Comment la musique est-elle rentrée dans ta vie ?
Comme pour beaucoup de kids de ma génération, la musique est arrivée via ce mouvement libertaire, cette véritable révolution qui s’opérait à l’époque : la contre-culture, puis ses retombés post 68. Il y avait une soif de liberté, d’expression, le rock US et la pop anglo-saxonne régnaient, la radio commençait à s’émanciper… On commençait à entendre des choses. J’habitais et j’habite toujours à Lyon. C’est une ville, une métropole où il y a des musiciens et de la musique vivante depuis longtemps. Le be-bop mettait déjà le feu au Hot Club de Lyon dans la fin des 40’s ! Puis il y a eu une scène, des groupes, des studios d’enregistrement dans les années 60, et dans les années 70 (puis 80) ça bougeait de plus en plus. J’étais au lycée avec Jack Bon (de Ganafoul) et on écoutait les mêmes choses : les Stones, Them, les Byrds, les Kinks, Dylan, Hendrix, Cream, Doors, T.Rex, Taste, Ten Years After, Faces, Status Quo, le premier AC DC, les Variatons… À Lyon, le Chico Magnetc Band. Il y avait quelques disquaires, des groupes de quartier, des fêtes, des festivals lycéens. J’ai commencé à acheter des disques 45t vers 66/67. Plus tard, à l’internat du bahut, j’ai créé une discothèque. J’aimais partager mes découvertes de l’époque. Et ça bouillonnait pas mal entre 1969 et 73 !
Ton premier groupe connu, c’est Killdozer ?
Oui, quasiment. A Lyon, après avoir été Pop et psychédélique dans les 60’s et au début des années 70, la musique avait plutôt viré Folk et Progressive. Notamment sur les pentes de la Croix-Rousse où j’habitais. On n’entendait plus assez de rock à notre goût. Alors avec Jack (Bon), d’abord, puis avec Patrick (Brondel, avec qui on avait déjà un groupe, Taxi Mauve, et qui deviendra le batteur de Killdozer) et quelques autres on a réalisé qu’au sud de Lyon, à Givors, il y avait des amplis Marshall trois corps. Le son y était… fort. Il y avait là cinq ou six groupes qui jouaient carré, heavy. Donc on est descendu à Givors avec Brondel et on s’est finalement branchés avec le guitariste Edouard « Doudou » Gonzalez, le cador local de la gratte (il avait co-fondé Ganafoul), et le bassiste Kiri Rothacher, frère du batteur de Ganafoul. Killdozer était formé. J’ai choisi le nom du groupe en référence à la nouvelle SF de Theodore Sturgeon : « Killdozer ! (Le viol cosmique) », parue en 44. L’histoire d’une machine qui, rendue folle par des radiations cosmiques, prend le contrôle et défonce sans émotion le secteur. On était fans de science-fiction. À Givors pour finir, il y avait donc un terreau rock, un public, des locaux de répétitions... Tout ce qu’il fallait pour lancer un groupe !
Vous avez tout de suite trouvé votre son ?
Oh non ! On a cherché nos marques, notre style, notre jeu et nos compositions entre 1975 et 1978. On faisait pas mal de reprises au début. En 79, à l’occasion d’un changement de bassiste (Phil « Pank » Panchionne à la place de Kiri) et avec l’arrivée d’un deuxième guitariste (JP « WaWa » Gouillon), nous avons fini par aboutir une nouvelle formule, une manière toujours heavy de mêler le noir et le blanc, de pulser plus soul et parfois même raw funk, mettons entre Funkadelic /Mother’s Finest et le Jeff Beck Group ou le J.Geils Band avec des solos à la Johnny Winter. C’était finalement prêt en 1980 pour l’enregistrement à Londres de notre album CBS. Le timing était parfait dans cette genèse.
Tu as été marqué par le punk ?
