Née, il y a donc 26 ans, cette association bretonne a permis à ce que « l’esprit punk » puisse continuer à exister dans sa région et dans l’hexagone. Si on parle « d’esprit punk », c’est parce que les membres de Mass Prod ont su parfaitement adapter la célèbre maxime : « Do it yourself » ce qui pourrait se traduire ici par « fais-le, ici et maintenant ». Le résultat est plus de 300 concerts et 300 disques produits et diffusés avec une énergie qui se mêle à une débrouillardise quotidienne. Surtout que Mass Prod a su depuis longtemps faire évoluer son catalogue, et qu’on retrouve dans celui-ci des groupes punks mais aussi du Ska, du dub, du rock et pleins d’autres choses, prouvant encore une fois qu’être punk c’est avant tout un état d’esprit plus que un style musical bien défini.
Un livre passionnant, « 25 ans d’activisme punk » vient de sortir au éditions Goater qui raconte le parcours de ces éternels passionnés. C’est pour parler de ce livre, de l’association, de son parcours, de ses projets mais aussi, et surtout, de l’esprit qui anime Mass Prod que j’ai discuté avec Vince, le grand coordinateur de cette équipe passionnante.
Peux-tu présenter l’association ?
Mass Prod est une association qui a été fondée il y a 26 ans. Elle s’est créée autour de six personnes : les quatre membres du groupe Mass Murderers, un groupe de Saint Brieuc qui a existé jusqu’en 2000 puis s’est reformé en 2011-2012, Fabian le chanteur de TV Men un groupe garage des années 90 et moi-même qui venait d’arriver à Rennes depuis septembre 1994. Je sortais de cinq années de contrat dans une radio associative, 666 à Caen. J’étais passionné depuis longtemps par le monde de la musique avec les labels, les associations et la musique punk bien entendu. L’association, à la base c’était pour structurer le groupe Mass Murderers. On voulait produire et vendre leurs disques, organiser les tournées…
Et ensuite ?
Rapidement après sa création, début 1996, nous avons commencé à nous intéresser et à aider des groupes de la région et puis des groupes étrangers. On a commencé à organiser nos premiers concerts à Rennes. Depuis, nous avons produit 300 concerts dans toute la France et sorti 300 disques sous différents formats, vinyles, Cds… Nous sommes souvent en partenariat avec d’autres labels pour sortir les disques afin de limiter les coûts. En 25 ans, une dizaine de personnes qui ont été salariés dans l’association, principalement sous des contrats aidés, mais actuellement nous n’avons qu’un jeune en service civique. Aujourd’hui, le bureau de l’association est partagé entre Normandie et Bretagne, parce que nous organisons beaucoup d’événements à Caen. Je suis le seul salarié à l’heure actuelle et j’espère que des jeunes prendront la suite.
Comment vous définiriez-vous musicalement ?
Il y a un peu de tout : punk, rock, ska et même du folk avec les Clébards, un groupe dont les membres étaient dans un groupe punk Hard-Core auparavant. Mass Prod’, c’est avant tout une aventure humaine et même si au début nous avons commencé par le punk et le Hard Core, on s’est élargi avec la fin de Mass Murderers. Nous sommes partis dans d’autres directions suite à des rencontres avec du punk reggae de Londres par exemple, une scène entre punk et ska, dans une ambiance à la Ruts DC et Clash. La partie folk est apparue vers 2007 avec Les Sarkofiottes. Pour le ska, nous avons attaqué avec la scène alternative Française, avec Los Puntos, Skarface… On a même sorti une compilation de ska internationale. Le label s’est enrichi avec des groupes de reggae-ska. Suite à ça, on a commencé les partenariats pour la distribution.
Vous êtes aussi distributeur ?
Nous sommes un label, mais nous distribuons aussi vers certains magasins. Notre distributeur régional est Coop Breizh depuis 2007. Ils n’avaient pas trop cette image rock, mais quand les Ramoneurs de Menhirs ont cartonné, Loran nous a présenté à eux. Ils avaient déjà un sous catalogue qui s’appelait Avel West et la volonté d’être ouverts à d’autres styles... Nous avons eu plus ou moins de succès avec la distribution, parce qu’on n’a pas de grosse tête d’affiche sur le label. Quand c’est un groupe régional qui tourne bien, on s’en sort, quand c’est un groupe d’une autre région, on essaye de faire une co-production, avec des labels qui ont une plus grosse distribution, comme Crash Disques.
