Comment es-tu entré dans les Modern Guy ?
J’ai connu Guillaume en classe de 6e au lycée Buffon (Paris 15) en 1971. En 4e, Jean-François a rejoint notre classe. Il venait d’un milieu très différent du mien, Jean-François, lui, était au centre. On a tout de suite sympathisé car on avait des goûts musicaux très similaires. A l’époque, aimer le rock, c’était aussi vouloir faire sauter le carcan que les gens « bien comme il faut » essayaient de nous vendre. Ça bougeait pas mal dans les têtes depuis 68.
(Guillaume Israël - Droit réservé)
On a passé énormément de temps à sécher les cours ensemble, à écouter "Flip", chez des potes autour d’un gros pétard (découverte des Paradis Artificiels …). A faire des plans « baskets » dans les « Monop’ » et les « Prisus » avec des piles de nouveaux vinyles sous le bras, il en tombait toutes les semaines : « Ziggy », « Alice », « T. Rex », « King Crimson » (Red…) … On était des boulimiques !
A l’écoute d’Andrew Mac Kay de « Roxy Music », de Chris Mercer qui joue sur « Get il On » de « T. Rex », de Bobby Keys et de Steven Mac Kay (Fun House des « Stooges ») j’ai choisi d’apprendre à jouer du saxophone. Le gros, celui qui sonne comme une guitare électrique : le ténor !
Jean-François, qui suivait déjà des cours de guitare "classique "au conservatoire du 15e m’a conseillé de m’y inscrire pour choper les bases.
J’ai tenu deux ans pour le saxo et un an pour la guitare. À l’époque pour jouer du Rock il fallait apprendre sur le tas, trouver des potes qui n’avaient pas forcément les mêmes goûts, déconstruire dans certains cas ce que l’on avait appris au conservatoire et garder le « bon ». Ils t’apprennent bien la rigueur.
Comme Guillaume et Jean-François étaient plus doués pour les études que moi, nous nous sommes un peu éloignés alors que je redoublais (manque d’enthousiasme, sauf pour les cours d’anglais afin de savoir ce que Lou Reed racontait sur « Rock’n’Roll Animal » …).
Mais Jean-François possédait un Revox et nous avons continué à nous voir chez lui pour enregistrer des idées de musiques, des rifs à la « Sweet Jane » avec le saxo (voir « Juste Besoin » sur l’album des « Modern Guy ») …
1976/1977 les Punks !
C’est en 1978, alors que je suis en terminale (D pour "Destroy "…) que Guillaume, qui a entendu une de nos maquettes, nous demande si nous voudrions rejoindre le duo qu’il a monté avec Yann Le Ker. IIs cherchaient un saxophoniste, Albin (basse) et Hervé (batterie) des « Stinky Toys » leur donnaient un coup de main en répétant avec eux. J’avais déjà entendu les « Stinky Toys » et j’avais vu jouer Hervé quelques mois avant, à un des premiers concerts punks à Paris. Ce soir-là il jouait avec « Angel Face » ou « Pain Head » soit les deux groupes composés de futurs « Suicide Romeo ». Donc c’était du sérieux !
C’était un Guillaume bien différent que celui que j’avais connu au Lycée que je retrouvais. Le vernis petit bourgeois imposé par le milieu dans lequel il avait grandi avait explosé. Il était journaliste au fanzine « Annie aime les Sucettes », où il avait rencontré Eli Medeiros et les « Stinky Toys ».
Les premières répétitions ont eu lieu dans le petit studio qu’habitaient Yann et sa copine, rue Godefroy Cavaignac à Voltaire. C’était un studio et on répétait avec l’ampli de guitare posé sur le lit. On s’est plu et tout de suite entendu : le tour était joué !
Plus tard, Albin étant pris par les « Stinky Toys, » nous avons insisté pour que Jean-François, qui se sentait plutôt guitariste, vienne jouer de la basse. A l’époque il portait une grande barbe noire, hipster avant l’heure, on l’appelait le "Rabin".
C’est Jean-François qui nous a présenté ensuite, Éric qui est venu jouer de la batterie. Éric était le fils de l’entraîneur de l’équipe de rugby dans laquelle jouait Jean-François : le PUC. Éric était plus âgé que nous, il faisait un peu figure de grand frère…
(Modern Guy en 1980, Philippe Ferin tout à droite - Photo Jean Baptiste Mondino)
Quels souvenirs gardes-tu de cette époque ?
