque est une volonté de recréer quelque chose de neuf à partir d’une expérience passée en évitant toute nostalgie. Je voulais faire ces morceaux d’il y a quarante ans mais avec ce que je suis aujourd’hui. Je voulais m’amuser, faire revivre ce projet, faire d’un échec une force, profiter de ce que ce disque n’ait pas été réalisé à l’époque pour en faire une nouvelle création. Bref, l’opposé d’une réédition ou d’un simple témoignage historique. Il reste des racines mais en quarante ans, j’ai voyagé sur d’autres terres que la new-wave des années 80.
On a l’impression que ce disque tu l’as porté pendant quarante ans, c’est un disque actuel donc ce n’est pas le disque que vous auriez sorti en 1981 ou 82 ?
H.Z. : Non, bien sûr mais si tu écoutes les maquettes initiales tu verras que certains morceaux sont proches et d’autres ont beaucoup évolué. On n’aurait pas fait ce disque il y a quarante ans, comme le côté un peu jazz, à la fin du disque, ou plus expérimental. J’avais fait entre-temps plein de choses dont beaucoup de musiques de traverses. C’est mon sixième disque comme compositeur. J’ai fait cinq albums de musique néo-expérimentale, j’ai participé pendant 10 ans à un label de musique (Trace-Label) où j’ai aussi produit d’autres compositeurs dans le domaine de l’électroacoustique et du minimalisme. J’ai fait des études au conservatoire sur le tard… J’ai beaucoup bougé musicalement, j’ai essayé de vivre ma vie de musicien par les attirances esthétiques que je ressentais sur le moment et de ne pas se focaliser sur un soi-disant « passé glorieux » en refaisant toujours les mêmes choses. Bouger complique sûrement les plans de carrière…
Pendant toutes ces années, tu étais en contact avec Gregory ?
H.Z. : Pas de manière régulière, mais épisodiquement oui. Je suis allé plusieurs fois le voir à Montréal. On a aussi fait un morceau d’hommage à Claude Arto (le talentueux fondateur et musicien du groupe Mathématiques Modernes, NdlR) au décès de celui-ci. Hommage dont les paroles sont absolument magnifiques.
Quand as-tu décidé de reprendre ce projet ?
H.Z. : Je n’ai jamais vraiment accepté de ne pas avoir réussi à finaliser ce disque à l’époque, même si le projet a toujours connu pas mal de galères ! Les maisons de disques n’en voulaient pas parce qu’il n’était pas en phase avec ce qui marchait à l’époque en France… Le label Dorian était intéressé mais n’a pas concrétisé le projet… Je me suis plutôt mal débrouillé… je n’aurais jamais eu l’idée d’aller par exemple voir certains labels, comme Bondage, dont j’ai su plus tard qu’ils m’appréciaient comme musicien… Claude Picard (Caméléon Record) a voulu ressortir un titre dans un coffret regroupant des inédits de l’époque, mais il y avait eu des soucis avec ce morceau dont des parties avaient été effacées par inadvertance… (rires)
Et donc ?
H.Z. : Pierre Sojdrug (de Pop Superette) m’a contacté par Facebook. C’est un ancien fan des Toys qui nous avait souvent vus sur scène et qui avait aussi assisté aux concerts des Modern Guys, Mathématiques Modernes ou Suicide Roméo. Il démarrait son label. Il venait de sortir un vieux 45t de Jean Pierre Kalfon et des disques de power-pop américains assez pointus. Il a aussi produit les disques de deux excellents jeunes groupes Toulousains : les Boost 3000 et les Fotomatic ou du talentueux musicien Brésilien Irmao Victor. On est rentré ainsi en contact. Je lui ai fait écouter les morceaux. Il était d’accord pour travailler dessus, refaire le disque… Ça m’a redonné l’énergie pour m’y remettre et finir le projet. Pierre s’est beaucoup investi, et a conçu un livret de 12 pages disponible avec la version vinyle. Il a retracé, à partir de plusieurs documents publiés en Hongrie, l’histoire de Spions, et a inclu une longue interview que j’avais faite en 2018 avec Laurent Bigot pour le magazine américain Ugly Things.
Il y a qui d’autre ?
H.Z. : Il y a une personne qui a beaucoup fait pour nous, c’est Yann Le Ker (Modern Guy, Lizzy Mercier Descloux, Lio, Arnold Turboust… NdlR) ! Il s’est vraiment investi en tant que musicien et réalisateur sur ce disque. Sans lui, on ne serait pas arrivé à cette qualité. Il a amené des musiciens comme Jean-Paul Bérieu à la batterie, Patrick Loiseau à la basse ou Vincent Guibert aux claviers. De mon côté, j’ai amené d’autres musiciens avec des participations plus ponctuelles (Alain Petit au violon, Christophe Rosenberg au saxophone, Ismael Galvez à la trompette, Rim Ha aux secondes voix féminines, Stanislas Jankoviak aux secondes voix masculines, Frank Lovisolo à la guitare, Nico Morcillo à la guitare bruitiste).
