Il est venu comme ce livre ?
L’idée d’une dystopie me trotte dans la tête depuis longtemps, avec l’âge, cette vision d’un monde futur s’est précisée... J’ai voyagé, ai été expatrié, j’ai expérimenté différents modes de vie, lu... Avec le temps, tu acquiers l’impression immodeste que tu peux construire une dystopie qui tient la route… Surtout tu te fais moins d’illusions sur le genre humain, même si je ne suis pas devenu tout à fait misanthrope. Comme l’un des personnages du roman, j’imagine que ce qui guide principalement l’humanité est un cocktail de sentiments et d’émotions à base de peur et de cupidité.
Comment as-tu eu l’intuition que la Russie allait envahir l’Ukraine ?
L’action du livre se situe en 2030 et j’avais décidé de la fixer en Finlande. Je suis allé là-bas en 2019 pour des repérages. Cela m’intéressait que ce soit une jeune nation d’un point de vue politique, dont l’indépendance, comme celle des pays baltes, date de 1917 ; le moment où d’anciennes possessions de la Russie tsariste profitent de la révolution d’Octobre pour reprendre leur liberté. Après la seconde guerre mondiale et Yalta, la Finlande, si elle n’est pas directement intégrée à l’URSS, sera placée sous tutelle soviétique, la fameuse finlandisation. Plus tard, à la chute du mur, les mêmes pays se sentent à nouveau pousser des ailes vis-à-vis de la Russie. Mais ils savent que c’est compliqué de vivre près d’un voisin « envahissant », je suis bien placé pour le savoir (rires)… De fait, la plupart des personnages du roman, qu’ils soient finlandais ou ukrainiens, sont naturellement russophobes.
L’Ukraine a vécu peu ou prou la même chose vis-à-vis de la Russie, et le destin de ce pays m’a toujours intéressé. L’origine des Cosaques est en partie liée à l’Ukraine, et leur incursion dans certains romans d’époque m’a, adolescent, souvent intrigué. D’un point de vue politique, l’Ukraine a longtemps été partagée entre plusieurs entités, gouvernée d’abord par la Pologne et la Lituanie entre 16e et 18e siècle. La partie orientale a également connu l’État Cosaque indépendant. L’Ukraine sera ensuite partagée entre Empire Austro-Hongrois et Empire Russe. Au moment de la révolution de 1917, l’Ukraine revendique aussi son indépendance. C’est la véritable naissance d’une conscience nationale ukrainienne, personnifiée par Nestor Makhno, un autre cosaque, communiste libertaire, qui combat à la fois contre les bolchéviques et les Russes blancs. Un véritable héros !
Après la défaite des Russes blancs, les soviétiques écraseront la résistance ukrainienne, et le pays tombera dans le giron stalinien, avec les conséquences tragiques de l’Holodomor de 1933 et 1934 entre autres, tragédie à laquelle je consacre un titre sur le premier album de Marquis, sorti début 2021.
Au moment du pacte Germano-Soviétique de 1939, Staline demandera à Hitler de lui livrer les Ukrainiens anticommunistes réfugiés en Allemagne, ce qu’Adolf fera sans sourciller avec une partie d’entre eux au moins, puisque d’autres s’engagèrent dans la Wehrmacht. Ceux envoyés en Russie seront exécutés à leur arrivée.
De fait, les Ukrainiens ont souvent été d’éternels réfugiés, ici ou là. Cette perpétuelle errance m’intéresse, c’est pourquoi une partie des personnages de mon livre sont des réfugiés ukrainiens. En tant que Breton, l’existence des nations sans État est quelque chose qui m’a toujours questionné, ainsi que les liens au sein des diasporas entre autres aspects de cette problématique. Cette idée d’exil forcé est très romanesque, parce que les exilés idéalisent ce lieu d’où ils viennent et où ils ne pourront a priori plus retourner. Ce qui est le cas de ma famille ukrainienne dans L’armée des hommes libres, même si ce sont d’autres raisons qu’une présence russe qui les empêche de retourner au pays (dans mon livre, la Russie finit par perdre en Ukraine, à la suite de quoi, Poutine et sa clique se font éliminer. La Russie rejoint ensuite le camp occidental, ce qui a déjà failli arriver en 1999).