Ce sont ces années qui m’ont construit musicalement ! Le monde était en pleine mutation après 1968. On avait 18 ans et on se prenait le mouvement Punk dans la gueule. On voulait être libres et nous avons dû apprendre à gérer cette liberté, avec des ratés souvent, car nous étions bien jeunes. Il y avait bien de la contestation à l’époque, dans les lycées entre autres, mais ça manquait de « fun ». On découvrait le Monde autour de nous, les bons trucs et ceux qu’on nous avait cachés…
Le Rock c’était notre politique pour la contestation, une façon de vivre ! Ne plus subir la « vielle éducation ». Guillaume y est allé fort, passant de « petit génie de la classe » en 6e à « génie malicieux » et dandy dilettante plus tard.
Après une terminale foireuse, je voulais étudier à l’école des Arts Décoratifs à Paris, la seule qui avait une option dessin animé en France à l’époque. Je me suis retrouvé dans une petite école de préparation au concours, près de la Bastille. C’était pratique pour se retrouver et répéter chez Yann. J’y ai rencontré des jeunes vieux hippies avec qui on a partagé des expériences « psychédéliques ».
Tous, dans les « Modern Guy », nous partagions les mêmes passions pour la musique mais aussi pour les arts graphiques : « Bazooka », « Malaval » … La littérature et les fanzines : Bukowsky, « Rock News », « Métal Hurlant », « Un Regard Moderne » … Nous étions aussi très à l’affût du mouvement et des autres projets qui se créaient autour du Rock en France avec ses liens, par le Punk, en Angleterre ou aux États Unis.
C’était pour nous une Nouvelle Vie. En 78 il y a eu l’exposition « Paris/Berlin » au musée Beaubourg qui venait d’être construit dans le quartier des Halles (Marquis de Sade, eux aussi ont dû y passer…). Dans le même périmètre il y avait les boutiques « Harry Cover », celle de la rue Quincampoix qui vendait des instruments de « folk » où répétait « Asphalt Jungle ». L’expo Kiki Picasso au forum des Halles, tout nouveau aussi où il peignait des toiles en direct, l’expo Malaval le peintre « glitter », juste après son suicide, au Musée d’Art Moderne…
(Yann Le Ker et philippe Ferin en concert avec Modern Guy en 1980 - Droit réservé)
Guillaume connaissait tout un demi monde de branchés. Il y avait un tas de fêtes où on se mettait la tête à l’envers comme l’on fait des milliers de générations de « bohèmes » avant nous. Nous rencontrions tout un tas d’allumés : des photographes, des égéries (Pauline Lafont, Anouschka…), des futurs couturiers, des acteurs en herbes et autres « hurluberlus » de nos âges (tu as peut-être entendu parler de Maldoror, de Maxwell…), le tout mixé avec la génération Jean-Pierre Kalfon, Marie France, Bijou, Pacadis qui faisait le lien. Cela pouvait tourner au « saccage » et être violent car il y avait aussi des « Hell’s » », des mecs virés des « Hell’s » (tu imagines…), des Skins, des Punks…
Et tout ça, on le mettait en musique. Secouez bien !
Et puis il y a eu l’ouverture du « Rose Bonbon », le rival du Gibus plutôt pour les punks de la génération 55 et le Golf Drouot pour les encore plus anciens. Le Rose Bonbon c’était pour nous, ceux nés en 60.
