Laura Llorens : une vie en Soul Music

mercredi 31 mai 2023, par Franco Onweb

Toute la musique qu’elle aime, elle vient de là, elle vient de la Soul ! Voilà comment on pourrait présenter Laura Llorens. Cette américaine d’origine vient de sortir un splendide nouvel album avec son groupe The Shadows Of Love, chez Q Sounds, le label obligatoire de Soul Française : « No Love, No Peace » . Un disque qui montre toutes les prouesses vocales de la dame mais aussi l’incroyable talent de cette pépinière qu’est Q Sounds. On est ici dans une musique qui fleure bon les années soixante et soixante-dix, on parle ici d’Isaac Hayes ou autres talents de dette époque, une Soul comme on l’aime : brute et dansante !

Pour en savoir plus, j’ai discuté avec Laura Llorens sur le parcours atypique de cette chanteuse de Soul.

Peux-tu te présenter ?

Je suis américaine, je viens du Wisconsin, une région très américaine près du lac Michigan avec beaucoup de Country Music, de grands espaces... Petite j’écoutais beaucoup de rock et de folk avec mes parents. Au lycée, j’ai eu la chance de faire un échange scolaire et j’ai eu la chance en 2000 et 2001 d’être à Rennes en Bretagne. C’était incroyable pour moi. Suite à ça je suis venu définitivement en France en 2002.

Laura Llorens
Crédit : Gérald Chabaud

Tu viens d’une ville à côté du lac Michigan, qui est à Chicago. Pour nous c’est la ville du blues. Est-ce que cela t’a marqué ?

Bien sûr, c’est vraiment la couleur locale le blues, la gospel… C’est partout aux USA. J’adorais écouter du sax à la télé et un jour j’ai entendu Clarence Clemons, le saxophoniste du E Street Band, et ça a été une révélation. Suite à ça à neuf ans, j’ai commencé le saxophone que j’ai étudié très sérieusement pendant une dizaine d’années, tout en continuant à chanter. Mais vers 15 ou 16 ans, j’ai voulu me consacrer au chant et j’ai posé mon saxo, pour m’y consacrer. J’étais très inspirée par le blues qui était partout présent.

Tu as fait des disques en France avant tes albums sur Q Sounds ?

Oui, j’ai fait trois disques auto-produits sous influence du folk avec des titres que j’ai commencé à écrire en 2003 en région parisienne. Je suis autodidacte à la guitare et comme j’avais des peines de cœur, j’écrivais des petites chansons, un peu à la Joni Mitchell ou Joan Baez. J’adorais leur écriture, leur manière de chanter leurs propres sentiments. J’ai fait un premier EP en 2010, ensuite un LP auto-produit en 2013 et un vinyle en 2015. Tout ça sur influence folk avec comme inspiration la foi, l’amour et le désir d’être une femme libre.

Tu faisais des concerts ?

Bien sûr, j’étais seule sur scène et je faisais souvent deux concerts par soir. J’ai aussi chanté dans le métro pendant 10 ans. J’ai été certifiée musicienne de la RATP. J’avais ma carte suite à mon audition et de 2005 à 2015, j’allais presque quotidiennement dans le métro pour chanter et gagner ma vie. C’étaient mes années à Paris. Je voulais vraiment réussir et être vue. Je faisais des concerts seule ou avec un percussionniste brésilien à Paris. J’ai joué en Bretagne, j’ai même organisé une petite tournée seule aux USA (rires). Je me disais si je veux, je peux ! En 2017, je voulais faire un nouvel album mais plus seule : je voulais une équipe et un label.

Et tu as rencontré Q Sounds Records ?

J’ai eu l’occasion au JIMI de rencontrer Ludo (fondateur, compositeur et musicien de Q Sounds NDLR) très vite, à un speed meeting. Je voulais le convaincre. Je lui ai donné un vinyle que j’avais fait. Il m’a dit « tu as fait ça ? Cool » (rires).

Tu rentres dans un label Soul. Ta musique va alors aller vers la Soul.

