Comment as-tu rencontré le personnage de Dan Cooper ?
Tout simplement un matin, en lisant un article de USA Today qui racontait en quelques mots cette histoire, en précisant que le FBI mettait un terme à une enquête de 45 ans. L’article précisait que c’était le seul détournement d’avion aux USA qui n’avait jamais été élucidé. On ne sait rien sur Dan Cooper : son vrai nom, sa nationalité (était-il américain ou canadien ?). A partir de là, j’ai lu tout ce que je trouvais sur cette histoire. J’ai trouvé énormément d’articles qui lui étaient consacrés. Grâce à internet on peut retrouver les coupures de presse de l’époque, c’est-à-dire le weekend de Thanksgiving 1971. Au début, je pensais que c’était un super sujet de nouvelles et puis, au fil du temps, c’est devenu un roman.
Ton livre est séparé en trois parties : une première partie ou tu te mets dans la peau de Dan Cooper, une deuxième partie où les deux journalistes enquêtent et une troisième avec une collection de personnages assez… hétéroclites.
Dans la partie où je parle à la première personne, je me suis imaginé être Dan Cooper. Je me suis mis dans la peau de ce type de 45 ans qui décide un jour de détourner un avion, qui demande 200 000 dollars et qui s’enfuit d’une manière originale puisqu’il va sauter d’un avion de ligne en vol, ce qui n’est pas courant ! J’ai aussi essayé de me mettre dans sa peau lorsqu’il saute au-dessus d’une forêt, pendant un orage et dans le noir complet.
Après, il y a la partie des deux journalistes : est-ce qu’ils existent ?
Non, j’ai changé le nom de tous les personnages parce que je sais que les Américains sont très procéduriers. J’ai changé les noms propres de tous les suspects mais j’ai gardé leurs traits de caractère. J’ai joué avec les noms. Par exemple, il y avait un suspect qui s’appelait Brown, ce qui m’a évidemment fait penser à James Brown et j’ai changé son nom Redding en pensant à Otis Redding.
Tu veux dire que tous les personnages que tu décris, cette collection d’individus hétéroclites, ont été des suspects ?
Oui, il y a douze personnes dont le FBI a estimé qu’elles constituaient des Dan Cooper crédibles. Tous les crimes que je décris, et qui sont épouvantables, sont de vrais crimes, ils ont eu lieu dans la réalité. J’ai étudié la biographie de ces personnages et les motivations qui les ont fait basculer du côté obscur. Le romancier rentre ensuite en jeu, j’ai raconté cela à travers mon prisme.
Il y a un personnage qui rappelle Xavier Dupont de Ligonnès, on sait qu’il y a eu un crime similaire aux USA.
Absolument, comme quoi l’histoire se répète. Dans mon roman (et aussi dans la réalité), il s’agit d’un homme qui a tué sa femme, ses deux enfants, sa mère et son chien, c’est d’ailleurs la perte de ce dernier qui lui a causé le plus de peine. Il a ensuite allumé toutes les lampes ainsi qu’une radio afin que les voisins croient que la maison était toujours habitée, le temps de disparaître dans un autre État. Il a refait sa vie. Il s’est marié et est devenu un personnage incontournable de sa paroisse, un citoyen modèle. Par exemple, il raccompagnait les personnes âgées chez elles après la messe. Mais un jour, une émission de télévision spécialisée dans les crimes non résolus a évoqué son cas et a montré une photo de lui. Un voisin l’a aussitôt reconnu et, vingt ans après ses crimes ignobles, le « citoyen modèle » a été condamné. Les USA sont un pays hors normes, on n‘est donc pas étonné d’y croiser des personnages hors normes.
Ton style et ta vision des USA sont très réalistes : c’est une Amérique très loin des critères habituels de Los Angeles avec notamment beaucoup d’anciens militaires.
C’est la réalité de beaucoup d’américains des années 70 : des hommes qui ont fait la guerre pendant trois, quatre ou cinq ans au Vietnam ou en Corée. On leur a juste apprit à se battre et à tuer et, à leur retour, ils ont été mal accueillis. Les étudiants et les militants politiques leur reprochaient les atrocités commises au Vietnam et le reste de la population était lasse de ces guerres qui estropiaient ou tuaient leurs enfants. Certains vétérans du Vietnam se sont reconvertis dans le crime. Ils sont le reflet de cette époque ultra violente.
Je pensais que tu avais choisi des vétérans parce que pour sauter d’un avion en pleine nuit il fallait avoir une instruction militaire.
