On parle de tes trois livres autobiographiques ?
Le premier est sorti en 1998 et les deux autres en 2012 et 2016. Je ne vis pas de mes livres. En même temps, j’ai commencé à travailler à quarante ans. A partir de 1992, le théâtre occupait ma vie. Nous étions un vrai collectif, une compagnie au sens noble du terme, installé qui plus est dans un lieu hautement symbolique à cette époque, situé dans le treizième arrondissement de Paris, il s’agit des Frigos. Lorsque le quartier a été complètement rasé, jusqu’au pont de Tolbiac démonté, telle une petite poche de résistance, il ne restait plus que nous et rien autour, sinon un vaste chantier à des kilomètres à la ronde. J’ai cessé de faire du théâtre à la mort de certains compagnons. C’est dire à quel point nous étions humainement un collectif. Maintenant, j’ai l’écriture qui a tout remplacé. Ce qui peut me manquer parfois, c’est le côté aventure collective mais sinon l’écriture a vraiment tout remplacé.
Je pense que tu n’écris pas des livres mais que tu produis des textes. Tu as une vraie force d’écriture où on a l’impression que tu as tout sorti d’un jet.
Il faut d’abord trouver le mot juste, ce qui prend un temps fou. Puis la phrase, le chapitre, et puis enfin ce qui les relie, ce qui est censé produire un jet. Pour le dernier livre, ça a été plus facile. Plus évident, devrais-je dire. J’ai procédé à une relecture quand même, avec des ajouts mais peu de retouches !
On attaque le premier livre sorti en 1998.
Il s’appelait « Heurt limite (récit incantatoire) » ! C’était une obligation pour moi de l’écrire, une purge poétique ou je raconte une partie de ma vie entre mes 15 et 25 ans, mais de façon éclatée. C’était une façon de me mettre face à moi-même et depuis cette époque je n’ai jamais eu besoin ou envie de voir un psychiatre : je règle seul mes comptes avec moi-même ! A une époque, j’étais d’une telle exigence vis-à-vis de moi-même, que je m’interpellais et que m’engueulais intérieurement en quasi permanence, et viscéralement de vive-voix dès que je croisais mon visage dans une glace. Je ne me suis jamais fait de cadeau. Ce n’a jamais été conflictuel, c’était une lutte permanente avec moi-même. Sachant d’où je viens et où je voulais en venir, je me devais à tout instant d’être exigeant vis-à-vis de moi-même.
Quels sont tes modèles quand tu écris ce livre ?
J’ai Calaferte en tête, surtout « Septentrion ». Quand on parle prolo, on peut parler de lui : un type qui est entré à l’usine à 14 ans et qui, pour échapper à cette emprise, s’est jeté corps et âme dans le fourmillement littéraire. D’abord lire à outrance, se nourrir à outrance. Il n’y a pas de mystère. Et puis un jour, faire vibrer et parler ce qu’on a dans le ventre. Ecrire.
Tu vas mettre quatorze ans avant de publier ton deuxième livre ?
Oui, je vais écrire d’autres choses, une pièce de théâtre, Nada, que je monterais, puis d’autres textes qui ne me satisferont pas et que je ne garderais pas. En 2012, je sors « Hémorragie à l’errance », un livre qui s’est peu vendu mais qui a eu des retours incroyables. La manière dont les gens en parlent me laisse penser que là, j’ai trouvé ma ligne et mon style. C’est un livre qui répondait encore à une urgence. Je réussissais à raconter le noir de ma vie de la manière la plus proche de moi et il en a résulté quelque chose de beau.
Je suis totalement d’accord !
La vie est de toute beauté, mais il m’a fallu mettre les mains dans la merde, ne rien renier pour en tirer quelque chose de beau ….
On arrive à parler de ton nouveau livre : Comme je l’ai dit précédemment pour moi, il s’agit d’un texte qu’on lit d’une traite et qui a une vraie force en lui. Le premier détail concerne les têtes de chapitres ou tu as mis des citations comme Lou Reed, Daniel Darc ou Calaferte…
J’ai toujours procédé de la sorte. Ce processus est déjà présent dans mes deux premiers récits, cela permet d’aiguiller le lecteur, d’ouvrir des pistes et puis surtout de faire écho à ceux dont je me sens artistiquement redevable.
On dirait au début « de la misère en milieu provinciale », tu arrives de Paris à Vierzon, tu découvres la petite province et là tu rencontres Daniel avec qui tu vas vivre 149 jours d’une passion amoureuse. Dans ton livre il y a une double entité : une douceur de l’amour et une violence prolétarienne, notamment par rapport à la famille de Daniel qui était épouvantable.