Cette musique a toujours été là mais je pensais que je n’avais pas assez de voix pour ça. Je chantais plutôt folk et quand Ludo m’a proposé cette direction, j’étais ravi mais il a fallu que je travaille ma voix.

Quand on écoute ton disque, on sent que la Soul est vraiment ta musique mais tu as fais un gros changement dans ta musique ?

Complètement mais c’est vraiment l’aventure pour moi. C’est un challenge, surtout que j’ai dû abandonner pas mal de mes repères musicaux. Par exemple, je ne joue plus de guitares sur scène alors que je me suis accompagnée avec durant une dizaine d’années. Ludo m’a prouvé que j’étais une chanteuse et pas une guitariste, donc j’ai laissé quelqu’un jouer de la guitare à ma place. Aujourd’hui, je fais ce dont j’ai rêvé : « faire ma diva sur scène ! »

Mais être sur Q-Sounds qui est un label avec un compositeur et des musiciens qui jouent dans différents groupes du label, ne t’a pas trop surprise ?

Non, j’ai assisté à un concert du label et j’ai vu qu’ils avaient vraiment un son et je connais pas d’autres labels qui ont un son à eux. Cela m’a rappelé Stax ou Motown. Ils ont un son, ils jouent ensemble dans plusieurs groupes, ils se connaissent et il n’y a rien de plus précieux que ça pour une chanteuse à voix, d’avoir des gens qui se connaissent aussi bien. Je n’ai à m’occuper de rien. Je me repose sur eux, … C’est super positif !

Tu as fait un premier album avec Q-Sounds en 2020. Comment cela s’est-il passé ?

C’était un album concept, comme je l’ai proposé à Ludo. Je venais de fêter la moitié de ma vie en France et l’autre aux USA. Je voulais écrire un album mi anglais, mi Français et donc j’ai traité le sujet de savoir où est chez moi ? D’où tu viens ? Mais l’album est sorti au mauvais moment avec le Covid et j’ai eu beaucoup de déceptions : je n’ai pas fait beaucoup de concerts par exemple… Mais maintenant on se rattrape (rires).

Laura Llorens avec une partie des Shadows of Love
Crédit : Gérald Chabaud

Tu as pu un peu jouer ?

Un peu mais l’album est sorti le 6 mars 2020. On a réussi à jouer en région parisienne et dans le perche. On a joué au Sunset, à la Pêche à Montreuil, à la Boule Noire… On est resté en France et j’espère aller jouer aux USA.

Ce n’est pas paradoxal qu’une américaine qui vit en France aille faire de la Soul aux USA ?

Non, je ne pense pas. Pour te répondre je te dirais qu’il y a longtemps je me suis intéressée à la musique Malienne. J’ai appris le chant et la danse des Griots. Cela m’a appris que la musique n’a pas de frontières. Pendant ce stage j’ai vu des Japonais qui réussissent à être parfaits dans ce domaine, pour interpréter et chanter dans les langues parlées au Mali. La musique est universelle !

On va parler de ce nouvel album. Pourquoi il s’appelle « No Love, No Peace » ?

C’est une proposition de Christelle (Amoussou, songwritter et co responsable de Q-Sounds, NDLR). Même si j’ai écrit toutes les chansons, je connais très bien son travail d’auteure et pour la première fois je n’avais pas de titres pour cet album. On échangeait pour la thématique du disque sur le thème « War and peace ». C’est la guerre partout : aux USA, ici en Europe, en Afrique… Mais il y a aussi cet amour qui pousse, avec notamment ce mouvement « Black Live Matters » qui met en avant l’amour pour l’être humain. Je trouvais qu’avec le combat que mène Q-Sounds à travers sa musique, cela collait bien. J’ai dit « oui » tout de suite.

Quand on voit la pochette, elle est très marquée avec les bérets noirs sur la tête, la petite étoile rouge sur un des bérets, le tag, les vestes seventies… Ça rappelle le combat des Black Panthers et de l’émancipation des noirs, un côté un peu… révolutionnaire !