Au début, le FBI a orienté ses recherches vers ce type de profil : d’anciens militaires qui seraient aussi des parachutistes confirmés. C’est la première piste suivie mais qui s’est avérée mauvaise. Les enquêteurs ont vite compris que Dan Cooper n’était pas un parachutiste expérimenté : on ne saute pas en pleine nuit, en hiver et pendant un orage, au-dessus d’une forêt sans savoir précisément où l’on va atterrir, vêtu d’un costume de ville et chaussé d’une paire de mocassins. La région était sauvage, à des kilomètres de toute civilisation. Il va ensuite commettre une deuxième erreur : avec la rançon, il se fait livrer quatre parachutes, deux dorsaux et deux ventraux, qui sont des parachutes de secours. Les parachutes sont livrés par l’instructeur d’un club de parachutisme qui a été prévenu en urgence par le FBI. Il prend ce qui lui tombe sous la main et se précipite à l’aéroport de Seattle où l’avion s’est posé. Or, parmi les ventraux qu’il livre, il y en a un qui est factice et sert uniquement pour le premier cours, pour familiariser les élèves avec le matériel. Et c’est ce parachute ventral que va choisir Dan Cooper ! Il était donc peu expérimenté.
Dans tous tes livres il y a un chanteur qui revient à chaque fois : c’est Johnny Cash ! On a l’impression que pour toi il est le symbole de cette Amérique dont tu parles : l’Amérique prolo, travailleuse…
C’est un peu le héros de l’Amérique prolétaire, c’est quelqu’un qui chante les joies et les peines de l’américain moyen, il en a partagé les souffrances. Peut-être que Bruce Springsteen aujourd’hui occupe cette place même s’il compte aussi des intellos parmi son public. En tout cas, pour tout ce qu’il représente, Johnny Cash avait sa place dans un roman sur Dan Cooper.
Tu es un grand fan de Johnny Cash ?
J’aime bien sa musique et le bonhomme m’intéresse mais je ne suis pas un spécialiste de sa discographie. C’est quelqu’un qui a eu plusieurs vies et à ce titre je le trouve passionnant.
Je me suis demandé si certains de tes personnages sont un peu comme Johnny Cash : ancien militaire, mal à l’aise dans la vie, qui tombe dans des addictions. Je me suis demandé si tu t’étais inspiré de sa vie pour décrire certains de tes personnages ?
Si c’est le cas, c’est involontaire, mais c’est très juste ce que tu dis en ce qui concerne certains des personnages du roman. Cash est représentatif de la vie de milliers d’Américains. Quand tu es pauvre aux USA, que tu veux apprendre un métier ou voir du pays, la seule possibilité c’est l’armée, en espérant qu’ensuite la chance te sourira. Ce fut le cas pour Johnny Cash.
Vois-tu en France des gens qui pourraient être comparés à Dan Cooper ?
Il y a eu des cas de détournements d’avions, mais c’étaient davantage pour des raisons politiques. Le métier de pirate de l’air est devenu compliqué : les aéroports sont bardés d’appareils de surveillance. Quand Dan Cooper commet son crime, c’est une autre époque : il paye son billet en espèces, avec un billet de 20 dollars, et pour l’enregistrer, on lui demande simplement son nom, il n’a même pas besoin de fournir une pièce d’identité. Il n’y a aucun contrôle : il monte tranquillement dans l’avion avec sa bombe. Suite à ce détournement, l’industrie aéronautique va être amenée à renforcer ses procédures de sécurité.
Comme toujours avec toi, tu vas au fond des choses : tu donnes beaucoup de détails qui rendent tes personnages vivants et attachants. Tu t’es beaucoup renseigné sur l’Amérique de ces années-là ?
Oui, j’aime bien travailler sur la vie quotidienne des gens : je trouve ça super intéressant ! Les marques de cigarettes, combien coûtait un hamburger ou un bourbon-soda en 1971… C’est ça qui donne de la saveur et de l’authenticité à un roman et permet au lecteur d’y croire. Ce travail de recherche est très agréable, moi, par exemple, je le fais en visionnant des films des années 70. Je sais quels types de voitures conduisaient les américains à cette époque, quelle coiffure portaient les femmes… Je pense, et j’espère, que cela permet au lecteur de vraiment « rentrer » dans l’histoire.
Dans la forêt où il a sauté, on a retrouvé 6 000 dollars qui proviennent de la rançon.
C’est grâce à un petit garçon de huit ans qui piqueniquait dans cette région avec ses parents. Il creusait des trous au bord de la rivière Columbia pour faire des châteaux de sable et sa pelle a rencontré une liasse de billets de banque. Il l’amène à ses parents qui vont à leur tour la remettre au bureau local du FBI. Le numéro des billets avait été consigné avant d’être remis à Dan Cooper. On s’est vite aperçu qu’il s’agissait d’une partie de la rançon. Comment sont-ils arrivés là ? On ne le sait toujours pas. Ça correspond à peu près à la zone où Dan Cooper a sauté en parachute, mais on n’a jamais compris comment ces billets étaient arrivés là. À ce jour, c’est tout ce qu’on a retrouvé de la rançon.
Ce roman est comme un scénario, un peu comme une série.
C’est vrai, on verra si cela inspire un réalisateur…
Mais selon toi qu’est-il arrivé à Dan Cooper ?
