Serdar Gündüz : des Daltons à Fabrika, il était une fois le rock à Paris …

jeudi 25 novembre 2021, par Franco Onweb

Bienvenu à Paris ! C’est comme ça que j’ai envie de commencer cette interview, tellement le personnage qui est interviewé représente le rock parisien ! Serdar Gündüz, puisqu’il s’agit de lui, est un personnage omniprésent sur la scène depuis le début des années 80 où il a commencé sa carrière au sein des merveilleux Daltons. Après il a fondé les Moonshiners, les Happy Mélodies et joué avec Sporto Kantes, avant de refaire partie des Daltons dans leur reformation au milieu des années 2000.

Mais Serdar c’est aussi l’histoire d’un gamin d’origine Turque, qui a grandis à Clichy Sous-Bois et qui a connu, grâce au rock pleins d’aventures, comme le raconte Thierry Pelletier, alias Cochran, dans son livre « les rois du rock ». Il a participé à la scène Paris-Bar-Rock, à la scène électro avec son projet Fabrika et il a arpenté tant de scènes que ce serait impossible de toutes les décrire ici.

J’avais appris l’été dernier que Serdar avait quitté les Daltons (qui s’appelle maintenant Dalton) pour se concentrer de nouveau sur son projet solo : Fabrika. Quand la nouvelle a été officielle, je l’ai contacté pour en savoir un peu plus.

Alors qu’il s’apprête à donner un premier concert, avec la nouvelle formule de Fabrika, le 9 décembre au Walrus et que son livre/ journal qui raconte la genèse de cette scène parisienne est entre les mains de plusieurs éditeurs. Il m’est venu à l’idée de lui proposer de se raconter. Ce qu’il a fait avec sa gentillesse et son sourire habituel à la terrasse d’un café parisien un samedi après-midi d’octobre.

D’où viens-tu ? Ça a commencé comment la musique pour toi ?

Je suis né en Turquie. Je suis toujours Turc, j’ai la double nationalité. Je suis arrivé en France, à Clichy sous-bois à l’âge de cinq ans. Ce n’était pas la banlieue craignos comme maintenant. La plupart des pré-ados étaient dans Bruce Lee, avec ma sœur on achetait des 45T, « Kung Fu fighting » de Carl Douglas. Mon père avait le disque de « Un homme et une femme ». Un jour à la fin de l’année au collège la prof d’anglais nous a fait une démonstration de guitare Folk et j’ai adoré, je me rappelle aussi d’un pote noir à Montfermeil : son grand frère jouait du blues, c’était super.

Serdar Gündüz
Crédit : Benoit Fatou

Tu découvres comment la musique ?

Je suis arrivé au collège à Enghien-les-Bains en quatrième et là j’ai croisé Patrick (Williams, NDLR) et Michel (futur bassiste des Daltons, NDLR). Le grand frère de Michel avait plein de disques et grâce à lui, j’ai découvert les Stones, Slade. Patrick revenait des USA, son père est américain, où il avait passé un an, et il avait ramené des disques dont le premier Velvet. Tous les trois on s’est construit une culture musicale. On lisait Best et Rock’n Folk. Tout de suite on a monté un premier groupe : Zizi Mozart, Patrick était à la guitare, moi à la basse. On était vraiment des gamins (rires). Ensuite on a fait un groupe : le Troisième homme. C’était en 1979, 1980. Ensuite Patrick a déménagé en Normandie.

Et après ?

J’ai arrêté l’école (alors que j’étais accepté en seconde), pour faire une année d’électro-mécanique à Argenteuil et là il y avait des rockers et des prolos. J’étais bien, c’était le décor des chansons des Clash. Moi, je m’en foutais, j’attendais juste d’avoir 16 ans pour bosser, m’acheter une guitare et mourir à 25 ans. J’appartiens à une génération qui considère qu’il y a quelque chose de « sacré » dans le rock. J’ai perdu un petit frère quand il avait cinq ans et moi neuf, j’étais persuadé que j’allais mourir à 25 ans.