Ouais, mais on était déjà dans le bain électrique avant que ne déboule le punk de 77. On aimait surtout les pré-punks : Stooges, MC5, Ramones, Dictators, Blue Cheer, Modern Lovers, Link Wray, Motörhead, le rock garage US des 60’s (voir les séries Peebles)… Le glam rock de Bolan à Sweet. Et bien sûr on écoutait toujours Led Zep, Hendrix, les Who. Nous écoutons aussi Bowie (et avec lui la guitare de Mick Ronson !), Television, le Velvet ou Lou Reed (celui de Transformer notamment, avec Ronson). On kiffait autant Cactus et leur section rythmique mythique (Tim Bogert à la basse et Carmine Appice à la batterie, venus de Vanilla Fudge) que le pub rock de Dr. Feelgood et des Inmates, et puis Rockpile, Chris Spedding, George Thorogood, Stray Cats… Du blues et de la soul aussi. Le jazz rock ou le progressif commençaient à gonfler tout le monde et s’essoufflaient. On était déjà prêt à cracher le feu quand le punk est arrivé ! C’était un mouvement de contestation « Teenage » et social, donc politique, et nous n’étions encore ni vieux, ni riches, ni parvenus, ni de droite. Nous étions solidaires du oï par nature, mais pas musicalement influencés au début. C’est Clash qui nous a tous mis d’accord avec London Calling et Sandinista !.
On a l’impression qu’à l’époque à Lyon, il y avait deux scènes : une scène rock un peu prolo avec vous, Factory ou Ganafoul, et de l’autre un rock plus étudiant avec Starshooter ou Marie et les Garçons ?
C’est pas faux… Mais un peu rapide tout de même, un peu cliché. En réalité, c’était plus simple et plus fluide qu’on ne le raconte pour la légende. On se côtoyait tous plus ou moins autour des rares scènes locales, et sans se cracher dessus. Il y avait des fils d’ouvriers, d’immigrés ou de petits bourgeois et des étudiants des deux côtés en réalité. Avec Killdozer, on a fait des concerts, des dates de tournée avec Starshooter. On se marrait bien ensemble ! L’important c’était alors de tenir la scène, et quand on voyait Starshoot’ sur les planches, ils déménageaient, ils assuraient. On avait le speed en commun. Quand tu discutais avec Kent, on se rendait vite compte que nous n’étions pas si éloignés musicalement. Il avait même été fan de Creedence Clearwater Revival ! Après, ils ont choisi de communiquer de façon provoc’ fun, en bavant pour rire sur les Beatles et en buvant du lait face aux tireuses à bière du rock patriarcal. C’était marrant. J’aimais bien Kent, son attitude, ses compos compactes, ses textes. En plus, côté BD, il a un coup de crayon incroyable ! Nous avions peut-être, c’est vrai, moins de contacts avec d’autres groupes comme Marie et les Garçons et leurs maillots Lacoste ou Callas et sa mèche sur l’oeil…
Il n’y avait vraiment pas d’antagonisme entre les groupes ?
Non, pas vraiment. Tout ça a été monté en mayonnaise après cet article de juin 1978 « Lyon capitale du rock » qui se basait essentiellement sur le festival de Fourvière où le public était plutôt partagé. Marie et les Garçons, un peu moins Starshooter ou Bijou (tous très solidaires) ont pris des canettes de la part de quelques ballots imbibés qui avaient encore des œillères, tandis que Ganafoul, Téléphone ou Little Bob Story ont été plébiscités. On était encore dans une ambiance très années soixante-dix. Ce concert est un tournant et un malentendu. Les gens n’étaient juste pas tous prêts aux mélanges musicaux, aux attitudes, aux postures de la nouvelle vague. Un certain rock d’essence 70’s a semblé prendre un petit coup de vieux, du coup. C’est tout à l’honneur des groupes nouveaux que d’avoir endossé leur époque. Néanmoins l’installation d’une culture rock française s’est faite autant par cette génération disons « new wave », plutôt appréciée par la presse spécialisée parisienne, qu’avec les groupes un peu « prolos » qui les ont précédés et que le public de province adorait. J’ai été manager de Ganafoul : en 1978, le trio faisait régulièrement 500 personnes par concert, partout en France, et c’était toujours chaud, toujours intense, libérateur. Ce n’était pas le cas de tout le monde ! Ils soulevaient les foules et cela n’a pas été assez raconté par la presse qui leur préférait des histoires plus « mode ».
