Quand est né le label ?
Le label est né en 2009 mais ça fait longtemps que je fais de la musique, que j’étais dans des labels et que je sortais des disques .
Comment est née ta passion de la musique ?
Ça a commencé à Montreuil, où j’ai grandi, je suis tombé dans le Hip Hop à la fin des années 80. J’étais assez actif : c’est à cette époque que j’ai commencé à acheter des disques et que j’ai monté mes premiers groupes instrumentaux : On jouait un mélange de Hip Hop, de funk et parfois même de punk. C’était un peu la musique qu’on avait autour de nous à l’époque. A côté de mon collège il y avait l’Usine, le célèbre squat. Ils avaient une démarche sociale et étaient tournés vers les jeunes. Ils organisaient des goûters, ce genre de choses : des goûters organisés par des punks !!(rires). Il y avait des concerts aussi. J’y ai vu les Béruriers Noirs par exemple. J’aimais l’énergie qui se dégageait de ce genre de concerts et de ce lieu, mais la musique qui m’a vraiment construit c’est le Hip Hop.
Tu avais appris la musique ?
Mes parents m’avaient mis au conservatoire mais je n’étais pas branché par la musique classique. J’ai le souvenir d’avoir vu Dizzy Gillespie à Montreuil quand j’avais sept ou huit ans et ça m’avait profondément marqué. C’était sa période Jazz Funk. Il a fallu longtemps avant que de la musique me refasse un tel effet.
Tu écoutais de la musique black ?
En fait on ne le savait pas ! On savait que le rappeurs américains étaient noirs mais il y avait pas beaucoup de visuels. On écoutait ça à la radio ou quand un pote avait un disque. J’ai grandi en banlieue dans un univers où il y avait beaucoup de noirs, Africains et Antillais et de nord Africains. A Montreuil c’était comme ça : c’était vraiment un lieu cosmopolite, avec un côté village. On se disait pas « on écoute de la musique noire ». Mais cette musique (Hip Hop, Funk, Boogie) m’a construit musicalement parce qu’elle correspondait à ce que j’aimais.
Tu t’es investi dans le rap ?
Oui, j’ai commencé à acheter des disques à Paris avec l’argent de poche que j’avais. Peu à peu j’ai intégré le milieu du Hip Hop, j’ai commencé à faire des productions et c’est par les samples que j’ai découvert la Soul. Au début des années 90, les productions de Hip Hop ont commencé à changer. Des producteur comme DJ Premier, Large Professor ou Pete Rock sont apparus et ils ont commencé à sortir des productions avec des samples différents. De la Soul, du Jazz-Funk … J’ai voulu savoir d’où venaient ces sons. C’est comme ça que je suis tombé dans la Soul. J’y suis venu par le Hip Hop et pas comme d’autres qui y sont arrivés par les Mods, les sub-cultures anglaises ou d’autres trucs comme ça. Mon meilleur ami avec qui je fais le label a le même parcours : on est tombé dans la Soul par le Hip Hop !
Mais à l’époque il y avait une scène Funk en France avec la Malka Family, Juan Rozof, Made In Paris ou Human Spirit. Ça t’intéressait ?
Bien sûr, j’ai vu les concerts de ces groupes mais j’ai un problème avec ces artistes. J’avais l’impression qu’ils faisaient cette musique au second degré. Les concerts étaient biens, festifs, mais ce n’était pas satisfaisant : c’était que de la rigolade ! C’était inspiré du P Funk, de Prince mais pas vraiment de la Soul et surtout ils évacuaient toute la dimension dramatique et sérieuse pour ne garder que le côté festif. Quand j’écoutais du Parliament je trouvais une profondeur et un côté sombre qui disparaissait totalement dans ces groupes. Bref cela ne me satisfaisait pas ! J’ai toujours aimé que la Soul américaine ou le Funk soient des musiques pour danser qui mélangent la fête et la dureté du quotidien. Le Hip Hop français intégrait plus cette dimension que les groupes « funk » français du moment.
