Tu sors un nouveau récit « L’élevage du brochet en bassins clos », aux éditions In8, avec un format spécial : c’est un roman ou une grosse nouvelle ?
C’est une novella, c’est un mot qui est peu utilisé ici alors qu’il est très courant aux USA, c’est une grosse nouvelle. Une sorte d’intermédiaire entre un roman et une nouvelle.
Dans ton récit, on te retrouve comme un grand fan de musique, puisqu’il y a Paul McCartney en tournée dans un bus avec son nouveau groupe, les Wings, perdu dans la campagne française en 1972 ?
Oui, depuis la fin des Beatles, il veut remonter sur une scène mais dans une version plus « light » ! Il cible les petites salles, avec les moyens d’un groupe débutant. C’est pour retrouver ce contact avec le public qu’il a monté les Wings. Les concerts ne sont pratiquement pas annoncés dans la presse. Le but est de se réhabituer à la scène. Il tourne dans un bus à impériale. C’est à la fois des vacances, avec femmes, enfants, cuistot, mais cela reste une vraie tournée. C’est un peu le club Méditerranée on tour (sourires). Cette partie du récit est authentique.
Ils sont passés en 1972 dans la Somme ?
Oui, puisqu’ils ont joué à Amsterdam et sont ensuite allés à Paris. Ils ont donc traversé le nord de la France.
Il y a un autre groupe dans ton livre qui se trouve au même endroit que les Wings ?
Oui, un groupe de loosers qui s’appelle The Famyly, dirigé par un petit escroc, qui n’a pas réussi et essaye de ramener du monde à ses concerts en se faisant passer pour le vrai Family. David, leur leader, croit que leur statut de groupe anglais va suffire à attirer les foules, mais il ne rencontre aucun succès et son groupe est en train de se séparer. Ils tournent aussi dans un bus acheté d’occasion qui tombe en panne tous les cent kilomètres.
Ils arrivent près d’un village ?
Oui, Lamotte-Buleux, 257 habitants. Un village qui existe vraiment et qui est un peu, dans mon livre, comme une ville du Far West, sous la coupe de deux frères célibataires : les Touvier.
C’est un nom pas vraiment anodin en France !
Tu es le premier à me faire la remarque, mais oui, c’est le nom du milicien Paul Touvier, qui a été caché pendant longtemps par des moines dans des abbayes après la guerre. Il a été retrouvé et enfin jugé. C’est juste un bon gros salopard de milicien. Je trouvais qu’il me fallait un nom de famille de bon salaud et le sien s’y prêtait bien. Je pensais qu’on le remarquerait davantage !
Tu es allé dans le village ?
Non, mais je connais bien la région.
On sent vraiment que dans cette région, ils ont du mal avec les hippies !
C’était la France de l’époque. Je me rappelle d’un prof de math au lycée qui m’avait dit qu’il portait une barbe en 68 et que cela choquait les gens dans la rue, juste parce que cela sortait de la norme. Au début des années 70, les jeunes chevelus sont associés à la drogue, à la délinquance, au gauchisme… Bref, tout ce qu’une partie de la population n’aimait pas !
C’est la première fois que tu écris un roman qui se passe avant 1977, avant le punk. Tu es souvent lié au punk alors que là tu parles des hippies. Tu vas jusqu’à proposer une bande-son très hippie 70. C’est étonnant pour toi !
J’ai toujours écouté de tout ! En 1977, j’écoutais les Sex Pistols mais aussi du disco. Cela ne m’a jamais gêné. C’était un peu une façade, cette attitude, parce que tout le monde écoutait de tout, même s’il ne fallait pas le dire. Les punks reprenaient les Who, qui étaient censés être un groupe dinosaure, même si le côté « Mods » les rendaient plus acceptables grâce à The Jam.
Pourquoi as-tu situé cette histoire dans cette région ? C’est à cause de McCartney ?
Non, j’avais l’idée d’un groupe anglais qui fait naufrage dans la France profonde au début des années 70. Ce qui m’intéressait c’était vraiment le conflit de génération qui atteignait son paroxysme à ce moment-là.
C’est un conflit de génération ou de société ?
