monomaniaques ou le retour triomphant du duo Daniel Sani et Jean-William Thoury

mardi 3 juin 2025, par Franco Onweb

Il y a un peu de plus d’un an sortait un « ovni » dans l’univers musical d’ici : « Daniel Sani chante Jean-William Thoury ». Un disque splendide qui était le fruit de la collaboration du chanteur-guitariste Daniel Sani et de Jean-William Thoury, l’ancien producteur, manager et surtout parolier de Bijou. A l’époque, j’avais discuté avec Daniel, qui m’avait annoncé que le duo était en train de préparer un deuxième album.

Ce deuxième opus vient de sortir et comme pour le premier c’est une immense réussite artistique. « monomaniaques », c’est le titre de l’album, est une merveille. On retrouve ici toute la patte d’écriture de Jean-William Thoury et les impeccables mélodies de Daniel Sani. On navigue dans un univers pop absolument magnifique qui rappelle, parfois, Bijou mais aussi, et surtout, le Ronnie Bird de la grande époque !

C’est un samedi après-midi, que j’ai pu discuter, en visio, avec les deux compères. Une conversation passionnante, avec deux amoureux de musique. Ce disque est grand et je ne saurais trop vous conseiller de vous jeter dessus. Vous voulez savoir pourquoi ? Allez lire juste en dessous et vous comprendrez !

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Daniel Sani : Je suis un grand fan de Bijou. C’était ma référence absolue et mon premier groupe s’appelait Les Papillons Noirs. Et j’étais abonné à Jukebox Magazine dans lequel écrivait Jean-William. Il y avait chroniqué quelques-uns de mes disques de Dan Imposter. J’avais l’idée de lui demander des textes. On s’était croisés juste une fois à un concert. Un jour, mon copain Bratch, des Dum Dum Boys, sort un album des Warmbabies avec un texte de Jean-William. C’est un texte en anglais, ce qui me surprend, lui qui a toujours dit que le rock se chante en Français. Je lui envoie un message sur Facebook. Il me répond qu’il a fait ça par amitié pour Bratch. Je lui dis que je serais ravi de recevoir des textes en français. Il m’envoie celui de « Pas d’état d’âme » qui sera sur le premier album. J’ai fait un morceau très Ronnie Bird. Il a aimé et m’a proposé de faire tout un album. On a commencé à collaborer comme ça.

Daniel Sani et Jean-William Thoury
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Ça se passait comment ?

D : Il m’envoyait des textes, je les mettais en musique, il corrigeait et voilà ! On s’est rencontrés « en vrai » après - puis on a fait des concerts ensemble.

Ça t’a fait quoi, Jean-William, quand Daniel t’a contacté ?

Jean-William Thoury : Ça m’a fait plaisir mais c’est surtout le résultat qui m’a emballé : c’est un compositeur exceptionnel, Daniel ! Je lui donne des textes qui sont impossibles à mettre en musique. Des trucs que personne ne voudrait faire et lui il le fait – et super bien. C’est miraculeux !

Tout part des textes, jamais de la musique ?

D : Oui, jusqu’à présent on a toujours fonctionné comme ça. Il m’avait proposé au départ que je lui envoie un morceau, et il pouvait faire un texte dessus mais on ne l’a jamais fait. J’aime le défi d’avoir la contrainte d’un texte déjà écrit. Tu es obligé de suivre quelque chose qui n’est pas naturel pour un musicien : le texte, avec la longueur des vers, des couplets… J’aime bien parce que ça t’oblige à te surpasser. Peut-être que si je n’avais pas le texte en premier, je ferais à faire des choses un peu plus… convenues !

Le tandem auteur/compositeur existe beaucoup dans la musique, comme Leiber & Stoller… C’était ton idée Daniel en tant que compositeur de trouver un auteur ?

JW : La plupart des tandems font souvent un peu les deux, la musique et le texte, alors que nous c’est vraiment séparé.
D : Quand j’envoie le morceau final à Jean-William, il va revoir la proposition de base. Il est producteur quand même. J’ai parfois tendance à en faire trop et lui va, positivement, recentrer le morceau.