La plupart des gens ont fait le chemin inverse de toi : ils ont d’abord écouté de la musique comme le Funk avant de la sampler et toi tu es parti sur un chemin inverse ?
En fait j’ai toujours fait les deux en parallèle. Comme je suis instrumentiste, clavier et flute, j’ai toujours eu des groupes de jazz à côté. J’ai toujours pensé que les machines avaient un côté complémentaire : elles te rendent autonomes. C’est pas évident de faire un groupe. La production avec des machines t’aide à pouvoir être créatif sans te prendre la tête avec des musiciens. Et puis les machines ont un son particulier, ce sont des instruments.
Aujourd’hui,la manière de produire avec des machines a beaucoup changé : tu n’as plus besoin d’avoir une culture musicale pour produire. Tu as des boucles toutes faites que tu peux acheter. Moi, quand je produis aujourd’hui, je me sers de ma discothèque : j’ai 15 000 vinyles chez moi. Je me plonge dans mes disques et je peux passer plusieurs heures à trouver le son qui me plait, une caisse claire, un charley, un hit de cuivres. Je n’ai aucune banque de sons, c’est volontaire. Un producteur sur ses machines peut être comparé à un musicien qui cherche des accords, qui expérimentes différente manières de faire sonner son instrument. Aujourd’hui il y a des formules toutes faites qui font que c’est facile et rapide de produire, une bonne partie de la production mainstream calibrée Spotify finit par avoir le même son. Il faut aller chercher sur les disques plutôt qu’aller sur les banques de sons. Les meilleurs producteurs actuels comme Madlib, A.Younge, le crew Odd Future, les gars qui produisent pour B.Epps…, continuent à chercher des sons sur des disques, à utiliser des machines avec un grain particulier, à expérimenter.
Cela s’est passé comment cette découverte de la Soul ?
Déjà quand tu grandis en banlieue, tu entends du Funk et de la modern Soul. Les grands frères, surtout chez les magrhebins, ils en écoutaient beaucoup. Des trucs comme Odissey, Shalamar, Oliver Cheatam, du disco de chez Salsoul, du Westend… C’était la musique de club, de danse et ça tournait dans les postes. Ça forme ton oreille. Ensuite en écoutant du Gangstarr, du Big Daddy Kane ou encore du Pete Rock t’entends des trucs inédits à tes oreilles et qui te plaisent. Tu cherches à savoir ce que c’est. Tu te renseignes pour savoir d’où ça vient. Une fois que t’as compris que c’est du funk 70s, de la Soul tu cherches les disques. J’ai beaucoup acheté de disques aux Puces de Montreuil sans connaître grand-chose au début. Parfois c’était pas terrible mais parfois tu trouvais des trucs bien. J’ai constitué mon univers en regardant le nom des labels, je tirais les pelotes… Quand tu es jeune ça va vite : tu rencontres des gens, tu échanges des disques et rapidement ton intérêt pour la chose s’accroît. Tu veux faire pareil que les mecs que tu écoutes.
C’est quand tes premiers groupes de Soul ?
Avant de monter le label ! J’ai d’abord fait du R’nb : des productions de Hip Hop avec des chanteurs ou des chanteuses dans les années 90 mais à l’époque je ne connaissais pas de gens qui jouaient de la Soul. Il n’y a pas beaucoup d’instrumentistes alors des gens qui savent jouer un son « à la Al Green » c’est difficile à trouver. Ce qui dominait la scène groove française dans les années 90s était le « Fonk » (mélange de rock et de funk à la FFF, THC ou Vert Coquin) ou les trucs Acid Jazz dérivés de la scène anglaise (Taudy Symphonie, Mad in Paris…). Il n’y avait pas vraiment de Soul, on commençait juste à entendre parler des premières prods DESCO (qui allaient donner Daptone). A l’époque je faisais plutôt des groupes de Free Jazz et de Spiritual Jazz à La Sun Ra mais toujours avec un beat ou un groove. J’étais archi fan d’un disque du saxophoniste américain , Byard Lancaster (Funny Funky Rib Crib) sur un label français (Palm) que j’avais acheté un peu au feeling chez Boulinier. C’est en fait un disque rare devenu un gros classique qui m’a énormément marqué et compte toujours beaucoup pour moi. Il y avait une rythmique incroyable avec une énergie de dingue. C’est ce genre de musique que je jouais avec mes groupes d’alors.