J’assume totalement cette pochette et ce combat. Mais la référence ne se limite pas aux black panthers. On pourrait citer de nombreux autres mouvements militants révolutionnaires de cette époque ayant adopté un look de ce genre : Les Young Lords, Les White Panthers, les mouvements marxistes sud américains et africains, les groupes de gauche radicaux européens de cette période.... La liste est longue. On vit une époque qui a tendance à décrédibiliser les luttes basées sur une remise en cause de la société capitaliste. On fait passer pour inacceptable tout positionnement radical alors que les pouvoirs en places dans les pays occidentaux n’ont jamais été aussi violents et radicaux. La référence à cette période très « politisée » de notre histoire récente était une chose importante.

La Soul est une musique de revendications et de luttes, de combattants.. Tu assumes ça et le clip « BLM » ?

La Soul n’est pas une musique revendicatrice au sens révolutionnaire du terme. De la fin des années 50 à la fin des années 60 , les artistes de Soul ayant un positionnement révolutionnaire, politique et combattant envers le système capitaliste américain sont quasi inexistants. C’est à la fin des années 60 et au début des années 70 que les choses se politisent vraiment (pas que dans la Soul d’ailleurs). Il y a certes une dimension revendicatrice dans la Soul mais avant tout parce qu’elle a longtemps été le miroir de la société afro américaine et de sa réalité quotidienne. En tant que blanche et américaine j’ai une position privilégiée, mais ma position de femme me permet à mon niveau d’expérimenter certaines injustices. Je milite donc car ma position ne me rend pas imperméable aux combats qui sont justes. Ces messages m’ont accompagnés dans ma vie. Ils m’ont permis de rentrer dans ma vie de femme, de front woman… J’assume tout ça aujourd’hui ! Je souhaiterais que tout être humain soit aussi libre et émancipé que moi.

En 2020, avec le Covid, après la sortie de l’album et le confinement, j’ai connu une période qui était dure pour moi. J’ai beaucoup travaillé sur moi, sur qui j’étais et ce que je voulais.

A l’écoute de l’album, qui est magnifique, on voit que tu restes dans une version assez pure de la Soul.

Je ne pouvais que faire confiance à Ludo pour m’emmener dans cette direction. Il a une vision intense de la Soul qu’il adapte à ma voix et à ce que j’écris. Le titre « BLM » a été écrit le lendemain de la mort de George Floyd. J’étais cloîtré chez moi sans pouvoir voir la vidéo. C’est Ludo qui lui a donné cette dimension très arrangée, à la manière des B.O de Blaxploitation.

Ludovic Bors, clavier et compositeur des Shadows of Love
Crédit : Gérald Chabaud

Tu assumes totalement ce côté assez puriste de la Soul que vous avez développé sur le disque ?

Oui complètement. Ludo a réussi à créer une vraie ambiance sur l’album, un Groove qui traverse les morceaux. Il voulait que l’on aille vers ça, quelque chose d’assez ambitieux en terme d’arrangement, qui puise dans la Soul 70s sans oublier le Hip Hop et la relecture qu’il a produit de cette musique à travers les samples. Je lui ai fait confiance et, dans sa « folie », il a pour moi totalement réussi. C’est quelqu’un que je respecte pour tout ce qu’il a fait en musique, même avant Q-Sounds. Il y a une vraie confiance entre nous.

Avec ton disque, on retrouve le vrai son de la Soul et aujourd’hui c’est rare !

C’est tout le génie de Ludo. Il a une forme de radicalité dans ses choix artistiques, il est là pour kiffer. Il veut juste composer et faire des disques. Maintenant je me moque de ce que vont penser les gens. Avant je me demandais comment ma musique était reçue, si elle allait plaire, que vont penser les gens ? Aujourd’hui à partir du moment où je suis contente de ce qui a été accompli, ces questions n’existent plus, … et les gens aiment !

Mais tu avais un droit de regard sur ton disque ?