Quelles étaient vos influences avec Killdozer ? On a l’impression que tu as toujours fait de la musique « Black »
J’ai déjà pas mal évoqué nos influences tout à l’heure… Mais en effet, perso, la musique noire est mon fil rouge ! En tout cas c’est l’idée que je m’en fais. Déjà, je suis né en Afrique, au Congo Belge (actuel RDC). Plus tard, gosse, j’ai commencé par aimer le Delta blues, puis celui plus électrifié de Chicago… Bientôt la musique noire en général, jazz, soul /Rhythm’n’blues (Stax, Motown, Ace, Kent…), le funk de George Clinton et jusqu’à l’afrobeat de Fela, la rumba zaïroise, le makossa, le ska, le reggae. À l’origine, c’est mon père qui avait des vinyles de John Lee Hooker, Memphis Slim, T.Bone Walker, Ray Charles, Louis Armstrong, BB King… Puis j’ai ondulé dans les teufs (on disait encore des « boums ») sur la dynamite de James Brown et les séries Rhythm and Blues Formidable avec Ots, Joe Tex, Don Covay, Bobby Womack, l’immense Wilson « The Wicked » Pickett (j’en suis dingue !), Sam & Dave, King Curts, et puis encore Solomon Burke, Aretha Franklin, Ben E.King, Curts Mayfield, Stevie Wonder, The Temptations… C’était parfois assez mal vu à l’époque par certains rockers qui, souvent, ne savaient juste pas danser ! Certains trouvaient que c’était de la musique de boîtes de nuit, du commercial pour les « minets » en pulls shetland portés au-dessus du nombril. Conneries ! Moi, ces grooves imparables et toutes ces voix fabuleuses m’ont littéralement transpercé dès la fin des années soixante.
Killdozer était assez funk, avec un vrai mélange de genres.
ROCK et funk à la fois. Bootsy Collins est funk, nous c’est autre chose. Chaque bon groupe de potes finit par trouver un équilibre entre ses compétences, le jeu de ses individualités, leurs personnalités et leurs influences, leurs héros respectifs, pour aboutir à un son identifiable. On essaye toujours d’avoir un style le plus personnel possible, un répertoire que tous assument et prennent du plaisir à jouer. Celui de Killdo est hybride, un soul rock métisse, noir/blanc, issu du garage et du hard rock’n’roll et en même temps groovy. Ça venait donc de mon propre goût pour la soul cuivrée, voire le funk originel d’un côté, et le speed supersonique de l’autre. On s’inspirait plus ou moins consciemment, en vrac, d’Aerosmith, des premiers Johnny Winter, du J.Geils Band des débuts, des Saints de Prehistoric Sounds, du Little Bob de High Time, des Variations, des Stones évidemment… J’ai aussi beaucoup écouté Joe Cocker avec Mad Dogs & Englishmen, Graham Parker, Springsteen et le E.Street Band en 1971 ou, plus tard, Mink DeVille. Depuis bientôt six décennies, mon phare personnel demeure néanmoins Bob Dylan.
À l’époque vous étiez les seuls avec ce style à Lyon ?
Oui, je crois. Plus tard, vers les années 90, il y a eu les Tombad à Lyon qui étaient plus funk encore. Mais nous, à l’époque, on ne s’est pas fait un cadeau pour le coup. Déjà, on chantait en anglais. Notre profil de groupe était très US. On aurait dû naître à Detroit, pas en Rhône-Alpes ! Et puis la fusion des genres n’était pas toujours admise, ce n’était pas apprécié partout. Ça s’est développé au fil des années 80, soit trop tard pour nous. Les genres et les esthétiques se sont mêlés de plus en plus et les gens sont revenus sur les dancefloors (pas les boîtes de nuit !). Nous étions peut-être là juste un peu trop tôt.
Vous avez beaucoup tourné ?
Pas assez, non. On a beaucoup joué dans les 70’s avant l’album, jusqu’en 1980. Puis on a soutenu l’album en tournée, une trentaine de dates à travers la France en deux ou trois sections. Les premiers problèmes de notre aventure de cinq ou six ans d’âge sont survenus ensuite. Les groupes, ça dure à peu près cinq ans… C’est comme les couples ! (rires). Et on était ensemble depuis 1975. Faut dire aussi que depuis Paris, CBS/Epic nous engageait lourdement à chanter en Français pour le disque suivant. Téléphone, Trust, Starshooter, Bashung cartonnaient dans la langue de Molière et Johnny Hallyday réunis. L’idée ne nous excitait pas spécialement. Nous avons néanmoins bossé, enregistré quelques démos, pour voir. Presque l’équivalent d’un album. Mais à la réécoute, on a trouvé ça naze. Notre son s’était comme dilué, l’époque commençait à proposer pas mal de nouveaux jouets technologiques qui nous allaient mal et avec lesquels nous perdions du temps et de l’authenticité, mes textes francophones étaient maladroits, je ne trouvais plus mon timbre. Bref, on assumait plus notre musique. On a préféré se faire hara-kiri. Le groupe s’est séparé en 1981.