Les gens pensent que je le vis mal mais je ne pouvais pas le vivre mal. Je vivais un amour fou et cet amour se nourrissait d’humanité. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui avait autant de générosité, d’humanité. Je connaissais la merde d’où il venait : je venais de là donc il n’avait pas à se justifier. Il y avait sa personnalité, le fait qu’il s’accrochait à un monde perdu, à son âme d’enfant. Une attitude incompatible avec le monde des adultes. Il y avait cette évidence, cette étincelle, cet amour fou, notre amour mutuel irrémédiablement fou, ici et là afin de tenter de rattraper le temps perdu, si renversant que finalement, peu importait le décor ! On aurait pu vivre cette histoire dans la rue que cela aurait été la même chose, rien ne pouvait enlever le sublime de notre histoire. Ajouté à cela que quand je le rencontre, il est perdu et seul, il attend qu’une main se tende, mais sans jamais se plaindre ! Un rien le rendait heureux, cette beauté de la vie et de tous les instants, celle que nous ne percevons plus, lui il l’avait !
Pourquoi ?
Je ne sais pas, vraiment … Il avait un vrai charisme. Il rayonnait.
Ton style est passionnant, tu as une façon très précise de décrire les lieux, les odeurs avec beaucoup de précision.
C’est ce qui m’intéresse dans l’écriture, j’ai besoins de mettre des adjectifs pour pouvoir situer mes récits.
Il y a ce calvaire terrible de la maladie.
Sur fond d’amour, toujours !
Mais ce calvaire, tu vas le vivre avec la famille de Daniel qui est vraiment horrible ! On dirait une version moderne de « affreux, sales et méchants ».
C’était important de me dire qu’ils étaient représentatifs d’une certaine France et non que c’était seulement sa famille. C’est une population qui existe et je ne voulais pas m’en occuper : le temps était contre nous ! On jouait une course contre la maladie ! (Un cancer des testicules Ndlr)
Deuxième entité épouvantable : les médecins qui ne te parlent pas parce que tu n’es pas de la famille mais qui t’offre un café pour te remonter le moral à la mort de Daniel.
Un café que l’on ne m’apportera jamais, mais on me tend un sac poubelle avec ses affaires dedans ! Il avait un sac pourtant, mais on a mis le sac dans un sac poubelle. Tu imagines comment j’ai vécu ce moment !
Tu voulais dénoncer cette « inhumanité » ?
Non pas vraiment, je dépasse l’état et l’idée même de vengeance, de comptes à régler, je me concentre sur les faits ! J’ai discuté il y a peu de temps avec quelqu’un qui travaille dans un hôpital et qui mesure bien le manque d’humanité du personnel. Par exemple, il avait une carte de don d’organes posée en évidence sur sa table de nuit, et qui n’a pas été retrouvée… On n’a pas respecté ces dernières volontés ! Pourquoi ? Je n’en sais rien, peut-être parce que on était des prolos ou deux mecs… Tu sais c’est la province, ce n’est pas Paris ! Il y a encore du travail à faire dans ces régions.
Ton travail ne s’inscrit-il pas dans la continuité de Chéreau ou Koltes ? Tu pourrais monter ce livre en pièce ?
J’essaye de m’inscrire là-dedans en toute modestie, oui ! Plutôt qu’une pièce, mon rêve ultime serait qu’un réalisateur se penche sur ces « Fragments » car je pense sincèrement qu’il y a matière à concevoir un film, quelque chose qui s’inscrirait dans la continuité des travaux des frères Dardenne, là je l’avoue, sincèrement, je rêve, ou bien encore d’un Bruno Dumont, je songe également à Nicolas Klotz, ou la démarche cinématographique de Jacques Nolot, que je vénère. Un truc filmé en long travelling. Par contre, je préfère de ne pas être assimilé à Cyril Collard, cela dégouline trop. Le résultat final ressemble à un mauvais clip. Moi, mon histoire, c’est un bloc, ce n’est pas un livre avec de la morale et des je ne sais quoi
(Jean François Jacq interprétant "la nuit avant les forêts" de Koltes, credi t photo Kaleidoscope bleu)
Ton livre ou du moins sa narration, est quand même marqué par tes années de théâtre ?
Oui probablement… Disons que l’on peut ressentir une certaine idée de la mise en scène. On ne se refait pas !
Tu as conscience quand même de la violence de ton texte ?
Oui, un peu … Pas complètement, à vrai dire. Mais pour écrire ce type de texte, il faut se coltiner à la violence !
