Pourquoi faire un label ?
Didier Léglise : Nous avions, Grégoire Garrigues et moi composé la musique du documentaire de Philippe Roure « Lui, années érotiques » en 2015. Après la diffusion nous avons trouvé dommage ne pas avoir de moyen pour communiquer plus largement ces morceaux. Grégoire ayant déjà été distribué chez Believe, nous avons fait appel à eux. Au moment de mettre le disque en ligne ils nous ont demandé un nom de label et Grégoire a pensé à Milano Records.
(Didier Léglise et Grégoire Garrigues - Photo Mathieu de France)
Pourquoi ?
Grégoire Garrigues : En fait j’ai sorti ce nom comme ça ! J’aime beaucoup l’Italie et je trouvais que c’était une bonne idée comme nom de label. Suite à ça j’ai proposé à Didier de continuer de faire un label mais uniquement en numérique, sans sorties physiques …
DL : Comme en plus d’être compositeur j’ai un passé de plasticien avec des expériences en graphismes et en print, je me suis occupé de créer le logo et certaines pochettes. Nous contrôlons ainsi tous les deux le label dans tous ces aspects.
GG : Et puis pourquoi ne pas essayer de faire un label quand on compose beaucoup et qu’on multiplie les projets ? Deux exemples : Marie Ospiri et Long Chris, nous les avons proposé à plusieurs maisons de disques car ils méritent vraiment d’être diffusés, après 6 mois et quelques relances aucune réponse, même pas un « non merci » ! Comme nous ne nous sommes pas découragés pour autant nous avons sorti nous-même ces albums malgré nos petits moyens.
Tu avais déjà fait des labels avant ?
GG : J’avais cofondé Twin Fizz Ltd en 1998 avec Thierry Suchet mais j’avais lâché l’histoire rapidement. Je n’avais pas vraiment les tenants et les aboutissants de ce genre de structure. Avec Didier nous avons décidé d’aller au plus simple et de créer une association loi de 1901 pour faire un vrai label, avec inscription au registre du commerce, à la SCPP, les codes-barres, les trucs légaux quoi ! On ne voulait faire que du numérique, vraiment ! On a ressorti le disque « Autour de Lui » sur notre label. A ce moment-là nous étions en train de préparer un album pour Marie Ospiri qui jouait auparavant dans le duo Folk 2:12 AM dont je m’occupais et qui s’était mis en veille un temps.
Et donc que s’est-il passé à fin du groupe ?
Marie voulait continuer à faire de la musique. Avec Wendy James (ex chanteuse du groupe anglais Transvision Vamp Ndlr ) nous l’avons encouragé à écrire des textes. On a commencé ensuite à composer ensemble. Je trouvais des suites d’accords et elle trouvait des mélodies. Au bout d’un moment nous avons eu une dizaine de morceaux. On a décidé d’enregistrer puis suite au silence des labels de sortir l’album chez Milano. On avait vu les limites du numérique et on voulait sortir une petite série de CDs : c’est plus pratique, notamment pour la promotion.
Et donc ?
Et bien dès le deuxième disque, on avait oublié le « tout numérique » (rires) ! Ensuite il y a eu Long Chris avec son volume 2 des « Chansons bizarres pour gens étranges ». Il savait que j’avais une structure et il m’a dit : « on devrait le sortir chez Milano ». On avait pour lui aussi essayé d’autres labels mais comme personne ne nous répondait on a décidé de le sortir nous-même. Pour son public il nous fallait vraiment du physique et donc on a fait à nouveau un CD. Pour la quatrième référence, j’ai décidé de sortir la version vinyle du premier album du « Cool Feedback Quartet ». Le CD était sorti chez « Trois Jeunes Tambours » mais on me réclamait le vinyle, donc je l’ai fait.
Tu as fait comment pour financer tout ça ?
C’est très simple : j’ai vendu les trois-quarts de mes vinyles (rires). J’en avais marre, je trouvais que j’en avais trop. J’ai donc vendu 600 albums et 300 45 t que je n’écoutais plus pour financer ce vinyle. Du vinyle qui finançait du vinyle. En fait ce que je gagne avec la musique, je le réinvestis dans la musique !
Aujourd’hui la plupart des labels font tout pour les artistes : le management, la recherche de concerts, les éditions … c’est votre cas ?
GG : Nous n’avons pas les moyens de faire ça pour tous ! Pas d’éditions, les morceaux sont juste déposés à la SACEM. Si un éditeur veut développer notre catalogue tant mieux, il est le bienvenu.
