Tu viens de sortir ton premier 7 titres « La chaleur animale ». Pourquoi 7 titres ? C’est un album ? Un Ep ?
C’est un mini-album. Au début, je voulais enregistrer 4 titres et au fur et à mesure de sa conception, de nouvelles chansons se sont invitées. Je n’ai pas su leur dire non.
Il a été réalisé de quelle façon ?
Tout a commencé en mars 2014, durant un week-end où dans un studio situé dans une maison en Seine-et-Marne, j’ai réuni Benoit Prisset à la batterie et Nicolas Puaux à la basse, afin d’enregistrer des basses batteries pour mes chansons. Puis dans mon studio j’ai arrangé chaque chanson l’une à la suite de l’autre. Quand un titre était fini, je le faisais mixer par l’ingénieur du son (Christian Sotomayor). Et je faisais ensuite réaliser un clip. J’avais passé une commande pour quatre clips au photographe et vidéaste Alain Astruc. Puis je le mettais en ligne sur Youtube.
(Jerôme Catel en concert au Wallrus en septembre 2018 avec Nicolas Puaux à la basse et Benoit Prisset à la batterie - Droit réservé)
Tu as aussi fait un crowfunding ?
Une fois 4 titres produits, j’ai lancé une campagne de crowfunding avec « Microcultures » ! Et comme ils sont aussi un label, ils m’ont proposé un contrat de licence suite à ce crowfunding. Ce qui m’a permis d’avoir un distributeur, « Diffr’ent art ». Le crowfunding était pour moi la seule façon d’avoir de l’argent pour pouvoir finir de produire le disque. Et puis, chez Microcultures, il y a aussi Bertrand Louis et Nesles qui y ont mené des campagnes de levée de fonds. Ce sont des gens avec qui je travaille, ça me semblait cohérent.
Tu sors en même temps un 45 tours. C’est par amour de ce format ?
Oui, totalement ! Si j’avais eu plus d’argent, j’aurais sorti un 25 cm plutôt qu’un CD… Je confesse un petit fétichisme concernant les disques vinyles. Depuis mon adolescence, je n’ai jamais cessé d’en acheter. Il y a eu un âge d’or à la fin des années 90 ou l’on pouvait trouver des disques incroyables dans les brocantes, à des prix inespérés. Je trouve qu’aujourd’hui le prix d’un disque vinyle est scandaleusement élevé.
Le noir et blanc de la pochette sont très présent dans ton univers, dans ce que tu véhicules en tant que personne et dans ton écriture qui est lumineuse et sombre, mais aussi littéraire et artistique. C’est un équilibre ?
La photo en noir et blanc est une idée de Christophe Lavergne de « Restez Vivant » (agence de graphisme Ndlr ). Il voulait produire quelque chose d’élégant et de sobre. La séance de shooting ne s’est pas passée comme prévu. Au moment du choix, nous sommes tombés sur cette photo prise de manière instinctive par Alain Astruc pendant une pause. On m’a un peu reproché de ne pas avoir exposé mon visage, attitude très anti-commerciale parait-il… et puis le noir et blanc c’est un peu la couleur de mes cheveux (rires) !
https://www.youtube.com/watch?v=BFcoOtRBlsU
Justement, ta pochette est très années 80, et tu as des harmonies de guitare, des arpèges qui sont très années 80, très pop indie. Cela vient de ta culture musicale propre à ces années ?
Alors là !! Gros chantier que celui de retracer un chemin qui ne serait pas sinueux dans la construction de ma culture musicale. Disons que parmi les choses qui n’en finissent pas de me nourrir, il y a cette période qui va de 85 à 95. Avant cette date, j’étais clairement connecté à d’autres musiques.J’aime beaucoup le jeu de guitare de Johnny Marr ou de Thurston Moore, le guitariste chanteur de Sonic Youth. Je suis très sensible aux climats qu’il déploie avec son instrument.
Tu es pourtant loin de Sonic Youth ?
Il y a des ouvertures, des libertés chez eux qui m’intéressent ! Dans ma pratique de la guitare, je suis toujours à la recherche d’un espace sonore, un territoire propice à accueillir un texte. C’est comme ça que j’appréhende mon instrument. Et que j’appréhende l’écriture d’une chanson. Et je reconnais cela chez Thurston Moore (Chanteur guitariste de Sonic Youth Ndlr) . Cela me parle très intimement. Après, c’est l’éternelle question : faut-il faire la même musique que les gens qui vous inspire ?
Tu as mis des titres assez anciens sur ce disque. C’est le fruit d’une longue maturation ?