Ça veut dire que tu as un « droit de regard » sur le morceau ?

D : Il aime bien la musique Jean-William (rires).
JW : Le premier jet m’intéresse : la longueur, la couleur, le rythme…

Il y a eu ce premier album très remarqué et ensuite une compilation autour du cinéma chez les disques Tchoc, où Jean-William a chanté !

D : C’est l’unique fois, pour l’instant, mais il y a peut-être des choses en préparation…

Daniel Sani
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Ça t’a fait quel effet de chanter ?

JW : C’est très difficile ! Je préférerais être un bon chanteur et ce n’est pas donné à tout le monde. Je l’ai fait par amitié pour Daniel, parce que j’ai confiance en lui.

Il y a eu assez peu d’échos sur ce morceau.

JW : Pourtant, j’aime bien l’écho.
D : On a toujours le même problème : la promotion !
JW : On est très sous-terrain quand même…

On a l’impression, Daniel, que ce projet est devenu ton « projet de cœur ».

JW : C’est le seul sous son vrai nom.
D : Oui, je voulais appeler ça « Dan Imposter chante Jean-William Thoury » mais Jean-William n’a pas voulu. Il voulait que je le disque sorte sous mon vrai nom en me disant que ce n’était pas une imposture.
JW : Je ne voulais pas du côté « deuxième degré » qu’implique le pseudo Dan Imposter.

C’était un rêve de gosse de faire un disque avec Jean-William Thoury ?

D : Évidement ! J’aime tous mes projets. Je m’y consacre à fond et j’y prends beaucoup de plaisir. Mais là, je fais de la musique avec mon idole d’adolescence et que cela fonctionne aussi bien, c’était inespéré. C’est mon projet de cœur et en termes de qualité, c’est peut-être ce que je fais de mieux.
JW : Un père aime tous ses enfants…

Tu as cinq groupes à l’heure actuelle, tu pourrais y mettre un texte de Thoury ?

D : Pourquoi pas ? Pour être honnête je n’y ai pas pensé. Ce ne sont pas les mêmes objectifs.
JW : Il ne faudrait pas s’éparpiller.

Est-ce que ce projet, Jean-William, t’a donné envie d’écrire pour d’autres artistes que Daniel ?

JW : En dehors de Daniel, j’ai juste, pour quelques textes, Gil Dougherty qui prépare un album, à son rythme.

Vous sortez « monomaniaques », pourquoi ce titre ?

JW : À la base, parce que nous enregistrons en mono. C’est plus efficace pour enregistrer, plus direct et sans problèmes de phase. Certains des meilleurs disques sont mono. La première fois que j’ai entendu de la musique, c’était dans une fête foraine, aux auto-tamponneuses. Un seul haut-parleur, énorme… Le meilleur son que j’ai entendu de ma vie ! Chez Stax, les premiers disques étaient mixés en mono, sur un seul haut-parleur, un Voice of the Theatre, le meilleur résultat qu’ils aient eu du point de vue impact, direct…

C’est l’époque qui voulait ça !

JW : Le problème, c’est que quand les techniciens de chez Atlantic sont venus chez Stax installer un matériel plus sophistiqué, ça n’a plus jamais été pareil. Toutes les productions de Phil Spector étaient monos. Il avait ce slogan « Back To Mono » que j’aime. J’ai toujours un exemplaire du badge original, distribué quand le label de Spector a été relancé en Angleterre. En musique, Daniel et moi sommes des obsédés, des « monomaniaques ». Manie veut dire folie, tu sais.

Jean-William Thoury
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C’est pour ça qu’il y a un « s » à la fin ?

JW : Oui, parce que nous sommes deux. Il n’y a pas de nom sur la pochette, comme il n’y avait pas celui des Stones, ni sur le premier, ni sur « Aftermath ».

C’est aussi la première fois qu’une pochette des disques Tchoc n’est pas réalisée par le Woom Studio ?

