Il fera bon mourir un jour. Il s’agit de ton septième livre !
En effet, le septième en vingt-cinq ans. J’ai publié quatre récits autobiographiques et trois biographies musicales : Lili Drop & Olive, Bijou et Ian Dury. Je suis un passionné de rock. Ce qui m’a d’ailleurs valu de très belles rencontres.
Un livre qui s’achève là ou commence « Fragments d’un amour suprême ».
Je ne pouvais pas respecter l’ordre chronologique. Tout simplement parce que Fragments d’un amour suprême correspond à une période précise de ma vie, qui plus est de courte durée, tandis que pour ce dernier récit j’ai dû plonger, m’aventurer dans les bas-fonds à proprement parler. Ce fut un déchirement, et pourtant, au final, cela ne devait absolument pas avoir l’air d’une déchirure. Il m’a fallu trois ans pour en arriver à bout parce que dès le départ prévalait le sentiment que c’était impossible à écrire. Il m’a fallu du temps, plus d’introspection, des tas de versions ayant atterri direct à la poubelle. Ce fut compliqué, un défi dont je ne pensais pas me relever, un récit qui relate à bout de bras tout de mon parcours hors norme : mon enfance, si tant est que l’on puisse parler d’enfance, idem en ce qui concerne mon adolescence, et qui s’achève par le décès de mes parents.
Pourquoi as-tu appelé ce livre ainsi ?
Je me suis réveillé en sursaut une nuit, et le titre était là. Je me le suis pris en pleine face. J’ai pensé qu’un tel titre était destiné à mes parents, seul et unique moyen, il fera bon, de trouver enfin quelque peu la paix. Et là, une fois publié, j’ai senti que c’est moi qui me trouvais alors au pied du mur. Écrire, et ce n’est pas nouveau, chaque titre de mes récits en atteste, me projette inexorablement en plein cœur de la vie. Mourir un jour je ne peux qu’espérer que ce jour-là il fera bon. Que j’aurai réglé tout du moins l’essentiel via mon écriture.
C’est un livre très bien écrit, mais aussi d’une noirceur absolue. Il y a un sens du détail, de l’adjectif qui est parfait ! C’était une volonté de ta part ?
Oui, il fallait que chaque phrase soit une émotion. Incessamment une purge. Je n’ai pas cherché le côté sujet, verbe, complément, qui n’aurait fait que révéler le manque. Il m’était essentiel que cela éclate, en permanence. Quant à mon objectif premier, il fallait que je sois bluffé au détour de chaque phrase. Ce qui m’importait dans ce récit c’est qu’il contienne une vraie dimension littéraire. Une dimension qui se devait de prendre le dessus sur le contenu. Parmi les premiers retours de lecteurs, il en est un qui me laisse à entendre que j’ai atteint mon objectif, je cite : « c’est troublant, on prend du plaisir à lire ». Alors qu’effectivement celui-ci est d’une noirceur absolue. Ce dont d’ailleurs je ne me rends pas compte.
La première partie, cette enfance avec tes parents, on dirait presque une secte !
On pourrait d’autant plus y songer, à partir du moment où cette cellule familiale ne ressemble en rien à une famille.
Des parents qui s’avèrent absents.
Totalement. C’est peu dire qu’ils sont dans leur monde. Sans une once d’affection en retour. Sans rien sinon ce néant qu’ils nous imposaient. Comment se construire en ayant vécu en partie dans le noir ?
Il y a aussi un rapport au corps qui est très présent, comme si celui-ci passait au-dessus des sentiments.
Le corps, évidemment le corps, justement en l’absence de sentiments. Le corps d’enfant, littéralement en miettes. J’ai toujours eu, vite, très vite me semble-t-il, un rapport très particulier au corps. Je n’ai jamais eu d’enfance. On me l’a volé. Pour moi, cet enfant n’a jamais été vraiment vivant. Mort-né. Et à l’adolescence, ce rapport éprouvant au corps a pris une telle ampleur de par ma maladie, le syndrome de Guillain-Barré ayant entraîné une paralysie complète, qu’il a fallu que je fasse une alliance avec ce corps. Un deal entre moi et moi. De l’intérieur.