Tu vas faire quoi après Killdo ?
Après Killdo, la radio ! C’était Mitterrand, l’explosion des radios « libres », de la FM libéralisée. J’ai plongé. Je découvrais et partageais notamment comment les musiques ethniques influençaient toujours plus les nouveaux courants de la pop. C’était passionnant de parler et d’écouter tout ça avec Serge Boissat (directeur d’antenne et immense collectionneur de vinyles), avec Marco DSL (DJ permanent de l’antenne, précurseur en matière de musiques groovy) ou avec mon pote Rachid Taha à Radio Bellevue où j’ai opéré durant 4 ou 5 ans. Jusqu’au dépôt de bilan des illusions. Les épiciers ont repris la main. Tout s’est formaté, la pub et l’argent ont fini par tuer l’esprit.
Il y a eu ensuite les Snappin’ Boys, un grand groupe ?
Un grand groupe, oui. C’était un groupe de Vienne en Isère, à une trentaine de km au sud de Lyon, au-delà de Givors. Ils sont venus me chercher en 8t. Le groupe existait déjà depuis le milieu des années 70. Ils avaient un mini LP, ils avaient tourné avec The Inmates. Ils avaient un côté très sixtes, entre R’n’B et rock garage, avec des usages du rock alternatif et surtout Charly Markarian, un guitariste charismatique. Ils cherchaient un nouveau chanteur. Je m’emmerdais. Ils étaient bons. Banco ! On a partagé la scène avec des groupes comme les Hot Pants (Groupe de Manu Chao avant la Mano Negra, NdlR) ou Kingsnakes. On a enregistré deux albums et des singles avec les Snaps. On tournait énormément, partout. Ce sont mes meilleurs souvenirs de groupe. On était un putain de bon groupe ! Notre bassiste, GG Millet avait un petit studio d’enregistrement sur les Pentes (8PM) qui est longtemps resté notre PC artistique. On est toujours restés des potes. Farid (batteur) et Charly sont malheureusement partis, mais on se voit toujours à l’occasion avec les autres, GéGé, Yves (qui a un groupe qui s’appelle Yep !), Nicolas, Tristan ou Ramon.
Vous étiez un groupe de rhythm’n blues ?
Pas seulement. Déjà Charly Markarian, immense guitariste et excellent chanteur, venait plutôt du rockabilly à la base. Ses groupes précédents s’appelaient Bop Cats ou Dazzlers. Les bons jours, ça lui donnait un son inimitable, incroyable. Sa pratique du vibrato me traversait comme les flèches d’un Comanche. Les Snaps faisaient d’excellents chœurs, notamment grâce à l’accord des voix de Yves et Charly. Au tout départ de leur histoire, quand il y avait encore un G à Snapping Boys, c’était plutôt un groupe du courant pub rock qui faisait des reprises de rhythm’n’blues et de garage sixties. Puis on a, de plus en plus, composé nos propres morceaux. Là aussi, en trois ou quatre ans on a fini par évoluer vers un style original et collectf, plus soul-rock, plus riche, toujours tendu. C’est peut-être devenu un peu lourd à gérer sur la fin, oui… Bref. Ça sonnait grave ! On a pu avoir des accents psycho, psyché, country, latins ou soul. À la fin, nous étions sept sur scène. Des mecs d’origines arméniennes, algériennes, belges, catalanes, bressanes, béarnaises et congolaises, le tout répétant sur les Pentes à la Croix-Rousse. Un gang de fils d’immigrés, un kaléidoscope de tempéraments pour un rock’n’roll puissant, speed et métissé. Les filles nous adoraient. On s’est régalés !