Ces dernières années, j’avais lu avec grand intérêt également des romans liés aux communautés ukrainiennes aux USA, là où l’idée d’une conscience nationale a trouvé un relai en quelque sorte dans l’entre-deux guerres. Je conseille sur ce sujet l’excellent roman noir de Brian Francis Slattery, La famille Hightower, qui se déroule dans la communauté ukrainienne de Cleveland où les Ukrainiens étaient incontournables dans la pègre de l’époque.
Il y a aussi de très bons films évoquant cette diaspora, comme Little Odessa, qui se déroule au sein de la communauté juive ukrainienne de Brooklyn. Et bien sûr, pour ce qui est de films ayant pour cadre les communautés nées des exodes post-bolchévisme vers les USA, l’ambiance de Deer Hunter est très nourrissante, même s’il s’agit là essentiellement de la communauté lituanienne. N’oublions pas non plus que Bob Dylan est d’origine ukrainienne.
En reliant tous ces fils, il m’a semblé pourvoir tracer un portrait assez authentique de réfugiés ukrainiens en 2030… Et si j’ai pris pour point de départ ce cette troisième guerre mondiale, qui est au cœur de mon roman, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, c’est que, si on décrivait les Balkans comme une poudrière avant la première guerre mondiale, il est clair que la poudrière se situe, depuis la chute du mur, le long des frontières de la Russie. On l’a déjà vu avec la Géorgie, sans parler de la Tchétchénie, qui fait pourtant partie de la Fédération. Ce que fait Poutine au fond, ce n’est pas seulement tenter de retrouver les limites de l’URSS, c’est surtout essayer de récupérer les zones d’influence des Tsars. C’est un paranoïaque, il n’écoute personne. Cela continuera jusqu’à ce que les Russes perdent définitivement cette guerre, ou une autre et que leurs dirigeants soient issus d’une autre école... Car les Russes n’ont jamais connu la démocratie. Poutine considère de fait la démocratie à ses frontières comme aussi dangereuse que des missiles.
Dans L’armée des hommes libres, lors la première phase d’écriture, fin 2019, j’avais imaginé l’attaque de la Russie en 2024. Alors que le livre était en phase de correction, en novembre 21, les Américains ont annoncé les premiers que Poutine massait des troupes à la frontière de l’Ukraine. J’ai aussitôt prévenu mon éditrice, Jane Le Guennec, que quelque chose devrait évoluer dans le récit en fonction de ce qui allait arriver. Quand l’attaque a été déclenchée en février, je n’ai eu que quelques jours pour changer la date du déclenchement de la guerre avant que cela ne parte à l’imprimerie. Ce qu’on a fait. Je n’ai évidemment pas la prétention d’être un devin pour autant… Beaucoup de sources annonçaient que la guerre du Dombass aboutirait un jour à ce désastre. Et là on ne peut s’empêcher de faire l’analogie avec Hitler et l’annexion des Sudètes après les accords de Munich en 38, au prétexte que vivaient là de nombreux germanophones. C’est la même logique, même si le mot est mal choisi…
J’ai l’impression que dans ce livre il y a beaucoup de tes obsessions : le Portugal avec ton héros, qui est portugais, la déliquescence de l’Europe, ta méfiance de la Turquie, ta haine de l’extrême droite…
Oui, c’est navrant d’imaginer ce que pourrait être l’Europe et de voir ce qu’elle est devenue. Mais on dirait que la guerre en Ukraine pourrait changer la donne, on n’a jamais vu cette Europe aussi unie… C’est la seule chose positive dans ce conflit, en dehors du fait qu’il confirme qu’un peuple motivé pour défendre sa terre peut mettre en partie en déroute de puissantes armées. Cela aura le mérite de faire réfléchir les Chinois s’il leur prenait l’envie d’attaquer Taiwan car là, en plus, il y a un détroit à traverser, et par ailleurs l’armée chinoise a eu très peu d’expérience du feu au cours des dernières décennies. Sans compter que leur aventure vietnamienne, la fameuse « guerre pédagogique » de 1979, peut être considérée comme un revers.
