Beau Bandit ou la pop en liberté

vendredi 27 septembre 2024, par Franco Onweb

Quand le public des Transmusicales de Rennes en décembre 2022 vit apparaître sur scène Beau Bandit, il était loin de penser que derrière cet élégant quintet pop se cachaient quatre anciens membres du groupe Santa Cruz, l’un des meilleurs groupes de pop folk de ce pays. Après 20 ans de carrière et une discographie conséquente, ces musiciens avaient décidé de se remettre en question en changeant radicalement de musique en créant Beau Bandit.

A la fin du printemps est paru, enfin, le premier album du groupe « Middle Class Luxury », un brûlot de pop incandescent sous haute influence David Bowie, la pop anglaise et bien sûr les Beatles.

Pour en savoir plus, j’ai discuté avec Pierre-Vital Gérard, le chanteur guitariste du groupe. Une conversation, où il sera question de remise en question, de pop culture, de la difficulté de se réinventer et surtout de musique. La suite est juste en dessous.

« Peux-tu te présenter ? »

Je m’appelle Pierre-Vital Gérard. Je suis né en 1970 dans les Côtes d’Armor. J’ai commencé la musique au lycée à Guingamp avec un groupe local. J’ai continué à Rennes durant mes études. Dans mon premier groupe il y avait Goulven Hamel qui joue maintenant dans les Nus et dans le Celtic Social Club. On a monté les Twin Bees à Rennes au milieu des années 90. Ensuite j’ai dû arrêter la musique pendant deux ou trois ans à la fin des 90’s. En 2002, on a monté Santa Cruz avec pas mal de monde, dont Bruno Green, et des membres actuels de Beau Bandit. On a commencé le groupe à huit, on a fini à quatre.

Beau Bandit de gauche à droite Alex Tual, Thomas Schaettel, Pierre-Vital Gérard, Marine Quinson et Jacques Auvergne
Crédit : Laurent Guizard

Pourquoi avez-vous fait Beau Bandit après Santa Cruz ?

On sentait qu’avec Santa Cruz ça commençait à devenir dur ! On éprouvait toujours du plaisir à faire de la musique ensemble mais vendre le septième ou le huitième album du groupe, ça devenait très compliqué d’intéresser les gens. On était dans une espèce d’entre-deux où l’on intéressait que les « professionnels ». On n’avait pas un public suffisant pour pouvoir intéresser les gros labels et les grandes salles. Le confinement est arrivé et ça a amené des réflexions. On s’est dit « on a commencé à huit, on est quatre, autant arrêter le groupe et faire autre chose ». Cela n’a pas été une décision facile à prendre mais il fallait évoluer.

Ce qui a changé c’est votre musique : Santa Cruz était un groupe plutôt folk et là, Beau Bandit est un groupe plutôt pop. C’était une volonté de votre part ce côté pop ?

Oui, la pop c’est mon truc. J’adore les mélodies, le côté Beatles et Bowie. J’adore toujours la Folk. C’est ce que j’écoute principalement chez moi. Ce que j’essaye avant tout c’est d’être un « songwriter », après que ce soit dans une forme pop ou folk, ce qui reste ce sont les morceaux.

Ce qui frappe chez vous, c’est la mélodie et le côté actuel de votre musique.

Oh oui, c’était la volonté consciente d’évoluer musicalement, même si on savait qu’on risquait de perdre notre public. On en a beaucoup parlé entre nous avant d’arranger le premier morceau et à l’arrivée on n’a pas réussi dès le premier essai. Il a vraiment fallu discuter entre les membres du groupe pour savoir ce que nous voulions faire, Surtout quand on fait de la musique ensemble depuis 20 ans. Il faut réussir à changer d’habitude de jeu, de façon de composer, et ça ne se fait pas en 2 ou 3 répés. Il faut parfois enlever des habitudes.

Il y a eu des réunions, des répétitions, des concertations ?

Il y a eu tout ça, en se demandant « qu’est ce que l’on veut comme son ? Comme production ? ». Surtout que le passage en studio c’est encore autre chose. Cela change l’esthétique du groupe mais aussi l’esthétique du groupe en Live. On s’est dit qu’il fallait bosser avec quelqu’un d’extérieur au groupe, on n’est pas assez intelligent pour changer les choses tout seul (rires).

Pourquoi ce nom, Beau Bandit ?

