Les Dodge Veg-O-Matic ou l’histoire d’un groupe français

jeudi 28 novembre 2024, par Franco Onweb

La première fois que j’ai entendu parler des Dodge Veg-O-Matic c’était dans un article d’un journal musical que je lisais en 1993. Ils avaient tout pour eux : une bonne musique, des mélodies, un « look » impeccable et un premier album plein de chouettes chansons entre le rock et la pop. Après ce premier essai et concerts très remarqués, notamment aux Eurockéennes de Belfort, le trio chercha un contrat en Major. Mais l’époque avait changé, malgré des maquettes convaincantes, plusieurs rendez-vous et des promesses, le trio jeta l’éponge pour se lancer dans d’autres aventures.

Les Dodge Veg-O-Matic sont un exemple de la grande « mutation » que connut la musique d’ici avec l’avènement d’internet et du numérique. Alors que viennent de sortir les maquettes de ce fameux deuxième album, j’ai discuté avec Thierry Los, le leader du groupe. Voici l’histoire d’un groupe français qui aurait pu, ou dû, connaître une « carrière » qui fut sacrifiée comme beaucoup.

Comment sont nés les Dodge Veg-O-Matic ?

A la base, nous nous réunissions juste pour le plaisir de reprendre des chansons de The Remains (groupe 60’s de Boston,USA, NDLR) avec Muriel, qui venait juste d’apprendre à jouer de la basse, et mon frère Éric à la batterie. À la suite de ça, je me suis pris au jeu et j’ai commencé à écrire mes propres chansons. C’était en 1989.

Les Dodge Veg-O-Matic en 1995, de gauche à droite Thierry Los, Muriel Illouz et Eric Los
Crédit : Laurent Monlau

A la base vous étiez quatre ?

Oui, on avait Alain à l’harmonica que j’avais rencontré dans mon premier groupe, Pocketless Kangourous, un groupe d’amis surfeurs rencontrés sur différents spots. On faisait des reprises de Rythm’n’Blues, ambiance STAX. Quand j’ai quitté ce groupe, où je n’étais que chanteur alors que je voulais aussi jouer de la guitare, j’ai débauché Alain.

Que se passe-t-il en 1989 ?

On a commencé à jouer dans les caves des bars Parisiens grâce à l’asso les Barrocks. Puis joué en province, notamment à Reims en première partie des Roadrunners, un groupe que j’adorais.

Ce qui est incroyable, c’est que tu vas être un des premiers à comprendre qu’il faut structurer le groupe autant que de répéter. Tu vas monter ton propre studio, ton propre label…

Au départ c’est parti du fait que je n’étais pas content du son qu’on avait en studio ( je me suis rendu compte par la suite que cela venait de notre inexpérience). J’ai acheté un 4 pistes à K7, une petite reverb diale et 4 micros de moyenne gamme. On a commencé à beaucoup travailler la technique, pour que cela sonne bien, surtout grâce à mon frère qui était le plus exigeant et qui voulait vraiment que tout soit en place. Quand j’ai ré-écouté les morceaux, j’ai été assez surpris de notre bon niveau. A l’époque nous n’étions jamais contents ! Mais le travail paye.

Ton frère a fait partie de beaucoup de tes aventures musicales. C’était ton partenaire privilégié ?

À la suite du décès de mon père à l’âge de 45 ans, la famille s’est ressoudée autour de ma mère et on a monté le studio dans le sous-sol de la maison familiale pour aussi rester auprès d’elle le plus souvent. Mon frère, qui habitait encore chez notre mère, s’est retrouvé naturellement au cœur de cette histoire. On a tout fait ensemble et le groupe s’est arrêté quand il a décidé de le quitter.

Les Dodge Veg-O-Matic en 1995
Crédit : Alain Bibal

Très vite aussi vous allez avoir des contacts dans les majors même si rien ne va se concrétiser.

A l’époque, j’étais l’assistant d’un mec brillantissime qui travaillait dans la musique pour la publicité, Olivier Brial, que j’avais rencontré dans mon stage de fin d’étude de publicité, chez RSCG, l’agence à la mode d’alors, de Jacques Séguéla. Quand j’ai fini mon stage, un des directeurs artistiques de l’agence m’avait conseillé d’aller rencontrer Olivier en me disant que j’allais bien m’entendre avec lui, car très créatif ( la pub Nescafé avec Afrika Bambata c’était lui). Il avait beaucoup de contacts dans les maisons de disques et m’a permis de rencontrer pas mal de gens, dont Caroline Molko, qui était directrice artistique d’Universal (Phonogram à l’époque, NDLR). Elle avait adoré notre album mais m’avait conseillé de rester indés puisque la presse, à l’époque, « descendait » tout les groupes Rock qui venaient des majors… Elle nous a donc dit de sortir un premier album en auto-production et qu’elle allait nous suivre…

Et donc ?