J’aimerais croire qu’il a réussi et qu’il a fui au Mexique où il a vécu tranquillement pendant quelques années, parce qu’il n’a fait de mal à personne finalement. Mais dans les conditions où il a sauté, en pleine nuit, loin de tout moyen de communication, donc sans la moindre possibilité d’être récupéré par une voiture, il est plus probable qu’il n’ait pas survécu. Dans un tel environnement, sans eau ni nourriture, sans vêtements chauds, c’est du suicide. Mais pourquoi n’a-t-on pas retrouvé son corps ? C’est l’une des énigmes de cette histoire.
Tu penses qu’il était tout seul ?
Je le crois, même s’il y a des théories qui voudraient qu’un complice l’ait attendu au sol. C’est peu plausible parce qu’il n’y avait pas de routes à proximité et le complice aurait dû le rejoindre à pied. Ensuite, il a sauté de manière un peu aléatoire, il n’y a pas de GPS à l’époque, et un complice aurait eu beaucoup de mal à le localiser. Pour moi c’est un solitaire. Cela le rend encore plus intéressant : il a tout organisé seul, tout préparé dans son coin, le personnage en devient encore plus énigmatique. Le FBI a étudié tous les cas de disparitions survenues aux États-Unis autour du weekend de Thanksgiving, et aucun ne correspondait au profil de Cooper. Personne n’a signalé la disparition d’un homme correspondant à son signalement. Cela signifierait qu’il n’avait ni famille ni amis proches et qu’il n’était pas salarié d’une entreprise, auquel cas on aurait remarqué son absence. Cela renforce aussi la thèse qu’il aurait pu être canadien.
Pourquoi n’aurait-il pas repris sa vie tranquillement le lundi matin et aurait démissionné quelque temps après ?
C’est la troisième hypothèse, certains prétendent qu’il aurait repris sa vie normalement, donc insoupçonnable. Il y a même des théories qui disent qu’il aurait fait ça pour le geste, pour se prouver à lui-même qu’il pouvait le faire.
Il y a peu de livres ou de films sur lui pourtant c’est un personnage incroyable. Pourquoi ?
C’est vrai, je suis étonné que Hollywood n’ait pas fait un film à gros budget sur lui. Peut-être ne voulait-on pas magnifier un homme qui a détourné un avion sans se faire arrêter ? Pourtant les USA ont produit des dizaines de films qui dressent des portraits plutôt flatteurs de criminels. Pour Cooper, il y a eu un téléfilm et quelques documentaires.
Il va commettre un crime sans haine.
Sans haine et sans effusion de sang. L’hôtesse de l’air qui s’est occupée de lui dit qu’il était poli, très calme, n’élevant jamais la voix. Il a même tenu à payer la consommation qu’il a commandée, ce qui n’est pas banal pour un pirate de l’air ! Il ne ressemblait pas du tout à l’image que l’on se fait d’un gangster.
Ce livre est composé de portraits qui pourraient passer pour des nouvelles.
Oui, c’est un roman pluriel. L’histoire est racontée à travers la voix d’une dizaine de personnages. Tous ont été à un moment ou à un autre soupçonnés d’être Dan Cooper. C’est le lien invisible qui les réunit. Et puis il y a ces deux journalistes qui essaient de reprendre l’enquête 45 ans plus tard en réexaminant ces cas.
Quel est le personnage pour lequel tu as le plus de tendresse ?
Les deux journalistes, en particulier ce bon vieux Mark Anderson qui a consacré sa vie au dossier Dan Cooper.
Tu crois qu’on connaîtra la vérité ?
Je ne sais pas… Le FBI est preneur de toute nouvelle information en tout cas. Cela s’est passé il y a cinquante ans, beaucoup d’indices ont disparu et beaucoup de témoins sont morts. Les chances de résoudre cette histoire paraissent assez limitées, sauf si quelqu’un trouve dans une vieille malle, au fond d’un grenier, une confession écrite ou les 194 000 dollars restants.
Il sort chez qui ton roman ?
Il est publié chez La Manufacture de Livres qu’a fondée Pierre Fourniaud, et j’en suis ravi parce que c’est une maison d’édition que j’apprécie et je suis en compagnie d’auteurs que j’adore ! C’est une joie de travailler avec ce genre d’éditeurs.
Quels sont tes projets ?
Je travaille sur un autre roman.
Mais tu vas réécrire sur la musique ?
Peut-être, il faut juste trouver un projet motivant. Il n’y a pas d’urgence.
Que veux tu dire pour la fin ?
Merci pour cet entretien. C’est aussi un livre sur l’Amérique que j’aime, celle du début des années 70, celle d’un cinéma que j’aime. Un autre monde ! Tu pouvais détourner un avion et sauter en parachute d’un Boeing, ce qui n’est plus possible aujourd’hui puisque, suite à Dan Cooper, Boeing à modifié ses appareils.
A la fin, tu remercies Dan Cooper et tu lui souhaites de courir encore longtemps !
Mais oui, je ne lui veux pas de mal à ce monsieur qui doit aujourd’hui approcher les 95 ans. Il m’a quand même permis d’écrire un roman !