Voilà donc Pop Supérette, un label aussi excitant qu’indispensable que vous allez adorer aimer !
Pop Supérette est un label de disques qui a été lancé en 2017 par ma compagne Michelle Campari et moi-même, Pierre Sødjrug. C’est un projet que nous avions depuis longtemps, depuis presque 20 ans en fait. À titre personnel, je voulais rééditer de la pop américaine underground des années 70, des choses un peu obscures, des productions DIY par la force des choses mais très mélodiques. Cela m’avait paru un peu compliqué pour des questions de licence. En 2017, il y a eu une opportunité et je me suis lancé.
Le label s’appelle Pop Supérette, pourquoi ?
C’est pour faire référence à ce que l’on appelait « le » pop c’est-à-dire une culture pop au sens large. On voit ça comme une publication de choses insolites, ambitieuses mais aussi accessibles. Nous voulions cette triple caractéristique. Musicalement, il faut que ce soit quelque chose d’accrocheur mais qui aille un peu plus loin que le pop-rock traditionnel, avec parfois même des côtés expérimentaux. On aime le côté bricolo pop, peu importe les moyens. La première exigence est que le songwriting soit top. Dans un second temps, il y a les arrangements, et puis enfin le son. C’est un peu une démarche à rebours par rapport à ce qui se fait maintenant, il nous semble. C’est peut-être une dérive du progrès technologique, obtenir un très bon son est plus facile à réaliser que d’écrire des bonnes chansons.
Vous avez plusieurs axes : des rééditions, des groupes de Toulouse, des choses sur l’Amérique latine etc.
J’aime beaucoup ce qu’on appelle le tropicalisme, le psychédélisme à la brésilienne, dont Os Mutantes a été un fer de lance. Un jour, en traînant sur Bandcamp, je suis tombé sur la page d’Irmão Victor, un groupe basé à Florianópolis au Brésil. J’ai été emballé et j’ai acheté tous ses disques. Et leur leader, Marco A. Benvegnù, m’a immédiatement recontacté. On a échangé assez souvent et il m’a proposé en rigolant « pourquoi tu ne sortirais pas mon disque en vinyle ? ». Tout est parti de là, parce que je me suis dit que si je ne le faisais pas maintenant je ne le ferais jamais. J’ai donc sorti deux albums de ce groupe, le premier compilant plus ou moins ses deux premiers CDs auto-produits. Marco A. Benvegnù a ensuite passé six mois à Toulouse et s’est parfaitement intégré dans la scène locale qui est d’un niveau musical assez exceptionnel (je pense notamment à Vincent Guyot, alias Pieuvre). J’en profite pour remercier Stéphane 2000 et Marie Deback-Rodes qui nous ont beaucoup aidés au départ. Maxwell Farrington en a fait partie pendant quelques années. Et Irmão Victor y a enregistré son dernier album. Il faut préciser que ce groupe, est, dans les faits, le projet d’un seul multi-instrumentiste très jeune mais exceptionnellement doué, Marco A. Benvegnù donc.
Il y aussi les Boost 3000 ?
C’est un groupe de Toulouse qu’on aimait beaucoup. Ils sont les héritiers d’une certaine « variété française » dans l’esprit de Saravah, avec ce besoin de sortir du cadre qu’avait Brigitte Fontaine par exemple. On peut faire une filiation plus récente avec le Philippe Katerine du début ou le côté le plus pop d’Aquaserge, autre figure toulousaine importante. On a vraiment aimé leurs titres. Et il n’y a pas que nous : Daho, Katerine, Burgalat ont écrit beaucoup de louanges à leur sujet. Ils ont même été classés 22e disque de 2021 par la revue Magic RPM. Ils sont vraiment très forts techniquement avec, pour certains, des formations pointues de musiciens, ce qui leur permet des mélodies et des arrangements vraiment travaillés. La presse a vraiment suivi : Télérama, Le Monde, Europe 1 etc. Mais on a eu du mal à trouver le public. C’est vraiment une pop à la française qui a eu du mal à trouver sa place. Pourtant c’est un album qui restera, je pense. Vendre de la musique c’est compliqué et encore plus de la pop française, qui reste une chasse gardée, il me semble. Sans doute, notre dernière expérience dans ce rayon.
Autre artiste : Jean Pierre Kalfon !
Jean-Pierre Kalfon, c’était pour nous le symbole de la coolitude à la française. Bien sûr au cinéma mais on était aussi archi-fan de son EP de 1966 dans lequel il n’hésite pas à balancer sa punkitude innée en plein milieu des orchestrations des meilleurs arrangeurs français de l’époque. C’est quelqu’un de très abordable et enthousiaste ! On a voulu faire une réédition de cet EP introuvable en vrais faussaires, avec les rabats extérieurs comme à l’époque, en retrouvant la photographe et les négatifs de la pochette etc. On adore la façon dont les Japonais apportent un soin incroyable, presque obsessionnel, dans le packaging de leurs différentes rééditions.
Et The Scruffs ?