Vous faites de la « Street music », de musique de la rue, il y a du punk, du ska, de la folk… Vous faites du rap ?
On en a fait parce que pendant sept ans on a partagé notre local avec un collectif de reggae et de rap. On a commencé à avoir des amis dans les réseaux rap et reggae et puis, dès 2002-2003, on a eu des morceaux de rap qui sont sortis chez Mass Prod’. Puis on a sorti un album de Dub en 2006. C’est moins dans nos goûts le Hip Hop mais il y a une mentalité qui est très proche entre le punk et le Hip Hop. On commence aussi à avoir des connexions dans la musique électro.
Vous êtes très proche du DIY et donc de la deuxième vague punk ?
On est proche de ces gens-là, c’est notre génération (rires). En ce moment, on essaye d’ouvrir la porte à des jeunes parce qu’on veut transmettre cette culture. On a cette passion du DIY, avec peu, on peut faire des choses, et nous sommes parti de rien. Par exemple, sur notre compilation anniversaire il y a 58 groupes, qui sont plus ou moins fidèles au label, mais c’est fort de les fédérer, de voir notre logo sur leurs disques. Aucun groupe n’est obligé de sortir tous disques avec nous, cela s’organise au coup par coup.
Mais dans le punk, il faut beaucoup jouer pour exister. Cela nécessite une énorme organisation. Vous prouvez qu’être punk c’est aussi savoir s’organiser et avancer, surtout en Bretagne où le punk a toujours eu beaucoup d’écho.
La Bretagne est une terre de rock, plus que dans beaucoup de régions. Quand je suis arrivé, c’était un terrain déjà travaillé mais c’était le creux de la vague. Il n’y avait plus beaucoup de groupes qui tournaient entre 1990 et 1995. Je suis arrivé au bon moment et j’ai fait de belles rencontres comme Carnavalorock à Saint Brieuc, qui programmait du punk. Le punk est revenu vers 1995 avec de bons groupes comme Tagada Jones, les Mass Murderers, des dizaines d’autres, puis les Ramoneurs 10 ans après… La scène s’est renouvelée et en plus les Ramoneurs ont permis de faire découvrir cette musique avec le bon côté, le musical, au très grand public… On était les rois de la débrouille et puis on a rencontré des gens dans toute la France qui se bougeaient pour faire vivre cette culture. On a eu aussi la chance d’avoir des subventions pour pouvoir créer des emplois.
Mais vous vous débrouillez tout seul ?
On essaye ! Par exemple, on est centre ressource pour la fabrication des vinyles. On aide les groupes à sortir leurs disques. Ça nous permet de grossir le catalogue.
Vous êtes très organisés, loin du « No Future ». Vous êtes dans la construction ?
On essaye de faire les choses biens pour que nos productions se passent au mieux. Quand j’organise un concert, je veux que tout se passe bien dans une bonne énergie et les concerts se passent beaucoup mieux qu’avant… On a les messages des Clash : métissage et respect des uns et des autres. On a réussi à « éduquer » notre public, sur des questions de nettoyage par exemple. Tous se mélange plus facilement maintenant. On peut programmer du ska ou du punk sans aucuns problèmes.
Et pour les salles ?
Depuis 25 ans, il y a eu des lieux très importants pour nous comme le Wagon à Saint Brieuc, un squat qui a duré 6 ans. Nous avons travaillé, ou échangé plutôt, avec des associations locales avec dans l’idée de se compléter et pas de se « marcher dessus ». Si on organise une soirée, on vérifie que les associations du coin ne fassent pas quelque chose le même soir. On n’a pas le choix si on veut survivre.
Le public répond-il ?
Ça dépend de qui est sur scène ! A chaque soirée, il faut un nom. On fait très attention aux risques financiers. On a pris de bonnes gamelles et il y a cinq ans on est reparti avec zéro euros. On a voulu prendre des risques en organisant des festivals avec de gros moyens. On a la chance à Rennes de pouvoir louer des salles équipées...
Ailleurs ce serait plus difficile ?
A Paris, par exemple, c’est la galère en ce moment : peu de salles, beaucoup de groupes… Mais ça évolue d’année en année.
