Vos textes peuvent être de la poésie ?
Oui, de la poésie simple, mais pas que ! Je compte sortir bientôt 12 nouvelles fantastiques « Récits bizarres pour gens étranges ». Tout est là, sur mon bureau ! Pour mes textes avec Grégoire, je vais piocher dans mes poésies. Pour vous expliquer une de mes techniques, c’est assez simple. Depuis mes cinquante ans, je fais réviser ma baraque physique aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, donc je passe beaucoup de temps dans les salles d’attente de médecin. Il y a toujours plein de magazines que vous pouvez imaginer, comme « Voici », etc. Ça ne m’intéresse pas, mais il y aussi des revues comme « Valeurs Actuelles », « Le Point » ou « L’Express ». Quand je tombais sur une phrase ou un titre qui m’intéressait, je dégrafais doucement la page. Maintenant je suis équipé, j’ai un tout petit ciseau et je découpe ce qui m’intéresse (éclat de rire général.) Je me suis limité à coller des phrases les unes derrière les autres pour faire un texte, mais uniquement dans les salles d’attente de médecin, sinon ce n’est pas drôle !
Grégoire Garrigues : ça, c’est du concept (rires) !
Qui a proposé à l’autre de faire un disque ?
Long Chris - C’est moi ! La réédition avait bien marchée. Dans notre microcosme, 500 CD, c’était remarquable. Puisque ça avait marché il fallait continuer !
GG - On avait des bases : avec mon groupe de l’époque « Super Wagner » nous avions enregistré avec Chris au chant : « Voyage aux pays des vivants », « Je rentre » et "Depuis que tu l’as touchée". Nous avions donc trois titres sur lesquels on avait travaillé ensemble. On a continué.
(Pochette du volume 2 de "Chansons bizarres pour gens étranges" - Droit réservé)
Vous aviez quoi en tête quand vous avez fait ce premier album ensemble ?
Je voulais faire des chansons avec un accompagnement, mais vraiment des chansons.
Pour vous, c’est un album de « titi parisien », un vrai, à l’ancienne ?
Ça me va bien, et ça s’entend sur des titres comme « La fille du métro ».
Mais c’est l’ancien Paris que vous défendez, celui des années 50, 60 ?
LC - Bien sûr, j’adore Paris. D’ailleurs vous pouvez remarquer que partout dans mes textes j’essaye de placer le métro.
GG - Ça me va bien aussi, parce que je suis un vrai Parisien.
Il y a aussi une vraie diversité musicale : il y a de la chanson, du rock, du folk. C’était voulu ?
LC - Bien sûr !
Vous avez eu un regard sur la musique et la production ?
LC - Bien sûr, mais jamais je n’ai dit à Grégoire : « ça ne me plait pas, fais ça autrement ». Sauf sur les rocks rapides.
GG - Mon naturel d’ancien punk revenait.
LG - Sur le disque, vous avez de la flûte, du violoncelle, du clavecin, de la trompette bouchée… Et à l’avenir, on prendra de la viole ou d’autres instruments. C’est de la chanson accompagnée, il n’y a pas d’étiquettes !
D’ailleurs Grégoire, sur ce disque tu as fait presque tous les instruments : guitare, basse, batterie, claviers…
GG - C’était pour des questions pratiques. On n’avait pas de budget, donc on ne pouvait pas payer les musiciens. C’est un disque que l’on a surtout fait à la maison, sauf quand il fallait faire venir des instruments à cordes et des cuivres.
(Long Chris et Grégoire Garrigues en plein travail - Droit réservé)
Il a été reçu comment le volume 2 ?
LC - Il a été bien reçu, je voulais que les gens qui avaient écouté le disque me donnent leurs avis, me laissent leurs commentaires. Ça m’intéresse beaucoup ce type de réactions.
C’est une volonté de votre part de mettre des « chapeaux explicatifs » sur le livret au début de vos textes dans le volume 2 ?
Je l’ai fait une fois, mais je le ferai plus : ça démystifie l’objet… J’aime laisser le doute. Je veux que les gens trouvent leurs propres explications…
On attaque le volume 3 … Qui s’appelle « Chansons bizarres », tout court ?
Parce qu’il n’y a plus de gens étranges. Dans le temps ça pétait dans tous les coins, à Saint-Germain-des-Prés c’était la fête tous les soirs avec des bals, le baron beatnik (le Baron de Lima)… Aujourd’hui il n’y a plus rien.
Vous voulez dire que les gens n’ont plus de poésie ?
Si il aura toujours de la poésie et des poêtes mais les gens le percoivent moins, ils ont trop de préoccupations. Pour quelqu’un comme moi qui a connu cette période des années 60 où il y avait des artistes, des jongleurs… On se croyait dans une chanson de Dylan. Maintenant les gens sont tristes… tous pareils…
Mais est-ce qu’à l’époque il n’y avait pas une vraie contestation qu’il n’y a plus aujourd’hui parce que les gens ont peur de l’avenir ?
