Ça a commencé comment la musique pour toi ?
Mes parents ont vingt ans à ma naissance en 1958. La musique est présente à la maison. Ils aiment danser et faire la fête, ils me traînent partout, je suis fou de Jerk et de Calypso. Nous vivons au Maroc.
Je me rappelle les voir se préparer pour assister à un gala de Jacques Brel qui se produit un soir de 1966 au Théâtre Mohammed V. Cette fois, n’ayant pas été invité à les suivre, je suis triste et contrarié, car j’ai déchiffré les paroles de sa chanson « Amsterdam » sur le 45t, en le repassant d’innombrables fois sur l’électrophone pour en noter les moindres détails. Je comprends « Bataille » quand c’est « Batave », j’entends « mortes » quand c’était « mornes ». Ce dont j’ai le plus envie à ce moment précis c’est de chanter, pour que mes parents viennent me voir, à mon tour, en spectacle. A leur retour, ma mère a des étoiles plein les yeux. Ça va me faire rêver.
J’ai vu Woodstock et Gimme Shelter, les films musicaux, entre onze et douze ans et ils m’auront marqué de façon notoire. « Le film qui modifie les esprits » était, de mémoire, l’accroche du rockumentaire à Altamont. Découvrir Hendrix, les Who, Sly and the Family Stone, c’était fun. Mes premiers LP trouvés au magasin Le Clavecin à Rabat étaient Through The Past Darkly et Abbey Road en 1970. Je n’y ai pas échappé.
Tu arrives quand en France ?
Je visite ma grand-mère en 62-63 à Strasbourg puis en 67-68. En 1973 nous nous installons à Paris, je découvre Rock & Folk et Lou Reed. Je trouve intéressante sa manière d’écrire les chansons, c’est une alternative à l’écriture de ce format de trois minutes, il est une nouvelle vague à lui seul, agressive, moderne, originale. En remontant le fil, bien sûr, il y a le Velvet Underground qui aura mis cinquante ans à devenir populaire. Mais qui, avec la banane d’Andy Warhol, m’ouvrira plus largement les portes de la Pop Culture qui m’attire.
Est-ce que depuis le début ton travail n’est pas très marqué par Lou Reed ?
Je ne crois pas. S’il démontre que le champ de la Pop est vaste et qu’on peut s’exprimer différemment des stéréotypes, c ’est avec le temps que j’ai vraiment appris à l’aimer. Il est le Pape du Punk, après tout, rien que ça.
Mais pour répondre à ta question, un style doit faire l’effort de s’inventer, on ne peut en faire l’économie. Chacun écrira selon la façon dont il respire.
Tu montes quand ton premier groupe ?
Le premier contact, à mon arrivée, est Frédéric Benyayer, une connaissance éloignée. Je le rencontre chez lui, il a une Ludwig noire dans sa chambre à coucher. Je flashe, il me fait une démonstration et il m’apprendra à jouer par la suite, me la prêtant même quelque temps. J’ai mis mon argent de poche de côté durant la totalité du premier trimestre et je me suis acheté une guitare, une guitare électrique, bordel. Ô joie ! Une copie de SG.
Je m’y mets de suite avec les copains, sur des trames de blues, c’est ce qu’il y a de plus accessible à notre niveau. C’est là que j’ai mes premières sensations, j’aime bien chanter, dans un micro, c’est différent, gratter et crier, je suis mon propre Rolling Stone. Mais je ne vais y penser sérieusement que beaucoup plus tard. C’est trop bruyant et nous nous faisons jeter de partout, c’est impraticable. Je reste sur ma faim. En attendant, je vais jouer du Neil Young et des dizaines d’autres chansons sur une Epiphone acoustique.
C’est là que tu croises Christophe K- Bye ?
Je l’ai croisé au Maroc en 1977, une première fois, brièvement. C’est plus tard, par l’entremise de Claude Martin, un copain en commun, que se décidera notre rencontre. Claude m’emmène en 81- 82 à Angoulême pour un week-end. J’y rencontre MAPS, le groupe de Christophe avec Dorian et David. Ils me cèdent la première partie, j’ajoute mon pseudo au feutre sur l’affiche du concert. JAD WIO. Je lui écris dans le week-end une chanson qu’il va refuser. On partage de bons moments suite aux concerts.