Dans la littérature, quand on parle du corps, on parle surtout d’érotisme. Là il n’y en a pas du tout !
Eh bien non (rires) ! Pourtant le corps est là et cherche à exister. Il est mon seul allié. L’érotisme, je pense qu’il surgit au détour de ces phrases qui s’emparent de ce corps dans ce récit.
Mais il n’est pas trop lourd pour toi ce corps ?
Lourd dans un certain sens, car je ne le comprends pas. Et pourtant je tente l’impossible. Chaque mot de ce récit en atteste. M’en emparer. Il aurait fallu un rapport humain, de la tendresse, de la présence, mais là, il a échappé à tout ça et donc ça rend compliqué toute approche et appréhension de ce corps.
Il y a aussi le fait qu’il n’y a pas de lumières, tu vis dans la pénombre ou dans la nuit et tout le livre est marqué par ça ! Comme si tu te sentais hors la vie.
C’est plus une recherche de la vie à partir du noir. C’est assez étrange, mais j’ai grandi en partie dans le noir et quand je commence mon errance, qui plus est à treize ans c’est surtout, avant tout de nuit. La lumière est quelque chose qui m’a manquée, quelque chose que je ne peux pas combler. D’ailleurs écrire relève en définitive de cet ordre des choses. Écrire, se saisir de ce noir, de l’encre.
La deuxième partie de ton livre traite de ton errance.
(Silence) Oui, c’est une errance boulimique. Une recherche absolue, béante, de ma vie. C’est d’autant plus étrange au vu de mon parcours, mais j’aime intensément la vie, et cette errance je la conçois telle une quête.
On a l’impression, pourtant, que tu as du mal avec la vie ?
Concrètement, j’ai du mal à vivre comme tout le monde. Parce que ce parcours hors norme, ce ne sont pas des souvenirs que l’on peut ranger sagement dans un coin. J’avance en âge et rien n’y fait. L’énergie et le vital qu’il m’a fallu, je ne peux pas, en aucun cas m’en détacher. Ils sont de tous les instants, mon présent. Et l’écriture, mon écriture me signifie qu’ils font partie à tout jamais de ma personne.
Est-ce que tes 15 ans n’ont pas été la période la plus compliquée ?
Oui, c’est vraiment l’âge où je voulais mettre fin à tout ça. À espérer, à escompter qu’il m’arrive enfin quelque chose de l’ordre indubitablement du pire. Le seul moyen, seule façon de m’extirper de cette famille. À prier, errer comme un fou afin que quelque chose se produise. Persuadé d’emblée que cela allait mal finir.
Ensuite tu vas avoir une vie compliquée : il va y avoir un mort, tu vas être protégé par la police, tu vas être obligé de t’enfuir… Tu racontes tout ça avec un calme absolu comme si c’était normal. Là on passe de l’errance à la fuite !
C’est une fuite à double sens parce que je n’ai pas provoqué cette fuite ! On m’a mis dans un train et je suis parti sans savoir où j’allais (rires). C’est une fuite que l’on m’a imposée ! Une fois arrivé dans le sud de la France, ça n’a été que la prolongation de mon errance.
Qu’est ce qui t’a aidé à ce moment-là, la littérature et ton amour profond de la musique ?
Pas à ce moment-là ! C’est venu après mes années de rue. Ce sont des éducateurs qui m’ont incité à repartir de l’avant, à me cultiver, à cultiver ma sensibilité, à reprendre des études…
Il va y avoir une personne qui va jouer un grand rôle, c’est Frida qui va te permettre de revivre !
Frida m’a littéralement sauvé. De la rue et si je continuais ainsi, de la mort probablement imminente. Je l’avais rencontré dans un foyer d’entraide et à partir de ce moment-là, elle ne m’a plus lâché. Des mois à tenter de me relever. Elle a fait preuve d’une telle patience.
La deuxième partie de ton livre est narrative alors que la première partie est descriptive. C’était conscient ?
Non, absolument pas, c’est totalement inconscient, mais le fait qu’il y ait une narration c’est parce qu’il y a un chemin qui se creuse et il va dans le bon sens, comme si j’étais remis sur les rails.