Mais est ce que le rock ne t’a pas apporté une forme de promotion sociale ? Tu as commencé comme terrassier et aujourd’hui tu es graphiste et tu es un musicien reconnu !

Euh… reconnu, oui enfin dans la famille du rock indé parigo. Sainte famille. Si probablement, mais cette « promotion sociale » s’est construite par des accidents et des rencontres. Si j’étais resté à Clichy sous-bois je ne sais pas ce que je serais aujourd’hui, mais aller à Enghien, rencontrer Patrick et Michel a été énorme pour moi. On a vécu plein de trucs. Par exemple, un jour avec Michel on a trouvé une malle, qui partait à la poubelle, dans laquelle il y avait plein de bouquins comme Sartre ou Camus et bien on a lu tous ces trucs. A l’époque il y avait une mixité sociale plus importante. On avait une vraie curiosité pour tout…

Mais cette curiosité permanente vous a-t-elle permis de progresser intellectuellement ?

On s’est construit avec deux choses : une amitié, qui dure toujours entre nous, même si on se voit moins, et cette curiosité permanente des choses. Même quand Patrick est parti en Normandie, on a continué à communiquer. On a même monté un groupe par correspondance, ou presque, Orange Mekanik ! Notre but final était d’accéder à Paris et de jouer du rock.

Serdar au début des années 80
Crédit : Gilles Larvor

C’est quand Patrick revient à Paris que les Daltons commencent ?

Exactement, c’était en 1983. On a d’abord été à ce bar le Bol d’Or, à Enghien. Là traînait une génération de groupe comme nous, les Wampas ou les futurs Moonshiners. Il y traînait aussi un groupe de punks de Pernety avec Didier Wampas. Il y avait des gens comme Helno par exemple. Le fils du propriétaire du Bol d’Or était punk et dans ce bar il y avait un jukebox avec des groupes improbables pour un bar de banlieue : la Souris Déglinguée, les Ramones, les Clash… Il a fait venir ses copains. Dans ce bar il y avait Stéphane des Soucoupes Violentes, Rocco de Rocco and The Rays, les Rebelles (groupe clashiste), Jean-Marc « toile d’araignée ». Patrick en Normandie avait rencontré Cochran, Thierry Pelletier, qui connaissait Rascal et grâce à lui on s’est connecté avec Creepy Crawly.

Rascal manageait déjà les Wampas ?

Non, il avait fondé le fan club des Météors, avec Sara-Jane, et il s’occupait de faire tourner Sting Rays, Cannibals, Milkshakes en France. Pour faire jouer ces groupes, il a fondé son association : Paris Bars Rocks. Il a commencé à nous manager. Il avait ce label et fanzine Creepy Crawly. On a fait avec lui notre premier 45t, avant les Wampas ! Nous avons été les premiers ! On se foutait complètement de gagner de l’argent : on voulait juste découvrir des choses et gens, tout en restant élégant ! Avec Michel on faisait des petits boulots pour survivre (livreurs chez Nicolas), Patrick était étudiant.

Vous aviez un super look !

On avait notre look tu veux dire : coupe psycho, costumes Guerrisold et Doc Martens au pied.

Les Daltons, première époque devant Patrick Williams, à gauche Serdar Gunduz, Roland derrière lui et dans le fond Michel Poupon-Joyeux
Crédit : Sara-Jane Richardson

Et puis c’est le début d’une scène parisienne avec des groupes de la banlieue. C’est la dernière scène rock qui va venir de banlieue.

Tout à fait, il y avait nous, les Rouquins qui venaient de la banlieue sud, Rocco and The Rays, les Soucoupes Violentes d’Argenteuil, et puis Sèvres avec les Hot Pants qui sont devenus la Mano Négra.

C’est Rascal qui vous a emmené à Paris et avec Ronan qui va faire vivre cette scène ?