A la FAC je travaille sur un mémoire avec Jean-Noël Vuarnet, un de mes profs de lettres, que j’ai choisi parce qu’il a écrit Le Philosophe-Artiste, un brûlot esthétique et libertaire dans lequel je me projette facilement. En 79-80 il me pousse à façonner « mon artiste ». Il m’incite à me faire publier… Il voulait que je me motive suffisamment pour tendre vers le rêve le plus excitant que je pouvais concevoir. Comme j’aspirais à faire de la musique, je ferai peut-être des textes… Je me suis lancé après deux années de réflexion. J’ai commencé à écrire mes premières chansons et à faire des scènes ouvertes, seul. J’y vais avec ma Boss DR55, une mini boîte à rythme et une Telecaster. Il faut jouer des coudes pour s’exprimer mais je fais quelques rencontres intéressantes, dont Weena Truscelli et Gilles Pradinas qui deviendront les Baroque Bordello. Avec mon frère, nous écoutons Elvis Costello, Ian Dury, London Calling, Martha and the Muffins, Damned, Throbbing Gristle. Tout ce qui passe, on happe. Pas mal de concerts et de sorties. En 1976, lorsque je vois les Stones aux Abattoirs, c’est décevant, j’embrase mes idoles alors. Je n’en aurai plus. Il y a des groupes à profusion.
Comment cela va-t-il évoluer ?
Lorsque le Rose Bonbon ouvre, la ville devient enfin respirable, des concerts chaque jour quasiment. Enfin je peux vivre mon rêve d’aller tous les soirs écouter un groupe, parfois deux ou trois.
Mes copains, les Mome Rath se sont rapprochés d’Orchestre Rouge qui est un groupe actif sur la scène indé hexagonale. Nous mutualisons leur local de répétition pour y bosser chaque jour Kbye et moi. Le batteur d’Orchestre Rouge, Pascal Normal, va me donner un coup de main en programmation, un rythme Gnawa, on lie amitié. A l’époque, aucune structure n’existe, comme de simples locaux de répétition. C’est avant l’arrivée de la Gauche au pouvoir, on était encore des marginaux. C’est pourtant un outil indispensable pour bosser.
Kbye arrive en 82-83, il enregistre mes quelques songs sur un Porta-Studio, un magnéto quatre pistes, sur K7. On reste collés.
A l’époque il y avait Pascal Normal à la batterie et, aux claviers, un de mes élèves, Didier C. J’étais maître d’externat d’un lycée du 15e arrondissement pendant mes études. On continuait à travailler dans ce local rue du Roi de Sicile. Il y avait aussi Yalta, futur Wallenberg, qui répétaient, et les Mome Rath.
Tu as pu intégrer la scène parisienne ?
C’était la pleine époque du Rose Bonbon vers 1979-1980. Laurent Sinclair m’y a fait un bon accueil, nous sommes devenus copains au premier coup d’œil. Nous pogotions sur la piste et on s’amusait bien avec Olive qui déconnait, l’ambiance était OK. Il n’était pas question néanmoins de trouver là des individus avec lesquels être en adéquation. Je me dis : « Je fonce, je fais Jad Wio et voilà. » Christophe m’a rejoint au bout de deux ans. C’est sur une autre scène que nous allons éclore, à l’Opéra Night, lors des premières soirées Batcave.
Il vient d’où ce nom Jad Wio ?
Je l’ai inventé (rires), ça n’a pas de signification particulière, c’est mon premier pseudonyme (rires).
Vous commencez à jouer beaucoup ?
On a fait « nos classes » sur scène ! On adore ça et on y va. Quand je revois des vidéos, ça me fait penser aux Heartbreakers, c’est déjanté, électrique, on se dispute aussi parfois, ça se règle en escrime de guitares, ça crie, ça envoie.
Vous avez beaucoup étonné quand vous êtes arrivés : vous étiez deux avec une boîte à rythmes et une ambiance très électrique !
On aimait le Psyché Punk du 13th Floor Elevators et de Roky Erickson dont on fera une reprise emblématique de leur titre « You’re Gonna Miss Me ». Ce côté Psyché dur nous plaisait beaucoup et nous convenait bien, à tous les deux. Nous y mettrons toute notre rage post-adolescente, un engagement entier.
La suite ce sera deux maxis sur L’Invitation au Suicide et la rencontre avec quelqu’un qui va devenir très important pour vous : votre manager, Alex Calin.