C’est le groupe qui a été pour toi le plus exposé : vous avez eu une bonne promo avec des passages en télé. Vous avez été produit par Jeff Eyrich, un producteur très en vogue à l’époque…
Oui, l’époque… Les années 80 commençaient à être plus organisées pour les musiciens et les groupes rock. Ça bouillonnait ! Les labels, le mouvement alternatif… Parfois le bordel, mais Il y avait plus d’autonomie et les publics étaient nombreux, passionnés, curieux. Il y avait des disquaires partout. On maîtrisait mieux la communication, il y avait des structures qui s’installaient pour le son, les lumières, l’image, la distribution. Il y avait des bars rock du nord au sud, des radios, des asso, des organisateurs. On a beaucoup joué, on a fait des festivals en France, en Espagne, en Suisse ; on a fait pas mal de plateaux TV, live ou playback, régionaux et nationaux, et on a vécu de grands moments au Printemps de Bourges, au Paléo, en ouverture de Midnight Oil, de Zucchero, de Ray Charles, de Big Soul. On a fait des clubs comme des stades. On avait une équipe, du matos, un tourneur, un label… (soupir), c’est vrai. Jeff Eyrich, c’était finalement une erreur. On rêvait d’un son à la Plimsouls, une approche garage actualisée, et il nous a fait un son « moderne » assez discutable, avec des batterie lourdes et triggées et des guitares aigrelettes qui nous a vite semblé daté. On avait pourtant de bons morceaux. Tous n’ont pas gagné dans cette production. Je n’étais pas mécontent des prises de voix, personnellement, mais ce n’était pas suffisant pour notre bonheur. Au bout de quatre ou cinq ans, là encore (cf. Killdozer) on plafonnait un peu, on repassait aux mêmes endroits, on ne composait plus assez, on était fatigués. On ne vivait pas complètement de notre musique. Il fallait tout de même taffer à côté, parfois… Mais pas de regrets, que de bons souvenirs. On avait l’énergie, la passion ! Le grand Charly me manque énormément. Il nous a quitté tout à coup au printemps dernier. Une perte immense. Farid (batteur) l’avait précédé d’un an… Il n’y aura plus jamais de reformation du groupe, ce n’est plus possible.
Tu étais à l’aise avec des musiciens qui venaient du rock garage ?
Ben oui, bien sûr ! Naturellement. C’est le rock séminal, après les pionniers 50’s. C’est l’école fondamentale. Ce sont des purs… Parfois aussi des puristes, malheureusement. Faut te dire que je suis gémeaux, double, toujours partagé, ambivalent et surtout éclectique dans mes goûts (rires). J’aime la musique dans son ensemble, j’aime le rock dur, la pop comme le groove, avec effectivement un goût atavique pour les musiques noires. J’aime par exemple aussi le jazz depuis longtemps, depuis que des monuments comme Coltrane, Monk, Chet Baker, Roland Kirk, Miles Davis ou Weather Report m’ont allumé tardivement, dans les 70’s. Dans les années 2000, j’ai été par exemple et par hasard attaché de presse pour le festival Jazz à Vienne que j’ai toujours fréquenté depuis les années 80. J’y ai réalisé des kilomètres d’interviews radio et rédigé des tonnes de bios ou de dossiers de presse… Je suis curieux et vite à l’aise avec tout ce qui touche au rock (garage compris), au blues, à la soul, au jazz, aux musiques afro… Signe d’air !
Vous avez joué à l’étranger avec les Snappin’ Boys ?
Un peu. Depuis Lyon nous avons toujours considéré que nous pouvions aller jouer au sud, en Espagne. C’est un territoire branché sur l’électricité depuis les années soixante, un réseau, un circuit rock riche et diversifié qui demeurent largement sous-estimés. Nous sommes donc allés en Espagne en 83 et 84, et on a même cartonné un temps à Barcelone. C’était peut-être à cause du poppers, remarque… On a un peu tourné en Suisse, en Hollande… En fait, on a fait partie d’une génération qui n’a pas été gâtée par le business en général. Malgré un bouillonnement certain, il n’y avait pas encore assez de structures professionnelles, peu d’investisseurs, de tourneurs aguerris, de managers compétents pour gérer tout ça.
Les Snappin’ Boys se sont arrêtés ?
Oui, disons que le niveau que nous avions atteint n’était plus satisfaisant, plus assez motivant. Ce n’est pas un échec, c’était juste devenu compliqué d’aller plus loin. Pas assez de soutien, pas assez de réalité commerciale. On commençait peut-être aussi à vieillir, tout simplement. Cinq, six ans… On avait dit ce qu’on avait à dire.