C’est là que nous avons rencontré « Artefact », « Suicide Roméo », « Tokow Boys » et « Taxi Girl », avec lesquels nous avons vite sympathisé. C’était exaltant de rencontrer des personnes avec qui nous avions les mêmes repères et les mêmes passions. C’était à la fois notre "café" et notre "atelier" puisque nous avons eu la possibilité d’expérimenter et de tester notre répertoire, comme un soir où il n’y avait que des Hell’s dans la salle, impassibles pendant le concert, criant « du Rock ! Du Rock ! » entre chaque morceau et tout d’un coup, se mettant à danser comme des « oufs » sur une reprise de « Louie Louie », et de nous former. Nous apprenions à jouer en direct devant un public pour ainsi dire. Nous avons pu y écouter des groupes venus de province comme les Dogs, Bijou les vieux de la vieille, des groupes anglais…
C’est au « Rose Bonbon » que nous avons fait notre premier concert en première partie de « XTC ». J’ai joué tous les sets (car il y avait la première partie mais aussi un ou deux sets dans la nuit) avec un trémolo dans la mâchoire tellement, j’avais le trac ce soir-là. Bon, la conviction y était tout de même et ça donné un petit côté ampli vox au son du saxophone. Ce soir-là il y avait tout le gratin venu nous voir. Dans les loges Pacadis qui chercher à faire la bise à tout le monde, Jacno des « Stinky Toys » qui se cachait pour ne pas avoir à faire la bise à Pacadis, Patrick Eudeline et Rikky Darling « d’Asphalt », Elli et puis « XTC » et leur équipe technique, des gars qui sonorisaient « Gong » à l’époque. Je me souviens qu’il y avait dans cette loge, une table dressée avec d’un côté des « pétards » puis des « cachetons » de plusieurs couleurs puis des « lignes » bien droites et enfin, à l’autre bout les traditionnelles bouteilles pour se déchirer la tête. C’était l’époque qui voulait ça…
(Programme du Rose Bonbon en 1978 - Droit rservé)
Pour nous, un concert c’était quand même un truc sérieux : une « célébration » ! D’où les « médiums » pour arriver à « voir le ciel », sûrement…
Il y a eu de très bons concerts car nous y croyions à fond : on jouait « avec nos tripes » et ça faisait passer les approximations. Jusqu’à maintenant j’ai toujours préféré jouer sur l’émotion suscitée que sur la technique musicale. Et c’est aussi pour ça que je n’ai pas cherché à gagner ma vie comme musicien, trop de contraintes alors que la musique, c’est sacré et cela doit rester du plaisir…
Tiens ! Un souvenir vite fait pour te situer l’ambiance. Ça vient de Jean-François, il pourra confirmer ! Comme nous devions jouer pour « Europe1 », sur un chapiteau et sous la tour Eiffel fin décembre 1978, la radio nous avez invitée à venir répéter dans leurs locaux. Le père de Jean-François aurait aimé que son fils prenne une autre direction professionnelle, alors pour tester les chances de son rejeton sur un avenir musical, il appelle un directeur de la radio. Le directeur lui a répondu : « Les Modern Guy ? Des petits cons qui se prennent pour des Divas ! ». Voilà !
Tu aurais dû voir Guillaume de sortie un soir dans les cafés de la rue de Rivoli, attifé d’un manteau de fourrure de Mamie qu’il venait de piquer au vestiaire. C’était ça, exactement ça.
Comment as-tu participé il y a 35 ans au projet GYP ?
Ce sont Yann et Pierre qui sont venus me demander si ça m’intéressait de venir jouer sur un répertoire qu’ils étaient en train de monter tous les deux à partir des titres composés à la séparation de suicide Roméo. L’idée, au départ c’était de jouer les morceaux en trio avec Yann au piano, Pierre à la voix et à la guitare et moi au saxo. Quand ils m’ont joué les morceaux ça sonnait "Wouhaooo « : cabaret expressionniste (comme dans l’expo Paris/Berlin). J’ai adoré !
(Philippe Ferin en studio au début des années 80 - Droit réservé)
Ensuite, il y a eu l’enregistrement !
Et comme tu sais, 35 ans après, j’ai revu Yann et Pierre qui me disaient qu’enfin l’enregistrement allait sortir et ils me demandaient de faire la pochette et là j’ai redis : Wouahooo !
Que gardes tu comme souvenir de cet enregistrement ?
L’enregistrement à Rennes ne s’est pas tellement bien passé. Il faisait froid, la ville était humide, grise et surtout, je commençais à ressentir le manque. La "poudre" avait fait son apparition depuis quelques mois dans le "milieu" (musiciens et "branchos " à Paris).
Ces problèmes de consommation avaient créé des tensions au sein du groupe. Ça faisait pas mal flipper Yann qui était le plus "pro" du groupe et le plus "lucide".
On avait dû faire deux ou trois répètes avec Yann et Pierre et une ou deux avec Jean-François, pendant lesquelles nous avons mis au point la seule partie enregistrée sur l’album. Donc, je manquais de préparation : les morceaux étaient, et le sont toujours, assez élaborés et ce n’était pas si facile d’improviser des parties de saxophone. Philippe Herpin s’en est très bien tiré de son côté. Malheureusement, je ne l’ai pas rencontré à l’époque mais j’aurais aimé jouer et sûrement, apprendre avec lui.