Tu faisais quoi à l’époque ?
Comme je disais, je jouais avec mes groupes instrumentaux, je produisais du Hip Hop : j’ai fait un maxi avec Le Péril Noir (groupe d’Aulnay) sur Plug it Records avant de faire un album (Pic Nic premier choix). Je sortais des mixtapes sous mon nom de producteur de Hip Hop (Funk Crime) et je produisais des tracks de musique électronique à la DJ Shadow ainsi que mes premiers morceaux de House.
En 2009 tu crées Q-Sounds Recording ?
J’ai rencontré Chris Thomas en 1999 dans les locaux du label Kiff Recording qui était le label de Faster Jay (l’ancien DJ d’Alliance Etnik). Je cherchais un label pour mes tracks de musique électronique. Chris avait un label : Qalomota. Il venait de Sarcelles, donc lui aussi de la banlieue. Il produisait de la Deep House et Kiff voulait ressortir quelques-uns de ses premiers morceaux qui avaient bien marché. On a discuté en attendant dans les locaux et on s’est aperçu que l’on avait plein de points communs. Je lui ai proposé de passer à un de mes concerts au Sunset où je jouais avec mon trio de jazz funk quelques jours après. Il est venu, on s’est revu et vraiment on est devenu très proche. Il m’a proposé de sortir des maxi de House sur Qalomota, j’ai dit oui et voilà c’était la première phase de création du label.
Et ensuite ?
Pendant 10 ans j’ai produit plein de morceaux de House chantés, joués, c’était souvent presque de la Soul. Pendant cette période, je n’avais plus de groupe et ça me manquait. En parlant musique comme d’hab, on a constaté qu’il n’y avait pas de label de Soul en France. Comme on était depuis longtemps dans l’idée du « Do It Yourself », on a décidé de faire une division Soul sur notre label de House. J’ai rassemblé des musiciens. A cette période je produisait des tracks de House pour une chanteuse américaine de Miami :Chynna Blue. Elle était venue en France pour faire de la House. Un jour je lui ai fait écouter des morceaux de Soul que j’avais composés et qu’on avait enregistrés rapidement avec les musiciens. Elle a adoré. C’est comme ça qu’on a sorti les premiers 45t de Soul sur le label Q-Sound Recording. Le Q c’est un clin d’oeil à Qalomota. Q-Sounds Recording était au tout début une division Soul de notre label de Deep House.
Dès le début vous êtes associés à une scène sixties et dans ton catalogue il y a les Waves Chargers et Sheetah & les Weismuller, deux groupes de rock. Vous n’êtes pas sectaires ?
(Rires) Non pas vraiment, si un truc nous plait et qu’on a les thunes, on le sort. Il se trouve qu’effectivement ce n’est pas vraiment de la Soul (en tous cas pour ce qui est des Waves Chargers). On a donc créé une subdivision spéciale pour les disques qui ne sont pas de la Soul mais qu’on aime bien (Jeune et Sauvage) ! j’ai toujours aimé plein de musiques qui ont un lien de parenté avec la Soul comme le Freakbeat anglais, le jazz ou même la Surf Music. Voilà pourquoi on retrouve ces groupes chez nous.
En ce qui concerne Sheetah et Les Weismuller, je considère leur album comme un grand disque de Soul en français. On est assez loin du rock 60s tendance psyché qui a nourri leurs deux premiers disques.
Ça ne vient pas du fait que tu aies connu l’Usine de Montreuil et toutes les musiques qu’il y avait que tu sors ce genre de production ?