Pour en revenir à l’Europe, la plupart des pays n’arrivent pas à dépasser leur intérêt national le plus étroit, ce qui équivaut en fait à préserver l’intérêt des classes dirigeantes, qui se satisfont que l’Union Européenne ait si mauvaise presse auprès de la population, en France particulièrement, de manière à faire tourner le business as usual, sans rien remettre profondément en question... En tant que Breton et fédéraliste européen, une Europe fédérale m’irait très bien. Mais en France, comme le disait Leopold Sédar Senghor, on a réussi à faire passer le nationalisme français pour une sorte d’universalisme. Ce qui est une vaste supercherie, qui là encore sert la caste dirigeante, qui n’hésite pas par ailleurs à prolonger une politique coloniale dans les Outremers, au nom de cet universalisme. C’est grotesque, et cela ne fait pas avancer l’Europe évidemment.
Mais l’Europe a imaginé et exploré le monde, plus qu’aucun autre continent, avant de tenter de le soumettre, ce qui n’était pas une bonne idée évidemment. L’Europe est surtout à la base de mouvements artistiques et philosophiques fondamentaux, qui continuent d’exercer une influence dans le monde entier. J’y crois encore à cette Europe, mon côté romantique sans doute…
Quant au Portugal, j’y ai vécu des années merveilleuses. J’ai produit des disques d’artistes portugais qui ont connu un grand succès dans les années 1990, mais j’ai surtout appris une nouvelle langue et me suis coulé dans une culture qui m’a enchanté.
Oui, mais avec Marquis de Sade vous annonciez, « l’Europe désire l’euthanasie », tu le revendiques toujours ?
C’est un texte de Philippe et on regrettait surtout à l’époque cette séparation de l’Europe en deux, à cause du mur. L’autre côté du mur étant devenu, pour de nombreux artistes, un sujet d’inspiration un peu angoissant, un sombre fantasme...
Comment as- tu as créé ce personnage, Vasco, qui est le héros central de ton livre ?
J’ai connu un Vasco qui était ingénieur du son sur le premier disque que j’ai réalisé avec des artistes portugais en 1993 (j’avais produit à Lisbonne auparavant des artistes d’expression française). Nous sommes devenus très amis. C’était un ancien militaire qui avait été champion de tir à l’armée. Je l’appelais « Bad lieutenant » en référence au film et à cause de toutes les aventures noctambules, baroques et parfois mystiques, que nous avons vécues ensemble. Il est décédé en 2015. J’ai contacté sa sœur avant la sortie du livre pour avoir la date de naissance de mon ami afin de le lui dédier. J’irai cet été dans le village d’où il était originaire ainsi que Quinta Do Bill, le groupe avec qui il travaillait et avec qui j’ai eu ce premier hit portugais « Os Filhos Da Nação » en 93. Il s’agit de Tomar, que j’évoque dans le roman. J’ai hâte de les revoir.
Tu as un rapport privilégié avec le Portugal ?
Avec la Bretagne, c’est mon autre patrie. J’y ai travaillé dans la musique pendant 10 ans, et mes filles et ma femme sont venues sur place pendant 3 ans. J’aime beaucoup la mentalité là-bas, ce peu d’intérêt pour les choses superficielles chez mes amis portugais, cette propension à tenir compte des signes que semble nous faire le destin, à rire de presque tout. Sans parler de cette solidarité naturelle qui est l’apanage des communautés soudées. Et puis ils ont su résister à l’Espagne, leur envahissant voisin (rires)…
Pourquoi as-tu créé ce personnage de la fille de 15 ans ?