Et ce soir tu rentres à Vierzon, la ville où tout cela s’est passé ?
Bien sûr, mais pour moi c’est capital de rentrer parce que j’ai trouvé un endroit où je peux me réfugier pour écrire et pour moi c’est vital ! Par contre j’ai une vie sociale très mais alors très limitée. J’ai quelques amis fidèles sur Paris, et c’est tout. Je vis quelque peu en marge. Mais je peux écrire !
Tu as des comptes à régler à travers l’écriture ?
Absolument aucun, je n’ai pas envie d’en régler. Je serais devenu haineux et je n’ai pas envie d’avoir de la haine !
Pourtant la famille de Daniel ne vient pas à l’enterrement, peu de gens de Vierzon, il n’y a que tes amis de Paris qui vont venir ?
Oui. Un peu de gens de la région, mais finalement, je dirais par accident, après coup et une fois qu’il n’est plus. Alors que de son vivant… Cette année 2006 sera, pour moi, marqué par trois enterrements : Olive (ndrl chanteur de Lili Drop) en Janvier, une amie très proche durant l’été et enfin Daniel en novembre. La même année, j’ai perdu mon meilleur ami et mon amour … (Silence) J’ai perdu ma vie en un an ! Je sais dès lors pertinemment que c’est bel et bien l’écriture qui non seulement me maintient en vie et qui, tout comme lorsque j’étais enfant, m’a littéralement sauvé.
Quelle est ton ambition par rapport à ce texte ?
Je suis heureux d’abord qu’il sorte. Ce n’est d’ailleurs à mes yeux pas mon livre, mais le nôtre. A moi et à Daniel. L’écriture pour moi, c’est vital ! Je ne suis pas bien quand je n’écris pas. C’est dans ces moments de vide éprouvant que je suis susceptible de perdre pied.
Ce qui est paradoxal, c’est ton amour de la musique et ton besoin d’écrire ! La musique est quelque chose de collectif et toi tu es très solitaire ?
La musique s’écoute seul ! Du moins depuis mon enfance, je n’ai fait que l’écouter de façon solitaire.
Tu as effectué des lectures en public de ce dernier texte.
Une première fois il y a quelques mois, et il y en aura une autre, le 9 avril prochain, aux Frigos. Ce ne sera pas une lecture classique. Lors du lancement du livre à l’espace Peugeot, on a distribué des fragments du texte à ceux qui sont venus en leur demandant s’ils veulent bien les lire, s’en emparer. A ce point départ, se greffera diverses thématiques allant servir de support. Quant à lire moi-même, c’est une autre étape à franchir. Ma grande difficulté est que par rapport à ce texte, dès que je l’ouvre, je suis totalement submergé par l’émotion.
Tes projets ?
Ma bio de Ian Dury et d’autres textes. De quelle ampleur ? C’est la grande interrogation. A chaque nouveau texte, il faut impérativement repartir d’un terrain totalement vierge, la page blanche. De là, se coltiner à soi, sans fard, à nu. C’est une démarche capitale. Ce à quoi j’ajouterai que le mot « romancer » ne fait pas et ne peut à aucun moment ni en aucune circonstance faire partie de mon vocabulaire. Où sinon me trahir ? Je suis totalement incapable d’écrire de la fiction, uniquement des biographies, s’agissant de remonter le fil d’une histoire, ou bien des récits autobiographiques. J’ai constamment en tête ce précieux conseil de William Burrouhgs : écris sur ce que tu sais.
Je te verrais bien écrire une biographie d’Yves Simon ?
Je lui ai écrit une lettre que j’ai posté ce matin pour lui proposer de faire quelque chose sur ou avec lui ! Ce dont je ne suis pas certain qu’il accepte de quiconque, d’ailleurs. Je l’ai découvert à l’âge de douze ans. T’es seul, perdu à un point tel, à en hurler, à en crever et puis soudain, d’un petit poste de radio collé à mon oreille, qui plus est dans le noir et sans personne à qui parler,, j’ai entendu sa voix, cette chanson telle un déclic allant légiférer en mon for intérieur ce désir de fuite, d’errances à outrance, « Raconte-toi » et ce putain de message : « Prends une feuille 21X27, un stylo (…) toute la folie du monde est dans ton cerveau ». Dans le même ordre d’idée et dans la foulée, au même âge, la découverte de Manset a été une claque, via ce premier titre que j’ai entendu de lui. « Y’a une route » et cette strophe : « tu l’as prends, qu’est-ce que ça coûte ? », que j’ai évidemment prise au pied de la lettre.
Le mot de la fin ?
Il faut vraiment un mot à la fin ?