Peut être, c’est difficile à dire. Il est vrai que j’ai toujours eu un certain intérêt pour le Punk ou certains groupes de Hardcore. Mais plus des trucs comme les Sex pistols, Black Flag ou Bad Brains. J’étais pas trop fan de l ’alternatif français à part les Bérus du début, Oberkampf ou Métal Urbain. Alors peut être effectivement que c’est cette énergie associée au rhythm’n blues que j’ai aimée en découvrant le garage anglais, puis américain ou encore certains trucs de Surf ou de psyché. Mais le cœur de tout ça reste la Soul.
Mais pour le grand public, la Soul c’est la Tamla Motown ?
Je pense que pour le grand public français, la Soul commence avec « What’s going on » de Marvin Gaye. La plupart des gens pense que le premier disque de Curtis Mayfield date de 1970 !! C’est pour ça qu’on nous associe aux Mods et à certains fan de Garage. Ce sont les seuls ici qui avaient et ont encore une vraie culture Soul. Si seulement le grand public connaissait vraiment Tamla Motown ce serait génial. Ils en ont bien souvent une connaissance très limitée et caricaturale. C’est un label incroyable en terme de production, de songwritting et de créativité.
Pourtant c’est la musique qui a créé le rock ?
La Soul et le Rock sont liés. A la fin des années 50, tous ces genres (Rock’n Roll, R’nB, Soul) sont très très proches musicalement. J’ai remonté le temps. C’est ainsi que j’ai tout redécouvert ! Je ne suis pas tombé dans les trucs anciens directement. J’ai commencé par le Hip Hop, puis j’ai découvert le Jazz Funk, les Rares Grooves, toutes ces prods du début des années 70. Ensuite j’ai écouté des morceaux de la fin des années 60, puis comme j’aimais, j’ai tiré des fils et je suis arrivé au Rock’n Roll. Comme tout bon fan de Hip Hop de la fin des années 80 je pensais que le rock c’était naze. Il fallait s’affirmer et donc être radical. Dans notre musique actuellement il y a tous ces ingrédients, c’est peut être à cause de ça, que quand on joue, on nous dit souvent « vous ne faites pas de Soul mais du rock … mais c’est faux ! ».
Pourquoi ?
Parce qu’on fait trop de bruit ! On joue fort ! La scène française est très « Nu soul posée » ! C’est « je bois un verre en écoutant des trucs un peu lounge ». Elle ne transpire pas beaucoup la scène nu soul française. En plus on associe bien trop la Soul au Jazz. Le résultat c’est que souvent ça ne bouge pas ou alors on passe dans le funk avec des groupes comme Malka Family, Big Hustle… et là c’est encore différent. Mais ce n’est pas de la Soul.
Est-ce que la Soul n’a pas un côté très « cultivée » ?
C’est comme ça qu’elle est perçue quand on l’associe au jazz ou au côté sophistiqué véhiculé par toute l’imagerie « black vintage ». En vrai, la Soul a un côté très trivial et premier degré. Elle colle à la vie des gens. On a du mal à voir la Soul comme une musique populaire avant tout. C’est très français. On ne retrouve pas du tout cette dimension lorsqu’on joue en Allemagne par exemple. C’est peut-être pour ça que bien que nous ayons produit énormément de disques, on n’a jamais eu de retour de la presse.
Qu’est-ce qui vous manque ?
