Peux-tu te présenter ?
Vaste question. Je suis née en Moselle peu avant l’élection de Mitterrand (ceux qui savent qui c’est ne me trouveront pas si vieille). Je vis en région parisienne, je joue un peu de guitare mais je préfère la basse car, avec deux cordes en moins, c’est plus facile. J’écris des chansons et des romans. Je n’aime pas que les gens me qualifient de chanteuse parce que ça donne tout de suite l’image d’une potiche qui minaude mais bon, à quelque part ils n’ont pas tort car je chante en effet mes chansons. Sinon, pour gagner ma vie, je corrige les fautes d’orthographe pour un magazine de jardinage.
Comment la musique est-elle entrée dans ta vie ?
J’ai toujours été passionnée par la musique, d’abord celle qu’écoutaient mes parents – ça allait de trucs cool comme The Shadows, Ennio Morricone ou les Beatles, à l’effroyable variété 80’s du Top 50. Mais j’étais à fond ! À l’âge de 4 ans, j’étais tellement obsédée par les Shadows que j’étais tombée amoureuse d’eux, sans même savoir quelles têtes ils avaient, juste leur musique qui m’emplissait d’amour. Je garde un souvenir précis du jour où j’ai fait part à ma mère de mon projet d’épouser les quatre membres du groupe quand je serais grande. Elle m’a alors expliqué qu’on ne pouvait se marier qu’avec un seul homme à la fois ; j’ai eu le cœur brisé. Ensuite, j’ai eu la chance inouïe de découvrir le Velvet Underground à l’âge de 12 ans, ce qui m’a décidée à former un groupe de rock. (Bon, le groupe a mis un peu de temps à se concrétiser, je n’ai donné mon premier concert que dix ans plus tard, à 22 ans – un âge que je trouvais canonique pour entamer une carrière de rock star.) Au tout début de l’adolescence, j’ai commencé à lire assidûment la presse rock, Best, Rock & Folk, Les Inrockuptibles mensuels… C’est sans doute à ces derniers, et à leurs longs articles pleins de mots que je ne connaissais pas, que je dois ma carrière d’écrivain et de correctrice dans la presse. Il y avait aussi cette radio allemande, RTL Der Oldie Sender, qu’on captait en Moselle et qui diffusait exclusivement de la musique anglo-saxonne 50’s, 60’s et 70’s : Stones, Kinks, Motown, country… C’était fabuleux. D’un côté, j’avais le grunge, de l’autre la pop rétro. Au collège, les autres gamins se foutaient de ma gueule parce que j’aimais des trucs ringards, mais aujourd’hui je suis contente de n’avoir jamais fait partie d’une bande. On a toujours tendance à repenser à l’adolescence comme à une période très pénible, mais quelle chance j’ai eue d’écouter autant de musiques différentes, et toutes tellement géniales !
Quelles sont tes influences ?
Je n’aime pas beaucoup le terme “influences”, ni cette question qu’on ne cesse de me poser depuis des années. J’ai un peu passé l’âge d’être influençable, non ? Je préfère parler de sources d’inspiration. Je pourrais passer la journée à t’en citer, mais pour faire bref, les artistes qui ont changé ma vie et dont je me sens proche, dans des registres très différents : Kim Deal (leader des Breeders, anciennement bassiste des Pixies) ; Brian Eno (notamment ses quatre albums de pop des 70’s) ; Mark Oliver Everett de Eels ; Kristin Hersh (Throwing Muses, 50 Foot Wave, et surtout en solo) ; Judee Sill (une Californienne méconnue du début des 70’s, qui peut rappeler Joni Mitchell mais avec un côté plus mystérieux, plus tragique) ; The Divine Comedy et sa pop orchestrale qui pourrait sonner très prétentieuse, si ce n’était l’humour et la sincérité du mec, sans compter ses paroles brillantissimes… J’adore aussi Courtney Barnett, et bien sûr Lou Reed, que j’aurais dû citer en premier !
Quel a été ton parcours musical avec les différents groupes auxquels tu as participé ?
J’ai commencé par rejoindre un groupe d’abord appelé Virus For Sale, puis Little Fury (en hommage aux Breeders, dont Basile et moi étions d’énormes fans). C’était un power trio, j’étais à la basse, Basile à la guitare, on se partageait le chant et le songwriting. On changeait souvent de batteur. On faisait une sorte de mélange de Breeders, Pixies, et de rock 60’s à la Kinks, du moins c’était notre intention… On devait être assez bons car on a fini par jouer avec toute cette scène du Gibus sponsorisée par Rock & Folk, avec les Parisians, les Shades, les Plastiscines etc. Mais c’était un malentendu, on n’était pas des bébés rockers, nous étions bien plus vieux, au moins 23 ans, et on n’en avait rien à foutre des Libertines ou des White Stripes… Bref, au moment où on a commencé à sentir que ça pouvait décoller, on s’est engueulés et on a splitté. Avec le recul, cette décision m’apparaît comme un acte manqué : je crois que toute cette scène m’écœurait, ces gamines bourgeoises qui arrivaient en taxi et taillaient des pipes aux musiciens dans les chiottes, la coke qui circulait et qu’on ne me proposait pas, ces petits gars ultra-lookés qui portaient des lunettes de soleil dans les bars sombres et se la pétaient alors qu’ils avaient zéro culture musicale, ces vieux types moches qui me payaient des verres (et je n’avais pas assez de jugeote pour refuser)… Rien que d’y repenser me met mal à l’aise.