Je me sentais un peu comme un étranger entre Pierre, Yann, Franck Darcel, loin de Paris et sans le côté "dilettante décadent » des « Modern Guy » et de Guillaume.
Pourtant j’en voulais fort, j’y croyais (et crois toujours) à fond. J’aimais les morceaux, leurs compositions chiadées, leur côté expressionniste. J’adorais le jeu de batterie d’Hervé et Jean-François avait trouvé de belles lignes de basse, bien mélodiques. A l’époque c’était encore Pierre qui chantait. Je ne sais plus s’il y avait déjà les paroles de Guillaume sur les musiques.
(Philippe Ferin - portrait en 1981- Droit Réservé)
On a essayé une prise sur « Waterloo Sunset » et puis pof ! C’était plié, retour à Paris.
De loin en loin, après la séparation des « Modern Guy », j’avais des nouvelles des rebondissements du projet. Yann me faisait écouter des copies quand on arrivait à se croiser (à cause de la "drepou" dans mon cas…). Je trouvais ça, en bon amateur de Rock français, monsieur, je trouvais ça de haut niveau. La voix de Guillaume qui était au top, bien posée et profonde, loin du maniérisme du 1er album et les chœurs des Super Nanas, wouaouh !
Je l’ai fait écouter souvent à des potes ensuite et presque tous (à 90 %) m’ont dit que c’était du "bel ouvrage".
Quelles étaient tes influences (musicales) à l’époque ?
Je te l’ai déjà écrit, mais j’insiste car c’est important, tout ce que non découvrions nous intéressait, le cinéma (« Apocalypse Now »), la peinture et les arts graphiques, la photo : les Polaroïds pour ma part. Je retrouverai une année plus tard, Guillaume à Rennes car j’avais été invité à une expo collective et cela reste un bon souvenir).
Guillaume voulait faire du cinéma, il écrivait, je voulais faire du dessin animé, Jean-François, lui, aime la peinture, il a utilisé une peinture d’Olivia Clavel pour son premier Cd… Yann fait du montage vidéo. Nous avons travaillé ensemble, il n’y a pas si longtemps, pour un clip vidéo du groupe de Yann et sur un « Animatic » de long métrage d’animation sur lequel je travaillais.
https://www.youtube.com/watch?v=dG4oRpRGSUs
Bon, pour ce qui était des influences musicales : tout ce qui était bon à prendre, il en tombait de partout et tous les jours il y avait du nouveau : « Mink Deville », « Kraftwerk », les « B52’s », « Bowie » avec "Low", les « Cramps », « les Lords of the New Church », surtout les « Dexy’s Midnight Runners » pour les cuivres, d’ailleurs j’ai longtemps cherché après les « Modern Guy », à jouer avec un(e) trompettiste ou saxophoniste. J’ai même essayé de jouer du trombone pour un concert une fois…. La liste de nos influences serait trop longue …
Les anciens : le Rhythm’n’blues (Otis Reding, Sam Cooke), Chuck Willis et Little Richard pour les saxos. Le reggae bien sûr, le Rocksteady, Jimi, Ziggy, Roxy, Fripp &Eno, Kurt Weill, Erik Satie, Dave Brubeck, des musiques ethnographiques : chants indiens (plutôt Navajos, on en improvisait quand on était « bien faits »), chants pygmées et koto japonais… On était curieux de tout.
On écoutait et j’aimais beaucoup les autres groupes de Rock français : « Ici Paris », « Extraballe » (le 3e album, une merveille), « Artefact »t, « les Dogs », « Bijou », Les « Stinky Toys » (mais pas Elli et Jacno, beurk !), les « Go Go Pigalles » …
Leurs influences ont été encore plus fortes car nous jouions parfois ensembles et ça, ça te forme. A la fin de « Asphalt » et des « Modern Guy », j’ai beaucoup joué avec Rikky Darling. On répétait en plus chez des amis cinéaste de Pierre Clémenti dans le décor de Perceval. Ça aussi ça te "marque". Ces années-là, j’ai joué, avec les Amants, remplacé Daniel Brunetti une fois dans les « Tokow Boy ». On tapait souvent le bœuf en fin de soirée au « Rose Bonbon » avec « Artefact », Patrick Eudeline (Polly Magoo Fan Club !!!), Henri-Paul des « Intouchables »… Il y avait un "mouvement". C’était palpitant.