Pourquoi un livre au bout de 25 ans ?
A cause du Covid, c’est le seul truc bénéfique de cette histoire… On ne pensait pas à cela, nous sortons déjà un fanzine par an et ça nous suffisait. Je suis archiviste : je garde tous nos flyers, affiches et autres… Les gens de l’association, particulièrement Yannick le président, me disaient que ce serait bien de faire un livre sur l’histoire de l’association. Je répondais que cela devait être une mission pour quelqu’un d’extérieur, qui enquête sur les gens de l’association. Quand le Covid est arrivé, on a arrêté toutes nos activités concerts et stands et on s’est occupé, il fallait bien : on a mis le site à jour, on a relancé la VPC… J’ai commencé à trier mes archives, pris des notes et puis l’idée du livre a germée, j’ai rappelé les anciens de l’asso, les copains dont je n’avais plus de nouvelles depuis quelques années. On a discuté d’un sommaire et de comment organiser le livre. On voulait aussi mettre de jolies photos, que les jeunes graphistes de l’association puissent s’exprimer… On a bossé 8 mois sur le projet et en décembre 2020, la pré-maquette était finie. Une année sans travailler ce n’était pas possible pour nous. Le bureau de l’association a validé le projet du livre, et voilà !
Chaque groupe qui a travaillé avec vous a sa page ?
Chaque groupe qui a sorti un album avec nous, sinon nous n’avions pas la place de tous les mettre. Il y a aussi l’histoire de nos compilations. Le sommaire explique comment on a organisé tout ça. Cela montre la diversité de nos activités : les tournées, les fringues, les badges…
C’est un témoignage ?
Ce serait plutôt un partage. On a pris du temps pour raconter aussi des anecdotes. C’est co-édité avec Goater Edition. C’est un plus énorme pour nous, puisque en tant que label de disques nous n’avions pas les aides pour éditer un livre. Jean Marie Goater se déplace beaucoup en France pour présenter sa maison d’édition. On est un peu son équivalent comme label punk. On a baladé notre stand dans 19 départements en 2019, de Bordeaux à Lille, de Brest à l’Ardèche…
Vous êtes très bien organisé ?
On n’a pas le choix si on veut continuer à exister…
Quelle est la moyenne d’âge des membres de l’association ?
Il y a la génération des cinquantenaires, comme moi, et puis la génération des 25 ans, tout ceux qui ont été en service civique par exemple, et reste en contact. Il y a aussi un peu de 30 et 40 ans ! Nous pouvons aussi compter sur un bon relais de bénévoles pour l’organisation de nos évènements. On a des groupes de motivés dans les différentes villes où nous organisons des soirées, comme à Lorient ou Caen.
Comment définirais-tu Mass Prod’ en quelques mots ?
Houlà … Le label punk artisan me parait bien !
Vous comptez donc rester des artisans ?
On n’a pas trop le choix : les places sont déjà prises. Il y a des gros festivals comme le Helfest qui existent déjà. Le milieu punk est comme les autres avec une sorte de pyramide : tu as les groupes qui réclament 100 000 euros, ceux qui demandent 50 000, puis 10 000, 5 000 et 2 000. Avec Mass Prod’ on est dans la catégorie de ceux qui demandent entre 200 et 3 000. Il y a des groupes que nous ne pourrons jamais faire jouer comme Bad Religion ou les Dead Kennedy’s …
Vous vous sentez proche de la vague alternative, des labels comme Bondage ?
Forcément, on a écouté les disques quand on était gamin. Moi, par exemple, j’étais fan de Parabellum.
Avec le livre, il y a une compilation ?
C’est une compilation de 58 groupes du label qui ont sorti un album depuis quatre ou cinq ans avec nous. Au départ, nous avions juste demandé un titre pour une compilation destinée à la promo sur notre page Bandcamp, mais Jean-Marie des Edition Goater a dit que ce serait top d’avoir un CD accompagnant le livre, du coup c’est même un double CD... Cela faisait 7 ans que nous n’avions pas sorti cette compilation promo, il était temps d’en faire une. On a fait presser à moindre frais, il faut dire que peu de groupes punk sont inscrits à la Sacem, ça baisse un poil le coût de production.