Il va jouer un rôle capital pour nous ! Il était le manager de Baroque Bordello. Il habitait rue Vieille du Temple en face de notre local dans le Marais et on fréquentait le Marigny, le même café-tabac. Christophe le croise un jour et lui fait passer notre maquette. A l’époque Alex organisait des soirées à l’Opéra Night. Cela s’appelait la Sébale, ça avait lieu tous les jeudis. C’étaient des soirées Batcave que nous n’appelions pas encore Cold, entre 1983 et 1985. Il y avait tous les groupes de la nouvelle scène anglaise qui venaient. C’était extra ! Il n’aimait pas beaucoup les groupes français, comme beaucoup d’autres, mais il a apprécié notre enregistrement et il nous programme pour une première partie. Ça s’est très bien passé. On a continué à faire des projets et par la suite on a presque fait le tour du monde ensemble.
Il va y avoir ces deux maxis dont le fameux Colours in my Dream, vous commencez à beaucoup jouer mais surtout vous allez être assimilés à une scène où il y aura Baroque Bordello, Mome Rath, The Bonaparte’s…
C’étaient des copains ! On enregistrait tous au Studio Garage, nombreux étaient les intervenants de l’époque qui ont enregistré au Studio et il y avait une émulation attirante entre des personnes qui se croisaient dans ce lieu. Alain Frappier, le guitariste de Baroque Bordello, réalisait les visuels des pochettes, des disques qui émaillaient ce laboratoire New Wave. Gilles Pradinas, le batteur des Bonaparte’s et de Baroque Bordello, est devenu le champion du monde du booking de dates de concerts. Bernard Natier, le patron du Studio, montera un label afin de sortir les enregistrements produits à demeure.
Mais c’était aussi le rejet d’une certaine « scène » Française comme Téléphone… Vous étiez déjà tous plus européens !
Idéalistes surtout et européens ! On chantait en anglais. Le langage de la musique c’est l’anglais, nous le pensions, alors on chantait dans cette langue. C’est grâce à ça que nous avons eu un label allemand du nom de Fun Factory. On a fait la tournée des clubs à travers l’Allemagne de l’Ouest pendant deux ans, entre 1986 et 1988. C’était un label basé à Münster dans le nord. Axel Zeitz, son directeur artistique, a choisi de réunir les trois maxis que nous avions réalisés, y ajoutant la reprise du 13th Floor Elevators « You’re Gonna Miss Me » que nous avions enregistrée pour une compilation du label Contorsion, et il l’a sorti en LP 33T et en CD, notre premier CD. Jusque-là il n’y avait que vinyles et K7. C’est devenu l’album Cellar Dreams qui est d’abord sorti en Allemagne puis en France en 1986.
Arrive Contact, votre premier album qui a beaucoup marqué. Pour la première fois tu prends un personnage : un type un peu ambigu et très sexuel avec du cuir et des fouets ! On dirait Lou Reed avec la Factory !
Au temps pour moi, je pensais plutôt à Pierre Molinier dont le photomontage illustre la pochette ! La Factory s’est faite mondiale, à hauteur des Caves Saint Sabin où ces manifestations avaient lieu ! Il existait des soirées Alien Nation, fétichistes et de qualité, orchestrées par Kiki Picasso et Poupée Mécanique. Je les fréquentais peu, le dress code y était exigeant.
Tu vas quand même faire danser des filles sur une chanson qui parle d’une fille qui est zoophile (« Ophélie », ndlr) !
Je vais les faire chanter plus exactement ! Ça c’est incroyable, pour ma première tentative, extrêmement risquée, d’écriture en français, l’assistance me fait le cadeau de reprendre le refrain en direct ! Certains appelleront leur enfant Ophélie. Je faisais seulement les choses que j’aimais et que j’avais envie de faire, en toute liberté. Nous n’imaginions pas le ruissellement que pouvait avoir une simple chanson. Aussi saugrenue soit-elle.
C’est aussi sur la tournée de Contact que vous aurez pour la première fois des musiciens sur scène ?
J’ai peur que la testostérone de certains l’ait emporté sur la boîte à rythmes et moi je cède sur un batteur et un autre guitariste. C’était une première expérience de groupe ! Sur la tournée, on commençait les concerts à deux avec magnéto Revox en évidence et puis l’écran derrière nous tombait et on découvrait le batteur de la peur encagoulé de cuir (Charlie Doll) et à la guitare Nicolas Mingot. On fera une très belle tournée.