35 ans après le disque sort. Qu’est-ce que cela t’inspire ?
A la mort de Guillaume, on s’est tous retrouvés, changés, plus lucides (de mon côté j’avais arrêté l’héroïne et recommencé une nouvelle vie…) nous voulions rendre hommage à Guillaume et éditer des maquettes que nous avions enregistrées après le 1er album et un extrait de notre dernier concert avec Hervé Zenouda à la batterie (histoire de montrer que nous n’avions pas été que des petits "bras prétentieux"…).
Ces enregistrements avaient été faits sur des Revox dans notre local de répétition. Même si les compositions étaient intéressantes le son n’était pas énorme. Quant au morceau "live", malgré la "patate" il provenait d’une K7 enregistrée dans le public… Ressortir le 1er album ? Non ! Nous n’étions pas très contents du son.
Mais, il y avait bien les morceaux enregistrés à Rennes. Il y en avait aussi ceux enregistrés à Paris aussi, mais on préférait dire Rennes, c’était plus « exotique » pour des parigots comme nous…
Au moins, là il y avait là de quoi faire un bel hommage, un "son pro" avec des morceaux bien construits, bref, un bel ouvrage.
Toutes ces années à se dire mais "P…..! Quand est-ce que ça va sortir ? Rien que pour « l ’Art », le geste, la classe, sans penser au profit, et 35 ans après, tel Jean Valjean revenant en découdre, on a pu se dire enfin : "Ça y est !".
J’avais ressenti comme une " injustice" que cela ne se fit pas ! (P…..!, t’as vu comment je parle…).
En fin de compte, ce disque est un « cadavre exquis " avec les couches et les touches successives des musiciens, certains ne se sont mêmes pas croisés, mais qui ont posé leurs « pattes inspirées et talentueuses ».
(Pochette de l’album de GYP « s’il fait jour encore », réalisation Philippe Ferin - Droit Réservé)
Tu as fait le graphisme du disque. Il était important pour Pierre et Yann que ce soit toi, un acteur de cette époque qui la fasse : comment as-tu accueilli leur demande ? Que voulais tu faire passer avec cette pochette ?
J’ai accueilli la demande de Yann et de Pierre en faisant : « Wahooo ! » Depuis le temps que l’on se décarcassait pour que le disque sorte. Un disque dont on pourrait être fiers. Il fallait être à la hauteur
Connaissant bien les textes de Guillaume et les musiques de l’album, bien sûr que j’étais la personne désignée pour faire la pochette… Je rigole ! J’ai pris ça pour une marque d’affection, d’amitié et de respect pour ce que l’on a continué à partager ensemble, même si c’était de façon ponctuelle avec Yann et Pierre. On est des "quinquas " maintenant, on a pris du recul et je pense qu’on défend tous le projet pour les bonnes raisons maintenant, sans regrets, sans remords, la boucle est bouclée.
Pour l’ambiance de la pochette, je savais à l’époque que Pierre voyait un truc plutôt "germanique" avec le symbole du serpent qui se mord la queue (la boucle encore…). Il y avait aussi la contrainte des documents photographiques qu’ils mon remis : portraits de Guillaume, Yann et Pierre qui ne pouvaient être utilisés tels quels.
Il y a le thème et les paroles de l’album qui ont évolué au fil de sa construction. Chaque chanson est une porte de la vieille Europe. Ce côté nostalgique qu’il a dans « Berlin » de Lou Reed et « Paris 1919 » de John Cale avec un traité au crayon comme pour un carnet de voyages.
Laissez mijoter …..
Rajouter un clin d’œil au style "Bazooka", portraits et images décalquées rendues dans des tons un peu froids, Rennes et sa pluie grise (gris, rappelons-le qui était la couleur favorite des Suicide Roméo…), et on revient du côté germanique (Ach ! Ludwig !).
Et servir !
Tu continues la musique et si oui avec qui et sous quelle forme ?