Juste après, j’ai tenté de former un nouveau groupe avec plein de potes musiciens, mais ça n’a pas pris. J’étais incapable d’être leader d’un groupe, de faire jouer aux autres mes propres chansons. Je n’y arrive toujours pas, raison pour laquelle j’enregistre seule ou presque, et qu’en concert je ne suis accompagnée que par mon amie Alizon, qui me soutient à la guitare et ajoute des harmonies vocales, importantes dans mes compositions.
Mais revenons à la seconde moitié des années 2000. J’ai été bassiste dans quelques groupes (un de punk, un de psychobilly, un autre un peu psyché-garage), à chaque fois ça n’a duré qu’un an ou deux, on faisait une quinzaine de concerts grand max, on enregistrait une démo et puis ça s’effilochait, la tectonique des groupes de rock, quoi… J’ai aussi été lead guitariste et choriste de La Féline quand elle débutait, à l’époque elle faisait une musique presque folk, on s’entendait bien, elle m’a beaucoup appris. Avec elle c’était un autre délire, on jouait à la radio, sur France Inter ou France Cul, on donnait des concerts dans des lieux sérieux (on a partagé la scène avec Moriarty dans un festival à l’Olympia, ce genre – leur chanteuse est assez dénuée d’humour, au passage), ça m’a fait une sacrée expérience. Et puis, comme j’étais une piètre guitariste, ça m’a obligée à travailler dur. Jouer du punk, bourrée, dans un bar PMU de banlieue, ça passe. Foirer ton solo de guitare dans le studio tout plein de moquette à Radio France, où tout le monde retient sa respiration parce qu’on est à l’antenne, c’est pas possible. Mais bref, j’ai quitté l’aventure quand Agnès s’est mise à ajouter de plus en plus de synthés 80’s et de boîte à rythme, et à chanter principalement en français. Ça devenait trop sérieux, ça ne me parlait plus. Je suis partie, riche de cette expérience, enregistrer mon premier album solo, en 2009.
Actuellement, j’ai le bonheur de tenir la basse dans Wonderflu, un groupe très indie 90’s, Sonic Youth, Pavement, Pixies… Je les aimais déjà bien avant de les rejoindre. C’est assez incroyable, je les ai vus sur scène, à l’International, j’ai adoré, je me suis dit : « J’ai trop envie de jouer dans ce groupe ! » Et un an plus tard, leur bassiste se barrait. Ils m’ont appelé pour me proposer le job. Bingo ! Ils ont un label aussi, Influenza Records, avec plein de groupes vraiment intéressants. J’adore jouer de la basse, faire du gros son. C’est tellement différent de mes concerts solo, souvent qualifiés de folk… C’est bien d’avoir les deux activités complémentaires.
Tu as enregistré combien de disques avant Out of the Blue, ton dernier EP, paru en 2022 ?
Trois albums et deux EP. Sylvia Hanschneckenbühl Does Not Sing Christmas, mon premier album, est sorti en 2009. (Oui, avant je m’appelais Hanschneckenbühl, puis j’ai dû changer de pseudo en 2015 pour des raisons pratiques, j’ai choisi Hansel car c’était proche au niveau alphabétique.) Deuxième album en 2012, Absolute, Kahlua & Bailey’s. Ensuite, j’ai fait une grosse pause de musique, j’ai énormément bossé dans la presse et écrit des bouquins. Je me disais que si ces deux disques n’avaient pas eu de succès, c’est que je n’étais pas très bonne, qu’il valait mieux laisser tomber. Puis je me suis mise à jouer des reprises pour le plaisir, puis à les enregistrer pour un podcast musical que j’avais créé, où chaque émission retrace l’histoire d’une chanson. J’avais toute une série de chansons sur le thème du train, allant de Lead Belly à Eels, et j’ai décidé de les sortir sur un EP, Train Songs, en janvier 2020. Un autre EP a suivi, sur le thème du courrier postal cette fois-ci, Letterbox. Et puis, en mars 2022, mon troisième album a enfin vu le jour : Moselle Hillbillie. Il m’a pris tellement de temps, entre la crise sanitaire, la recherche d’un label, les délais de fabrication, etc. que lorsqu’il est sorti, j’avais déjà de quoi enregistrer un nouvel EP, Out of the Blue.