Sur cette tournée en 1989, sur scène, vous étiez incroyables !
Ah oui, ça dépote, j’ai revu une vidéo d’un concert au Bateau Ivre à Tours, sur cette tournée Priscilla ! Notre engagement est total, quelle énergie. Quand tu assistais à un concert de la Mano Negra ou de Noir Dez dans ces années-là, ça envoyait sacrément. Il y avait du niveau et c’est chouette.
Mais c’est l’époque où commencent toutes les subventions avec Jack Lang au ministère de la culture et vous allez beaucoup en bénéficier.
Jamais rien demandé !
En 1989, se crée le FAIR (Fond d’Aide et d’Initiative pour le Rock, ndlr) . Ils ont fait une liste de dix groupes qui vont toucher une petite subvention, vraiment faible, qui nous permettra d’imprimer nos affiches de concerts, nous étions indépendants et sans maison de disque. Mais grâce à ça on a rencontré Claude Guyot qui s’en occupait et qui est devenue importante dans mon parcours. Pour l’occasion, on a aussi sorti un 45t qui s’est appelé Les Cousteaux, une reprise Rock’n’Roll Circus de « Nightclubbing » qui s’est intitulée « Cabaret ». J’avais réuni quelques lauréats que j’avais rencontré dans le cadre de cette attribution du FAIR et on a fait ce projet ensemble. Étaient présents, Corman et Tuscadu, Le Baron, Christine Lidon, le batteur des Soucoupes Violentes… C’était fun de travailler en bande organisée (rires). Le FAIR et sa responsable seront d’un apport logistique véritable, durant des années, pour de nombreux lauréats. La subvention de trois mille francs, une goutte d’eau, bienvenue.
C’était la pleine époque du rock alternatif comme les Béruriers Noirs et consorts. Vous étiez aussi indépendants qu’eux, ils étaient sur Bondage Records, vous enregistriez au studio Garage mais vous étiez vraiment Bondage et très différents ?
Nous n’étions pas du tout assimilables à leur style, nous sommes plus tolérants, moins premier degré-militant, ce sont des sensibilités esthétiques très divergentes. Un français né à l’étranger n’a pas les mêmes soubassements culturels qu’un autre, né dans le bocal. Pas le même public, non plus. Même si dans certains festivals il nous est arrivé de partager les mêmes scènes.
Peut-être parce que votre son était plus new yorkais que rock français alternatif ?
Notre son avait une ouverture plus étendue. On est allés à New York, fin 1985. On a joué deux soirs de suite à la Danceteria et là j’ai vu qu’on était loin du niveau, c’était un cirque, en Allemagne aussi. On était dans un « à peu près » à la française alors que techniquement ils étaient forts les mecs, à faire décoller une salle. Je me suis senti petit et dans l’avion du retour j’ai demandé à mes copains Christophe et Alex de nous mettre au travail plus sérieusement. Au début, je voulais juste faire un 45t, pour connaître cette sensation, avoir le plaisir de réaliser un disque et je ne savais pas que j’allais en faire beaucoup d’autres. J’étais déjà ravi de pouvoir en découdre, cela a été la naissance d’une passion…
C’est pour ça que vous allez tourner après pendant deux ans ?
Oui, premièrement c’était la seule manière de gagner notre vie. Il n’existait encore aucune infrastructure, on était des saltimbanques au temps du Moyen Age. Pour nous déclarer il n’y avait rien, on travaillait au noir. Il a fallu attendre Jack Lang pour que les choses s’arrangent et que notre statut soit reconnu. C’est devenu respirable après 1989, mais il faut quand même y aller pour faire les cinq-cent-huit heures demandées. Ça peut rendre dingues ceux qui s’y emploient.
Vous allez sortir aussi un Live ?
Oui, on rentrait de New York via Zurich où nous avions joué la veille, et on a joué à Lausanne ce soir-là dans ce club, La Dolce Vita. L’ingénieur du son nous a fait écouter la cassette de sortie de console qui nous a plu. Nous nous y consumons littéralement. Et nous sommes convenus d’en tirer mille exemplaires à distribuer entre la France et la Suisse, ce qui est rarissime. L’enregistrement déchire, je l’ai réécouté la semaine passée. C’est sorti sur Helvet Underground Records, c’est drôle et c’est une jolie histoire.