Oui, il y avait vraiment un noyau dur. Mais c’est au bar « Chez Jimmy » que ça a commencé (84-85). Il y avait pleins de groupes là-bas, François des garçons boucher faisait la sono, il y avait des groupes 2 à « fois par semaine, que tu aies des sous ou pas tu rentrais chez toi bourré. Tout s’est joué sur deux ou trois ans.

Tout ce pan de musique a été un peu oublié, parce que si beaucoup existent aujourd’hui c’est parce que cette scène a existé !

Je suis d’accord avec toi, l’art permet souvent à une ville d’exister. On arrivait après la vague des punks parisiens qui étaient plus destroy que nous, on n’a pas vécu la première vague, car trop jeunes. Occupés à essayer de vivre ce qui restait de l’explosion punk. On n’était pas dans la défonce mais plus dans l’élégance (enfin… on essayait), le rythm’n blues, le psycho avec les Cramps et l’alcool aussi (rires). Des vrais gamins.

Mais quand on lit les témoignages de l’époque, dont ton livre (Journée normale, introuvable) et les « rois du rock » de Thierry Pelletier, on s’aperçoit que c’était une époque très violente.

Ouais, ouais… Bon je pense que la banlieue a toujours été violente et forcément Paris l’a été. Par exemple, c’était la fin des Teddy Boys (j’ai perdu une demi dent à la gare du nord, une nuit, pour garder mon perfecto). C’était violent entre eux et nous, puis y’avait les skins, etc…

Vous allez commencer à tourner en province, grâce à Rascal ?

Oui, on lui doit tout ! C’est lui qui a tout monté, avec Sara-Jane. On a joué à Bourges, à Lille, on a fait une tournée en Bretagne avec les Wampas. On a fait fermer un bar à Lille, tellement on a fait un WE de concerts destroy, on dormait au-dessus du bar, énorme erreur (rires)… Rascal et Sara-Jane sont tombés sur nous et ont vraiment créé une dynamique. Il y avait des musiciens incroyables avec nous comme Marc Police (guitariste des Wampas, NdlR) qui écoutait et qui connaissait plein de trucs, il m’avait prêté sa piaule à Bastille, c’est là que j’ai découvert Kurt Weill. Il écoutait Dick Dale, les Beach Boys sur son ampli de guitare Twin Reverb ! Les gens ont une vision des punks comme étant destroy et bourrés toute la journée ! C’est faux, quand on allait à Pernety on croisait plein de gens différents. C’étaient des mecs supers cultivés qui connaissaient plein de choses. Prend les Rouquins, c’était un groupe incroyable avec leur chanteur P’tit Louis qui avait un style bien à lui et vraiment intéressant. Et bien, ce groupe a joué partout, des concerts supers, mais ils n’ont pas « percé » comme on dit (nous non plus remarque)… C’est vraiment dommage parce qu’ils auraient pu sortir un grand disque ! On était très ouverts : Patrick a même commencé à faire des trucs de rap, on écoutait du rythm’n blues … Mais bon avait ce côté très « branleurs » et nous n’étions pas dans la construction. On se rendait pas compte qu’on avait des choses à poser musicalement. Si Rascal avait fait ça en Angleterre, cela aurait peut-être été beaucoup plus constructif et on aurait pu sortir plus de disques.

C’est dommage ?

Il y a quand même eu des 45t, mais juste après ça a été la vague alternative qui s’est orienté vers le côté punk franchouillard et le côté Mano Négra. Nous on ne se sentait pas trop là-dedans dans nos costumes. On a quand même réussi à avoir un peu de presse, même Patrick Eudeline qui a écrit sur nous.

Quand on lit « Les rois du rock », il y a le mauvais garçon qui est Serdar !

Oh non pas encore… On était plutôt les rois de la débrouille ! J’étais spécialiste du vol des salades mexicaines et des bouteilles de Ballantine chez les épiciers. Je ne rentrais pas le midi chez moi parce que mon père n’aimait pas ma vie. Je partais tôt et je rentrais tard le soir.

Serdar au milieu des années 80
Crédit : Philippe Boissel

Et vous arrêtez le groupe ?