Il nous manque un soutien des médias. On ne nous calcule pas en France, ce qui n’est pas le cas en Allemagne ou en Angleterre par exemple. On joue souvent en Allemagne, Pays Bas, Suisse… mais relativement peu en France. On n’a pas le budget pour un attaché de presse la plupart du temps. On n’a pas de booker sur le territoire français, donc on ne joue pas dans les Smacs. On n’a pas de subventions, peu de contacts pour jouer avec des grands noms. En Allemagne, par exemple, on arrive à tourner dans des clubs qui n’existent pas en France et surtout on joue dans les mêmes salles que les grands noms du genre. Ça n’est n’est pas normal. Mais on continue d’avancer. On a gardé l’esprit du Hip Hop du début, on s’est saisi du « Do it Yourself » des Punks et on l’applique à la Soul. Malheureusement, la scène Soul française n’a pas un fort esprit d’initiative : on préfère les groupes qui font des reprises. Imaginerait-on une seconde dans un pays autre que la France que les groupes de Soul à l’affiche soient majoritairement des groupes de reprises ? Dans ce cas, on n’aurait jamais eu de Sharon Jones, Charles Bradley, Joy Denalane, Dojo Cuts ou encore Nicole Willis… Ça en dit long sur l’état d’esprit de la scène française et de tout son écosystème de médias et promoteurs de concerts.
Cette musique n’a pas un côté trop élitiste avec des gens qui aiment montrer leur culture « Tamla Motown » ?
C’est sûr qu’en tenant compte de ce que j’ai dit avant, les vrais amateurs de Soul en France sont peu nombreux et pourraient facilement se croire au-dessus du lot et développer un comportement élitiste. Chez Q-Sounds on est à l’opposé de ça et au contraire on veut que la Soul soit considérée comme une musique populaire. En banlieue les gens ont surtout écouté du funk, et de la modern Soul. C’est malheureusement moins le cas aujourd’hui. Dans le Nord il y avait une vraie culture Soul populaire dans les années 70 avec le Popcorn, pendant local et plus lent de la Northern Soul anglaise très populaire chez les immigrés Magrébins et italiens qui ont aujourd’hui autour de 70 ans et continuent d’écouter cette musique.
Il y a donc un public Soul en France ?
Il y a un petit public Soul en France, mais il est morcelé (Les mods vieillissants, les amateurs de néo soul, les collectionneurs de rare groove, les kiffeurs de Soul afrofuturistic cloudy etc…) et peu actif. J’aimerais que tous ces gens qui ont beaucoup plus en commun qu’ils ne le pensent, se retrouvent pour faire vivre la musique qu’ils aiment en montant des groupes (pas de reprises please ! ) en organisant des concerts (qui transpirent !…), des soirées…. en n’attendant rien d’autre que le kiff de savoir qu’on investit son temps (et parfois son argent…) parce qu’on a quelque chose à défendre. Quand on faisait du Hip Hop au début on ne calculait pas, on était des activistes, on l’aurait fait avec ou sans argent, avec ou sans moyen, …Avec Q-Sounds on fait pareil aujourd’hui, même si j’ai 50 piges passées. On est des activistes de la Soul.
Chez Q-Sounds Recording nous avons toujours eu cette volonté de créer une scène française avec sa propre identité par rapport à la scène américaine. Elle a quelques racines ténues qui plongent dans les tentatives de Soul ou de R’nB locales des années 60s (Herbert Leonard, Eddy Mitchell, Davy Jones, Jo Tongo, Allan Shelly, Fernand Bonaz, Tienou, Nino Ferrer, Les Princesses etc…)
Mais les Français ont un problème avec le groove ?
Non, pas avec le groove mais avec la pop (au sens de musique populaire et non comme genre). On aime trop la chanson française, on a du mal avec la musique qui a peu de paroles et sur laquelle on danse. Je pense qu’on est imbu de notre culture. Je n’aime pas Brassens ou Leo Ferré et quand j’entends des types qui te sortent que Brassens est le premier rappeur… on se fout de qui ? En même temps ce genre de déclaration (très courante, y compris dans la bouche de certains rappeurs français vieillissants) te montre à quel point on a encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’avoir une vraie culture pop française.
On revient sur votre label : ce sont les mêmes musiciens qui tournent avec plusieurs groupes, pourquoi ?
On voulait faire ça : on est musiciens et producteurs. On participe à l’aventure créative pour créer une scène Soul en France. Beaucoup d’artistes américains, de Djs anglais ou Européens nous disent que nous avons notre propre son et pour nous au-delà de valider notre travail, c’est capital. Agir comme une équipe, une famille participe de la création d’une forte identité sonore et stylistique.