La troisième partie est de nouveau dans l’émotion quand tu retournes voir tes parents.
Hé oui, parce qu’on retrouve ce cercle à nouveau, un cercle qui est tout sauf narratif.
Mais quand tu retournes voir tes parents, les choses ont changé : tu sais ce qui t’attend, tu ne vas pas retourner dans leurs jeux.
Je reviens après tant d’années sans les avoir vus. Sachant de quoi ils ont été capables, je reviens tout en m’attendant, et ça n’a pas manqué, à assister à un véritable désastre.
Pourquoi sortir un livre pareil ? Ce n’est pas une manière d’en finir avec ce passé ?
Je vis au quotidien avec tout ça. Ce passé est d’autant plus mon présent. Marqué à vie. En d’autres termes et en tant qu’écrivain, je fais partie de ces écorchés littéraires auxquels je voue une véritable passion. Ils sont mes frères. Je m’inscris corps et âme dans leur sillage, dans leur veine. Il y a cette phrase de Tom Wolfe qui dit « on écrit pour oublier ». Je peux enfin avec ce récit poser tout cela, cette vie hors norme, à mes côtés. Tout en sachant que je n’en finirai jamais avec mon passé.
Ce n’est pas égoïste de sortir des livres qui parlent de soi ?
Avec une telle vie, je ne pense pas. J’ai fait mienne cette phrase de Gilles Deleuze : créer c’est résister. Créer à partir de quoi, sinon soi. Écrire, pour moi, c’est être à l’écoute du monde. Avec cette forme d’éblouissement que la littérature m’apporte, je tente en toute humilité de dépasser l’entendement.
Quels étaient tes modèles d’écriture pour ce livre ?
Dans la révolte ce serait Calaferte. « Septentrion » est un livre où il a tout posé. Un corps arraché à lui-même. Dans la puissance d’évocation qui surgit de l’écrire, je me réfère à Jean Genet.
C’est l’écrivain qui peut se rapprocher le plus de toi ou Cyril Collard ?
Je ne pense pas être dans le romantisme, ce qui me semble coller à la peau de Cyril Collard.
Il y a deux personnes qui traversent ce livre, ce sont ton frère et ta sœur !
Ma sœur, oui, schizophrène au même titre que ma mère. Complètement fermée sur elle-même et incapable de communiquer avec le monde. Ce n’est pas facile pour moi parce que je revois ma mère à travers elle !
Et il y a ton frère qui est un des personnages du livre, qui ne t’aide pas ! On a l’impression qu’il vit mieux la situation que toi ?
On ne peut pas dire qu’il ne m’aide pas. C’est un arrachement en ce qui me concerne, car il s’agit de mon frère jumeau. Ce qui revient à dire grandir ensemble. Ce que mes parents ont d’emblée anéanti. On n’a pas vécu de la même façon, c’est la seule chose qu’il m’a dite. Il n’a pas besoin de poser les choses comme moi. On est complètement différent. J’ai effectivement le sentiment de m’être heurté à la vie de plein fouet. De l’avoir payé au prix cher lorsque mon père m’a fait interner à seize ans. Ce dont mon frère n’était d’ailleurs pas même au courant, il ne l’a appris que récemment. Je pense que chacun devait sauver sa peau et il a fait comme il a pu. Il s’est protégé.
Comment se remet-on d’une telle vie ?
On ne s’en remet pas. Alors quoi, une fois dit cela. La culture, surtout la littérature, m’a beaucoup aidée. Le fait de se cultiver a été capital pour moi. Il y a une chose que je tiens à préciser c’est que je n’ai jamais eu de haine, j’espère que cela se sent. Il y a eu des éclairs, mais j’ai toujours refusé la haine. Ça aide à se reconstruire et à avancer.
C’est vrai qu’il n’y a pas de haine dans ce livre, pourtant tu as été exploité par plein de gens, comme si c’était de la fatalité.
J’aurais voulu plus comprendre ce qui s’est passé, quoique je n’aime pas le mot fatalité, et si j’avais pu cela aurait été plus facile pour moi. Peut-être. J’aurais eu des explications que je n’ai jamais eues.