Je suis parti en premier et Patrick a continué un peu avec Michel. Ils ont fait un 45t qui est n’est pas sorti.

C’était qui le batteur ?

Il s’appelait Philippe, avant on avait eu un autre batteur, Roland, qui avait 35 ans alors que nous en avions 21. Il était vieux pour nous (rires). Enfin faut dire qu’il carburait à des trucs bien 70s, juste avant de monter sur scène, mais il assurait à fond le bougre.

Tu as fait quoi après les Daltons ?

On avait monté les Moonshiners avec Thierry Pelletier (Cochran). Notre rêve c’était de partir sur la route aux USA. Il y avait aussi Alain le contrebassiste des Wampas qui a joué après avec les Happy Drivers et dans la première mouture de la Mano Négra et Los Carayos. Je suis resté deux ou trois ans avec eux. Ensuite j’ai passé mon bac en candidat libre et j’ai commencé des études d’histoire de l’art. je voulais devenir peintre. Je me suis fait un complexe de Stendhal. J’ai commencé à peindre dans ma chambre de bonne de 10 mètres carrés.

Serdar sur la scène du Gibus avec les Moonshiners en février 1989
Droits réservés

Tu voyais encore Patrick et Michel ?

Bien sûr : A l’époque on a même fait un groupe avec Michel et Gilles Riberolles : les Poulpes, dans lequel je jouais de la batterie. C’était super bien ! J’ai essayé de faire mon groupe et bien cela n’a rien donné et j’ai arrêté !

Ensuite vont venir les Happy Mélodies !

On avait trente ans et la musique avait évolué… Il y avait eu les Inrocks, les Pixies (énorme claque), toute cette vague anglaise avec les Happy Mondays… On avait aussi découvert les Smiths ! On a voulu faire pareil. C’est dommage que cela n’ait pas eu plus d’écho parce que franchement Patrick est un super songwritter ! Il a vraiment un truc.

Comment est né ce groupe ?

Je faisais un groupe qui s’appelait SoundExp avec Laurent Talon, un vrai esthète, à la guitare. Il joue maintenant avec Dorian Pimprenel. Il y avait aussi Baldo aux drums. Bref on commence et puis j’appelle Patrick pour qu’il nous rejoigne avec ses compositions. Il a amené pleins de choses. On a fait un disque chez Thierry Los mais ça n’a rien donné et on a arrêté le groupe !

Encore !

Oui mais avec Patrick, on doit arrêter de jouer ensemble au bout d’un moment pour ne pas s’étouffer l’un et l’autre. On a un rythme de 3 ans, puis en général je me barre. Mais je lui dois beaucoup : c’est lui qui m’a montré les premiers plans de guitare (Smoke on the water).

Mais il y a quelque chose d’étonnant dans les Happy Mélodies, c’est que plus vous avancez, plus vous faites une musique « cultivée », une sorte d’ascension sociale et culturelle.

Je n’y avais pas pensé mais c’est vrai ! On avait découvert plein de choses en plus mais dès le début on aimait pleins de choses comme Télévision, Wire.

Les Happy mélodies, dans le fond un tableau de Serdar, avec Patrick Williams à gauche, le bassiste Denis Vermelen, Serdar Gunduz et Didier Wampas à Bourges 93
Droits réservés

Mais vous n’aviez plus cette rage adolescente mais toujours élégant !

(Rires) Oui, c’est vrai pour nous le look était, et est toujours, important.

Vous aviez une culture beaucoup plus large au niveau du graphisme ou de la littérature ?

On a toujours été comme ça, même au début des Daltons ! On s’intéressait à tout.

Il y a un groupe capital pour toi le Gun Club de Jeffrey Lee Pierce !

Je suis totalement fan ! C’est un mec qui est mystique : il cherchait le son, la note, l’illumination ! Malheureusement le seul mec qui l’a rendu accessible au grand public, c’est Bertrand Cantat. Il lui a tout piqué et l’a rendu plus « audible ». J’adore tout ce qu’il a fait. J’ai vu tous ses concerts en France. Je l’ai interviewé avec Patrick en 1993. Je lui avais offert un disque de musique Turc traditionnelle.

