Thomas Baignères, l’artiste aux multiples talents

mercredi 15 mars 2023, par Franco Onweb

Chanteur, auteur, compositeur, écrivain mais surtout esthète, Thomas Baignères est un personnage hors du commun. Cet amoureux inconditionnel du blues, de la chanson française de qualité et surtout des mots poursuit une carrière aussi diversifié que passionnante. Depuis son premier groupe, LeSpark, qui le fit remarquer du grand public, il mène une carrière solo qui réussit à mêler chanson française et pop de qualité, il chante au sein du duo rock, Gasoline et a publié un recueil de poèmes. Si vous ajoutez à ça, une amitié avec Pete Doherty et un début de carrière qui commença dans les squats, on obtient une carrière passionnante avec un personnage attachant. Voici une leçon d’esthétisme par un artiste qui est et qui restera un rockeur, un vrai !

Peux-tu te présenter ?

Thomas Baignères, trente ans, artiste, auteur, compositeur, interprète avec un projet solo et un duo de rock qui s’appelle Gasoline. J’écris aussi.

Crédit : Fred Goudon

La musique est rentrée dans ta vie quand tu étais au collège ?

Oui, un jour au collège, j’ai vu arriver un de mes copains avec un jean slim. C’était la pleine époque des babys-rockers. J’avais déjà la passion du rock et du blues, transmise par mon père qui est un grand fan des Rolling Stones. J’ai su que le rock revenait à la mode, et encore ce garçon au collège était un mec très en avance. J’ai compris que la musique que je faisais dans ma chambre était de nouveau écoutée. Avec ce même copain on a décidé de fonder un groupe : Spark Shyver avant de devenir LeSpark. C’est là que tout a commencé : la passion de la musique et de l’image. Je me suis habillé comme je suis aujourd’hui et j’ai fait de la musique.

Ça vient d’où cette passion de la musique et de l’image ?

Je te parlais de mon père qui est un fou des Stones mais aussi de tous ceux qui les ont inspirés : Bo Diddley, John Lee Hooker… J’ai commencé à apprendre ça à la guitare. J’avais plein de livres sur les Stones. Je voulais faire leur musique mais aussi m’habiller pareil. J’ai commencé à parcourir les friperies de Paris et de Londres avec l’idée de retrouver tel ou tel vêtements qui avaient été portés par Jagger ou Richard. J’ai passé mes week end et mes vacances à essayer de retrouver tout ça.

Tu avais quel âge ?

J’étais en quatrième ou en troisième, vers 15 ans.

Tu as remonté la pelote et découvert tous les groupes comme les Who ou les Creations ?

Oui, suite à une deuxième rencontre avec un mec qui a joué de l’orgue avec nous. Il m’a fait découvrir la culture Mods comme les Kinks, les Who ou les Small Faces, et bien sûr des trucs plus pointus comme les Creations ou les compilations Nuggets. J’avais un autre ami journaliste qui était super fan de Garage Rock m’a fait découvrir toute cette scène. Ça m’a ouvert l’horizon musical.

Tu ne parles pas de groupes américains !

Il y a une autre scène que j’aime beaucoup : la scène américaine de la fin des années 60, début des années 70 avec le Jefferson Airplane. J’adore vraiment tous les groupes de cette scène comme Quick Silver.

Tu as commencé à t’intégrer à la scène sixties parisienne ?

Pas vraiment, parce que les grandes soirées, comme « Acid Rendez-Vous », n’existaient plus. Je suis allé à la Mécanique Ondulatoire où il y avait des soirées mods et sixties avec Yvan le terrible et Topper Harley. Mais le grand changement pour moi, c’est quand je suis allé à Londres, où il y avait des soirées avec les News Untouchables. Là, ça a été un choc esthétique. Il y avait des gens de mon âge qui écoutaient cette musique ! Par rapport à Paris où il y n’y avait plus grand-chose, c’était incroyable !

C’était rare qu’un garçon de ton âge, et à cette époque, écoute cette musique ?

Oui, mais comme je l’ai dit il y avait mon père et puis aussi ce pote qui a débarqué dans la cour avec le Slim ! Contrairement aux Babys Rockers qui ont d’abord écouté du Rap avant de découvrir les White Stripes. Moi, je ne suis pas passé par le rap !