Tu as une espèce d’errance sans haine où tu vis une dérive. Tu n’as jamais pensé au suicide ?
Non, jamais, j’aime trop la vie pour ça ! Mon errance se présente comme l’antithèse du suicide.
Tu as échappé à la drogue et à l’alcool ?
Oui, quoique la drogue a parfois été présente, sans accoutumance. L’alcool, non. J’ai toujours voulu garder ma lucidité. Il y a tant de gens que j’ai connus qui ne s’en sont pas sortis et qui sont morts.
Tu vas continuer à raconter ta vie ?
Je pensais que c’était le dernier récit autobiographique, mais d’une certaine façon on écrit toujours le même livre. Je ne sais pas comment je vais m’y prendre, quels mots, quels heurts, mais il me semble que je me dois de me pencher, de raconter mon premier hiver à la rue. Parce qu’il n’est pas un seul jour sans que je songe à ce jeune garçon sorti une nuit de nulle part ; et mort de froid à mes côtés.
Tu as un parallèle avec Gérald Thomassin ?
Je suis très sensible à son histoire qui n’a de cesse de me toucher. Sa vie a été un enfer, sa disparition la seule issue possible, finalement. Il explose littéralement dans Paria, film de Nicolas Klotz en 2001. Un film qui nous entraîne dans la réalité de l’exclusion sociale. La rue. Un ton juste. Ce qui évidemment me parle.
Quels sont tes projets ?
J’ai un projet sur Dennis Wilson, le batteur des Beach Boys, qui a eu une vie spéciale. C’était le deuxième génie du groupe. Après le « retrait » de Brian Wilson, on trouve dans chaque album du groupe des morceaux de lui. Sa vie est incroyable : il a connu le succès et il a tout perdu, tout en fréquentant Charles Manson. C’est un projet que je reprends régulièrement, puis que je mets de côté. Je veux raconter au plus près. Pour l’instant je n’ai pas le fil. L’écho. Peut-être un jour.
On parle de ton éditeur ?
Les éditions Ardavena, une jeune maison d’édition basée à Saint-Malo, tout juste un an d’existence et dirigé par Pascale Privey. Une rencontre est prévue le 16 novembre à Paris à la librairie la 25e heure, rencontre à laquelle je participerai et qui réunira cinq auteurs maison. Ils ont tout de suite été séduits par mon dernier récit. Je ne peux que les remercier d’avoir eu le courage de me publier.
Il y a aussi le Salon du livre de Vierzon que tu coorganises ?
Oui, ce sera le 18 novembre prochain. Un salon indépendant, nous y tenons, pour une onzième édition qui réunira 69 auteurs.
Quels sont les retours concernant ton dernier livre ?
Ils sont très bons, ce qui évidemment me touche.
Ce pourrait être un scénario de film ?
Ça pourrait, mais c’est compliqué, me semble-t-il.
Pourtant il y a des gens qui ont fait des chansons ou des lectures de certains de tes livres !
Oui, je pense en particulier à Fred Signac qui a mis en musique les premiers de mon premier récit, Heurt Limite. Je n’avais pas relu celui-ci depuis si longtemps qu’il m’a semblé découvrir ces mots pour la première fois.
Aujourd’hui tu es apaisé ?
Oui et non ! Oui quand j’écris et non quand je n’écris pas ! L’écriture m’a vraiment sauvée. Au bout du compte, je ne tiens vraiment qu’à un fil. Une ligne et puis encore une ligne.
Site internet auteur : http://jean-francois-jacq.e-monsite.com/
Site internet des éditions Ardavena : https://ardavena.com/
AGENDA
Jeudi 16 novembre – Événement éditions Ardavena. Rencontre et dédicace : librairie la 25e heure, 8 place du Général Beuret, Paris 15e, à 19h00.
Samedi 18 novembre – Rencontre et dédicace. Salon du livre de Vierzon. Centre des Congrès, de 10h00 à 18h00.
Dimanche 19 novembre – Rencontre et dédicace Salon du livre D’Aubière (en proche périphérie de Clermont-Ferrand) ; Cosec, avenue Charles de Gaulle, de 10h00 à 12h00 et de 14hh00 à 17h00.