Et puis arrive la signature chez Squatt/Sony et vous allez sortir Fleur de Métal, un album qui est, aujourd’hui, un classique.
C’est un disque qui a très bien marché. On a frôlé le Top 50 avec « Bienvenue ». Je n’étais pas voué à la musique commerciale : je cherchais vraiment à créer mon style. Il se passait plein de choses en Europe : plein de groupes, plein de labels, plein de choses intéressantes. Il y avait une nouvelle émergence de styles et de voies différentes et je pensais que c’était le moment d’évoluer.
Sur l’album, il y aura Bertrand Burgalat qui va produire. Comment vous le rencontrez ?
C’est lui qui est venu ! Bertrand a de l’entregent tandis que nous sommes sauvages. Il est venu vers nous. Je l’ai trouvé chouette et j’ai donc proposé qu’on fasse le disque ensemble. Avant, c’est moi qui avais essayé de produire nos disques au Studio Garage. Mais on ne s’improvise pas producteur et quand il est venu, j’ai trouvé que c’était une bonne idée. Il était inconnu en France à l’époque. Il avait juste travaillé avec Laibachet fait quelques trucs sur le label Mute en Angleterre. Bref, il a réalisé le disque et ça n’a pas été facile (rires) de travailler avec un étranger de l’intérieur.
Mais le son était différent de tout ce que vous aviez fait avant : il était plus « rond », moins électrique. Beaucoup étaient déçus.
Moi aussi ! En fait, il a fait son disque. Je ne l’aurais pas fait comme ça (rires). Il suffit juste d’écouter Contact et Cellar Dreams pour s’en rendre compte. Mais lorsque tu découvres ce qu’il a réussi à faire de la chanson « Tsé-Tsé », de « Bienvenue » et de « Mystère », il y a de quoi chavirer émotionnellement, tant c’est somptueux. Alors nous avons assumé ce choix qui a pu être déconcertant pour certains. Notre audience s’est étendue, les clips que j’avais fait faire, passaient en boucle sur M6. Les dates de tournée s’annonçaient prometteuses. Haut les cœurs !
Tu étais dans un concept cosmique sur ce disque ?
La fusée avait du mal à rejoindre la stratosphère. Oui, pour un album, je fais des recherches et me documente. Je vais d’ailleurs souvent plus loin que ce dont j’ai besoin, par simple curiosité. Les éléments de langage sont intéressants à développer autour d’un projet. Ça le nourrit, ça le rend attractif, cela peut parfois le sublimer.
Vous allez reprendre Ronnie Bird, « S.O.S. Mesdemoiselles », sur cet album.
Oui, et lorsqu’il était passé sur Canal + en clair, au même moment, il avait rétorqué à Gildas que notre reprise était extra. Elle lui plaisait beaucoup. J’étais ravi ainsi que pour la réaction de Gainsbourg qui à l’écoute de Contact avait dit que nous étions « Ses p’tits gars ».
Il va y avoir la tournée Fleur de Métal : une tournée énorme, avec un Olympia et un Live. Ça cartonne !
Oui, ça cartonne avec le Cosmic show, le spectacle que nous faisions sur scène. 120 dates sur deux ans, c’était génial. On avait la tête dans le guidon mais c’était incroyable.
Mais après on a l’impression que cela va être un long déclin ?
(Silence) Exactement ! Le problème principal est que nous sommes sur une major company. Je vais essayer de t’expliquer. On a fait une énorme tournée, on a travaillé comme des dingues. Moi, à partir de 1986 je suis clean, super clean… Je suis comme un sportif de haut niveau : je travaille ma voix, ma condition physique. Je veux être au top ! Le groupe a pris un virage qui va vers ça, il faut être super en forme. K-Bye demeurait dans les excès, pour le dire poliment… Fin 1992, je l’ai viré ! C’était compliqué : on ne savait jamais dans quel état on allait le récupérer. A Marseille, il a fait un collapse. C’était l’enfer, je ne pouvais pas me permettre de le perdre ! J’ai tenté de créer un électrochoc afin qu’il réagisse. Il est sorti et à partir de là, ce sera compliqué de « dealer » avec Sony.
Il était important pour l’image du groupe ?