Les punks ne sont pas inscrits à la Sacem ?
Pas vraiment, c’est intéressant d’être inscrit quand tu joues beaucoup et que tu es professionnel, mais pour les autres, aucun intérêt, au contraire.
Vous continuez les fanzines ?
Oui et d’ailleurs nous devons être parmi les derniers à faire un fanzine papier. On a mis du temps à s’y mettre, car c’est un sacré challenge. On a créé Punklture en discutant entre potes. On a fait le premier numéro en trois mois, ce qui était très rapide. Comme je connaissais pas mal de gens qui avaient eu leur propre fanzine dans les années 90, je leur ai proposé de participer à Punkulture, nous sommes donc entre 10 et 15 à participer, et on a pu faire du beau travail pour les derniers numéros, j’en suis assez fier ! Le sommaire montre que nous avons une culture assez variée.
Mais est ce que la culture variée, justement, n’est pas l’apanage des punks ?
On aime surtout rencontrer les gens ! J’aime le côté DIY chez certains, mais nous sommes ouverts sur tous les styles punks ! Notre livre est à notre image : pas du tout institutionnel et très ouvert. En fait, il ne ressemble à aucun autre !
On peut se le procurer comment ?
Le plus simple c’est d’aller sur notre site https://www.massprod.com/ Il fait 2,7 kg. Il est disponible un peu partout en France grâce aux distributeurs Coop Breizh et Hobo Diffusion / Makassar.
Et pour les cinquante ans vous ferez quoi ?
Je ne sais pas (rires). Est-ce qu’il y aura encore des livres ? On verra ! Pour l’instant, j’aimerais bien réaliser un second livre, en collectif, sur l’histoire du Wagon, un lieu de vie et de musique de La Sauce Aux Gravos de Saint Brieuc qui a existé de 1998 à 2004. C’est vraiment une belle aventure de créer un livre ! C’est vraiment le seul point positif du Covid !
Mais ce livre est quand même une façon de rendre hommage à toutes les associations de musique avec qui vous avez travaillé et qui font un travail formidable ?
Bien sûr, nous avons essayé de citer dans le livre toutes les associations de l’Ouest qui ont permis au rock et punk d’exister et nous ont accueillies. D’ailleurs, beaucoup de ces associations ont monté des festivals, comme Art Sonic à Briouze (61), des festivals qui ont maintenant un large public de 10000 spectateurs…
C’est quoi le punk pour toi ?
C’est l’amitié et la chaleur humaine, la musique, mais avant tout c’est la liberté, la simplicité, la tolérance… C’est une culture qui est encore interdite dans pleins de pays comme en Iran ou en Chine. Concernant les styles, nous avons sur le label pleins de variétés, sans ligne directrice, et c’est mieux pour notre public.
Quels sont vos projets ?
Organiser de bons concerts, sortir de bons disques… Nous avons réussi à survivre grâce aux produits dérivés, comme les vêtements, alors nous allons essayer de continuer quelques années. Nous sommes vraiment des punks artisans ! Nous aimons aussi organiser des foires aux disques parce que c’est une ambiance sympathique. Nous avons un programme assez chargé pour 2022 avec beaucoup de sorties de disques. On croise les doigts mais on réussit à chaque fois à tout distribuer, ou presque. Nous continuons à produire des groupes étrangers, nous avons toujours beaucoup de contacts, notamment avec l’Angleterre, Allemagne, Pologne...
Aujourd’hui le punk est étudié et montré dans les musées et les expositions : tu en penses quoi ?
C’est aberrant ! Quand j’étais gamin, être punk ou skin c’était le meilleur moyen d’être en marge de la société. Il y a beaucoup d’anciens punks qui sont devenus profs ou famille d’accueil, ils amènent beaucoup de tolérance dans notre société… S’il y a des conférences sociologiques sur le punk, tant mieux, mais ce n’était pas vraiment notre but, ni notre idéal…
Mais ce livre n’est pas un testament ?
Absolument pas ! On va continuer à faire pleins de trucs et c’est tant mieux, et après l’équipe des anciens il faudra bien que les jeunes prennent la suite !
Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’emmener vers la musique ?
« London Calling » des Clash pour la diversité des compositions et une compilation Mass Prod’ !
https://www.massprod.com/
https://massprod.bandcamp.com
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