On a sorti le premier album éponyme chez Média 7, le plus gros distributeur indépendant de ces années-là… Ça a bien marché, comme prévu, mais un an après Caroline avait quitté son poste et il a fallu alors aller voir ailleurs (rires). On a fait d’autres rencontres mais ça n’a rien donné, sauf Bertrand Lamblot (alors chez BMG) qui nous a payé de belles maquettes dans un grand studio. Ce sont les premiers morceaux du deuxième album posthume, « Rien ne devrait être à vendre ». . Il y a aussi Marc Thonon, chez Barclay, qui nous a envoyé un contrat d’artiste pour lecture mais qui s’est fait virer juste après (il a monté son label ATMO et signé Louise Attaque…). Tout ça a précipité le départ d’Éric qui restait un peu à contre cœur pour nous donner un coup de main. Il a pu commencer alors une brillante carrière de compositeur de musique de jeux vidéo.

Votre son a beaucoup évolué entre vos débuts et ces bandes de 1995 que tu viens de sortir. Un peu comme si tu savais vraiment où tu voulais aller.

Non, pas vraiment, quand le premier album est sorti il y avait beaucoup de guitares rock et acoustiques mais entre-temps le Grunge était passé par là ; mais aussi des groupes comme Rage Against The Machine, du coup le public et les organisateurs voulaient plus de guitares saturées. Notre son sonnait trop « poppy » pour eux. Par pur opportunisme, on a durci le son pour faire des concerts, ce qui était le seul moyen de se faire connaître.

Le premier album sonne très pop en effet…

C’est parce que nous avions de bonnes mélodies. On écoutait Hüsker Dü puis leurs albums solos, ceux du chanteur guitariste Bob Mould, et de Grant Hart le batteur chanteur. Il y avait une énergie incroyable mais sous l’avalanche de sons, des vraies chansons avec des mélodies splendides. Ça nous a toujours inspiré ce côté énergie rock et mélodies pop.

Vous allez aussi faire, à la suite de ce premier album, une belle tournée avec de très belles dates.

On avait un très bon manager à l’époque, Patrice Leduc, un ancien commercial de BMG, qui avait pas mal de contacts. Il a voulu manager un groupe pour changer d’orientation professionnelle et comme il s’est mis au chômage il ne travaillait plus que pour nous. C’est le nerf de la guerre : on travaillait la musique et lui le business. Grâce à Patrice, on a joué aux « Bars en Trans ». Cela nous a permis de nous faire repérer par le jeune Jean-Paul Roland (actuel directeur des Eurocks, ndlr) qui nous a programmé aux Eurockéennes de Belfort de 1995 l’été suivant aux côtés de Supergrass, Edwyn Collins, Jeff Buckley et Cure que nous avons ainsi cotoyés. On a aussi pu faire des tournées en partenariat avec un groupe de disquaire : des concerts dans des villes le soir, et l’après-midi des show-cases dans les magasins. Patrice a tellement bien travaillé qu’il a été repéré par le manager de No One Is Innocent dont il est devenu l’assistant (on a pu jouer avec eux à Strasbourg, à la Laiterie). Mais il a été trop pris par No One Is Innocent qui le payait, alors que nous c’était plus aléatoire, et on l’a perdu…

On avait l’impression que ça marchait très bien pour vous.

Il nous fallait ce deuxième album avec plus de moyens ! J’avais idéalisé le système major par manque d’expérience de ce milieu. Le problème de l’indépendance c’est que tu passes plus de temps à faire du business et du réseau que de la musique. Maintenant en 2024 c’est une nécessité.

A la sortie de l’album votre harmoniciste vous quitte !

Il voulait faire du blues à nouveau ; et puis le côté business le rebutait ! Alain Rouffineau voulait faire de la musique et ne pas répondre à des interviews. En plus il avait des très bonnes qualités vocales et il était temps pour lui de chanter, ce qu’il a fait derrière avec un groupe de blues. Je n’ai plus de nouvelles de lui depuis 25 ans, malgré les réseaux sociaux…

À la suite de tout ça, vous vous attaquez à ce fameux deuxième album que tu viens de sortir en numérique !