Mais lui aussi c’était un littéraire : il avait dépassé le cadre de la musique ?

Tout à fait, il voulait faire des études d’histoire. Il s’intéressait à tout. Quand tu découvrais le Gun Club, tu découvrais le blues, la Country, John Coltrane, la littérature américaine… Pleins de choses ! Il élevait vraiment son public.

Tu étais au Fan club ?

Oui « les prédicateurs des temps violents ». On avait accès à des photos, des cassettes de tournées … pleins de trucs. Je l’ai vu pour la première fois au Palace en 1983. Je suis rentré pendant les balances et là il a joué « Fire of love et Run through the jungle : c’était hyper puissant ! (après, le soir, il va arriver après avoir bu et te faire des versions complètement différentes, improviser ou foirer les morceaux, une autre époque).

Jeffrey Lee Pierce en concert
Droits réservés

Tu n’as pas essayé de faire ça comme musique ?

Non parce qu’il y a une telle puissance, une telle quête, que c’est compliqué ! C’est un truc beaucoup plus « habité » que je ne pourrais le faire, là on est chez les grands, Coltrane, Billie Holiday, Rimbaud... Il y a un côté mystique que nous ne pouvons pas faire. Il a pris ce qu’il y a de plus dépressif dans le blues, la country et le jazz, la noirceur américaine. Il a mis en avant tout ce qui dérange dans l’histoire américaine, et démonté aussi certains mythes.

Musicalement tu fais quoi à la fin des années 90 ?

J’avais arrêté Happy Melodies et la techno arrivait. C’était devenu ringard de faire du rock ! On avait essayé de faire des choses comme ça mais franchement on n’y arrivait pas.

Mais toi, tout seul, tu vas plonger dans l’électro ?

Grâce à Michel, qui avait commencé à travailler avec des machines, et qui m’a montré. J’ai donc monté Fabrika avec une idée simple : mélanger guitare et électro. Quand je le montre aux gens de l’univers électro, j’ai un retour pas terrible, ils me regardent dégoûtés parce qu’il y a des guitares ! Puis en 2006 et en 2007, le rock revient à la mode et là on me dit « l’électro on s’en fout » ! ha ha ! on a toujours été décalés.

Pourtant à l’époque, on m’avait dit que tu avais trouvé le son, l’équilibre entre le rock et l’électro !

On ne l’a pas trop dit à l’époque (rires) ! Le seul truc qui m’a encouragé c’est la compilation de Future/Now de Daniel Dauxerre qui est sorti sur Labels. C’était une super compilation qui portait le son du futur.

Tu as fait des concerts ?

Quelques-uns …

Pochette de l’album de Fabrika «  Electroad Songs  »
Droits réservés

Mais tu as aussi joué avec Sporto Kantes ?

Parce que Nico (DJ Kantes) me l’a demandé. C’était une époque où j’ai découvert le rap aussi. Il y avait Junkaz Lou (un génie du rap, si si) sur scène qui envoyait des scratch sur lesquels j’improvisais. Mais bon c’était compliqué Sporto Kantes parce que Nico faisait venir des personnes nouvelles à chaque répétitions : une choriste, un percussionniste brésilien… On n’arrivait pas à construire un vrai show. C’était bien mais cela aurait pu être beaucoup mieux mais bon… La musique c’est du boulot !

Et après ?

En 2007 j’ai eu un fils et j’ai donc arrêté de jouer de la musique et j’ai organisé des concerts en mémoire de Jeffrey Lee Pierce. Il y avait un documentaire de Henri Jean Debon qui venait de sortir sur lui. J’ai organisé des petites soirées comme les Ramones acoustique au café des sports à Ménilmontant.

Vous, les Daltons, vous êtes tous devenus père en même temps !