Oui et non. Il était important pour moi. Didier Tuaillon, le directeur artistique de Squatt, me disait que c’était Kbye qui composait et il se demandait comment j’allais me débrouiller tout seul. Il ignorait que Christophe signait mes compos, alors.
Ce sera compliqué de faire Monstre-toi ?
Ce sera compliqué de faire un disque après. Mais bon, j’avais des copains talentueux et je ne me suis pas démonté. Avec le groupe que j’avais, j’ai essayé mais on n’était pas sur la même longueur d’onde. Ils voulaient faire de cette fusion qui était à la mode et moi je voulais faire du rock’n’roll. Bref, j’ai convolé vers d’autres cieux.
Tu écoutes quoi à l’époque ?
Je ne sais plus (rires), tout ce qui passait dans le Tour Bus, je connaissais tout ce que Squatt sortait mais je restais fidèle à mes favoris : Les Kinks, T Rex, les Stooges, Patti Smith…
Tu dois être un super fan de Bowie justement ?
Tout le monde le croit mais je ne suis pas un super fan, j’aime bien jusqu’à Diamond Dogs. Je l’ai découvert adolescent. J’avais un copain qui était revenu d’Angleterre avec « Life on Mars », c’est très beau, mais quel sirop. C’est l’année suivante, quand je vais en Angleterre à mon tour, j’ai 13 ans et il y a les posters de Aladdin Sane collés partout sur les murs de Soho et ça, ça m’a marqué. Pour notre génération il était le symbole de la modernité, de l’espace futur, le seul artiste mainstream que les punks n’aient pas rejeté. J’aime quand il était glam rock. Je lui préfère, à ce moment, la trivialité d’un Iggy Pop que je trouvais plus héroïque.
Quand vous allez faire Contact, Fleur de Métal ou encore Monstre-Toi, vous ne vous sentez pas isolés en France ?
J’ai toujours eu ce sentiment-là, encore un peu aujourd’hui… La presse quotidienne, celle des journaux joue pourtant le jeu et j’ai le sentiment que nous sommes bien accueillis partout sur le territoire. En revanche, pour la presse spécialisée, nous n’existons pas ou très peu. Le manque d’intérêt pour les groupes du cru est déconcertant. C’est un déni caractérisé de ce qu’il se passe en France. Ces snobinards n’écoutent pas nos disques et ne vont pas voir nos concerts. L’étrange sensation de ne compter pour rien, d’être une perte de temps.
Mais quelqu’un comme Daho, par exemple, était un grand fan du groupe.
C’est vrai et c’est marrant (rires). Il a écouté avant Fleur de Métal et il a craqué. Il a chanté « L’amour à la hâte » sur scène avec nous, ainsi qu’« Ophélie ». Il a défendu Fleur de étal dans les médias. Moi qui ne courais pas après ce type de copinage, j’ai vu que sa démarche était amicale et sincère. Il est devenu, et resté, un copain. Il m’a encouragé à faire l’Olympia en me donnant le contact de Jean-Michel Boris qui programmait alors. Nous l’avons fait.
Que se passe-t-il avec Monstre-Toi ?
Sony traîne à nous faire enregistrer, je vais les mettre devant l’accord contractuel d’enregistrer. Autant dire qu’ils ne vont pas apprécier du tout. Je vais l’enregistrer à Los Angeles. Je vais y vivre pendant un an en faisant peu d’allers-retours à Paris. C’est Le Baron qui s’y était installé pour ouvrir un studio d’enregistrement, suite à son expérience au Japon avec Flesh, un groupe qui avait un contrat là-bas. Comme c’est un bon copain je le rejoins et on fait le disque. La maison de disques était un peu ridicule : ils se comportaient comme une agence de voyage qui fournissait une résidence secondaire (rires). Je me suis dit que pour le deuxième album avec eux, j’allais leur faire cracher des thunes (rires). C’était fun, j’ai adoré faire ce braquage un peu puéril !
La suite est facile à déduire, l’enthousiasme n’y est plus et pour nous achever, notre directeur artistique décède. Autant dire qu’ils n’ont rien fait pour promouvoir l’album ! Sur Fleur de Métal j’avais réussi à faire trois clips avec le budget alloué et c’est ça qui a beaucoup porté le disque. Les clips passaient tous les jours, il y a eu par exemple deux cents passages de « Bienvenue », autant de « S.O.S. Mesdemoiselles » et seulement cinquante de « Tsé-Tsé ». C’était une belle rotation.