Tu n’as pas joué de la batterie sur le disque ?
H.Z. : Non, je n’avais pas joué de batterie depuis longtemps, je n’ai plus ni la précision ni le son. M’y remettre aurait été un investissement de temps trop important. On a enregistré les bases rythmiques dans un petit studio à Montreuil sur un click et tout le reste : violon, trompette, sax, chœurs, claviers… dans le home-studio de Yann tout comme le travail de production, de mixage et de mastering. Yann a aussi co-arrangé plusieurs des morceaux du disque.
Comment avez-vous fait pour enregistrer les voix ?
H.Z. : Ça a été assez compliqué, c’était en plein pendant la crise sanitaire ! Sinon, on aurait fait venir Gregory à Paris et enregistré les voix dans de meilleures conditions. Comme c’est quelqu’un qui vit assez isolé et n’aime pas trop sortir de chez lui, il était inquiet de se retrouver seul en studio à Montréal. Il a acheté un micro et a tout enregistré chez lui sur son ordinateur avec l’aide de sa femme Gina. Il a aussi fallu faire avec son manque de connaissances techniques. Je l’ai dirigé par Skype. Ça a été une galère de plus d’un mois (rires) !
Pourquoi avoir changé de nom de Spions à Mitzpah ?
H.Z. : On n’avait jamais vraiment discuté de savoir sous quel nom devait se faire cette collaboration. Spions, c’est un nom qui a une histoire particulière… avec aussi certains aspects qui étaient source de polémiques entre nous. Peu à peu, quand le projet a pris forme, Grégory a proposé ce nouveau nom qu’il trouvait plus judicieux par rapport à notre travail. J’étais au départ un peu sceptique à ce sujet, mais aujourd’hui je suis très content que l’on ait pris ce joli nom de Mitzpah. Cela rentre aussi dans le fonctionnement de Gregory de changer de nom pour chacun de ses projets (il a ainsi réalisé des performances sous des myriades de pseudonyme comme : Anton Ello, Gregory Davidow, Sergeï Pravda, Aleph, 888, Spiel !…)
Performance de Gregory Davidow autour de l’album « Lonesome Harvest » (2022)
Ça veut dire quoi ?
H.Z. : (Rires) C’est un mot valise entre deux mots hébreux : Mitzvah qui est une bonne action et Chutzpah qui désigne un homme fier, audacieux, voire arrogant ou désobligeant. En tout cas, c’est un beau nom, un peu énigmatique qui donne une dimension spirituelle au projet. Dimension, par ailleurs, très présente dans le disque. Avec un jeu homophonique avec l’anglais (entre pah et path) j’entends Mitzpah comme la voie des bonnes actions, ce qui me plaît bien… (Rires)
On va parler des textes. C’est un disque avec une dimension mystique très forte. On sent qu’il aime bien la Bible Gregory !
H.Z. : (Rires) Oui, il a vraiment ce côté-là. Il a même fondé sa propre église : « The Atheist Church - The Temple of Nuclear Reincarnation » (comprenant trois membres, je crois…) (rires). Approche qui n’est pas sans rappeler les préoccupations de Genesis P. Orridge (Throbbing Gristle, Psychic TV) pour la magie du chaos avec la création de TOPY (Thee Temple Ov Psychick Youth). Il y a aussi, dans ce disque, le constat de la fin d’une époque, celle de l’underground (née après-guerre avec la Beat Génération et qui finit avec le punk). Dans le morceau « In Andy Warhol’s Factory », Il oppose la venue au pouvoir de Ronald Reagan à la figure d’Andy Warhol, il y a une phrase qui dit que l’underground va être nationalisé. La dimension de « table rase du passé » du Punk donnait une dimension réellement spirituelle à ce moment particulier de la culture populaire.
Et pour le côté mystique ?
H.Z. : Il y a un premier élan d’énergie de jeunesse qui veut changer le monde et quand on se confronte à celui-ci, il y a souvent un retour vers soi, vers une transformation intérieure. C’est cet aspect, de retour vers soi après la furie du punk, que montre ce disque, comme un journal intime qui retrace une expérience spirituelle où les perspectives se transforment.
Mais tu représentes la transition entre l’énergie du punk et la new wave plus pop. Ne penses-tu pas plutôt que les textes de Gregory sont les textes de quelqu’un qui a grandi dans les pays de l’Est ?