En ce qui me concerne, l’acte d’enregistrement est très postérieur à celui de l’écriture des chansons. Et puis, il y avait un autre constat lié à la production d’un disque : je voyais autour de moi des musiciens qui passaient deux ans à produire un disque et deux mois après la sortie, il était oublié. Moi je m’étais mis comme objectif de sortir un morceau tous les six mois avec une vidéo et au bout de deux ans de sortir un maxi avec ces titres. Il y avait l’idée de bilan, avec un titre ou deux en plus. Je voulais faire exister mes chansons une à une, comme des singles, avec des vidéos pour faire des visuels. J’en ai sorti un en 2015 et après je n’ai plus tenu mes délais (rires.) Mais bon, j’en ai sorti quatre ce qui m’a permis de mettre en place le Crowfundig !
C’est donc une sorte de best of de Jérôme Castel ?
Mon testament, tu veux dire (rires !) Bon, j’ai beaucoup plus de titres et je travaille déjà sur le prochain disque que j’espère enregistrer au printemps.
« La chaleur animale » a été publié en mars 2018. Quel en est le premier bilan ?
Une attachée de presse qui disparaît au milieu de la période de promotion sans jamais redonner signe de vie, des diffusions radiophoniques, des rencontres. Un bilan tout en contrastes.
À l’écoute de ce disque, on songe aux premiers albums de Dominique A. Il y a de-ci de-là de petites « touches » qui rappellent parfois sa musique et son univers.
Oui, je ne vais pas cacher cette influence… Dominique A a été et reste un personnage important pour moi dans le paysage de la chanson française. La chanson « Corps de ferme à l’abandon » sur son avant-dernier disque est un chef d’œuvre.
Mais aussi Silvain Vanot pour les guitares.
Ça me va (rires), Sylvain Vanot a écrit quelques très bons disques. Que ce soit Sur les arbres ou dans les roseaux, je le suis avec plaisir.
Murat et Manset ?
Avec Jean-Louis Murat j’ai eu un rapport très contrarié, fait de méfiance et d’attirance jusqu’à l’album Dolorès qui soudainement m’a ouvert les yeux et permis d’accéder pleinement à son univers. Depuis… Quant à Manset, c’est un copain musicien, il y a 25 ans, qui m’a mis « La mort d’Orion » dans les pattes. C’est le genre de figure tutélaire à laquelle je reviens régulièrement.Le problème de Manset reste la production de ses disques. Dans les années 80 il a fait des choix esthétiques assez…. rudes, surtout concernant les guitares et les batteries, c’est parfois très limite. Elle a l’air sympa cette petite famille (sourire) !
Il y a aussi la thématique du chien qui est très présent dans ton œuvre, exemple avec ce titre, « Ton chien » ?
Tout est parti de cette Phrase « quand j’étais ton chien » qui m’est tombé des doigts sans que je sache trop comment. J’ai déroulé assez facilement l’histoire de cette relation très déséquilibrée entre deux personnes. Comme il arrive parfois (souvent ?) en amour. Et puis, le chien traverse assez régulièrement les territoires littéraires et musicaux que je fréquente, Fante, bougalkov, Tom Waits, les Stooges, les Rita Mitsouko. C’est une figure qui m’a toujours semblé un peu rock.
Tu cites Roberto Bolano comme référence littéraire ; qui a vécu comme un vagabond toute sa vie entre la France, l’Espagne et le Chili. Ton titre « Les rues de Valparaiso » vient de là ?
Je ne me suis pas encore totalement remis de la découverte de Roberto Bolano il y 8 ans, mais cette chanson n’est liée à lui qu’à travers le territoire qu’elle évoque. J’étais parti en Argentine avec ma femme. À Mendosa, nous avons pris un bus pour aller à Valparaiso. On est resté bloqué à la frontière Chili-Argentine parce qu’il y avait eu un séisme plus bas sur la route. Celle-ci avait été engloutie par la roche. Pour des raisons douanières et climatiques, nous sommes restés coincés 12 heures dans un poste frontière à 4000 m d’altitude. Et donc… on n’a jamais vu Valparaiso. C e qui pose la question suivante ; doit-on dévoiler la triste trivialité qui mène à une chanson ?
On dirait presque que la musique est un générique de Western ?
Oui, c’était mon intention. Très jeune j’étais très friand de western. C’est ma porte d’entrée dans le cinéma et aussi d’une certaine manière dans la musique. Je possédais quelques compilations de musiques de film en vinyles que j’écoutais en boucle : « Fort Alamo », « Rio Bravo », « La rivière sans retour », « Bonanza », « Les sept mercenaires », « Rio Grande », « La charge héroïque », les films de Sergio Léone. Bon… il y a quelques trucs bien pompiers quand on y réfléchit un peu, mais les musiques d’Ennio Morricone, la chanson « La rivière sans retour », « Johnny Guitar » sont des musts pour moi.
Il s’agit du morceau qui représente le plus ton envie de grands espaces, non ?