On a d’abord écrit plein de noms sur des papiers, surtout moi et Thomas Schaettel, le clavier du groupe. Lui et moi, on aime les noms. Parfois, on trouvait un nom et on voyait que cinq groupes s’appelaient déjà comme ça. C’est compliqué de trouver un nom. On s’est demandé ce que le nom devait dégager. On aimait le mot Beau et par contraste on a pris Bandit, le tout au singulier. Ca correspondait bien a notre goût pour les mélodies bien arrangées, et typées en même temps. En cherchant on a vu qu’aucun groupe ne le portait. Ensuite qu’il y avait un film hollywoodien des années 30, de la RKO, qui s’appelle comme ça. Beau Bandit, ça marche donc aussi en anglais et ça a aussi un côté vintage. En plus il y a une BD de Christophe Blain, que j’adore, qui porte ce nom. Bref ça faisait renvoyait à plusieurs références qu’on aimait, et on a validé Beau Bandit .

Beau Bandit en concert aux Transmusicales de Rennes en 2022
Crédit : Stéphane Perraux

Il y a qui dans le groupe ?

Quatre anciens Santa Cruz : moi au chant et à la guitare, Jacques Auvergne à la basse, Alex Tual à la batterie, et Thomas Schaettel aux claviers. Et maintenant en plus il y a Marine Quinson à la guitare. C’est la petite jeune du groupe qui n’apparaît pas sur l’album : on est allé la chercher pour les premiers Lives !

Ça a commencé quand ?

On a fait nos premiers concerts en 2022 pour les Transmusicales. On a fait la tournée des Trans. Jean Louis Brossard avait aimé ce qu’il avait entendu et il nous a vu en répétition, mais le vrai début du groupe c’est en 2020.

L’album a été enregistré en 2021, avant vos premiers concerts.

Oui, il commence à dater (rires) !

Ça n’a pas été compliqué de passer du studio aux concerts ?

Non, l’arrivée de Marine nous a beaucoup aidé, surtout moi. Je ne suis pas Steve Vai (rires) et même si j’ai réussi à faire toutes les guitares en studio, il nous fallait quelqu’un de plus avec nous pour la scène. Thomas est hyper important sur scène. Il amène beaucoup du son de l’album. Marine, qui est une super musicienne, a été super étonnée après la première répétition : elle entendait tous les arrangements de l’album !

Vous l’avez fait où ?

Basse, batterie dans le studio ZF à Cesson Sévigné. On a fait tout le reste à Cocoon, un studio associatif dont je suis le trésorier.

Et c’est Romain Baousson qui a produit.

Il a enregistré, réalisé et mixé. Il a surtout été présent, dès les premières sessions de répétitions et d’enregistrements, qui duraient trois ou quatre jours à chaque fois. Il écoutait les morceaux et il nous guidait. Il connaissait donc très bien les morceaux. Il nous a vraiment aidé.

Quand on voit votre disque et qu’on l’écoute, on se dit que vous avez tout compris à la Pop Culture. De la musique à la pochette vous êtes vraiment dedans. Quel est votre rapport à la Pop Culture ? On a l’impression que vous êtes fan de BD, de films…

(Rires) Tout d’abord, mis à part Thomas, qui a fait partie des Roadrunners, on n’est pas des rockeurs de culture. Moi, je suis vraiment de culture pop. Je n’aime pas beaucoup les accoutrements du rock, les vêtements, les attitudes… À 20 ans ça allait mais à mon âge, non. Je trouve que c’est d’un conservatisme ridicule. Et effectivement nous sommes autant inspiré par le cinéma, la littérature, la bd, qua par la musique.

La Pop culture c’est aussi de l’esthétisme !

Totalement ! Rien que pour ça, on est un groupe de pop. On essaye d’avoir des ouvertures vers le cinéma, la Bd… Il suffit de voir la pochette de l’album et son titre « Middle Class Luxury ». On est en plein dedans. Le cinéma m’influence beaucoup dans ma façon d’écrire et on lit tous beaucoup. Pour la lecture, ce qui me touche ce ne sont pas les histoires mais plutôt la façon d’écrire comme Echenoz que j’adore.

Votre musique c’est vraiment de la pop, ce qui ne veut pas dire que c’est une musique simple.

Pourtant c’est une réflexion que nous avions en studio : « Comment simplifier notre musique ? ». On a essayé mais on reste ce que nous sommes et franchement on n’y arrive pas vraiment (rires).