Michel avait commencé dans les années 90 et c’est pour ça qu’il faisait de l’électro chez lui mais Patrick et moi oui et ça a changé nos vies. On a eu tous les deux en même temps un deuxième enfant et là pendant quelque mois c’était super mais au bout d’un moment on voulait ressortir, revoir les copains, boire des bières…

Et donc ?

Quand j’ai sorti l’album de Fabrika, Patrick a joué pour moi. Ensuite il a commencé à jouer avec Michel, à répéter. Ça leur permettait de sortir, de boire des bières, de refaire de la musique… Au bout d’un an comme ça ils m’ont rappelé en me proposant de remonter les Daltons. Je me suis dit « pourquoi pas ? » Et voilà on était reparti. La répétition du mercredi soir est devenue très importante pour nous. On a été rejoint par Baldo à la batterie, l’ancien Rouquin, qui était toujours dans le milieu et qui nous a tout de suite ouvert son réseau et à qui on doit d’avoir renoué avec la scène rock underground parisienne.

Vous avez retrouvé vos automatismes ?

Tout de suite ! Par exemple « Jeunesse perdue », Patrick m’a montré la mélodie et j’ai aussitôt trouvé les notes.

Un titre qui est un hommage à votre jeunesse !

Tout à fait, on a fait ce morceau en cinq minutes (enfin Patrick avait la base) et tout de suite ça été pareil. En plus, tout le monde était persuadé que j’allais quitter le groupe très vite et bien non : j’ai tenu bon jusqu’à 2020.

Pourquoi vous appelez ça les Daltons ?

Les gens nous connaissaient sous ce nom-là ! Peut-être qu’il fallait boucler la boucle … En tout cas Patrick avait beaucoup vu les Belleville Cats et il s’est dit que nous pouvions faire pareil : jouer dans des bars, en costard, sans pression pour retrouver les copains, se réunir et passer un bon moment ! Franchement il n’y avait pas d’enjeu dans cette histoire. Patrick a un talent de dingue et j’ai l’impression qu’il ne s’en rend pas bien compte, je ne sais pas... Bon au bout d’un an Michel est parti monter son groupe (Blank Island Club, avec Bénédicte sa femme, qui chante très bien, ils ont des bons titres). On a pris JB à la basse, qui est resté plus longtemps que Michel dans le groupe maintenant. Un mec bien. Ensuite, Baldo nous a quitté et c’est Constant, un super mec et un super batteur, qui l’a remplacé. C’est cette formation qui a enregistré « Objet ancien », notre album et qui a donné tous ces concerts.

Les Daltons en 2014, de gauche à droite Serdar, Constant, Patrick et JB
Crédit : Benoit Fatou

Ça ne devait pas être sérieux mais ça l’est devenu : un éditeur, un album, pleins de concerts dont quelques-uns en province, bientôt un autre album. C’est bizarre pour un groupe qui ne voulait jouer que dans les bars pour ses potes.

On a commencé à se développer mais on approche de la soixantaine et si demain on devait partir pour 10 jours en tournée, on ne pourrait pas entre le boulot, la vie de famille …

Mais votre musique est un croisement entre Télévision, Velvet, The Fall et Nino Ferrer pour la France. Il n’y a aucune prétention, juste le plaisir de se retrouver …

Attend, on le savait bien qu’on assurait mais on se présentait un peu comme des couillons et franchement c’était un peu stupide de notre part. On rêvait secrètement qu’un magazine découvre enfin que c’était de la bonne musique.

Pourtant avec « Costume de merde » vous êtes passés à deux doigts du gros tube !

Bah c’est un tube underground, c’est très bien ainsi. C’est un super morceau et peut être il a un potentiel commercial, après le son, le bon moment… alchimie subtile. C’est très bien que les gars continuent et je pense que le nouvel album devrait être bon.

Mais tu ne penses qu’à la base ce projet, qui était juste de rejouer ensemble pour revoir les copains, a bien évolué ?

Si bien sûr mais à la base il n’y avait pas d’autre ambition. On a tous des vies à côté. C’était notre récréation, avec ce plaisir de donner des concerts de dingue, une fois dans un bar du 19e arrondissement on a joué 2h30 ! les gens dansent devant toi, tu fais plaisir, tu n’as plus l’impression que c’est toi qui joue, des instants magiques.