L’air ; l’espace dans la musique est quelque chose qui prend de plus en plus d’importance pour moi. En dans le cas « des rues de Valparaiso » je suis assez content du résultat. Les climats changeants de cette chanson se développent aisément parce qu’on y a laissé beaucoup d’air et c’est encore plus flagrant en concert.
https://www.youtube.com/watch?v=ttsCEUzAq4o
Il y aussi un instrumental minimaliste. « La chaleur animée ».
Je voulais amener un peu de lumière à la suite « des rues de Valparaiso » en contrepoint du climat orageux et poussiéreux de cette chanson. À partir de « Field recording » (des cigales enregistrées dans le Lot et aussi des singes hurleurs enregistrés en Guyane) et une nappe de synthé triturée dans Live j’ai construit ce morceau instrumental qui me permet d’articuler le disque, de créer un avant et un après. Sur vinyle ce morceau aurait clos la face A.
On peut donc faire un parallèle avec ta chanson « L’homme plante » et ton envie de végétal ?
Oui c’est une forme de renaissance ! La chanson vient d’une commande du festival « Musique et jardins » à Cahors en 2009. C’est un festival de jardins, mais aussi avec des plasticiens. La thématique c’était le voyage des plantes. C’est la seule chanson qui a survécu. Je suis, comme tout le monde, assez sensible à ce qui passe en ce moment avec l’environnement, mais je n’ai pas une vision très optimiste de la nature : je la trouve à la fois magnifique et très hostile. C’est une histoire de métamorphose et ce thème parcourt mon disque.
Tu es donc un urbain ?
Un urbain pastoral. C’est possible, tu crois ?
Ensuite, tu continues avec « La fille de l’été », comme si tu voulais retrouver la chaleur humaine ?
Je ne suis pas vraiment totalement arrivé à écrire ce que je voulais dans cette chanson. C’est l’histoire de deux collectionneurs : un homme qui collectionne les filles et une fille qui collectionne les hommes. Dans mon écriture, je me rends compte que je n’ai pas totalement réussi à faire exister ça. En concert, j’ai changé une phrase à la fin pour être plus explicite sur cette double vision. Dans cette chanson aussi il y a beaucoup d’espace et d’air. Musicalement, c’est une chanson qui a beaucoup évolué entre la version maquette, sous influence Blonde Redhead, et la version définitive. C’est la première chanson à avoir été mixée et clippée, en 2015.
Il y avait déjà tes deux musiciens ?
Oui, cela fait maintenant 4 ans que l’on travaille ensemble. Ils ont participé activement à la conception du disque. Nicolas Puaux à la basse et Benoit Prisset à la batterie. Nicolas Puaux a assuré une forme de direction artistique durant les enregistrements et les mixages.
(Jerôme Castel en concert au Festival Livre en Seine au parc Montsouris à Paris en juin 2018 - Photo Jean François Jacq)
Et maintenant, donc, qu’elle est ta position par rapport à tes musiciens ?
D’abord ce ne sont pas « mes musiciens » (sourire), ils m’accompagnent sur disque et sur scène et jouissent d’une assez grande liberté musicale. Je les laisse intervenir librement parce que j’aime ce qu’ils sont humainement et musicalement. Mais bien entendu je garde la décision finale. Ce qui est très excitant, sur scène, notamment, c’est que je n’ai pas la sensation d’être accompagné par des musiciens mais de faire partie d’un groupe. J’ai l’intuition que pour le public c’est une différence importante. Et pour moi ça l’est.
Tu veux dire que dorénavant tu te considères comme un groupe, parce que dans mon souvenir tu n’es pas un homme de groupe justement ?
Oui et non (sourire), mais les rôles sont assez clairs : j’amène les titres et à la fin c’est moi qui tranche.
Tu pourrais faire un projet parallèle avec eux sous un autre nom ?
Oui pourquoi pas, mais ce n’est pas à l’ordre du jour (rires)…
Vous avez une équipe avec vous ?
Absolument personne ! Ni managers, ni tourneurs, rien ! On fait tout nous-mêmes, comme beaucoup de monde.
« La chaleur animale », c’est la dernière issue ou la certitude qu’il n’y a pas d’issue envisageable ?
C’est clairement la possibilité d’une issue. Ce disque est traversé par le renoncement, la métamorphose ; le dépouillement et la perte. Que peut-il rester après tout cela ? Je voulais creuser cette idée d’un feu intérieur, primal, archaïque et intime au fond de notre humanité, qui pourrait être un refuge sensuel et la base de quelque chose de fraternel, dans le dénuement.
C’est un album à la fois lumineux et sombre ?
Un disque mélancolique, mais pas désespéré, un disque traversé par la fragilité, aux climats changeants (sourire.) J’ai le sentiment qu’il va nous falloir beaucoup de conviction, de ténacité pour défendre la possibilité d’être gracile et fragile dans le monde qui est là.
Jerôme Castel : « Chaleur animale »
https://jeromecastel.bandcamp.com/album/la-chaleur-animale
https://jeromecastel.wordpress.com/