Est-ce que tu as quelqu’un qui réalise tes disques et comment enregistres-tu (studio, à la maison…) ?
Les deux premiers albums ont été enregistrés dans des conditions presque professionnelles, en partie en studio, et mixés par un ingé-son. Ensuite, beaucoup plus tard, en produisant mon podcast, je me suis rendu compte que moi aussi, je pouvais me servir de GarageBand. Que ce n’était pas sorcier, même pour une meuf. J’ai acheté du bon matériel, il n’y a pas besoin de grand-chose du moment qu’on a une bonne carte-son, deux bons micros, une bonne oreille et des idées. Je ne l’ai compris qu’en bossant sur Moselle Hillbillie, mais c’est ça le truc : être créatif avec les sons. Ils s’utilisent exactement comme de la peinture pour créer un tableau. J’ai fait des études d’arts plastiques, c’est peut-être ça qui m’a aidée à expérimenter avec le son comme s’il s’agissait d’un matériau plastique. La plupart des ingés-son formés en école sont persuadés que pour bien sonner, il faut du matériel cher, beaucoup d’outils de mesure, des graphiques compliqués… Selon eux, il y a des règles à suivre, des règles complexes qu’on met des années à assimiler. Dès qu’un de ces mecs essaie de me montrer comment faire, je suis paumée. Mais quand je me suis retrouvée seule à enregistrer mes reprises, j’ai tenté des trucs à l’arrache et ça a bien marché. De toute façon, je n’ai aucune envie que mes disques sonnent comme du U2, ça tombe bien. J’aime le côté cheap, lo-fi. J’ai toujours eu horreur de l’approche scolaire. C’est sans doute ce qui arrive quand le premier disque qu’on a acheté était White Light/White Heat.
Les textes : d’où vient l’inspiration ?
Je l’ignore. Ça part d’un mot ou deux, puis la suite vient toute seule, je n’ai aucune idée d’où. Ça part d’un sentiment, colère, frustration, chagrin, et puis se dessine une histoire qui n’est plus tout à fait la mienne. Mais, en y réfléchissant, de manière globale, on peut conclure que je dis dans mes chansons ce que je ne peux pas dire dans la vraie vie. Par exemple, j’ai composé On the Shady Side en moins d’une heure. Les paroles sont abusées, c’est une femme mariée qui, dans un bar, rencontre un homme, marié lui aussi, qui l’attire beaucoup, alors elle lui dit : « Viens faire un petit tour avec moi dans l’allée sombre, tu sais à quoi servent les hôtels ? Ce que nos conjoints respectifs ne savent pas ne leur fera pas de mal… » Le truc qu’on a tous voulu dire à un moment ou à un autre, mais impossible, bien sûr, surtout pour une femme. On dit poliment bonsoir, on rentre préparer la soupe et on s’efforce de ne plus y penser. Bon. Ça fera au moins une chanson.
Parfois ça part de rien du tout : l’autre jour, un jeune type de Médecins du monde a frappé à ma porte pour me demander des sous. Il était grave beau gosse et il le savait, je pense qu’il dragouillait les bonnes femmes pour avoir un bonus, ils ont des objectifs ces mecs-là. Il m’a dit son prénom, Erwan, pour que je l’indique à son chef (parce que oui, j’ai accepté de filer un peu de thune chaque mois, pas parce qu’il était beau mais parce que des tas de migrants dorment dans la rue et je me suis sentie coupable). M’est venue l’idée de cette rime : Erwan, you could have been the one. Ça m’a fait marrer, alors j’ai continué sur ce theme, jusqu’à la conclusion : “I think about you every month/When I look at my bank account”.
Mais j’ai aussi d’autres chansons plus profondes, comme Easter School, qui parle de ce que sont devenus nos rêves et nos amitiés d’adolescence à l’aube de la quarantaine, alors qu’on est pris entre la lessive, la vaisselle et lire leur histoire aux gamins.
Comment se procurer tes disques ?
Le mieux est de les acheter après mes concerts… Sinon, commandez-les de préférence sur mon compte Bandcamp, ou chez votre disquaire, sur Fnac.com, Amazon, les trucs habituels. Ils sont aussi en écoute sur les plateformes de streaming, cette création du démon.
Peut-on évoquer tes autres activités ?