Je me suis passionné pour la scène américaine underground des mid-70’s via les fanzines américains comme Creem, Bomp !, Trouser Press etc. Il y a une théorie assez bien argumentée qui affirme que cette scène a été dépossédée de l’explosion punk/new wave de 1977 alors qu’elle l’avait préparée depuis le début de la décennie avec à la fois un revival mod-pop et ce qu’on appelle aujourd’hui le proto-punk. Il s’agissait en partie d’une génération de kids, traumatisés par le passage des Beatles à l’Ed Sullivan Show, mais trop jeunes pour être actifs ces années-là. Ils ont sauté dans le wagon du punk en y injectant l’optimisme de la pop des radios AM, une certaine romance et … surtout des mélodies. The Scruffs, de Memphis, est une bonne illustration de ce truc. Il y avait une vraie scène indépendante très anglophile là-bas dans la lignée de Big Star. J’ai été en contact avec le leader des Scruffs, Stephen Burns, et cela m’a semblé naturel de faire une compilation de ce groupe qui s’est formé l’année de la sortie de l’album Radio City de Big Star. La presse locale leur prédisait un invasion imminente des ondes mais rien ne s’est passé comme ça, bien entendu.
C’est dans le même esprit que tu as sorti cette compilation « Let’s Bubblegum the Punk ! »
Exactement, ce sont des groupes assez obscurs qui viennent de cette scène, entre 1973 et 1983. Il y a vraiment eu une effervescence autour de la power pop, une invention du génial Greg Shaw de Bomp ! Magazine comme futur du punk en 1978. Ça s’est fini avec The Knack. Les Majors ont tué cette scène en signant n’importe quoi après, en simplifiant le discours à l’extrême. Si bien que des gens comme Greg Shawp, ont fini par créer un revival garage sixties pour être sûrs de garder le contrôle du truc. J’ai essayé de me documenter sur cette scène et j’ai vu que beaucoup de gens, dans le monde, étaient complètement mordus par cette période. Bizarrement, pas trop en France. Où on aime détester les Beatles, c’est peut-être pour ça.
https://www.youtube.com/watch?v=2ErVJ5ZEim0
Mais c’est un vrai travail d’archiviste ?
Oui, mais on ne cherche pas à être exhaustif. On essaie de faire exactement ce qu’on aime, sans compromis. Vu l’énergie que ça nous coûte, on n’a pas le choix d’être autre chose que très sélectifs. On va essayer de faire un volume 2.
Pour moi ton label est une continuité des « Jeunes gens modernes » ?
Je suis assez vieux pour avoir vu sur scène les Stinky Toys, Suicide Roméo, Marquis de Sade… J’étais aussi fan de Bazooka. J’adorais leur travail, très urbain, très visionnaire. C’étaient eux, les vrais punks. Quand le label est né, j’ai demandé à Olivia Clavel de travailler sur le logo. Puis à Loulou Picasso d’imaginer l’artwork du duo parisien Mitzpah. Ce sont des gens adorables. Sinon, comme disait Jacno… “Jeunes” : sûrement pas, “gens” : je ne sais pas et “modernes” : pas sûr.
Mais cette époque a été un temps très court et est-ce que aujourd’hui cette scène pourrait être appréciée d’un public plus jeune ?
Ces artistes ont marqué la culture française, pourtant tout s’est passé dans un temps et un espace très réduit (à Paris, on pourrait presque limiter l’espace aux alentours du Lycée Charlemagne, dans le Marais alors quartier populaire). Il y avait quelque chose d’esthétique, encore plus fort presque que la musique avec une attitude super flashante. Personne ne s’habillait comme les Stinky Toys à l’époque et ne dessinait comme les Bazooka. J’ai beaucoup discuté avec Jean-François Sanz qui a créé les expositions autours des « Jeunes gens modernes » et il a été totalement surpris par le nombre de jeunes qui ont adhéré au contenu de ces expositions. Beaucoup ont, en fait, adopté ce style de vie : hédoniste, désabusé, transgressif, allant de soirées en soirées la nuit… Ça colle à la réalité de certains jeunes d’aujourd’hui et tout ça s’est passé très spontanément.
Tu viens de sortir l’album du groupe Mitzpah composé par Hervé Zénouda ?
Un jour sur les réseaux sociaux, j’ai croisé la route d’Hervé que j’avais dans les Stinky Toys et dont j’adorais le jeu de batterie. On a discuté au sujet du batteur des MC5, Dennis Thompson, dont nous sommes tous les deux des inconditionnels, et on est resté en contact. Il m’a envoyé des morceaux inédits des Stinky Toys et il m’a parlé de son projet. J’ai trouvé ça bien et peu à peu j’ai trouvé assez simple de finir ce projet, avorté depuis 40 ans.
C’est toi qui a fini la production ?