J’ai travaillé pendant 18 ans dans le domaine dont je rêvais étant gosse, le dessin animé mais depuis 2003 je suis éducateur spécialisé en prévention toxicomanie dans le 18e arrondissement, j’ai passé le diplôme en 2010, (un genre de rédemption, je pense…). Je n’ai jamais lâché la musique car c’est ma "drogue" et ma « religion » Elle m’a soutenue dans les bons moments et ceux plus difficiles.
Comme la musique m’a aidé à sortir de l’addiction, j’ai pensé que ce qui a pu être bon pour moi pourrait l’être pour d’autres, alors j’ai monté il y a plus de 10 ans un atelier musique avec les personnes que nous recevions : crackers de Stalingrad, injecteurs de Sken, poètes de la rue Myrha… On a monté groupe le plus "underground " de France (d’Europe ?) avec de vrais morceaux de bandits à l’intérieur : « Les Bolcheviks Anonymes » !
Nous avons fait des concerts, la plupart du temps dans des associations partenaires comme « Emmaüs », des centres d’accueil pour usagers de drogues, le CASH de Nanterre où l’on rassemble les sans-abris de Paris, la plupart alcooliques, pour la fête de quartier de la Goutte d’Or… Le groupe issu de l’atelier qui comptait régulièrement une douzaine de participants (environ 80 personnes ont fréquenté l’atelier pendant ces années) c’était Les Bolcheviks Anonymes, un hommage aux alcooliques et aux narcotiques, mais aussi aux « Bolcheviks » …, Nous avons fait un premier cd qui couvre la période 2005/2014 et enregistré des morceaux plus récents en 2014/2015 pour un deuxième cd.
(Les Bolcheviks anonymes, Philippe Ferin en haut à gauche - Droit réservé)
Bon, tout ça pour te dire, que déjà en 1978 on expérimentait un truc. On était plus dans une démarche artistique (excuse-moi pour les grands mots…) que dans une recherche musicale, savoir jouer des solos de 20 minutes, être le plus rapide à la guitare…
De 1986 à 2007, j’ai participé à un projet de groupe « Les Hommes du Monde ». On a rencontré des tas de gens aussi !
La manière de faire de la musique a changé mais de plus en plus de gens jouent de la musique et il y a pas mal de bons musiciens. À l’heure où toutes les musiques sont téléchargeables gratuitement sur internet, que l’informatique nous permet d’avoir le studio d’enregistrement des Beatles dans la poche, il y de plus en plus de gens qui pratiquent. Et c’est plutôt bien !
Voilà sur quoi je travaille en ce moment. Comment jouer et créer quelque chose qui a du sens, original, authentique et sincère.
Je prépare des enregistrements personnels, un truc à la Phil Spector avec des saxos, des cuivres, des chœurs, des guitares à la Mick Ronson pour montrer à mes (futurs ?) petits enfants et je suis en train de monter un nouveau groupe pour jouer live mais dans un style plus dépouillé, plus Blues (avec un côté un peu « space » tout de même) et « Rock » (tout simple mais punch).
Il y a un peu plus d’un an, alors que je traînais sur internet à la recherche de nouvelles de groupes que j’avais aimé je suis tombé sur une répétition filmée des « Go Go Pigalles ». Je venais de me remettre au saxophone et je les ai contactés pour leur proposé de jouer avec eux. Ce qui fut fait… En plus, je joue la guitare rythmique et fait des chœurs. Ça leur a plu et ça a marché du tonnerre. Rien ne vaut un "fan" pour intégrer un groupe (voir Mick Taylor… Hé, je rigole…). Concerts en vue, je l’espère en 2017, sûrement à une soirée « Frenchy but Chic… »
(Philippe Ferin en 2016 - Photo Corinne Baud)
Nous organisons aussi avec des amis musiciens (de tous niveaux) des « Hootenannies ». Ce sont à la fois des scènes ouvertes et des ateliers où nous apprenons à jouer ensemble sur des grilles d’accords simples ou en improvisant, mais rien à voir avec les "Jams" de jazzeux. C’est ouvert à tous et à tous les styles musicaux. On fait ça dans des pubs, des bars ou des restaurants, c’est souvent accompagné de vernissages d’exposition. On en a fait une par exemple au Bois Dormoy, une friche en plein quartier de « La Chapelle » que nous avons squatté avec des habitants pour en faire des jardins partagés et un terrain de jeux.
Bref, je suis occupé musicalement !