Vous êtes un groupe de Rennes et vous êtes, à ma connaissance, le seul, ou l’un des seuls, à faire ça.

C’est ce que m’a dit Jean Louis Brossard : « vous êtes les seuls à faire cette musique ici ». Ça m’a étonné. Ce n’est pas une musique très originale (rires) et pourtant on les seuls ! Il y a beaucoup de musique de genres parce que les jeunes ont tout écouté sur internet. Quand j’ai commencé la musique à la fin des années 80, tu entendais trois disques des Cure et un de New Order et tu pensais que tu connaissais la New Wave alors que non. En fait, tu étais obligé de créer ta musique et j’ai l’impression que nous, on continue de faire ça. Je n’ai jamais écouté un genre mais plein de trucs.

Pierre-Vital Gérard
Crédit : Stéphane Perraux

C’est ça la pop : un mélange de genre !

C’est exactement ça !

Pourtant vous avez pris pleins de choses partout : pop, électro, rock pour une musique très bien composée. C’est ça la vraie pop culture ! Vous êtes un groupe de votre époque… ce qui est bizarre quand on voit vos âges ?

(Rires) Ça fait plaisir de s’entendre dire que nous sommes dans notre époque ! On ne s’est pas renié mais je ne sais pas faire grand-chose d’autre que d’écrire des chansons comme ça. Ce qui est génial avec la pop, c’est la forme.

N’est-ce pas là où est le piège : vous n’êtes pas dans une niche !

C’était déjà le cas avec Santa Cruz même si on était dans un esthétisme Folk. Cela ne me fait pas peur.

Thomas Schaettel
Crédit : Stéphane Perraux

Votre son est plus anglais qu’américain contrairement à Santa Cruz ?

A partir du moment où nous avons voulu nous écarter de l’esthétisme Santa Cruz, on est allé vers un son plus anglais, moins typé. Ça ouvre à plus de public aussi.

Vous aviez quoi en tête quand vous avez enregistré ?

Les trucs que nous avions en tête c’est The Coral, Metronomy, Alabama Shakes et Woods. C’est un gros mélange de groupes que nous écoutions….

Il y a 10 titres sur l’album. Le premier single c’est « The Big Kaboom ». Pourquoi ce titre en premier ?

C’est le titre qui se différencie le plus de ce que nous faisions avant, avec ce refrain fait de chœurs féminins. C’était une vraie cassure avec un côté accrocheur. On a d’abord trouvé la rythmique et après c’est allé assez vite. J’ai ensuite écrit le texte.

En anglais ?

Oui, on changeait beaucoup de choses musicalement mais je n’étais pas encore prêt à changer de langue du côté des paroles. Mais certains des prochains morceaux seront en français. Et en tout cas maintenant, je me pose la question de quelle langue choisir pour chaque nouveau morceau, Ce que je ne faisais pas avant.

De quoi parlent tes textes ?

J’adore la sociologie, les luttes sociales, je suis passionné par la politique au sens large, les liens entre l’individu et le collectif… Quand j’essaye de faire des chansons d’amour, ce sont des chansons de rupture ou d’amour vache. En fait, je suis rarement au premier degré, il y a toujours de l’ironie. J’adore les textes de Tom Waits, de Ezra Koenig le chanteur de Vampire Weekend, ou de Costello…

Jacques Auvergne
Crédit : Philippe Remond

C’est quoi ton rapport à Rennes et à la Bretagne ?

Il y a ici une scène vraiment riche avec des structures qui nous permettent d’avancer. C’est plus facile de faire de la musique à Rennes que dans certaines villes. Pour le rapport à la Bretagne, moi je me sens certes breton d’une certaine manière, mes grands-parents parlaient breton et j’aime le côté terre d’accueil de la région, mais je fais une allergie à toutes identités régionales ou nationales !

Pourquoi une chanson sur David Bowie ?

Il y a une partie de son travail que j’aime beaucoup, en gros les 15 ans qui vont des débuts jusqu’en 1983, et aussi Blackstar, le dernier album que j’aime bien. Mais il y a aussi toute une autre partie que je n’aime pas et qui n’est pas terrible. Mais avec ces 15 années, il a réussi à créer une légende. La chanson parle du rapport de ses fans à son personnage. Il y a des gens qui sont vraiment dingues de lui. C’est un caméléon et c’est difficile de suivre un caméléon. Il comprenait les codes sans les inventer. Je suis allé écouter des interviews de lui. J’ai découvert un personnage brillant et drôle. Il m’a bien plu. C’est une chanson sur ses fans et sur les fans en général, et pas trop sur lui.