Parce que les horreurs de la guerre, comme les viols, m’ont toujours révulsé et je voulais voir comment Vasco, ce vieux soldat dans le roman, allait réagir dans des conditions qui imitent à la paix. Il se surveille constamment, comme s’il ne savait pas bien qui il est après ces années de conflit. Il sait seulement qu’il a pris plaisir à tuer pendant les affrontements et, même s’il ne l’évoque jamais directement, cela le trouble profondément. Il trouve ses marques petit à petit avec Lena, qui l’aide à se retrouver, à se révéler, se relever.
Après deux romans policiers tu as écrit un livre futuriste et très international, pourquoi ?
Dans un roman policier tu as la maîtrise du destin des personnages mais tu les cantonne dans une réalité qui est établie. Dans une dystopie tu deviens aussi l’ordonnateur du cadre, ce qui donne un grand sentiment de liberté. Mais aussi plus de responsabilités vis-à-vis du lecteur, c’est pourquoi j’ai fait ce gros travail de documentation avant. Il faut que ce monde imaginaire soit crédible.
Mais ces prévisions peuvent-elles se réaliser ?
Je me suis beaucoup baladé : Chine, Asie du sud-est, Afrique, Usa, Europe de long en large… Au bout d’un certain temps et beaucoup de rencontres, tu penses avoir pigé quelques trucs. Et tu te dis que tout ça est très mal engagé… J’espère me tromper bien sûr, mais je devine qu’un des maux dont l’humanité souffre le plus, au-delà de la cupidité et de la peur, et qui fait plus qu’empirer les choses, c’est cette faculté qu’ont les dirigeants, partout, à mentir. Mentir, mentir, mentir, pour amadouer le peuple, garder le pouvoir, les avantages sonnants et trébuchants, pour gonfler les égos et vaincre la peur peut-être. Personne ne peut rien contre autant de mensonges… Il faut lire au sujet de l’aveuglement des élites l’excellent livre de Jean-Marc Wingert Le Syndrome de Marie-Antoinette. N’allez surtout pas croire pour autant que je suis une sorte de complotiste ; je suis vacciné Covid et content de l’être… et je suis sûr que personne n’a pas volé l’élection à Trump. J’espère d’ailleurs qu’il finira en tôle. Mais un peu plus de sincérité et d’engagement réel dans les hautes sphères, sur les questions écologiques et économiques, donnerait beaucoup d’air à toute la planète.
Il y a une description très précise de la ville : tu as été dans ces lieux ?
J’ai passé une semaine à Helsinki, où j’ai fait des repérages. J’ai notamment pris la photo qui a servi à la couverture du roman. Je suis ensuite allé en Estonie, et j’ai lu des livres d’histoire sur ces deux pays. J’ai aussi fait lire, dès le premier jet, le roman à un ami finlandais, qui vit à Nantes maintenant, ça m’a permis de caler certains détails. Ensuite il y a Google Map, que j’utilise même en dehors des phases d’écriture. C’est une invention fascinante ! En ce qui concerne la maison à la fin du livre, signée Alvar Aalto, elle existe vraiment : c’est la maison Carré dans les Yvelines, du nom de son commanditaire, et j’en avais les plans précis, avant de situer cet édifice jumeau en Finlande, pour les besoins du récit (mais il se peut que cette copie finlandaise existe finalement). La maison originale, en France, est devenue un musée. J’aime l’élégante fonctionnalité de l’architecture d’Alvar Aalto, dont on retrouve les œuvres un peu partout à Helsinki. J’ai adoré dans cette ville le mélange d’immeubles Art Nouveau, Art Déco et contemporains donc, cette logique apparente dans l’organisation urbaine, cette gentillesse partout surtout. C’est important d’aimer un lieu avant de le projeter dans un monde postapocalyptique (rires)…
Il y a aussi ce groupuscule néo nazi qui se fait massacrer ?
Ils existent. Ce sont les Fils d’Odin (Sons of Odin ndlr), une milice de rue suprémaciste née en Finlande mais qui a dès aujourd’hui des ramifications dans toute l’Europe.