En quoi est-il différent ?
Notre son est lié à nos parcours. il est élaboré en France avec tout ce que cela comporte comme particularités, forces, faiblesses. On est nourris de musique américaine mais on n’essaye pas de copier. Il y a beaucoup de groupes de Soul en France qui font juste de la redite. Nous, on a nos propres influences avec notre terroir : la Seine Saint Denis.
Vous pouvez donc incorporez toutes ces influences ?
C’est totalement inconscient de notre part. On n’a pas besoin d’y penser pour que cela se produise. C’est comme la terre qui fait le goût d’un vin. C’est parce qu’il grandit à un endroit précis déterminé par ses particularités géologiques et climatiques qu’un même cépage ne donnera pas le même vin en différents endroits du globe. Par contre c’est vrai que nous voulons que certains de nos groupes chantent en Français.
Justement, on dit que le français ne sonne pas pour ce genre de musique ?
J’ai fait partie de la génération qui a vu arriver le rap en français et aujourd’hui ça ne choque plus personne. Il y a des rappeurs qui sonnent bien en français et d’autres non. Notre problème, encore, c’est le problème que nous avons avec la pop. En vrai, un grand chanteur est capable de chanter « je t’aime mon amour » sans avoir l’air con ! J’ai du mal avec le fait que l’art soit réservé à une élite : on doit être écouté et être accessible à tous. Est-ce que les Américains se posent la question lorsqu’ils chantent en anglais ?
Il y a combien de groupes sur le label ?
Il y en a quatre actifs en ce moment. Principles Of Joy est le fer de lance du label, avec un répertoire personnel qui envoie vraiment sur scène. C’est de la Soul post Hip Hop (comme tous nos groupes), un mélange de Northern Soul et de mid tempos puissants… C’est un répertoire pour lequel je me dis souvent « ça je le samplerais bien ».
The Vogs ?
C’est le groupe qui a le moins de musiciens en commun avec les autres. Sur leur nouvel album, le chant est en Français. C’est le groupe qui prend le relais de ce qu’ont fait Little Clara et les Chacals. Ils perpétuent une Soul en français héritée des tentatives 60s.
Tu es dans tous les groupes ?
Oui, je compose et je joue du clavier et de la flûte dans tous les « groupes maison » du label.
Laura Llorens and the Shadow of Love ?
Laura une chanteuse originaire du Wisconsin qui vit en France depuis plus de 15 ans. Je l’ai rencontrée un peu différemment des autres. Elle nous a démarchés. Elle est venue nous voir en nous emmenant le vinyle qu’elle avait sorti. Elle faisait plus de la folk/Country avec un petit côté Soul. Elle chantait bien et écrivait bien, mais son disque ne me plaisait pas. Je le lui ai dit et ça l’a intriguée. Mais on a bien accroché et elle nous a donné carte blanche pour donner une dimension Soul à sa musique. On a tout remanié avec les musiciens du crew et maintenant elle fait vraiment partie du label. Il y a beaucoup de musiciens en commun avec Principles of Joy dans son band.
Et enfin les King Dukes ?
Oui, des musiciens anglais qui ne sont pas actifs en ce moment (Ils pouponnent). C’est un groupe de Bristol et c’est rare que l’on signe un groupe que l’on n’a pas produit. Même nos sorties « Garage » on les a enregistrés. Les King D on les a kiffé tout de suite : du bon r’nb anglais franc du collier qui sent bon les working class et les pubs bondés.Un truc qu’on n’aurait pas été capables de produire (c’est culturel…) mais qui s’intégrait parfaitement à l’esprit Q-Sounds . On a dit oui tout de suite quand ils nous ont démarchés !
Il y a eu un groupe important c’est Little Clara et les Chacals ?