Les deux ! Il y a une jeune femme dans mon roman, qui est la fille du patron du bistrot, qui symbolise bien tout ça. Elle est jeune, elle a été à Lilles faire ses études où elle a découvert un autre monde et elle sent bien qu’elle ne va pas vivre toute sa vie dans ce village qui sent le moisi.
Tu as étudié des profils de Serial Killers et où as-tu trouvé cette idée de brochets ?
(Rires) Les brochets sont carnivores ! Je n’ai pas fait l’expérience mais c’est connu. Quand tu commences un roman, tu as une idée de départ que tu creuses au fur et à mesure. J’ai trouvé les deux tueurs et je me suis demandé comment ils allaient faire pour se débarrasser des corps. Des Piranhas, ce n’était pas possible parce que nous sommes en France. J’ai cherché une variété de poissons carnivores d’eau douce et je suis tombé sur les brochets.
Tu as un style où tu amènes des précisions par rapport à l’époque, les lieux. Tu fais très attention aux détails ?
C’est un peu obligatoire. C’est ce que tu apprends dans tous les ateliers d’écriture. On a cinq sens et il faut que le lecteur puisse les ressentir.
Tu as animé des ateliers d’écriture ?
Oui, c’est intéressant, mais j’ai arrêté parce que cela me prenait trop de temps. Mais je recommencerai.
On parle de ton éditeur ?
Bien sûr, il est basé dans la région de Pau. À la base, il publiait du polar, maintenant il a étendu ses collections à tous les domaines de la littérature. La maison d’édition abrite une collection de novellas qui s’appelle Polaroid, dirigée par Marc Villard. C’est Marc Villard qui m’a proposé d’éditer ce texte. On s’est rencontré dans un salon littéraire et, en se quittant à la fin du weekend, sur le quai de la gare, il m’a proposé de lui soumettre un synopsis.
Tu avais déjà l’idée ?
J’avais l’idée d’un groupe anglais planté dans la province française mais ce n’était qu’une ébauche. Ça a été le déclic pour la développer.
Tu as envoyé le livre à McCartney ?
Non, ce serait intéressant d’avoir son avis. Il parle un peu français, je crois : « Michèle, ma belle… ! »
Tu as aussi mis une bande-son ?
Oui, c’est celle de 1972, en rapport avec l’histoire. Par exemple, à un moment, les membres de The Famyly jouent un extrait du nouvel album des Stones qui est, cette année-là, « Exile on Main Street ». La BO du livre comprend aussi les Wings et le vrai Family… Tout est en lien avec l’histoire.
C’est ton quatrième roman, tu vas continuer à écrire des romans ?
Bien sûr !
Mais tu vas refaire des livres « historiques » ?
Ça dépendra, c’est une relation auteur-éditeur, et cela nécessite beaucoup de recherches… Un livre qui évoque, par exemple, les années 1950, nécessite beaucoup de recherches en amont. Pour l’instant j’ai quelques idées mais plus contemporaines.
https://www.youtube.com/watch?v=-JB6wJqYrIY
Tu fais comment pour écrire : tu écris tous les matins ou, quand l’idée est là, tu ne t’arrêtes plus ?
C’est plutôt quand l’idée est là.
Tu te relis beaucoup ?
Bien sûr, mais je n’aime pas beaucoup les auteurs qui ajoutent des mots savants pour montrer qu’ils ont un Littré chez eux. Je préfère une littérature fluide qui te parle directement. Si on prend un auteur comme Dostoïevski, il a une écriture hyper simple. Il vient d’être retraduit et le nouveau traducteur est resté proche de son écriture. On s’aperçoit que son vocabulaire est beaucoup plus cru que les premières traductions, un peu ampoulées, calquées sur le style des auteurs français du 19e siècle. Pour moi, un style simple, clair, n’est pas antinomique de la bonne littérature.
On sent que tu t’es fait vraiment plaisir avec ce livre ?
Oh oui, j’ai adoré l’écrire et j’espère que les lecteurs auront autant de plaisir à le lire !
https://www.editionsin8.com/catalogue/livre/935-l-elevage-du-brochet-en-bassin-clos