J’ai discuté avec Jean Emmanuel Deluxe pour qu’il m’explique leur démarche et surtout pour lever un peu du voile du mystère Michel Polnareff.
Quels sont tes premiers souvenirs de Michel Polnareff ?
La radio et la télé assez jeune, vers cinq ans. Dans mon souvenir c’était « nous irons tous au Paradis ».
Pourquoi faire un livre sur lui en 2023 ?
Parce que c’est mon métier d’écrire des livres (rires). Plus sérieusement, ce n’est pas un travail de commande. J’adore le personnage et sa musique. Il a certaines chansons qui peuvent intéresser toutes les générations et l’international.
Tu as une co-auteure ?
Oui, c’est Raechel Leigh Carter, une anglaise qui est une grande spécialiste de Jane Birkin. Elle a aussi été dans Baby Birkin un groupe indé produit par Russel Senior de Pulp ainsi que Piano Magic. Elle connaît très bien la musique. Elle a écrit beaucoup de livres sur Jane Birkin. Grâce à elle on a pu vraiment avoir un retour international. Elle est douée.
Tu n’as pas rencontré Michel Polnareff ?
Non, mais on a contacté beaucoup de gens qui ont travaillé avec lui : des musiciens, des producteurs, des paroliers… Raechel a contacté des américains, des japonais pour le côté international et comme ça on a pu avoir des témoignages de gens totalement inédits. Ils n’en avaient jamais parlé avant.
Est-ce qu’il sait que ton livre est sorti ?
Oui, il est au courant !
Tu es un spécialiste de la pop culture. Ne serait-il pas la référence ultime de la pop culture ?
Ah si, il a un statut iconique, dès que tu mets des lunettes et trois notes de musique et tout le monde reconnaît. Cela va du groupe branché au grand public. C’est une vraie star.
Est-ce que ce livre n’essaye pas de réhabiliter un des plus grands musiciens français qui a été sous-estimé, principalement en raison de son caractère un peu…fantasque ?
Qu’il ait été sous-estimé c’est sûr ! Mais il reste une icône ici.
Quelles sont ses influences ?
La première influence c’est la musique classique, c’est visible avec les suites harmoniques. Enfant il a vraiment eu ça, il a beaucoup travaillé le piano. Ensuite il est passé directement à la pop anglaise sans passer par la chanson française, cela ne l’intéressait pas. Ensuite il a eu une révélation avec le rock avec des 45 tours qu’il ne pouvait pas écouter mais dont il regardait les pochettes pour rêver. Puis lors de ses débuts il a rencontré Peter, Paul & Mary qu’il aimait beaucoup et qui l’ont encouragé. Un peu plus tard, il a été un grand fan de la pop anglaise et californienne à la Mamas and Papas. Il ne faut pas oublier que Michel Polnareff a beaucoup enregistré en Angleterre. Plus généralement Michel Polnareff s’est toujours senti influencé par le monde de la pop anglo-saxonne plutôt que par celle venu de France. Il a donc toujours été à l’écoute de ce qui se passait aux États-Unis et au Royaume-Uni. Par exemple au début des années soixante-dix il avait flashé sur Blood Sweat and Tears et Chicago !
C’est un immense musicien qui n’a pourtant jamais eu le statut d’un Gainsbourg, alors que c’est quelqu’un qui va faire des musiques incroyables dans les années 60 et 70 ?
C’est ce que disent dans mon livre Bertrand Burgalat dans l’introduction et des gens comme Louis Philippe. C’est un grand mélodiste, un grand arrangeur, un très bon musicien et un très bon chanteur. Pour moi en France c’est le seul ! Et par rapport à Gainsbourg lui n’a jamais plagié qui que ce soit.
Mais pourquoi est retombé son succès ?
Je pense que c’est à relativiser. C’est vrai que quand il est parti aux USA parce qu’il s’est fait escroquer par son homme de confiance. Il a voulu faire une carrière là-bas mais comme il y avait beaucoup d’artistes là-bas, il n’a pas réussi à faire son « trou ». Mais tel le Phénix Polnareff a toujours disparu puis revenu en fanfare avec toujours un succès croissant. C’est rare en France qu’un artiste absent depuis si longtemps remplisse des zénith en un claquement de doigts !
Ce que montre le livre est qu’il est complètement « hors-sol », tu sais pourquoi ?