Il avait commencé et je l’ai aidé à finir. On a calculé combien il nous fallait et nous avons eu une aide de la fondation Agnès b., via leur collection Beatitude. J’avais vraiment envie de le faire. C’était très personnel comme envie. C’était tout ce que j’aimais à l’époque : le disque condense toutes les qualités de la new wave française. Après 1981, j’ai l’impression qu’il y a une rupture de façon générale dans les démarches musicales : le retour à certains styles revivalistes ce qui a engendré autant de tribus très fermées sur elles-mêmes. Sinon Mitzpah c’est le projet d’Hervé qui s’associait avec un performer de l’Est, Gregory Davidow, qui a écrit des lyrics formidables. Je suis convaincu que si cet album avait été publié à l’époque, il figurerait régulièrement dans les anthologies du genre.
Vous allez sortir un 45T des Stinky Toys ?
C’est un EP avec 3 titres, dont une reprise mais qui sonne comme un original des Toys et deux maquettes de leur deuxième album. Celles-ci sont des versions assez différentes avec un côté plus agressif que les morceaux que l’on connait. On voit bien que c’est une période de transition du groupe et c’est assez passionnant. Après avoir eu les bandes, j’ai obtenu les droits et tout le monde a été enthousiaste. Elli nous a aidé pour l’artwork et nous a présenté Hervé Cabine, le graphiste de Stereolab et Stereo Total notamment.
As-tu des projets pour un groupe de Toulouse ?
Oui, les Fotomatic pour un maxi ou un album. C’est un trio post-punk assez minimaliste qui a un petit quelque chose qu’on aime beaucoup, notamment grâce à leur chanteuse Laura Zanti. Ils sont jeunes, pleins de classe et c’est assez touchant de voir qu’il y a un truc qui se transmet entre générations. Mais c’est compliqué de produire. Pour l’instant nos rééditions marchent bien mieux. Ça permet presque de financer les productions de nouveaux groupes, qui sont réellement plus … compliquées à amortir !
On peut les trouver comment les disques du label ?
On est distribué par Modulor chez les disquaires indépendants mais on ne l’est pas dans les grands surfaces comme la FNAC etc., tellement c’est désavantageux pour les petits labels comme nous.
Tu vas faire des soirées Pop Supérette ?
On essaye de monter une soirée des « Jeunes gens modernes » en 2023 où l’idée est de confronter ce courant à la jeunesse d’aujourd’hui.
Ton ambition pour le label est plus culturelle que musicale ?
C’est un peu des deux … La musique se vend difficilement et on veut mettre en place la possibilité de vendre des impressions d’œuvres graphiques, par exemple des sérigraphies ou des risographies. On a commencé à le faire sur notre site 123pop.net avec Loulou Picasso. Je suis fan de la pop culture franco-belge, qui va de la ligne claire aux bandes dessinées de chez Eric Losfeld, les trucs de Peellaert etc., et aussi de la figuration narrative, avec des peintres comme Fromanger ou Monory, à Bazooka. Les récentes expositions respectives d’Olivia Clavel et de Loulou Picasso étaient vraiment à ne pas louper.
Est-ce que cette élégance, notamment au niveau vestimentaire, avoir une culture rock, aimer la pop n’est pas le symbole même d’une forme de révolte ?
Je ne sais pas si c’est de la révolte, c’est aujourd’hui plutôt un geste désespéré quand on voit comment le sportswear a envahi l’esprit populaire quant à la façon de s’habiller cool. L’élégance a toujours été importante dans la culture pop française et aussi ce goût prononcé pour l’écriture avec cette fascination pour les auteurs dandys. Peut-être que l’image était même plus importante que la musique, mais c’est quand même la musique qui dicte nos choix avant tout. Dans la critique dit rock, le goût du verbe est une arme à double tranchant, parfois on a l’impression que les journalistes préfèrent un bon mot à un bon disque.
Ton modèle de labels c’est quoi ?
Disons que j’ai une affection particulière pour Skydog, le label de Marc Zermati même si travailler avec lui n’était pas apparemment la chose la plus facile. Il réussissait à faire des trucs incroyables avec trois bouts de ficelle. Aux États-Unis, je passe bien sûr à Bomp ! et plus récemment à Light In The Attic qui sont dans un registre complètement différent mais produisent des rééditions avec une très grande exigence. En France, bien évidemment Tricatel de Bertrand Burgalat qui est une personnalité qui m’intéresse beaucoup et qui a été vraiment visionnaire.
Tes prochaines sorties ?
Une réédition du premier EP des Problèmes, devenus plus tard Les Charlots, qui est une des meilleures productions de rock 60’s made in France dans l’esprit du British Beat. Le EP des Stinky Toys dont a parlé précédemment. Ensuite, l’album d’un Brésilien, Jupiter Apple, décédé en 2015 qui a enregistré en 2002 un disque vraiment incroyable avec un approche électronique très inspirée par Stereolab. Comme production propre, on travaillera peut-être avec les Fotomatic.
Le mot de la fin ?
Ce qui est passionnant dans le pop, c’est toute cette culture souterraine, qui se crée spontanément un peu par défaut. Si on veut tirer les fils pour accéder à cet autre monde, fréquenter les disquaires et les libraires, en particulier ceux qui proposent de l’occasion, est parfois une bonne façon d’y arriver. Notre label essaie modestement de contribuer à ça.