Après, tu vas monter Lapassenkoff, un projet plus hybride encore : du rock, de la funk et de l’électro, des boites à rythme…
Oui, c’est difficile de faire plus hybride que ce projet ! Avec ce duo (qui est ensuite devenu un trio) formé avec mon ami, mon mentor en musique Jacky Yantchenkoff, notre but était d’abord de goûter à la musique assistée par ordinateur. Ce qu’on a pu faire réellement un peu plus tard avec l’arrivée de Franck Benattar. On nous a qualifié ici ou là, dans le milieu des diggers actuels, de groupe précurseur de l’électro pop. En fait, les premiers samplers n’apparaissent vraiment par ici que vers 1983 (avec les Suisses Yello et surtout les fabuleux Young Gods), au moment où paraît notre premier album (« Shing a Ling ») enregistré lui dès 1981. Il y avait un duo avec un peu les mêmes caractéristiques à Nancy, Kas Product, qui était fascinant. En fait d’électro, pour notre premier album produit par Mosquito (Carte de Séjour, Chrome…) nous utilisions encore deux Reevox et de bonnes vieilles boucles magnétiques tendues par des pieds de micro, une boite à rythme TR 808 et un petit synthé Roland. Je chantais en français, ou plutôt dans un sabir de mots et d’images plutôt poétiques en français, anglais, bambara ou lingala… Ce qui était nouveau pour moi. J’avais bien essayé le français avec Killdozer, sur la fin, et ça n’avait pas été concluant du tout. Pour arriver à poser des textes francophones plus personnels, il me fallait un autre contexte, une autre voix aussi. Un autre terrain de jeu, plus curieux, plus mystérieux et ethnique que le rock ou la soul que j’avais jusque-là hurlé en anglais. Ça m’ouvrait de nouvelles perspectives, c’était un défi artistique.
C’est un projet incroyable, très avant-gardiste pour l’époque !
(Silence) Peut-être… En tout cas, à l’époque on ne nous l’a pas vraiment fait remarquer (rires) ! C’était sans doute trop expérimental justement, très Do It Yourself, bricolé, un peu ésotérique par certains aspects… Et puis nous avions encore une fois un problème de business. Nous n’avons pas été très exposés médiatiquement non plus. On a manqué de moyens et de sérénité pour produire correctement le premier LP en partie enregistré à Zurich, en Suisse, avec Carlos Peron (Yello). Le deuxième , réalisé aux studios de l’Hacienda, était au contraire surproduit, surchargé de synthétiseurs qui ont finalement mal vieilli. Il y a pourtant eu jusqu’à quinze musiciens participant aux sessions de ce deuxième opus nommé « Tsé Tsé » ! Mais nous ne savions toujours pas bien gérer nos affaires à l’époque. Nous n’avions pas les bons relais, les bons contacts… Nous bricolions dans notre coin. Provinciaux, indépendants et sans résultats commerciaux tangibles. Ce fut pourtant encore une belle aventure. Des gens bien plus jeunes que nous semblent découvrir ça aujourd’hui (ça a été réédité il y a trois ans par Décalé Records) avec étonnement et curiosité. Ça fait plaisir.
Tu as fait plein de choses à Lyon : du journalisme, de la radio et tu continues à faire de la musique. Tu es un passeur ?
J’aime bien, merci. Un passeur, je prends.
Tu n’as pas dû trop apprécier la pop des années 90 ?
Si, si, je n’ai pas décroché et je continue à acheter des disques aujourd’hui encore. J’écoute tout. Mais je n’imprime plus les noms depuis les années 2000 ! C’est vrai que le tournant des années 90 n’a pas été facile pour les musiciens rock, supplantés par le rap, les musiques électroniques et les DJs, dépersonnalisés par le téléchargement à la pièce. Mais je gère toujours les programmes et la discothèque de Radio Bellevue qu’on a remonté en version web en 2015/16, et j’ai besoin de sang neuf. C’est une gigantesque boucle avec plein de musiques hétéroclites, au moins éclectiques, de l’histoire et beaucoup de sons contemporains. Car le rock ou la rock culture ne sont pas morts, ils fourmillent toujours d’artistes originaux et engagés… Ils sont juste retournés vers des circuits plus souterrains.
Je viens d’enregistrer ici à Lyon deux titres pour un 45t vinyle avec les Beaten Brats, un fantastique trio néo-punk/garage de jeunes gens à peine trentenaires qui rend hommage aux Snappin’ Boys, et notamment au grand Charly, notre guitariste décédé l’année dernière…. Ça devrait sortir au printemps et ça s’appellera peut-être Snappin’Brats, ha, ha ! Ils sont trop bons et j’ai mouillé ma chemise pour suivre leur tempo de Bip-bip poursuivis par Coyotte.