Ton personnage découvre des disques dans des appartements qu’il visite…
Oui, et ainsi la musique classique. C’est très important en Finlande. Mon personnage voulait faire les Beaux-Arts mais son père voulait qu’il s’engage dans l’armée, comme lui. À Helsinki, Vasco profite de ces courts moments de paix pour essayer de construire un pont avec l’avant-guerre, cette époque où il espérait devenir artiste. Au fond, il est curieux de tout.
Alors c’est quoi la FMA, « l’armée des hommes libres » ?
Je ne vais pas tout éventer… Mais le titre du livre provient d’une mauvaise traduction faite par les habitants d’Helsinki, car on connait surtout cet acronyme FMA en ville. En fait il ne s’agit pas de la Free Men Army, mais de la Free Mankind Army, l’armée de l’humanité libre, qui tente de prendre le contrôle d’un monde occidental dévasté.
Elle arrive à instituer un semblant d’ordre, y parvient du fait qu’il n’y a plus grand monde en ville. Elle agit selon des préceptes humanistes, ce qui change après ces années de guerre totale, mais intrigue également. La FMA gouverne au nom de règles qui ont beaucoup à voir avec l’écologie moderne, des préceptes nécessaires, surtout vu l’état de ce monde de 2030, mais appliqués de manière ultrastricte. Vasco va en apprendre plus sur l’organisation au fur et à mesure de rencontres avec des personnages plus ou moins initiées. Bien qu’il admette que la situation s’améliore par moments, il reste méfiant face à cette organisation qui semble être née aux USA. Le flou, qui persiste autour des racines de la FMA, est essentiellement dû au fait qu’il n’y a plus de moyens de communication de masse, plus d’internet, plus de téléphones portables. C’est un nouveau monde… Et le bruit circule que certains pays asiatiques ont réussi à se tenir relativement à l’écart du marasme général, ce qui intrigue beaucoup Vasco.
Pourquoi cette armée n’est-elle pas aimée de ton personnage ?
Il n’a pas d’a priori négatif, mais il se demande à quoi peut rimer de nouvelles règles alors qu’il ne reste presque plus rien. Il reste très traumatisé par la guerre, mais va évoluer petit à petit.
Il y a aussi ce médecin français qui a un côté très réaliste sur la situation : il connaît bien les arts, la science politique et les différents enjeux. Est-ce que ce ne serait pas toi ?
Non, je ne pense pas. Le médecin français me fait penser à des personnages que j’ai croisés dans la vraie vie. Alors que j’ai eu parfois tendance à m’emballer dans des conversations de fin de nuit, ou à me retrouver là où je n’aurais pas dû être, j’ai croisé des personnes qui semblaient un peu en retrait, revenues de presque tout, et dont les conseils m’ont été précieux. Des sages peut-être…
Vasco croise des personnages qui donnent à chaque fois un peu de données sur la situation. C’est une logique froide et implacable : le covid, une dette, des attaques en Europe … Tout semble couler de source !
Malheureusement…, mais il suffit de mettre en perspectives les dix dernières années pour comprendre que renouer avec un cercle vertueux relève du vœu pieux… La crise des subphrimes a laissé des traces encore perceptibles, puis est arrivée la crise sanitaire du Covid, qui a entrainé des problèmes économiques supplémentaires qui peuvent mettre sérieusement l’euro en danger à moyen terme. La crise sanitaire a surtout changé brutalement l’idée qu’on se fait de de nos futurs, surtout chez les jeunes. Là-dessus, Poutine, nostalgique de la grande Russie et parano également sur le Covid, déclenche une guerre qu’il espère gagner en quelques jours, mais il s’enlise dieu merci… Cependant la menace nucléaire est brandie et deux pays proches géographiquement de la Russie demandent à adhérer à l’Otan. Sur ce, la France, seul pays de l’UE à posséder l’arme atomique et un siège de membre permanent à l’ONU, ne donne pas de majorité absolue à Macron aux législatives, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi…, mais plus de 80 députés à l’extrême-droite, ce qui est très emmerdant. Et plus de 100 à LFI, parti aussi europhobe que le RN. Ajoutons à cela les pénuries de composants pour tous les pays, l’explosion des prix des matières premières et, cerise sur le gâteau, le dernier rapport du GIEC. En effet, mon histoire coule de source… Mais j’ai encore foi en l’Homme malgré tout et de l’espoir, comme beaucoup d’entre nous. Il se peut d’ailleurs qu’écrire ce genre de livre soit une sorte d’exorcisme à usage personnel. On se dit : au fond, si je l’ai décrit, cela ne devrait pas arriver.