Il y a « Houdini » qui est plus rock. C’est un hommage au magicien ?

C’est un morceau plus rock qui parle de comment on croit nous même à nos propres mensonges, à nos propres tours de magie .

Il y a aussi cette reprise de Kim Carnes « Bette Davis Eyes ». C’est quoi cette reprise ?

C’est une « madeleine » de mon enfance. Je crois que c’est le premier disque que j’ai acheté et j’ai toujours adoré ce morceau, même si la production est vraiment année 80. Ce qui est drôle c’est que c’est déjà une reprise de Jacky De Shannon. C’est un morceau qu’on a enregistré un an après les autres. Quand on a commencé la scène, on voulait faire une reprise et on a fait ça. On l’a enregistré et on a décidé de la mettre sur l’album.

Marine Quinson
Crédit : Stéphane Perraux

Vous avez fait combien de concerts ?

Une dizaine, on va jouer à l’Ubu le 18 octobre pour présenter l’album. On cherche un tourneur aussi.

Vous êtes entièrement autoproduit ?

Oui, c’est notre label. C’est le même qui produisait Santa Cruz. On s’auto distribue nous-mêmes. On a pressé 300 vinyles et on ne voyait pas l’intérêt d’en presser plus. Je sais que ce n’est pas beaucoup mais bon en ce moment la musique c’est compliqué. S’il en faut plus on en retirera mais il faut déjà vendre ce que nous avons pressé. Sinon, le disque est sur toutes les plates-formes et ça se passe plutôt pas mal.

Ça ne te frustre pas d’être autoproduit ?

Parfois oui, mais si tu veux faire des choses tu n’as pas le choix. On a essayé de contacter des labels mais personne ne voulait de nous. La plupart d’entre eux sont dans des niches dans lesquelles on ne rentre pas. Au final, c’est quand même assez plaisant de tout maitriser et de n’avoir de comptes à rendre à personne.

Alex Tual
Crédit : Stéphane Perraux

Quels sont vos projets ?

Défendre l’album pour l’instant, mais c’est difficile de tourner. On commence à avoir des radios qui diffusent les titres, ça peut nous aider pour la suite. Et sinon on va enregistrer fin 2024 des titres en français et les sortir assez vite je pense.

Vous en attendez quoi de ce disque ?

Qu’il fasse son chemin, qu’il soit diffusé et que le maximum de gens puisse l’entendre. On espère que nous pourrons faire des concerts. Certains musiciens sont davantage attachés aux concerts qu’au studio, moi c’est le contraire, mais c’est vrai que pour qu’un groupe existe il doit jouer sur scène.

Vous avez joué qu’en Bretagne ?

Oui mais aussi en Normandie, à Cherbourg. On a fait la tournée des Trans, le bistrot de la cité et quelques lieux.

Vous pourriez prétendre à ce que vos morceaux soient surs de l’image.

Certainement mais on n’a pas d’éditeur. On est vraiment autoproduit à 100%. On a tous les droits pour nous mais comme on est nos propres managers, on ne peut pas dire que l’on soit très fort là-dedans (rires). C’est un vrai métier ! Ça fait longtemps : Santa Cruz était déjà entièrement autoproduit.

Vos photos de presse ont un côté Beach Boys en Bretagne, c’est important pour vous l’image ?

Oui, j’aime le côté sérieux les pieds dans l’eau. On veut avoir un côté un peu décalé. Je suis fan de Buster Keaton ou de Kitano

Beau Bandit
Crédit : Laurent Guizard

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Vous avez un pied dans le passé, le regard vers l’avenir pour être dans votre époque. Ça c’est l’esthétique Mods actuelle !

Je n’y avais jamais pensé comme ça ! Les Mods sont très typés pour moi mais comme tu en parles oui, on peut nous rapprocher de ça. Les Mods aimaient la danse et nous c’est une musique pour danser, mais mélancolique !

Le mot de la fin ?

Faites que cet album soit un succès !

Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’emmener vers la musique ?

James Brown ! Un truc qui fait le lien entre tout ce qu’ils écoutent !

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