H.Z. : C’est quelqu’un qui était dans une situation d’émigration. Il venait d’un univers avant-gardiste des pays de l’Est et s’est retrouvé à Paris dans un contexte culturel complètement différent. Avec Spions, Gregory développait une théorie de la trahison parce qu’en exil. Il avançait qu’il fallait se couper de ses racines pour se réinventer, être à la fois nulle part et partout chez soi. C’est l’histoire de toutes les diasporas et aujourd’hui la situation de plus en plus de gens dans le monde. Mais on peut aussi trouver cette idée dans les livres du penseur indien Krishnamurti : se « libérer du connu » pour pouvoir mieux appréhender le présent, se libérer de ses carcans culturels, changer les lunettes avec lesquelles on voit le monde. Il y a de ça dans tout son travail mais croisé avec la pop culture. C’est le passage de l’avant-garde culturelle bourgeoise, vers la culture populaire mondialisée qu’est le rock…
Mais votre disque est plus un objet culturel qu’un simple disque, avec par exemple Loulou Picasso pour le graphisme, qui est très beau. C’est le témoignage d’une époque. On est loin du côté adolescent du rock !
H.Z. : C’est un disque adulte oui (rires), un disque qui a un contenu et une histoire ! C’est ce qu’on a essayé de faire : un objet culturel ! Mais quand on dit ça, cela paraît très vite ennuyeux alors qu’il ne faut pas passer à côté des dimensions ludiques et comiques qui ne sont jamais très loin dans les textes de Gregory. Notre défi était de faire un disque qui soit la trace d’une époque passée tout en ayant une dimension actuelle et je pense que l’on a réussi ! Nous n’avons pas essayé de revivre le passé mais le réactualiser celui-ci dans une approche de recréation. Il faut maintenant que ces différents aspects soient lisibles pour le public. C’est à la fois un disque de rock, un témoignage d’une époque, un objet culturel et une recréation !
Qui est sir David O’Clock à qui le disque est dédié ?
H.Z. : C’était un des membres fondateurs de Spions, du nom de László Najmányi, qui s’occupait de la dimension visuelle du collectif (affiches, pochettes, vidéo-clip, scénographie…) et qui est mort il y a deux ans à Budapest. Cette dimension multimédia de Spions était aussi un aspect très novateur pour l’époque.
On va évoquer le graphisme du disque, qui est très beau, avec un vieux camarade à toi : Loulou Picasso !
H.Z. : Au départ, quand j’étais encore dans les Stinky Toys, j’avais le projet de faire un disque solo avec des paroles de Loulou Picasso (à l’exception d’un titre d’Olivia Clavel). J’avais enregistré deux morceaux pour un label créé par Larry Debay (ancien membre de l’Open Market et ami proche de Marc Zermati) qui a fait faillite avant que le disque sorte (rires). A cette époque, en 1978-1979, on s’est beaucoup vu avec Loulou. Il avait fait la pochette de ce disque qui n’est jamais sorti. C’est mon portrait qui est à la fin du livret de la version vinyle. Pour moi, il y a eu deux grands groupes en France à cette époque : un musical (Marquis de Sade) et un graphique (Bazooka). J’aime beaucoup les Toys, mais ces deux groupes, ou collectifs, sortent vraiment du lot. Bazooka est la quintessence de cette époque, ils étaient vraiment incroyables.
Il y aussi agnès b. qui « sponsorise » le disque ?
H.Z. : Le disque a bénéficié de deux subventions : une du C.N.M. (Centre National de la Musique) et l’autre de la cellule musique de la fondation agnès b. (Beatitude Musique). C’est par Loulou que la connexion s’est faite avec Beatitude Musique. C’est la première fois que j’ai eu des aides financières pour un disque. Mais le fait est que c’est aussi la première fois que j’en demandais… (rires).
Ça va être compliqué de faire un concert « classique » avec ce projet ? C’est un projet artistique global qui mérite plus que ça !
H.Z. : C’est matériellement impossible de faire un concert « classique » ! Soit on n’en fait pas du tout, soit on fait un truc plus décalé. On pourrait faire un semi « playback » avec des musiciens sur scène, d’autres instruments sur support et Gregory à distance en visio-conférence. Il faut trouver la bonne formule pour nous, une forme hybride lui donnant une dimension plus avant-gardiste qu’un simple concert.
Est-ce qu’il y aura un deuxième album ?