Oui, c’est une histoire intéressante. Clara et Florence la chanteuse des Adelians, je les ai eues comme élèves. J’avais un atelier de musique dans mon collège à Bobigny. Florence pour moi, c’est la plus grande chanteuse Soul de sa génération. Elle a arrêté à cause de l’Eglise. C’est une chanteuse incroyable, c’est mon grand regret. Quand on a enregistré son disque, elle avait 19 ans et elle n’avait jamais enregistré de sa vie. Je l’ai repérée direct. Clara qui a le même âge voulait aussi absolument chanter. Elle a commencé en faisant les chœurs avec Radek Azul Band. Comme elle était très motivée on lui a écrit un répertoire en Français, parce qu’en anglais ça le faisait pas mais alors pas du tout. Un jour j’ai eu un déclic. J’écoutais du Nancy Holloway et je me suis dit que c’était ce genre qu’elle devait faire. Elle avait une vraie signature vocale. On a produit un 45t avec deux reprises de Nancy Holloway. On a tiré 100 copies et tout vendu en deux jours. C’est comme ça qu’on a découvert qu’il y avait une vraie scène Popcorn dans le Nord.
Vous enregistrez en analogique ?
Oui. J’aime travailler sur bande. Cela t’oblige à choisir et à savoir jouer en groupe. Tu n’as pas la liberté du numérique où tu peux tout recommencer. Tu dois choisir une direction artistique forte dés le départ.En plus de ça, la bande t’apporte un son que l’on apprécie particulièrement sur les rythmiques et les voix.
Vous faites aussi très attention à votre image : vous avez un très bel artwork !
Merci beaucoup, c’est moi qui crée quasiment tout (rires) ! C’est capital pour nous d’avoir un artwork cohérent. La Soul est une musique élégante avec des gens bien habillés. Tu transpires en dansant mais en costard. En banlieue, d’où on vient, on s’habille classe pour sortir. C’est un truc propre à la musique populaire de bien s’habiller pour sortir. J’adore peindre et dessiner. Je suis un collectionneur de disques et les pochettes ony toujours été importantes pour moi. J’ai déjà acheté des disques uniquement sur leur pochette. J’évite de mettre trop de graphisme. Une belle photo, un beau lettrage et voilà, tu as une belle pochette.
Vous avez des distributeurs ?
En France on a Baco, qui nous permet d’avoir une existence officielle. On peut ainsi être présent dans les grands magasins comme la FNAC ou CULTURA. Mais ça reste compliqué d’être bien distribué au niveau local. Il y a quelques magasins spécialisés où on vend en direct et sinon on vient de signer avec un distributeur allemand (Broken Silence) pour l’Europe.
Vous êtes associés à la scène Mods et Sixties. Vous êtes à l’aise avec ça ?
Oui, mais je ne me considère pas comme un Mod (ce serait une usurpation, je n’ai pas de légitimité en tant que Mod !). j’aime les Fred Perry et les beaux costumes, mais en France cette scène est parfois un peu trop revivaliste pour moi. C’est moins vrai avec la scène Mod Allemande qui est très active et ouverte sur les développements contemporains de la Soul (y compris sur le Hip Hop !). J’aime le style des Mods. et on aime pour une bonne part la même musique. J’aimerais juste qu’en France ils viennent plus à nos concerts.
Vous faites des soirées du label ?
Régulièrement. On en fait une à la Péniche Métaxu à Pantin, ça s’appelle « + DE SOUL ! », mais comme on n’a pas trop de moyens pour la promotion on n’attire pas assez de monde à notre goût. On va reprendre au printemps et on espère que le bouche à oreille fera son taff.
Vous pourriez faire de la musique à l’image ?
Si tu parles d’illustration sonore, on a une série sur le label qui s’appelle « Music For » et qui s’inscrit dans le genre très prisé des diggers de la Library Music. On adorerait faire une bande originale, ce serait top, mais on n’a jamais eu l’opportunité… (d’ailleurs si quelqu’un lit cet article et veut une musique pour son film, on est là !)
Vous êtes présent sur les réseaux sociaux ?