Bien sûr les gens sont émasculés ! À l’époque en 1966, outre les grandes salles, je pouvais chanter presque tous les soirs dans les cafés, les boites, les terrasses des bistrots. Maintenant sur les cinq dernières années j’ai chanté une fois tous les deux mois, du vieux rock souvent, et franchement ça ne suffit pas.
(Long Chris sur la scène du Billy Bob’s - Droit réservé)
Oui, mais le rock’n’roll vous ennuie, non ?
J’ai un profond respect pour cette musique, mais cela ne m’amuse plus de la chanter : elle est quand même assez âgée.
Musicalement, sur ce volume 3, il y a une palette musicale encore plus large que sur le volume 2. Ça pourrait partir dans tous les sens, mais ça reste cohérent, principalement grâce à la guitare de Grégoire, mais aussi vos textes. C’était voulu une palette aussi large ?
GG - À la base non, mais c’est venu comme ça.
LC - On ne voulait pas avoir une étiquette blues ou rock…
GG - On avait un morceau de country et un de rockabilly. On les a mis de côté, délibérément. On ne voulait pas que cela dénote trop dans le disque.
LC - Il y a de la chanson française comme « En cavale », parce que mon but est de « désaméricaniser » au possible les textes. Je suis un enfant de la guerre, je suis né en 1942 et pour moi l’Amérique ou la 2e DB ça veut dire quelque chose. Mais je ne veux plus avoir l’étiquette de chanteur américain, même si j’adore toujours l’Amérique… Je veux parler du Pont du Gard, des volcans en Auvergne…
Il y a beaucoup d’amour dans vos textes, qui sont finalement vraiment splendides et recherchés.
C’est du vécu !
Vous avez une vision de l’amour très romantique, vous avez des textes comme « Je me suis réveillé dans ton matin », qui sont très beaux.
C’est ce que l’on me dit. Je vous le répète c’est du vécu. Par contre, chacun peut en faire son interprétation. Disons qu’en amour, souvent on ne peut pas tout dire. Alors on évoque des choses, des sensations, des métaphores…
Il y a aussi beaucoup d’humour ?
Mais il faut avoir de l’humour. Je vais vous raconter une anecdote : un jour, on m’a comparé à Thiéfaine, que j’adore. Son directeur artistique m’avait offert son disque en me disant que je lui ressemblais : il est d’un triste ! Soyons drôles, enfin ! Tout passe avec de l’humour. J’en mets tout en situant dans les mêmes thèmes que Thiéfaine. Mais lui, il est très grave dans ses textes. Encore une fois, je l’aime beaucoup : c’est fort, c’est puissant, mais il n’a pas d’humour alors que chez moi c’est presque vital.
Oui ! « Elle n’est pas toi » est un très grand texte plein d’humour.
Voici un bon exemple : il faut oser ce genre de texte. Le consensuel ne m’intéresse pas !
https://www.youtube.com/watch?v=speXd6-0X1c
L’album fait 38 minutes et 14 morceaux : ce n’est pas trop court pour vous ?
LC - Si cela avait été moi, on y serait encore !
GG - C’est moi qui aie posé des limites (rires !)
Vous avez des intervenants comme Jac Berrocal sur le disque (grand souffleur de trompette Français Ndlr) ?
GG - Jac, c’est quelqu’un qui a joué avec Vince Taylor et qui a connu les débuts du rock. Quand je l’ai appelé pour jouer sur l’album de Long Chris, il a dit oui tout de suite. Il m’a dit qu’il l’aimait beaucoup.
Mais quel Long Chris ? Celui des années 60 ou celui d’aujourd’hui ?
Celui des années 60 bien sûr. Globalement, j’ai eu autour de moi de très bons musiciens. J’ai eu la chance de travailler avec un grand directeur artistique qui est Claude Dejacques. Quand j’ai lu le livre sur Barbara que j’aime beaucoup, il faut toujours dire dans le show-business que l’on aime les autres, j’ai appris qu’elle voulait travailler avec Claude Dejacques qui était mon directeur artistique, et j’ai été très flatté d’appartenir à cette écurie. À l’époque, Philips, ma maison de disques, était installée rue Jenner, dans un lieu avec plein de tuyaux. Un jour, j’arrive dans le bureau de Jacques et il y avait Barbara ! Qui était une grande dame dans tous les sens du terme. Elle était courbée devant le bureau tellement le plafond était bas. J’étais l’importun : je la dérangeais pendant qu’elle était en affaire avec lui. Elle m’a regardé froidement avec son regard d’aigle, l’aigle noir. Puis passa un grand sourire. J’étais ravi de la voir, mais elle avait ce regard incroyable…
Est-ce qu’un jour on vous verra chanter ces chansons sur scène ?