D : Ce n’est pas la première fois, ma fille, Juliette, qui a été formée par Cyril Cucumber du Woom Studio, en a déjà réalisées, et c’est elle qui a fait celle-ci. La photo et la pochette sont un choix de Jean-William. Il a pris en photo mes guitares et quelques jours plus tard il m’a envoyé la pochette avec le titre.
JW : Cette photo est très représentative de l’environnement dans lequel travaille Daniel. Ça illustre son obsession, sa « manie ».

Il a été fait où et avec qui ce disque ?

JW : Daniel fait tout tout seul avec, quand c’est possible, la participation des musiciens du Trio Daniel Sani.
D : J’ai tout fait sur le premier probablement parce que je souhaite contrôler ce qui est enregistré. Mais il y a aussi un côté pratique : j’ai un studio à la maison et je travaille quand je peux. Evidemment cela a ses limites. Sur scène, je joue avec des musiciens exceptionnels. À leur demande, et à celle de Jean-William, on les a incorporés sur quatre morceaux, chacun en fonction de sa disponibilité. Murièle, mon épouse, joue du violoncelle pour un morceau. Là encore, c’était à la demande de Jean-William.

Tu as joué aussi de la trompette ?

D : Tu as vu ? Je suis assez fier ! Mais j’ai souffert…

Jean-William a assisté aux séances ?

D : Un peu mais pas à toutes. Je suis à Marseille et lui en région parisienne. Quand il descend, il assiste aux enregistrements.

Sur cet album les plus grosses influences ce sont Ronnie Bird, Dutronc et Gainsbourg qui étaient parmi les influences de Bijou. Est-ce que « Daniel Sani chante Jean-William Thoury » ne serait pas le prolongement de Bijou ?

D : Moi, ça me va, mais il faut plutôt le demander à Jean-William…

On a l’impression que tu reprends le travail de Bijou ?

JW (silence) : De nombreuses années se sont écoulées entre la fin de Bijou et aujourd’hui…

Bijou pourrait jouer « Attention ça brûle » ?

JW : Effectivement, ils auraient peut-être pu la faire ; je ne sais pas.

Mais ce sont les mêmes influences que Bijou ?

JW : Par rapport aux influences que tu as citées, je ne suis pas d’accord. Pour moi, ça ne ressemble pas du tout à Serge Gainsbourg, pas du tout à Jacques Dutronc.

Daniel Sani en concert, derrière, assis, Jean-William Thoury
Crédit : Gérald Chabaud

Il y a ce morceau, « Combien de temps », qui rappelle les Who.

D : Jean-William a écrit le texte en pensant à la structure de « I Can See For Miles » ; on est allés à fond dans le truc !

J’aime beaucoup « Je ne voudrais pas partir », où Jean-William a mis des éléments qui le touchent.

JW : Bien sûr, ça me fait plaisir que tu le dises. Mais j’essaie d’en mettre chaque fois !

Il y a aussi un très beau morceau « Quand il neige sur la montagne ». C’est, pour moi, le morceau pop parfait des années 1960/1970.

D : Parfois, Jean-William me donne des indications musicales sur le style vers lequel il voudrait aller. Pour ce morceau il m’a dit qu’il pensait au Band avec un tempo moyen.

Le Trio Daniel Sani en showcase chez Lollipop à Marseille
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Il y a aussi du Shakespeare pour un texte ! Tu t’es inspiré de la pièce ?

JW : Complètement, c’est bien de la pièce de théâtre dont je me suis inspiré, j’en ai fait une traduction personnelle que j’ai ensuite modifiée pour respecter une versification compatible avec une chanson, nombre de pieds, rimes, le toutim. C’est un Shakespeare « my way » !
D : C’est un morceau dont je ne sais plus comment il m’est venu. Il y a beaucoup de guitares et pas de batterie. Ça peut faire penser au Beaux Brummels (Groupe américain des années 1960, NDLR). C’est un morceau complètement atypique pour moi. Mais j’aime beaucoup

Il y a aussi « Seul pour Noël » que je trouve très beau et qui clôt l’album. Une sorte de ballade un peu triste…

JW : C’est une référence à certaines chansons réalistes, aux poèmes de Jehan Rictus, mélodrames où, à Noël, des gens un peu paumés, seuls, désargentés souvent, sont confrontés à la joie de cette période, l’opulence affichée.