Ce sera quoi le prochain projet dans le domaine littéraire ?
Une suite à L’armée des hommes libres me trotte dans la tête. En même temps, j’aimerais commencer à écrire dans les mois qui viennent un livre qui ne soit pas un roman noir. Un récit dans lequel il n’y aurait pas de morts violentes. J’aimerais décrire des personnages qui s’ennuient légèrement. Ce sera un exercice de style… Un peu de répit. J’ai repéré un endroit aux USA qui pourrait être un des cadres de ce récit. C’est une ville dans les Appalaches, en Virginie, dont je me suis approché il y a quatre ans en voiture, sans avoir eu le temps de m’y rendre. Je m’y suis beaucoup baladé virtuellement depuis, mais cet été, puisque je suis en studio à NY début septembre pour le deuxième album de Marquis, je vais prendre quelques jours auparavant pour descendre à Staunton. Cette ville, à l’authentique architecture victorienne, semble totalement hors du temps, et c’est ce qui me plaît. Sur la route du retour vers NY, je vais essayer de trouver une guitare. Je connais quelques magasins en Virginie qui ne vendent pas sur internet… Et où les guitares vintage restent en rayon des mois. J’imagine que ma prochaine Les Paul m’y attend !
Pour en revenir à l’Armée de Hommes libres, je le vois comme un manifeste de la culture européenne !
C’est un peu l’idée : dans une ville quasi-abandonnée, entendre une symphonie de Brahms ou de Sibelius, une chanson des Smiths ou avoir une discussion autour de Voltaire ne sont-elles pas des expériences à même de ramener un peu d’espoir ? Et de sagesse… C’est ce qui me passionne en Europe, ce foisonnement de penseurs, compositeurs, écrivains, peintres. Je me dis que l’idée et l’identité européenne ne peuvent complètement disparaître, rien qu’à cause de ça…
Est-ce que ton travail d’auteur ne vient pas combler un manque sur le fait que tu n’as pas pu tout dire en musique ?
Je ne sais pas : ce sont des projets très différents dans la manière de solliciter l’inspiration, mais qui peuvent se compléter une fois aboutis, créer des synergies.
La musique est un travail collectif ?
J’adore être en phase de production d’album : on discute, on répète, on recommence, on échange par internet des Waves et des bouts de textes. Et puis on enregistre, et on découvre des ambiances qu’on ne pouvait imaginer dès le départ. C’est une véritable aventure collective et j’adore l’alchimie qui semble régir un groupe quand on s’entend bien, ce qui est le cas avec Marquis. Le roman est un travail éminemment personnel et j’apprécie, après une journée d’enregistrement, de démarrer le lendemain par l’écriture, quand je suis seul à bord. Tout cela peut s’imbriquer aussi en phase créative, c’est une question d’organisation. L’important pour moi est de ne pas avoir le sentiment de devoir forcer. Si l’inspiration ne vient pas, dans un domaine ou dans l’autre, je m’occupe du management du groupe, de choses plus prosaïques… Il sera temps le lendemain de tirer à nouveau sur le fil.
Est-ce vrai que tu prends qu’une semaine de vacances par an ?