Je ne sais pas mais je pense qu’il est tellement axé sur la musique et la création en général qu’il a du mal avec la vie quotidienne. Tu as des gens qui sont tellement dans leur univers musical que c’est compliqué de faire ses courses ou de remplir ses papiers administratifs.
Tu décris aussi très bien son caractère où il peut être à la fois extrêmement euphorique comme il peut être totalement dépressif.
Je pense qu’il est victime de son personnage. Il est vraiment immergé dans sa musique et en plus son père était très dur quand il était enfant et cela ne l’a pas aidé.
Il y a des interviews à la fin de ton livre de gens qui ont collaboré avec lui et des musiciens « fans » et tous lui reconnaissent un grand génie !
Oui, c’est le mystère Polnareff : génie reconnu mais avec peu de choses sur lui !
C’est pour ça que tu as choisi d’appeler ton livre Polnaroïd ?
Oui, parce qu’avec lui on a que des instantanés !
Peux-tu développer pourquoi tu as appelé ton livre Polnaroïd ?
Le titre du livre est tombé du ciel lors d’une séance de brainstorming entre Raechel, Xavier et moi. Xavier mon ami et responsable du projet a proposé ce nom qui nous a ravi. On pense aux Polaroïd des 70’s qui aujourd’hui sont revenus à la mode. Michel Polnareff est comme un diamant aux multiples facettes à qui il faut de nombreux instantanés photographiques, afin de percer ne serait-ce qu’une infime partie du mystère.
C’est quelqu’un qui a une « aura » chez les artistes pop internationaux ?
Oui, quelqu’un comme Bob Stanley de Saint Etienne l’adore. Dans les milieux branchés il est vraiment connu et il ne me manque pas grand-chose pour qu’il ait le même statut qu’un Gainsbourg.
Il n’a pas eu une grande carrière internationale importante ?
Il a quand même bien marché en Italie, en Allemagne, en Espagne et plus généralement en Europe et au Canada ainsi qu’au Japon où son travail a toujours été apprécié, encore aujourd’hui. Il y a eu une tentative américaine mais elle n’a pas eu le retour espéré. Ceci dit, en réalisant ce livre je me suis rendu compte que le culte de Polnareff grandissait aux USA et en UK.
Il a aussi composé des musiques de films ?
Tout à fait : « la folie des grandeurs », « ça n’arrive qu’aux autres » et dans les années 80 « la revanche du serpent à plume », après il a été moins productif. Il a également composé pour le Théâtre avec Jean-Louis Barrault, le dessin animé avec les Trois Mousquetaires ainsi que la télévision avec la « Pomme de mon œil » une B.0 qui mériterait de ressortir avec au chant la grande Elisabeth Wiener.
Est-ce qu’il n’en a pas trop fait à cette époque et qu’il s’est un peu tarie ?
Je n’en suis pas sûr. Polnareff est de ces artistes qui peuvent toujours surprendre. Donc on ne peut pas affirmer avec lui, « jamais plus jamais »
Il a eu de grands musiciens avec lui dont Jimmy Page et surtout Dynastie Crisis un groupe français ?
Oui, c’est un groupe de prog psyché français, produit par Pierre Lescure. Un groupe incroyable qui n’a malheureusement jamais connu le succès qu’il aurait mérité, ils jouent notamment avec lui sur Polanreffrevolution. Puis ils ont connu un succès international sur le tard avec la B.O du film Ocean 12 quand même !
Peux-tu développer la liste des musiciens avec qui il a travaillé ?
Il y a des musiciens français des débuts puis des pointures anglo-saxonnes. Dont certaines comme Jimmy Page ou Hans Zimmer sont devenues des stars. Jusqu’à ses plus récents concerts, Michel Polnareff a toujours aimé s’entourer de musiciens anglo-saxons. Ce qui me semble parfaitement logique car encore une fois Michel Polnareff est un des rares français capable d’être comparé. Aux plus grandes icônes américaines et anglaises . C’est assez rare pour être souligné en fluo !
Pourtant lui qui est un grand homme de studio est toujours revenu par la scène en 1995, 2007 et 2018. On attend depuis très longtemps son nouvel album.
Je pense qu’il est en compétition avec lui-même. Il a mis la barre assez haute et c’est très dur parce que dès qu’il va sortir un morceau, tout le monde va le trouver moins bien que ce qu’il a fait. Ce doit être dur pour lui. Attention je ne suis pas en train de le défendre mais de le comprendre. Quand tu as composé pas mal de morceaux qui sont devenus des standards, ce doit être dur d’arriver à s’égaler sois même.