Ce n’est pas un deuxième album mais une compilation de titres que nous avions maquettés et qui ne sont jamais sortis. On aurait probablement réenregistré les titres mais je trouve à présent qu’ils sont très bien en l’état.

Eric et Thierry Los au Rex Club
Crédit : Alain Bibal

Les titres sonnent plus « Rock ».

On avait un peu viré les guitares folks et puis il faut dire que nous sortions de plus d’un an sur la route. Ça avait musclé notre son. Et comme évoqué plus haut, la demande était sur quelque chose de plus dur.

Ta grande influence depuis longtemps, ce sont les Remains ?

Oui mais c’est un groupe très marqué sixties, alors que des groupes comme New Model Army, une de notre grosse influence, sonnaient vraiment années 90. On ne voulait surtout pas faire un groupe revival comme ce groupe de New York, les Chesterfield Kings. Néanmoins, j’ai aussi rendu disponibles sur la toile les toutes premières démos sonnant trop 60’s sur un album d’archives de ma librairie musicale…

Ce sont non-signatures des majors et le départ d’Éric qui ont entraînés à la séparation du groupe ?

Oui, j’ai essayé de continuer avec d’autres batteurs mais ça ne fonctionnait pas trop : la magie familiale était partie. J’ai rencontré Hervé Zerrouk à ce moment-là. Il fut le chanteur des Désaxés et voulait faire un album solo. Comme j’avais mon studio, je me suis improvisé producteur. Ça m’a passionné. J’étais vraiment heureux rien que devant une console de mixage. J’ai fait une compilation « Tambours Battants » qui a été distribuée par Patrice Leduc sur son label de distribution, NLESS, qu’il venait de créer. J’ai produit Tétard, Hervé Zerrouk, les Happy Melodies, puis par la suite beaucoup de groupes parisiens surf/garage/blues avec l’aide de Phil Almosnino (alors guitariste des Wampas, ndlr) …

Pochette du premier album des Dodge Veg-O-Matic
Crédit : Muriel Illouz

Comment cela aurait-il évolué si vous aviez sorti cet album sur une major ?

Probablement comme VEGOMATIC, le groupe que j’ai monté en 1998. Je venais de découvrir le 1er single de Daft Punk, Da Funk, et j’ai eu l’idée de mélanger en live les sons électroniques avec mes guitares surfs. Éric est revenu, mais il a pris la basse.

Tu as quel regard sur le groupe ?

J’ai beaucoup de tendresse pour les Dodge : on était jeune, on y croyait ! On était un groupe familial avec mon petit frère que j’admire et la future mère de mon fils unique préféré !… Grâce à cet élan je suis devenu un professionnel de la profession dans laquelle j’ai toujours su garder mon identité et ma personnalité ! En 2017, j’ai été intronisé sociétaire définitif de la SACEM, ce qui est un marqueur.

Tu as été déçu quand le groupe s’est arrêté ?

Bien sûr, mais je ne pouvais pas empêcher Éric de partir. Il devait faire son propre chemin, sa propre musique…

En concert en 1991
Crédit : Alain Bibal

On peut imaginer que le groupe se reforme pour un soir pour la sortie de cette compilation ?

Je leur ai demandé mais personne ne veut sauf moi ! Éric ne reviendra pas en arrière, pour lui c’est du passé. Muriel s’est mise à rejouer de la guitare récemment m’a avoué notre fils ; mais elle est assez loin de tout ça maintenant. Elle expose régulièrement ces magnifiques œuvres d’artisanat d’art dans un style unique au monde sous son nom Muriel Maire.

Quels sont tes projets ?

Un 2e album toujours influencé chansons françaises période fin 60’s de Thierry Los pour l’été 2025 (que je reformate par la suite pour ma librairie musicale représentée par… la major BMG (http://www.dng-music.com). Mais anticipant l’effondrement de la musique à l’image à cause de l’intelligence artificielle, je travaille beaucoup sur des tournages audiovisuels et shooting photos grâce à ma collection de voitures anciennes acquise grâce à ma musique ! D’ailleurs je viens d’avoir l’honneur de 6 pages dans mon magazine de chevet « Auto-Retro » du mois de décembre 2024 !

1er album : https://bfan.link/dodge-vegomatic
2e album posthume : https://bfan.link/rien-ne-devrait-etre-a-vendre