Tu viens de remonter Killdozer sous le nom Sons Of Killdozer, pourquoi ce nom ?
Pour rigoler ! Il y a trois membres originaux de Killdozer sur les quatre du début, auxquels s’ajoutent Rotach’ (le batteur de Ganafoul) et deux plus jeunes : Pascal à la basse (Kiri, notre bassiste originel, était avec nous en 2021 encore, et puis il est décédé en décembre de la même année) et Marina qui chante avec moi. C’est top. Nous sommes six. Comme ce n’est donc pas tout à fait la formation originale, c’est plus honnête de tourner autour du nom sans le re-servir tel quel. Quand tu nous découvres sur scène, tu réalises tout de suite qui sont les « fils de »… Nous avons tous des enfants qui seraient largement en âge de jouer avec nous ou de reprendre l’histoire. D’où le clin d’œil.
Simplex Records vient de rééditer un album de Killdozer ?
Pas rééditer : c’est un album d’inédits ! Dans une DS sur cales dans le garage d’un pote, on a retrouvé une cassette avec des maquettes que nous avions réalisées à l’époque de nos débuts. En écoutant cette cassette, on a trouvé que ça cognait. C’est assez brut, vite enregistré sur deux pistes et mixé en prise directe, avec le groupe en live dans un petit studio de campagne, mais ça révèle un groupe que nous avions oublié. Jusqu’en 1978, on était plutôt hard rock’n’roll, limite garage-punk, un peu heavy par moment. Quand Christophe Simplex a entendu parler de cette cassette, il a demandé à écouter. Et voilà c’est sort, uniquement en vinyle. Belle pochette soignée, des photos, des bonus… Ça s’appelle « KILLDOZER - Lost Demos & Early Works (77-79) ». Ce sont des démos de l’époque à travers lesquelles on peut voir l’évolution du groupe sur deux ou trois ans.
C’est grâce à ces maquettes parues chez Simplex Records que vous avez remonté Killdozer ?
Exact. C’est à cette occasion qu’on a commencé à parler à nouveau de nous. On nous a proposé de jouer sur une soirée, puis deux. On s’est posé la question de continuer, et puis on a finalement remonté un répertoire d’une heure et demie, plus d’une quinzaine de morceaux, essentiellement des compositions du groupe. On est six, parfois huit avec deux cuivres additionnels bien soul. Voilà, on est prêt à tourner, mais on n’a toujours pas de tourneur !! (rires)
Il n’y pas vraiment d’objectif, pas de disque ?
Si quelqu’un nous propose, on verra… II faudrait d’abord de nouveaux morceaux. Pour l’instant on reprend nos compositions que nous réarrangeons avec les cuivres. On reprend aussi les Snappin’Boys. Rien de très neuf donc, mais on envoie grave !
Quels sont tes projets ?
Continuer à se faire plaisir. Outre les démos retrouvées de Killdozer et éditées en 2022 sur vinyle par Simplex Rec., après la réédition des deux albums de Lapassenkoff avec le label Décalé, on risque de replonger encore avec Chris Simplex dans les archives de divers projets personnels ou de groupe, souvent inachevés, jamais édités, que j’ai pu bricoler entre 88 et 98.
Quand tu regardes ton parcours, tu penses quoi ?
Sacré bonhomme ! (rires). Non, je me dis que j’ai eu de la chance de faire ce que j’aimais. J’ai joué de la musique, j’ai fait écouter et découvrir de la musique, j’ai écrit sur la musique, fait du journalisme et j’ai eu des prolongements radio professionnels au-delà de la Radio Bellevue des années 80 avec une émission quotidienne pendant dix ans sur Jazz Radio (ex-Fréquence Jazz). Je n’ai jamais eu besoin d’aller à l’usine ou de faire autre chose que ce qui faisait évoluer ma culture et me procurait du plaisir. C’est pas si courant, non ?
Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’emmener vers la musique ?
J’ai fait écouter du Delta blues, de la country vintage et de la soul à mes enfants. Au-delà du rap de son époque, mon fils de 24 ans aime aujourd’hui beaucoup aussi Skip James ou Bob Dylan par exemple. S’il entre dans la musique par-là, à la source, c’est gagné ! Sinon, je conseille d’écouter aussi la nature, les oiseaux.
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