C’est la principale raison, pour toi, qu’il n’a pas sorti d’albums depuis trente ans ?
Je pense qu’il est prisonnier de sa propre légende. Ce n’est pas facile d’être en compétition avec soi même. Michel Polnareff est un peu dans le même piège que Paul McCartney qui quoi qu’il enregistre sera toujours ramené aux Beatles. J’appelle ça la malédiction des génies !
Il y avait des rumeurs qu’il était en studio, il y a quelques années.
Il était en studio. Il y a « Enfin » qui est sorti mais qui n’a pas rencontré le succès escompté. Le public veut les tubes et rien d’autre et c’est ce même public qui décide.
Mais, comme tu le dis dans ton livre, il est en compétition avec lui-même. On peut penser qu’il ne sortira jamais ses nouveaux titres parce qu’il ne les trouve pas aussi bons,
C’est ma crainte, il a une telle exigence de lui-même qu’on peut imaginer qu’il garde les bandes que pour lui.
Est-ce qu’il suit ce qui se passe en musique aujourd’hui ?
Je pense, que comme il est très présent sur les réseaux sociaux, il suit ce qui se passe maintenant c’est assez difficile de connaître ses goûts et ce qu’il écoute tous les jours.
C’est un trait de son caractère : c’est un grand mélodiste mais aussi quelqu’un qui connait très bien les nouvelles technologies et c’est assez paradoxal !
Il est plein de contradictions : un grand musicien mais qui a peur des gens. Ses problèmes aux yeux ne l’ont pas aidé.
A-t-il conscience de son importance sur la scène française ?
Je ne sais pas, puisque comme il vit depuis longtemps aux USA, il est peut-être un peu éloigné de tout ça. En tout cas, il a vu avec ses concerts que le public était encore présent pour lui mais je ne sais si il mesure l’importance qu’il a ici.
Il a fait ce concert incroyable sous la Tour Eiffel en 2007, où il a fait venir un million de personnes !
Oui, ce jour-là il a dû se rendre compte de son importance. C’est un des rares musiciens qui peut faire ça, voir le seul.
Il y a une très belle préface de Bertrand Burgalat !
Oui, j’en suis ravi ! c’est un ami qui avait sorti une très belle compilation de reprises de Polnareff, qui n’a malheureusement pas eu l’écho qu’elle aurait dû avoir. Je souhaitais que ce soit lui qui fasse la préface et dedans il a bien expliqué notre démarche et l’artiste.
Est-ce que Burgalat n’est pas un des « enfants » de Polnareff ?
Probablement, il a grandi avec lui et il l’a influencé.
A la fin de ton livre il y a beaucoup d’entretiens avec des admirateurs ou des collaborateurs de Michel Polnareff, peux-tu nous dire qui ils sont et pourquoi tu as choisi ceux-là ?
À la fin de l’ouvrage, il y a quelques-uns de ses admirateurs célèbres qu’il a marqués - mais aussi ceux qui ont failli travailler avec lui. Et enfin ceux qui étaient fans et qui ont fini par passer de l’autre côté du miroir et sont restés fans. Car il semble bien que même en l’ayant fréquenté assez longtemps Polnareff reste une fascinante énigme !
On parle de ton éditeur ?
Oui, c’est Rock&Folk, les éditions Larivière. Pour l’anecdote, la première couverture de Rock&Folk en 1966 sera Polnareff ! Comme ça la boucle est bouclée
Tu conseillerais quoi pour redécouvrir Polnareff ?
Tout d’abord un Best Of avec les grands titres, ensuite l’album Polnareff’s en 1971, l’album américain et son deuxième album en 1968 avec beaucoup de tubes dessus.
C’est quoi ton hit-parade des grandes chansons de Michel Polnareff ?
C’est compliqué, ça change tout le temps ! « Le bal des lazes » est une des plus grandes chansons qu’il a composé. C’est celle-là que je mettrais en premier.
Son grand disque, pour toi, c’est « Polnareff’s » en 1972 ?
Oui c’est un très grand disque, presque un album concept qu’il faut redécouvrir tellement c’est puissant.
Il cherche donc toujours à écrire la symphonie ultime ?
C’est le mystère Polnareff : il a un masque et derrière il y a un autre masque et puis un autre masque et encore un autre ! On arrive jamais à savoir où est le vrai !