Ce qui est incroyable, c’est que je pensais que Jean-William était passionné par le rock anglais des années 1960 et là on est beaucoup sur des Américains !

JW : Le rock est américain. C’est une musique issue de courants américains, blues, folk, country, boogie, gospel, soul, R&B, etc. Les Anglais sont des stylistes qui l’ont intégrée et ressortie à leur manière. Shadows, Johnny Kidd, Beatles, Stones, Kinks, etc. Mon année préférée, dans le rock, c’est 1956, l’explosion mondiale du rock’n’roll. Bill Haley avait versé l’essence, Presley y a jeté l’allumette. Puis 1964, aussi bien en Angleterre qu’outre-Atlantique.
D : Pour moi ce sont les Beatles avant tout, dans ma façon de composer et d’arranger, et les voix… Je reviens toujours aux Beatles !

Fabien Meyrand alias Fernand Millet, bassiste du Trio Daniel Sani
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Jean-William, quand tu écris tes textes, as-tu des idées de musique en tête ou tu alignes simplement des mots ?

JW : Les deux. Parfois j’ai une musique en tête et cela me permet de donner un rythme aux paroles. Parfois c’est juste le texte. Mais je ne donne jamais une idée trop précise de musique à Daniel parce que sinon il va avoir du mal à s’en extraire.

Pour beaucoup de paroliers, le but est que leurs textes tiennent sans la musique, de vrais poèmes !

JW : Non, non… Le texte a besoin de la musique, la poésie se trouve dans les chansons ! Il faut vraiment un mariage entre les paroles et la musique : c’est comme ça que les chansons prennent vie et rentrent chez les gens. Si on ne devait écrire que de la poésie, ce serait chiant.

Beaucoup de gens pensent que la France a un problème avec les textes pop. On doit toujours faire des textes à thèmes dans la lignée de la « grande chanson française » ! Pour moi vous avez réussi à faire un disque Pop !

JW : Le plus gros problème pour un parolier est de trouver un compositeur qui le comprenne. Mon ambition est de faire des textes qui s’allient parfaitement avec une musique ; ce qui est possible grâce au talent de Daniel.

Nicolas Nitti, batteur du Trio Daniel Sani
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Mais est-ce que parfois tu es tenté de faire des textes sur l’écologie ou la politique. C’est rare en France un parolier qui est capable de faire des textes pop sans se prendre pour Léo Ferré et autres… Ton ambition est de faire des textes « populaires » au sens noble du terme !

JW : Merci. J’essaye. Encore qu’être comparé à Ferré ne saurait vexer qui que ce soit !

C’est un album pop plutôt que rock.

D : Tant mieux, pop c’est populaire et c’est bien !
JW : Je crois surtout que l’on ne se pose pas ce genre de questions !
D : En tout cas, tu n’as pas dit « variétés » qui aurait un côté péjoratif alors que cela ne devrait pas. On ne cherche surtout pas à rentrer dans un style, on fait ce qu’on peut et c’est déjà bien (rires).

Peut-on espérer qu’un jour Jean-William chante des chœurs ou un refrain à un concert ?

JW : Ça dépend du cachet (rires).

C’est quoi vos projets ?

D : Des concerts. Et on continue à écrire, à composer. C’est simple : quand on a 12 morceaux, on sort un disque.

Donc il y aura un troisième disque ?

D : Oui, je peux te l’annoncer.

Crédit : Gérald Chabaud

Vous pourriez sortir un live de vos deux albums ?

D : Il y a un enregistrement d’un concert en juin 2024 à Marseille. On va voir si c’est utilisable…

Vous pourriez faire des reprises des vieux morceaux de Thoury ?

D : Il y en a toujours un ou deux aux concerts, j’adore, mais on essaie de défendre ce que nous faisons aujourd’hui plutôt que des morceaux qui ont été super bien défendus il y a quarante ans.

Le mot de la fin !

JW : Cette fin n’est pas une fin !
D : Comment veux-tu que je dise quelque chose de bien après ça ?

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