LC - On aimerait bien, mais ça dépend de beaucoup de choses. Il nous faut une dizaine de musiciens, dont des violoncelles ou de la trompette… Ça fait dix personnes à payer. C’est énorme. Il y a beaucoup de travail et si on dit Long Chris va passer au « Jazz Café Montparnasse », tous les rockers vont venir…
GG - Et il n’y aura pas de rock’n’roll !
Mais vous pouvez aller ailleurs que « Jazz Café Montparnasse » ?
C’est une question de taille de scène. Je pensais au « Jazz Café Montparnasse » parce que la scène est assez grande. Il nous faut une salle avec une scène assez grande. Dans un cas pareil, nous n’aurons pas des dineurs ou des danseurs, mais un public qui écoute. La Cigale serait bien
GG - Mais il faut la remplir et pour l’instant rien n’est moins sûr !
Mais le public sera là pour écouter ?
J’espère, parce que quand je chante de la country je vois des gens qui dansent en regardant leurs pieds… S’ils ne viennent pas pour le spectacle, mais pour regarder leurs pieds je ne vois pas l’intérêt de venir.
https://www.youtube.com/watch?v=kTqKAR9GrMw
Ne revendiquez-vous pas la liberté dans vos disques ?
Oui bien sûr, mais quand on parle de liberté on parle de poète et je n’en suis pas vraiment un : je mène une vie bourgeoise, je mange à ma faim…
Mais pour être un bon poète, il ne faut pas forcément crever de faim ?
Non je ne pense pas, Beart ne donne pas l’impression de mourir de faim. Moi, je vis dans mon époque, je ne suis pas malheureux. Je suis bien entouré et je préfère raconter des histoires dans mes textes plutôt que de dire que je suis un poète maudit, chose que je ne suis pas. J’aime beaucoup rire aussi. Je sais que je peux écrire des trucs marrants et je le fais.
(Long Chris en 1965 - Photo Jacques Aubert / Philips)
Mais si vous aviez continué dans les années 60, vous auriez pu devenir une sorte de Jim Morrison français ?
Non, je ne pense pas. J’aurais aimé continuer « Les chansons bizarres », et là, je serais peut-être comme Rambo au volume 17 ou au 18 (rires)… Mais je n’aurais pas eu la chance d’avoir rencontré Grégoire. Je fais la musique que je veux, je le fais un peu tard, mais au moins je le fais. Remarquez, à mon âge, il y a du vécu et ça aide pour écrire, c’est même la base… J’imagine des trucs, je pique des mots et j’y vais. Parfois je pique la phrase à un auteur et je pars autour, si bien qu’à la fin la phrase originale disparait. Comme ça je ne copie personne ! Il y a cette satisfaction de dire c’est moi !
Vous en attendez quoi de ce disque ?
LC - Une reconnaissance des gens qui sont aptes à écouter ce genre de musique. Cela me ferait très plaisir. Ensuite, si on peut faire un peu d’argent avec, cela m’irait bien (rires.) c’est pas mal non plus…
GG - Je ne me suis même pas posé la question. Je suis tellement content de l’avoir fini que j’ai ma propre satisfaction…
LC - Je suis vraiment content d’avoir travaillé avec Grégoire ! J’écoute parfois le disque et il m’apporte de grandes satisfactions personnelles. On vous le dira : le show-biz c’est un métier, et le grand show business ne veut pas de nous. Tant pis ! Ça ne nous arrête pas !
C’est vrai que ce n’est pas un disque dans « l’air du temps ».
LC - Il faut le mériter mon disque !
GG - C’est vrai qu’il n’est pas daté, il est intemporel !
Quels sont vos projets ?
LC - On ne sait pas s’il y aura un volume 4.
GG - En tout cas les paroles sont déjà écrites (rires !)
LC - Je ne sais pas si on ne va pas s’arrêter à une trilogie. J’aime bien ce symbole. On pourrait repartir autour d’une chanson principale qui serait représentative de l’ensemble. Je vais terminer des textes pour préparer tout ça. Et puis il y a aussi des titres pour Johnny Hallyday qu’il n’a jamais fait et que je vais reprendre à mon compte.
GG - Pour ma part, j’ai d’autres activités musicales. Il me faut un peu de temps maintenant. Je viens de passer deux ans sur les enregistrements de Long Chris.
Quel disque conseillerez-vous à des enfants pour leur donner envie de découvrir la musique ?
LC - Un disque de Johnny, je pense, comme Da Dou Ronron ou n’importe quoi avec une base de Boogie Woogie, c’est facile, c’est entrainant …
GG - Les Beach Boys, pour moi !
Long Chris : "Chansons bizarres pour gens étranges" Vol 2
"Chansons bizarres" Vol 3
http://www.milano-records.com/long-chris.html