Je suis l’autrice de quatre romans, dont Cannonball, l’adolescence n’est pas une chanson douce, paru aux éditions Intervalles. Les autres sont bien aussi, mais Cannonball est ce que j’ai réalisé de plus personnel. C’est une histoire de la musique de mon adolescence en cinquante chapitres, cinquante chansons dont je parle à la fois avec une approche journalistique, car c’est tout de même mon métier, le vrai, celui avec lequel je gagne ma vie – bien que cela devienne de plus en plus compliqué – et à la fois une approche personnelle. En gros, je raconte ma life. Je voulais explorer le lien intime qui nous unit aux chansons, spécialement entre 12 et 20 ans, à cette période où l’on vit tout intensément, où la musique nous touche de plein fouet, où elle nous définit.
Trouve-tu un lien entre toutes ces activités ?
Oui, elles sont complémentaires mais elles sont liées. On n’exprime pas la même chose avec un roman ou une chanson. Mais, dans les livres, le podcast ou mes chansons on retrouve les mêmes thèmes qui me turlupinent. Par exemple, lors d’un concert, peu après la parution de mon premier roman, Noël en février, j’ai vu le visage d’un homme dans le public s’éclairer de compréhension en entendant les paroles de Nationale 3 et en réalisant que oui, c’est de la même RN3 dont parle le livre.
Es-tu intégrée à une scène ?
NON ! Surtout pas ! Je déteste l’idée même de scène, de ranger la musique dans des cases. Tous ces rock critics qui ne cessent de parler de “scène mod”, de “scène underground” ou que sais-je, où il faut s’habiller comme ci et pas comme ça, écouter tels groupes et mépriser tels autres, c’est infiniment réducteur. Quand le rock devient une religion, avec des dogmes et des artistes intouchables, ça ne m’intéresse plus.
Quelle est pour toi l’importance de l’image ?
J’aimerais te dire que je m’en tamponne, mais non. Pour une musicienne ou un musicien, l’apparence est évidemment importante, il serait stupide de le nier. Par exemple, de nos jours, personne ne peut exister sans clips, du coup j’en ai fait deux, même si je n’aime pas le principe du clip… Après, ce n’est pas une préoccupation très importante. J’ai des amis qui se sont payé des stages avec un coach pour apprendre comment bouger sur scène, comment occuper l’espace, ce genre de bullshit… Moi, je m’en fous un peu. Même si c’est vrai que j’aime bien les belles fringues et voir des jolies photos de ma trogne sur Insta, comme tout le monde, on ne va pas se mentir…
Es-tu très présente sur internet ?
Hélas, oui ! Sans doute trop. Ou pas de la bonne façon. Je déteste faire ma propagande sur les réseaux, ça joue sans doute contre moi car je la fais tout de même, mais de mauvaise grâce. Ces trucs, Instagram, Twitter et surtout Facebook, c’est l’horreur, c’est trop addictif. Tu reçois sans arrêt des notifications pour des likes, c’est agaçant. Mais si un jour personne ne like ton post, ça te met dans un état d’anxiété, tu te dis : « Merde, qu’est-ce que j’ai fait, plus personne ne m’aime ? » Donc tu n’es jamais satisfait. C’est très difficile de rester concentré, surtout sur l’écriture d’un bouquin. Au début j’adorais Facebook, quand c’était encore un truc de jeunes. J’y râlais souvent, je m’y moquais de mes collègues ou de ma famille, j’y faisais des blagues… ça faisait un bien fou ! Mais s’en servir pour la promo…
Quels sont tes projets ?
Je commence à avoir assez de nouvelles chansons pour un nouvel album. Justement, beaucoup évoquent les réseaux sociaux, comme I Don’t Wanna See Your Holiday Pics à propos de ceux qui affichent leur vie parfaite sur Instagram. Sérieusement, c’est un vrai problème qui me travaille depuis que j’ai un smartphone (c’est assez récent, car j’ai longtemps résisté). Je me suis surprise à faire des mises en scènes avec des fleurs, ou mon chat, pour poster la photo d’un de mes bouquins, et je me suis trouvée très bête, mais comment s’empêcher ?
Bref, peut-être un nouvel album, j’attends de lui trouver une cohérence pour savoir comment le réaliser.
Et je travaille sur un nouveau roman, déjà bien avancé : une fiction fondée sur mon expérience du travail à la chaîne dans un labo photo.
Y a-t-il des concerts prévus ?
Avec Wonderflu on va sortir un nouvel EP, qu’on a enregistré l’été dernier et dont je suis très contente. C’est le premier volet d’une série d’EP, un projet assez dingue. Du coup, on fera des concerts. Je n’ai pas encore de dates, c’est en train de se mettre en place. Donc, avis à la population, on vient jouer chez vous si vous nous invitez !
Le mot de la fin : tu peux dire ce que tu veux ?
Euh, je crois que j’ai déjà assez causé. Désolée pour la longueur du texte, et merci de m’avoir lue jusqu’au bout !
Bandcamp : https://sylvia-hanschneckenbuhl.bandcamp.com
Site web : https://sylviahansel.net
Wonderflu : https://wonderflu.bandcamp.com