Bien sûr, on discute beaucoup avec Ludo et les musiciens et on s’écoute ! Par exemple sur « Magic Love », j’imaginais autre chose quand j’ai amené le morceau dans sa forme brute mais ludo voyait autre chose en termes d’arrangements de production. Il s’est obstiné, me disant d’écouter avant de refuser. J’ai écouté et ensuite je me suis passé quelques titres de Soul que j’aime beaucoup et j’ai vu qu’il avait raison.

Ce disque c’est de l’analogique, enregistré sur bande et pour moi c’est un rêve de gosse. J’ai déjà fait des disques et enregistré en studio mais là c’est autre chose, c’est une nouvelle dimension. C’est grâce à la persévérance musicale de Q-Sounds que l’on peut encore entendre ce genre de choses.

De quoi parlent tes textes ?

D’amour, et de la manière dont il façonne nos vies, de l’honnêteté de l’être humain... Je suis une femme jalouse et j’ai enfin admis ça. Je veux que l’on m’aime, que l’on me regarde… Je peux enfin le dire dans mes textes. C’est une bonne thérapie (rires). Je parle aussi du mouvement Black Live Matter et de l’émancipation des personnes noires, de la différence de niveau de vie entre les Noirs et les Blancs aux Usa, « Freedom Fighters » parle de ces enfants qui jouent dans la rue et qui vont faire des conneries ensemble le soir, plus largement ce morceau parle de liberté.

Tu as pu t’adapter avec le discours de Q Sounds ?

Bien sûr, j’ai un grand frère qui avait les premiers disques de Public Enemy… J’ai grandi dedans, mon père ne voulait pas que l’on écoute ça et c’était déjà un acte de rébellion.

Tu l’as fait où ce disque et avec qui ?

Au studio La Forge avec Tom VDH, avec les musiciens de Q Sounds que tu retrouves aussi sur d’autres projets du label : Harysson Jean-Baptiste à la Guitare, Loïc « the butcher » Betems, à la basse, Ludo Bors aux claviers et à la Flute et Niko Chompré à la batterie. De mon côté j’ai enregistré les voix en deux jours.

Il y a des cuivres sur le disque. Tu serais intéressé de les avoir sur scène avec toi ?

Ce serait compliqué. On est déjà cinq sur scène et avec eux on serait huit. La plupart des clubs où nous jouons ne pourraient pas les accueillir pour l’espace et les budgets que nous avons. Mais j’aimerais bien le faire une fois : je n’ai jamais eu l’occasion de la faire !

Tu fais des reprises sur scène ?

Non, aucune (rires). Si je pouvais en faire ce serait « Rollin Proud Mary », c’est vraiment ma chanson à moi. Ce serait la version de Tina Turner ou alors « Papa was a rolling stone » ou un truc d’Aretha. Sinon je reprendrais du Carole King, qui est pour moi une très grande artiste, c’est une chanteuse de Folk Song. C’est vraiment ma musique.

Laura Llorens
Crédit : Mie Photos

Est-ce qu’un jour tu chanteras Français ?

Oui, parfois je chante en français sur scène !

Le mot de la fin ?

Tout d’abord merci et ensuite : Je suis super heureuse en étant partie du Wisconsin il y a plus de 20 ans d’être arrivée à faire des disques et des concerts en France. Ça a été un parcours qui a mis ma volonté à l’épreuve et c’est pour ça que j’ai envie de dire aux gens de s’accrocher et de ne pas renoncer. Avec un peu de chance parfois les choses se font.

Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’emmener vers la musique ?

Un disque d’une auteure compositrice femme, absolument, je dirais Rosalia avec « Motomami ». ça n’a rien à voir avec la Soul mais j’aime beaucoup. C’est une jeune espagnole qui écrit ses textes et qui fait ce qu’elle veut. Mais si j’y réfléchit plus longuement, pour amener un enfant vers la musique je l’emmènerait voir des concerts et je lui ferait apprendre un instrument

Un grand merci à Gérald Chabaud

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