Des vacances pendant lesquelles je débranche tout, n’écris rien, ne joue pas de guitare, ne travaille pas au management de Marquis ou n’échange pas au sujet de la politique, c’est vrai que c’est en général seulement une courte période au cours de l’année, une dizaine de jours parfois tout de même. Je ne supporterais pas que cela dure plus longtemps. Cependant, lorsque je suis en studio, en Belgique par exemple, j’adore prendre un jour off pour aller traîner à Gand, même chose en Bretagne, où je peux me perdre une journée dans les Monts d’Arrée après quelques jours d’enregistrement. Mon escapade en Virginie fin aout aura pour but un repérage de roman et la recherche d’une guitare, et on ne peut pas appeler ça à proprement parlé une phase de travail, c’est juste joindre l’utile à l’agréable, même s’il faudra finir de préparer les sessions newyorkaises en parallèle. Tout est question d’organisation encore une fois : en période d’écriture je me lève à cinq heures et j’écris jusqu’à huit heures. Je me recouche à neuf heures et dors une heure pour commencer ensuite une journée de musicien producteur. Je me consacre à un think tank politique, Breizh Europa, le week-end le plus souvent. Mais j’ai bien l’intention de réapprendre à glander dans les années à venir ; j’ai su le faire assez bien au début des années 2000 au retour du Portugal, ça me reviendra ! Mais il y a des choses à mettre sur les rails avant.
Pour quand est prévu le nouvel album de Marquis ?
Nous sortons un nouveau single, « Exotica » au début de cet été, chez Virgin. Et l’album devrait sortir en mars 2023. On travaille également sur une intégrale Marquis de Sade, en coffret, qui sortira à Noël 2023.
Comment s’est passée la rencontre avec ton éditeur ?
J’ai annoncé sur Facebook début 2021 que mon texte était presque abouti, et Jane Le Guennec, éditrice chez Coop Breizh m’a contacté pour me dire qu’ils étaient intéressés pour le lire. J’ai encore travaillé un peu dessus et lui ai envoyé le tapuscrit avant l’été. Elle m’a alors confirmé son intérêt et l’a fait lire à ses collaborateurs et en particulier à Daniel Le Teuff, président de Coop Breizh. On s’est rencontrés en septembre et on a préparé le contrat. Coop Breizh, qui est une coopérative née dans les années 1960 en Bretagne est une institution très importante ici. J’ai juste demandé qu’on puisse collaborer également avec une attachée de presse ayant des contacts à Paris, sinon cela risquait, comme pour Vilaine Blessure (le roman précédent de F Darcel, sorti en 2018 NDLR), de n’avoir qu’un écho régional… La France est à ce point centralisée que toutes les radios ou TV qui émettent sur l’ensemble de l’Hexagone sont basée en Île-de-France, ce qui n’est pas un hasard, mais se couper de ces media serait suicidaire.
Et comment cela se passe-t-il depuis la sortie, il y a un mois maintenant ?
Très bien, Hoel, qui s’occupe de la communication chez Coop Breizh a un excellent contact avec les médias locaux et j’ai obtenu une carte blanche de 40 minutes sur France 3 Bretagne puis ai participé à l’émission culture des TV locales. La presse locale et de nombreuses radios ont aimé le livre si on en croit les différentes chroniques. À Paris j’ai participé à l’émission « Côté Club » sur France Inter en compagnie de Jean-Jacques Burnel, dont les mémoires viennent d’être publiées, et c’était un beau moment. Il y a eu aussi, à la suite des envois d’Olivia Castillon, notre attachée de presse, de très bonnes chroniques dans Causeur et Télé 7 jours, mais d’autres media vont suivre. J’ai fait beaucoup de dédicaces, et j’ai été invité au salon de Vannes, où j’ai participé à deux rencontres avec le public, en compagnie de Louis Bertignac et d’Isabelle Autissier. Ce sont de belles expériences. Le seul hic c’est qu’après tous les reports dus au Covid, tout cela tombe en même temps que les concerts de Marquis. Et là, souvent, le sens de l’organisation n’y peut rien : je suis sur un peu les rotules… Mais c’est par passion (rires)…