En revanche, pour Monstre-toi ils n’aimaient pas les morceaux, c’était devenu compliqué, ce fut la fin.
Ils vous ont lâché ?
Complètement : on est passé de cinquante mille ventes à moins de dix mille. No promo, pas de clip, zéro pointé.
Et là tu vas faire un album solo ?
Oui, ce sera pire encore (rires) !
Mais tu aurais pu appeler ça Jad Wio ?
Oui, j’aurais pu mais c’était un album ultra personnel que j’ai écrit en douze jours. C’est facile : j’écrivais une chanson par jour. A l’arrivée, j’ai trouvé que ce n’était pas assez élaboré, pas assez bien donc je n’ai pas osé l’appeler Jad Wio et je l’ai sorti sous mon nom.
Et à partir de là tu disparais !
Une semaine après la sortie de l’album, ils me virent. Je n’en pouvais plus. Ce système des majors me fatiguait. Cela faisait douze ans que j’étais à fond dedans. J’ai fait ce que l’on pourrait appeler une dépression, un burn out, dirait-on maintenant.
Tu arrêtes tout !
Oui, je n’ai plus fait de musique pendant des années. J’étais totalement déprimé. Le revers narcissique était trop important. Je n’ai jamais compris comment la presse spécialisée pouvaient nous bouder et nous ignorer à ce point. On n’a pas eu beaucoup de chances, de ce côté-là.
Et puis tu réapparais ?
En fait, après toutes ces années, toutes ces tournées, le noyau dur de Jad Wio s’est centré autour des techniciens qui nous entouraient : Le régisseur son Philippe Davesne et le régisseur plateau et son retour Ilan Sberro, avec lesquels je travaillais depuis 86, sont venus me voir au bout de quelque temps, vers 1999, et m’ont demandé ce que je fabriquais. Je ne faisais rien, je sais bien le faire (rires). Ils m’ont dit que si je voulais, ils avaient maintenant l’équipement nécessaire pour faire un album et passer à un DIY, plus ergonomique et simple. Je suis retourné les voir début 2000 et là j’ai commencé à enregistrer un nouvel album que je sortirai en 2005 : Nu Cle Air Pop.
Quatre ans ?
Oui, c’était très compliqué. J’ai travaillé avec Christophe Schwob que j’ai rencontré grâce à ma famille Mulhousienne. Parce que dans le groupe nous avions un batteur, Arnaud Dieterlen, qui venait de là. La ville m’a adopté au moment où je loosais à mort : nous étions tous les deux au RMI par exemple. Ce disque, on l’a fait avec des bouts de ficelles et franchement c’était très dur ! Vers la fin de l’enregistrement je prends des nouvelles de K-Bye. Depuis qu’il avait quitté le groupe, je m’inquiétais régulièrement de comment il allait, je prenais de ses nouvelles, je regardais ce qu’il faisait, comment il évoluait… Je suis très attaché au truc de nos débuts et moi je l’avais viré pour dix minutes qui ont duré treize ans.
Tu renoues avec lui ?
Oui, il était mieux. Il avait plus de stabilité et puis ça m’a fait trop plaisir qu’il revienne. Il est donc présent sur quelques titres de l’album. Ça l’a relancé aussi. Il zonait depuis des années.
Tu ne penses pas que dans ton univers il y a un côté très enfantin, le genre spectacle pour enfant ?
J’espère ! Je suis totalement d’accord avec ça… sauf sur Contact (rires).
Mais on peut se demander si le rock ne t’ennuie pas ?
Pas du tout, j’adore Alice Cooper, et le grand spectacle… En France il ne se passe rien ! Les musiciens montent sur scène en jean et baskets et ils pensent qu’ils vont conquérir le monde avec ça ! je ne suis pas du tout d’accord, au contraire je fais le spectacle, des costumes, des paillettes, que ça rigole, que ça explose ! Il faut donner à voir un arc-en-ciel, un truc dont on se souviendra toujours.
Mais tu n’as pas peur que tout cela mette la musique au second plan ?
Non (rires), c’est peut-être le cas chez Kiss mais nous on en est loin. On n’a pas de spectacles à l’américaine non plus. Mais une scénographie organisée.