Mais est ce que t’habiller comme ça ne t’a pas amené une sorte de « projecteur » sur toi. Tu as travaillé ton look et ton élégance qui a favorisé l’Art Optique, l’art d’être remarqué par son allure !

A chaque fois que l’on me dit ça je réponds « allez à Londres, pleins de gens sont comme ça » et puis quand il y a une cohérence entre la musique qu’on écoute et la manière dont on s’habille cela me parait normale : ça fait partie d’une esthétique globale et je l’assume ! Cela s’est fait d’une manière naturelle mais surtout je ne pourrais pas assumer le côté Jean/ Basket.

LeSpark, Thomas Baignères tout à droite
Crédit : Ricardo Gomes

Premier groupe pour toi : LeSpark !

LeSpark c’est la rencontre avec Richard mon pote du collège et un autre copain, batteur, au lycée. Tout se transforme et s’épure à la sortie du lycée, certains voulaient partir faire des études, même si moi j’ai continué des études. Bref, on a récupéré des gens et très vite on a beaucoup fait de scènes ! A l’époque on jouait dans les squats qui étaient super importants, comme la Gare aux Gorilles, la Blanchisserie à Boulogne ou avec un collectif qui organisait des concerts dans des lieux incroyables. En fait, on était rarement dans les lieux classiques, même si on en a fait comme le Gibus. On avait une liberté totale sur le temps de concert, les organisateurs amenaient leur propre alcool… Je pensais que tout était comme ça mais j’ai vite déchanté. On a vraiment vécu une période de grâce et un El Dorado qu’il n’y a plus.

Tu as rencontré du monde avec LeSpark ?

Oui, des gens comme Patrick Eudeline, et puis les choses sont devenues plus sérieuses. On a fait un premier EP autoproduit et puis ensuite on a rencontré Louis Bertignac qui a produit le deuxième EP. Il a produit musicalement et nous on a signé avec un éditeur le jour annoncé de la fin du monde : le 21 juin 2012. On avait un bon entourage. Mais ce qui était important c’est que nous étions des assoiffés de scène, on jouait 3 à 4 fois dans la semaine.

Vous avez l’image d’un groupe parisien branché et pourtant vous avez commencé dans les squats !

Oui, mais à l’époque tout le monde allait dedans ! C’était génial : il y avait tout le monde !

A un moment vous avez été presque les derniers à faire cette musique ?

Oui, ça s’est essoufflé ! C’est là où on voit vraiment les gens qui aiment la musique qu’ils font et ceux qui suivent la mode. Nous, on aimait vraiment cette musique. Je continue toujours à faire du rock alors que ce n’est pas à la mode. C’est aussi une musique qui permet de faire de la scène et ça tu ne peux pas le remplacer. Tu peux vendre tes vinyles à la fin des concerts : les gens aiment bien parce que c’est un vrai objet ! Tu peux exister par la scène !

On t’associe aussi beaucoup à Pete Doherty ?

C’est une longue histoire : on l’a rencontré à la terrasse d’un café dans le Marais, à l’époque où il habitait là ! Il nous a proposé de venir jouer au Tigre avec lui, un petit club vers le Palais Royal. J’étais avec Richard le guitariste et Victor. Il nous a invité à visiter le lieu et à jouer avec lui, il a tenu sa promesse. Le lendemain, on a fait sa première partie là-bas et puis on a joué avec lui. On a fait des reprises sur scène comme « I Wanna be your dogs ». Je ne connaissais pas du tout sa musique. Je n’écoutais que du blues et donc je me suis intéressé à ce qu’il faisait juste après. On a joué trois ou quatre fois au Tigre avec lui et il nous a invité ensuite à faire sa première partie plusieurs fois, notamment au 106 à Rouen, même s’il n’est pas monté sur scène (rires). Quand j’ai sorti mon recueil de poésie, il m’a invité à faire une lecture en première partie des Babyshambles au Magic Miror au Havre. Il y a eu pas mal de trucs…

Tu as travaillé sur ses mémoires ?

J’ai traduit le livre, j’ai écrit la note du traducteur et j’ai aussi traduit la préface de l’auteur.

LeSpark s’arrête ?

Oui, en 2015, Il y avait une rupture au sein du groupe et avec les producteurs. Suite au disque avec Bertignac on commençait à faire du rock français et moi je voulais aller vers une chanson française à la manière de Daniel Darc. J’étais super influencé par « Crève-Cœur ». Je ne pouvais pas développer ça avec le groupe. J’étais un peu à l’étroit même si je suis aussi revenu au rock après.