H.Z. : (Rires) J’aimerais bien ! J’adore la voix et les paroles de Gregory, mais on attend de voir la réception de celui-ci. J’aimerais continuer parce que ce que je fais à côté est plus dans le champ des musiques expérimentales et hors du rock, et ce fut un grand plaisir de faire ce disque, de retrouver cette approche plus directe avec le son et l’énergie. Ça m’a fait du bien parce que je viens de là. Il faudrait voir aussi si nous sommes capables de faire un nouveau disque plus rapidement que celui-ci (rires)… Parce que ni Gregory ni moi n’avons l’âge d’attendre de nouveau quarante ans.
Peut-on espérer un disque solo punk de Hervé Zénouda ?
H.Z. : (Rires) Un nouveau projet sous mon nom serait probablement dans la lignée néo-expérimentale/post-classique de mes premiers disques. S’il y a dans l’avenir un nouveau Mitzpah, en tout cas, il sera plus jazz-punk.
Quatre questions posées à Gregory Davidow par Pierre Sojdrug :
Je crois que tu avais rencontré Yves Adrien ? Que s’est-il passé avec lui ?
Yves Adrien est venu nous voir pour écouter une démo de Spions en juillet 1978, invité par Patrick Zerbib (journaliste du magazine Actuel NdlR). Il n’était pas impressionné par notre image de soldat rouge et notre propagande soviétique. Après dix secondes d’écoute de « Russian Way of Life », il avait déjà une opinion bien arrêtée. Il a dit que le punk était mort et qu’il vivait dans une pièce vide, avec seulement des stroboscopes et des miroirs, en écoutant « Man Machine » de Kraftwerk. Pendant qu’il en parlait, la cassette s’épuisait et il ne voulait pas la réécouter. Plus tard, Je l’ai croisé quelques fois, mais il m’a fui comme le fantôme du communisme. Sa politique, c’était la danse.
Tu racontes ta rencontre avec Malcom McLaren dans le livret de l’album vinyle… Tu lui as proposé une chanson, je crois bien…
Malcolm McLaren s’est installé à Paris pour échapper aux conséquences de son procès pour l’overdose de Sid Vicious dont il était accusé à tort de l’avoir provoqué. Il a vécu chez Robin Scott, comme moi de temps en temps, donc nous avons partagé les toilettes et les idées. Je lui ai écrit une chanson à sa demande - "Never Trust a Punk" (morceau que l’on retrouve dans le disque « The party » NdlR) - mais il a finalement refusé de l’enregistrer sous des prétextes éthiques. « Je ne peux pas laisser tomber les enfants que j’ai élevés », a t-il argumenté. La trahison n’était pas sa tasse de thé. Vingt ans plus tard, j’ai essayé de contribuer à sa campagne "Malcolm for Mayor", mais en vain. Maintenant ils ont Sadiq Khan.
Robin Scott a été aussi une rencontre déterminante non ?
Robin M. Scott a été engagé par Barclay Records pour dénicher de nouveaux talents à Paris. Spions a été le premier et le seul groupe qu’il a choisi de produire. C’était avant qu’il ne réalise son tube planétaire « Pop Muzik » dans lequel on peut voir une certaine influence de notre travail sans qu’il nous en ait jamais crédité. Robin était une âme fraternelle, profondément fascinée par les mystères de l’espionnage, un domaine dans lequel nous prospérions à l’époque. Nous avions ensemble un grand projet de film appelé "Rise" - celui de Spions en fait - impliquant David Bowie et beaucoup d’autres. Film qui n’a jamais été plus loin que l’étape du script et Spions s’est séparé ensuite.
Comment as-tu été en contact avec les Raincoats ? Que s’est-il passé avec elles ?
J’ai rencontré les Raincoats lors d’un festival d’art à Varsovie en mars 78, où j’étais invité en tant qu’artiste de performance et eux en tant que premier groupe de punk rock en visite en Pologne. Nous avons décidé de faire un concert ensemble, avons appris quelques chansons en un clin d’œil, mais il a été annulé à la dernière minute par la police du pacte. L’alchimie était si forte, cependant, qu’elle a poussé Spions à quitter immédiatement son pays natal pour aller à Londres et travailler ensemble sur un hybride Est/Ouest de revival afterwave. Ce plan a été bloqué par le fait que je suis devenu un étranger en situation irrégulière sans possibilité de quitter Paris pendant des années. Le reste n’est pas de l’histoire.
Le disque sort en trois versions : en CD (avec un livret allégé) (distribué par Modulor https://www.modulor.tv), en téléchargement sur toutes les plateformes digitales et en format vinyle 33 tours (avec un livret enrichi) (trouvable sur le site www.123pop.net)
https://www.popsuperette.net/
http://www.mitzpah.fr/
http://www.zenouda.com/
https://www.modulor.tv/