En 2005, après le disque vous allez retourner ?
Oui, en 2006 on va tourner en duo avec le Revox, une trentaine de bons concerts. On avait inventé quelque chose à deux, il fallait renouer avec ça et continuer dans cette veine originale. Le son qu’on a créé c’était celui-là, et ça l’a fait. J’étais content.
Et ensuite ?
On va faire un autre album, Sex Magik. Forts de notre tournée ensemble, on se sent bien et on décide de faire un album. Ça va être génial : on va vite, l’inspiration est là, fluide comme jamais ! On fait quinze morceaux en quinze séances. Pour tout dire je n’ai pas consulté mes notes avant le 13e morceau. Tout venait avec beaucoup de facilité. C’était génial ! On le sort en créant un label avec notre producteur. On entre dans une totale autoproduction. Tout le business s’est foutu de nous mais il y a un moment, comment dire ? (rires) Le business est tellement peu intéressant qu’il n’offre aucun attrait. Nous faisons contre vents et marées épicétou.
Ce sont des albums concepts ?
Nu Cle Air Pop est un album conceptuel comme tous les autres. Il y a une première mouture qui s’appelle Nu, que je n’ai pas sortie, et qui est entièrement Electronica. C’est là que j’ai fait venir K-Bye pour tendre vers quelque chose de plus Pop. Sex Magik, le suivant, sera un album plus rock’n’roll dans lequel nous retrouvons nos fondamentaux dark, accompagnés par Tristan Abgrall qui nous a aidés à le réaliser.
Et là tu fondes un autre groupe, Mr. D & the Fangs ?
Après Sex Magik, Histoire de Lilith Von Sirius, on a fait une tournée et ça a été un peu difficile à monter. On a arrêté parce que cela demandait beaucoup d’énergie pour un résultat déroutant. Et à la suite de ça, je monterai Mr. D & the Fangs avec mes copains, fans de Jad Wio.
Ça ressemble un peu aux Cousteaux comme concept ?
Un peu, j’aime bien l’idée de se retrouver en mode family, pour faire de la musique. On est ensemble, on se fait plaisir, on rit, on vit et voilà, c’est tout simple, de se faire du bien. L’album évoque l’étrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde, mais en chansons. C’est plaisant et plutôt bien fichu, le titre en est 1888.
Vous jouez souvent ?
Avant la pandémie oui, on se retrouvait tous les week-ends pour le plaisir, jouer et être ensemble.
Jad Wio est réapparu en 2020 pour le Disquaire Day ?
Christophe Kbye m’a proposé de faire un album et j’ai trouvé que c’était une bonne idée ! On a, pour l’instant, juste sorti ce 45t pour le Disquaire Day 2020. Nous préparons d’autres chansons en vue de sortir un EP pour le Disquaire Day du 12 Juin 2021.
Jad Wio n’est jamais vraiment parti ?
Exactement ! C’est le Phœnix des hôtes de ce Web. (Rires)
Tu penses quoi de la situation actuelle ?
On va dans le mur et les réactions actuelles ne sont pas encore à la hauteur de la situation progressive de déclin généralisé qui va s’ensuivre. Une génération d’artistes a déjà disparu en un éclair. Nous n’avons pas connu la guerre. Le futur, depuis 2012, est de plus en plus inquiétant chaque année.
Le mot de la fin ?
J’ai adoré effectuer ce parcours et s’il fallait le refaire, je referais à peu près la même chose à quelques erreurs près que je préférerais éviter. J’ai choisi la musique parce que c’était une urgence et une nécessité, un besoin impérieux d’exprimer ce que j’avais en moi. Il n’y avait pas d’horizon pour moi, autre qu’artiste, malheureusement. Ce pays manque des couleurs qui fondent l’espoir. J’ai appris la musique, à jouer d’instruments, à composer, à écrire et ça m’a grandement sauvé de l’ennui, car il est passionnant de créer ou d’inventer à partir d’une simple idée. La valeur ajoutée que peut parfois représenter une chanson ou un album… C’est magique, irremplaçable et ça pourrait vous occuper toute une vie…
Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’emmener vers la musique ?
C’est difficile comme question, je n’en sais rien… Les enfants n’ont plus le même attrait pour la musique que celui que nous avions. Franchement je ne sais pas… Qu’ils se débrouillent (rires) !