Tu as commencé une carrière solo sous les influences de la musique française des années 70 comme Gainsbourg ou François de Roubaix, après il y aussi Daniel Darc. On peut penser que tu es aussi influencé par la littérature comme les symbolistes du 19éme siècle. Tu dois avoir Huysmans avec « A rebours » sur ta table de nuit ?

(Rires) Les gens pensent souvent ça ! Je l’ai mais ce n’est pas un livre capital pour moi. Je dis souvent, pour ma poésie, que ce qui m’inspire c’est le « Théâtre de l’absurde » comme Ionesco et Beckett. Dans ce que j’écris en poésie, il y a beaucoup de tragi-comique : la mort sous des apparences un peu « humoristique » mais pas trop dans ma musique.

Tu as un titre « alors tu m‘aimes », qui est très marqué par les symbolistes.

Oui, ça peut y faire penser !

On peut aussi te définir comme un dandy si on applique le mot comme au 19éme siècle.

Oui, même si aujourd’hui ça a un côté péjoratif alors qu’à la base c’est un compliment mais c’est un mot qui a été tellement employé avec le côté Dandy Rockeur que c’est devenu péjoratif.

Tu assumes ce côté dandysme lettré parisien ?

Ah oui, ce sont des faits : j’ai fait des études de lettres, j’écris et je suis parisien. Ça fait un peu prétentieux mais quand je discute avec les gens ils me disent « en fait tu es sympa » (rires). Il faut aller à la rencontre des gens sinon on s’arrête à ton image et tu peux briser « la frontière qui peut exister ».

Est-ce que pour mieux vivre ton époque, tu n’as pas plongé dans le passé ?

Oui, mais ça s’est fait naturellement. En se plongeant dans les années soixante par exemple, on peut un peu échapper au monde moderne qui m’intéresse assez peu. Je ne suis pas nostalgique parce que je n’ai pas vécu ces années-là. Je me dis, pour me consoler, que si j’avais vécu cette époque , j’aurais été noyé dans la masse. Comme lorsque l’on me demande pourquoi je ne vais pas habiter en Angleterre, c’est un peu la même chose : il y a pleins de gens comme moi. J’essaye de faire une force de ça !

En concert
Crédit : Gérald Chabaud

Pour ta carrière solo, tu chantes en français avec de très beaux textes et même tu récites de la poésie sur « alors tu m’aimes » ?

J’ai appelé mon livre de poésie « Alors tu m’aimes ? » qui est sorti avant la chanson, je voulais faire un lien entre les deux, donc j’ai récité la fin du livre sur l’intro du clip.

Tu as sorti des disques avec ton projet solo ?

On a sorti un EP. J’ai commencé à trouver des musiciens, à faire des scènes et j’ai rencontré Florian Duboé qui est devenu mon arrangeur/ réalisateur. J’étais sûr de son travail. On a sorti ensemble « Alors tu m’aimes ? » et puis l’EP « Pourquoi moi ? ». Là, on travaille sur la suite : l’album.

Tu n’es sorti qu’en numérique ?

Oui, je sortirai un vinyle au moment de l’album !

Tu as fait quoi comme concert ?

« Le Serpent à Plume », un club place des Vosges et les salles habituelles comme l’International, le Supersonic… On n’ est resté qu’à Paris. On va bientôt jouer aux Bains Douches mais j’aimerais bien aller jouer en province, dans des festivals mais c’est surtout avec Gasoline (son autre groupe, NDLR) que l’on peut jouer ailleurs qu’à Paris, mais je reste persuadé qu’avec le projet solo on peut arriver à quitter Paris : ça peut toucher tout le monde !

Crédit : Gérald Chabaud

Il y a une scène en France avec des gens qui font de la chanson française un peu pop comme toi : Bertrand Belin, Bertrand Betsch, Filip Chrétien, Fred Signac ou Jérôme Castel…

Dans mon cas je dirais qu’il a fallu que j’assume ce côté chanson française et ça a pris du temps cette transition du rock anglais au rock français et puis à la chanson française. Ça s’est fait sur un temps assez long. J’avais mes poèmes, je voulais en faire des chansons mais je n’étais pas à l’aise avec ça. Maintenant je l’assume.