On publie tous les jours, sur Facebook et Insta ! On essaye de faire au mieux avec nos moyens. Christelle (Auteure et mélodiste de la grande majorité des répertoires du label) s’occupe des réseaux. On est reconnus et bien suivi s en Allemagne et en Europe en général, mais en France beaucoup moins !
Ce n’est pas dur parfois ?
Ce qui m’énerve le plus c’est de se dire que quand on aura arrêté à force d’épuisement, tout le monde se réveillera en disant « c’était mortel, j’ai toujours adoré ! ». On se fout des hommages posthumes, on veut un soutien maintenant ! Franchement on se demande comment faire parfois. Même la presse spécialisée nous boude ! C’est à ne rien y comprendre ! Donc oui c’est un peu dur. Mais l’adversité ne nous fait pas peur, on est un label de Seine Saint Denis et si en grandissant dans le 93 (ou en banlieue en général) tu n’as pas appris à faire face à l’adversité c’est que ces années ne t’ont servi à rien … Mais j’avoue que les musiciens du label sont souvent affectés par ce traitement injuste auquel ils font face.
La Soul est souvent associée à une musique religieuse !
C’est une des grandes différences entre nous et les américains. 90% des artistes américains sont formés par le gospel, ce n’est pas le cas ici. C’est aussi ce qui explique qu’il y a un vivier de chanteurs et chanteuses incroyables là-bas. A titre personnel j’aime le Gospel en tant que genre (la Soul en découle en grande partie), on retrouve dans la ferveur religieuse de certains enregistrements une force et une authenticité que peinent à égaler certaines des meilleures productions Soul. Mais sinon, la religion me gonfle. Je trouve que ça fait plus de mal que de bien.
Quels sont vos projets ?
On vient de sortir un album de librairie musicale : un groupe de Hambourg appelé Lambda 77. Ce sont des musiciens qui sont dans des groupes réputés en Allemagne (Mighty Mocambos, The Winston Brothers). On adore la librairie musicale en bons diggers que nous sommes. Il y a aussi un album des Vogs qui sortira en Février 2023, un super bon disque chanté à 80% en Français. Au printemps enfin, sortira le nouvel album de Laura Llorens & the Shadows of Love qui est un grand disque de Soul.
Vous avez votre propre studio ?
On enregistre très souvent chez un ami dans l’Yonne : Tom VDH. C’est un super ingé son qui a produit beaucoup de maxis sur Qalomota sous le nom de Rufuss. A côté de ça, avec Jérôme, le bassiste de Principles Of Joy, on est en train de se créer un studio plus près en complément. On vient d’acheter une grosse table analogique.
Le mot de la fin !
J’aimerais que l’on soit soutenu sur notre territoire par les journalistes musicaux, les médias spécialisés. BuzzonWeb est seulement le deuxième média français (après Star Wax Mag) à faire un article de fond sur notre label en presque 15 ans d’existence et plus de 45 disques à notre back catalogue. Ça me fait de la peine tout ça, surtout pour les musiciens du label qui n’en vivent pas et investissent beaucoup de temps pour la musique. J’ai donc envie de dire aux journalistes :
« Hey les gars, parlez de nous, rassurez les bookers, les salles, en montrant qu’on est là. C’est de votre responsabilité. Sans ce soutien nous finirons par disparaître, inexorablement… »
Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’amener vers la Soul, je pense que ce serait n’importe quel disque de Q Sounds-Recording ?
(Rires) Je suis d’accord
Un grand merci à Gérald Chabaud
https://www.qsoundsrecording.fr/
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https://gerald-chabaud.book.fr/galeries/the-vogs-q-sounds-recording/
https://gerald-chabaud.book.fr/galeries/the-principles-of-joy-q-sounds/
https://gerald-chabaud.book.fr/galeries/the-supertights-q-sounds/
https://gerald-chabaud.book.fr/galeries/laura-llorens-the-shadows/
https://www.qsoundsrecording.fr/