Tu as quitté les Daltons ?

Oui, j’ai fait une dépression suite au confinement. J’avais emmagasiné beaucoup de morceaux, de petits trucs qui n’auraient pas pu fonctionner avec les Daltons. Je me suis dit que je n’avais jamais osé poser mes idées. Je voudrais faire une belle œuvre synthétique et barrée et après j’arrêterais, je suis vieux (rires). Je vais enregistrer une dernière salve de chansons qui vont dans tous les sens, et même chanter en turc.

C’est donc vraiment un différend artistique qui t’a fait partir du groupe ?

Euh… oui, après c’est compliqué des relations de longue date… il y a des blessures, des non-dits, etc., je voulais aller vers un truc plus tordu mais aussi avec des machines et eux ils continuent dans leur format, dans leurs système, attention on est toujours potes ! On n’a aucun problème personnel ensemble et je leur souhaite le meilleur pour le prochain album. Je suis et je resterai le plus grand fan des Dalton !

Donc tu as ressorti Fabrika ?

Oui, j’ai plein de petits projets qui apparaissent. J’ai monté un duo avec une amie qui fait du violon, où on fait une reprise de « I Feel Love » avec un côté Ennio Morricone. Je joue le 9 décembre au Walrus, j’ai préparé un album de rock, en français et en anglais avec ces morceaux que j’ai depuis des années. Je suis plus libre artistiquement donc je peux tout faire.

Tu vas aller vers le rock, l’électro ?

Un peu des deux. On adorait Kraftwerk et franchement tous les trucs des Daft Punks on les connaissait depuis longtemps, mais aussi inclure des guitares folk, de l’acoustique, des samples.

Tu ne vas pas refaire les Daltons première version ?

Oh non pas du tout, mais il y a des trucs assez rock ! Je suis à la frontière du rock américain et de la dentelle anglaise ! Mais je voudrais beaucoup retourner dans mes racines turques un peu comme Tio Manuel ou Taï Luc qui ont réussi à marier leurs origines et la musique qu’ils écoutent.

Tu aurais imaginé quand tu avais 15 ans à Clichy Sous-Bois que tu aurais fait tout ça ?

Non et d’ailleurs ça me fait plaisir que tu m’en parles parce que en te racontant ça je vois que j’ai fait des choses alors que j’ai l’impression d’avoir rien foutu.

Les Daltons ne sont -ils pas un exemple de promotion sociale, culturelle et d’intégration ?

Si parce que j’ai eu la chance de rencontrer Michel et Patrick au collège mais à l’époque, l’école publique était beaucoup plus mixte. Si je ne les avais pas rencontrés je ne sais pas ce que je serais devenu. Avec le rock et la presse rock on a découvert plein de choses : la littérature, l’art en général, tout…

Pourquoi ça n’existe plus ça ?

Parce qu’aujourd’hui c’est la culture de la « niche ». On va vers un monde où tout est sous contrôle, tu es dans ton cercle sans en sortir, les cultivés mettent leurs kids dans le privé, et les gamins prolos sont dans le public ou ils s’abrutissent à coup de tik-tok, le capitalisme est redoutable sur la jeunesse. Là où on avait un territoire à nous et des codes qui nous appartenaient, une sous culture à nous. Mais peut-être, pour un ado de maintenant, il y a toujours cette excitation « rock » à vouloir aller se défoncer sur du rap à Dubaï, là où nous, on rêvait d’être aux USA dans « on the road » et de jouer à Kerouac sous champignons ! les formes changent, les désirs vivants restent… enfin, je sais pas pourquoi j’ai comme une petite nostalgie…



La base c’est quoi pour toi ?

Le Velvet bien sûr !

Tu veux dire quoi pour la fin ?

Je suis un vétéran qui a encore pleins de choses à faire ! et aimez-vous les uns les autres.

https://www.facebook.com/Fabrika-110755861389668