Dans une époque de « Youtubeur » ou de rappeurs, tu es quand même très décalé.

Bien sûr, mais le public adhère à ça : ça marche artistiquement.

On va parler de ton deuxième groupe : Gasoline ! Un duo où tu es à la guitare et au chant. Tu es avec un pote à toi à la batterie et là, tu retrouves la musique de tes débuts avec un son très américain, ce qui n’est pas ta culture de base.

Ça vient de Théo Gosselin, mon binôme dans le groupe. On s’est rencontré par des amis communs à Amiens dans une maison où j’avais débarqué avec des amis. Ils étaient tous à poil dans un trip néo-hippies. Il jouait de l’harmonica. On s’est revu bien après et il m’a proposé de monter un groupe avec lui. Il a trouvé un studio de répétition à Gennevilliers. On a fait un premier essai à quatre avec un clavier et un bassiste. Suite à ça il m’a dit « je voudrais plutôt faire un duo comme les White Stripes ou les Black Keys » et c’est parti comme ça en 2019.

Vous avez fait quoi ?

Un album, « the Orange album », pas mal de concerts : Paris, la province, Londres… On a un label « le Celebration Days Records » qui organise un festival : « Le Celebration Day Festival » qui est dans le nord, dans l’Oise. On a bossé en studio dans cette région. Ce sont des potes de Théo le batteur. Comme ça on a pu aller jouer à ce festival et faire pas mal de scènes derrière.

Tu as besoin d’avoir ces deux côtés : la chanson française bien posée et bien écrite et le côté rock avec Gasoline ?

Totalement et c’est compliqué de l’expliquer aux français alors que les anglais et les américains le comprennent très bien. Ici, on te trouve pas crédible, tu dois faire qu’un seul truc. Pour moi je ne veux pas mélanger les deux et ils font sens en étant totalement opposés.

Artistiquement, tu as besoin des deux ?

Oui, c’est exactement ça : j’ai besoin des deux. Pour moi ça me parait cohérent mais pour d’autres non !

Tu chantes aussi dans un groupe : les Darlings.

C’est un groupe où il y a deux membres à Bordeaux, moi à Paris, un à Copenhague au Danemark et un entre Cleveland et Londres. C’est un peu compliqué. On a enregistré à Hambourg, en Espagne et à Londres. C’est un peu éparpillé…

Quels sont tes projets ?

Le 31 mars aux Bains Douches pour mon projet solo, un concert avec Gasoline à l’Olympic Café le 4 avril. Je vais sortir, pour mon projet solo, un duo avec Lisa Hartmann, qui est la chanteuse du dernier album studio de La Femme. Ça va m’amener sur l’album. Il y a des clips qui arrivent. Gasoline travaille aussi sur un album. Quand tu es musicien il n’y a pas beaucoup d’originalité : tu fais des concerts, tu sors des disques, tu tournes des clips… Que ce soit à l’échelle des Stones ou d’un petit groupe de Garage, c’est un peu la même chose, les mêmes actes.

Tes projets littéraires ?

J’ai un nouveau recueil et je cherche un nouvel éditeur.

Crédit : Gérald Chabaud

Tu te vois évoluer comment artistiquement ?

J’ai trouvé ce que je voulais faire, maintenant il faut développer les projets pour qu’ils soient le plus écoutés. J’essaye de trouver des solutions pour la production, la stratégie, de trouver un tourneur pour Gasoline, bref de faire « rayonner » ma musique. Ma priorité reste le projet solo même si j’aime beaucoup Gasoline qui est ce que je veux faire sur scène mais j’ai vraiment à cœur mon projet solo.

On t’appelle le Prince de Pigalle : ce n’est pas un peu réducteur et surtout cela risque de t’amener vers une sorte de « branchitude parisienne » qui risque de t’enfermer ?

Il ne faut que cela me porte préjudice et que ça m’empêche d’aller en province. C’est comme les histoires de dandys, si les gens veulent dire ça pourquoi pas ? Dans les faits, je traîne à Pigalle depuis longtemps même avant d’y habiter. C’est flatteur mais il ne faut pas que ce soit réducteur. Je veux explorer d’autres horizons.

Le mot de la fin !

Vive le rock !

Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’amener vers la musique ?

Je dirai « Aftermath » des Rolling Stones, c’est leur jeunesse.

http://www.thomasbaigneres.com/
https://www.facebook.com/thomas.baigneres.3