DL : Nous sommes plutôt dans une démarche de créateurs musicaux, le label est là pour donner une certaine visibilité, matérielle par les CDs, les vinyles, soit en ligne avec le site et la distribution sur toutes les plates-formes musicales.
Aujourd’hui faire un label de disque c’est un peu une aventure moderne ?
GG : Ce n’est pas évident bien sûr, mais on s’accroche ! Par exemple pour Long Chris et le Cool Feedback Quartet on a un distributeur « Musea » et les gens d’Urban nous aident beaucoup. Mais ça reste du coup par coup avec toujours cette volonté de faire avancer les choses avec nos peu de moyens.
DL : C’est un moyen ardu mais qui permet une totale indépendance. Nous ne cherchons pas une rentabilité mais plutôt à sortir ce qui nous plait vraiment et quand on le veut. Comme nous avons nos occupations en parallèle, le facteur budget, même si il est restreint, n’est pas très important.
Donc la plupart des disques sur ton label, ce sont les tiens ?
GG : Oui et non, parce que si tu regardes bien il y a sur le label Muriel Holbea, un artiste électro et Didier Léglise qui va lui aussi sortir un disque.
Et il va y avoir bientôt le live du Cool Feedback Quartet ?
Oui, l’enregistrement d’un concert aux Voutes à Paris en juin dernier, j’ai pensé qu’il serait intéressant d’en avoir un témoignage.
(Cool Feedback Quartet en concert - Photo Eric Parois)
Ce label c’est plus pour vous faire plaisir que pour gagner des sous ?
Clairement nous ne gagnons pas d’argent ! On n’en perd pas mais on n’en gagne pas ! Il est vrai que nous cherchons surtout à nous faire plaisir.
Mais la nouveauté c’est qu’à partir de janvier 2019 une troisième personne, Godefroy Manuali, va nous rejoindre en tant que Label Manager
Le son de ton label est très moderne, c’est paradoxal avec les groupes auxquels tu as participé. Il semblerait que il y ait une évolution musicale avec ton son ?
Oui, il y a une évolution c’est sûr ! Bon, maintenant je ne sais pas ce que moderne veut vraiment dire (rires). Mais par exemple pour Muriel Holbea, qui est un disque de musique électronique, je ne joue pas dessus. Pour le Cool Feedback Quartet il y a un peu d’électronique dans deux morceaux mais c’est pour m’amuser et parce qu’il y avait un synthé qui trainait dans le studio : c’est plus de l’expérimental qu’une posture.
DL : Actuellement il y a cette possibilité musicale et technique très stimulante de pouvoir mélanger des sonorités modernes et vintages avec tout le matériel qui existe.
Quelle est votre ambition pour le label ?
GG : Se faire plaisir et sortir des disques que l’on ne sortirait pas ailleurs.
DL : Rencontrer des artistes, croiser des styles, entamer de nouvelles collaborations.
Mais tu n’as pas l’ambition d’aller placer ta musique, sur de l’image par exemple ?
GG : C’est comme cela que nous avons commencé avec le Lui mais ce milieu est difficilement pénétrable, ce serait bien mais concrètement pour ce genre de choses il faut vraiment s’organiser avec des gens qui font ça. Mais la musique du Cool Feedback est quand même référencée dans la librairie musicale de Dynamique et Gaie (DnG).
DL : Cela fait partie des choses à développer, raison pour laquelle Godefroy Manuali va intégrer Milano Records.
(2:12 AM en répétition - Photo Grégoire Garrigues)
Mais tu reçois des demandes de productions extérieures ?
GG : Oui, mais ce n’est pas un service à rendre aux groupes : on n’a pas l’argent pour la promotion. Aujourd’hui les groupes se débrouillent souvent eux-mêmes pour la promotion et c’est mieux comme ça. Il y a peu de labels qui ont les moyens financiers pour la promotion mis à part les majors.
C’est quoi la suite pour le label ?
C’est un peu au jour le jour ! Il y a la sortie du live du Cool Feedback début janvier 2019, la réédition (avec 2 inédits) d’un album que j’ai sorti il y a 10 ans sur Twin Fizz : Hubert #06 qui faisait à ce moment-là du blues très roots et le 1er mars 2019 la sortie du second album studio du Cool Feedback « Soul Overdrive », en vinyle celui-là. Puis pour l’été nous préparons le retour de 2:12AM avec un 4 titres et des concerts avec les artistes du label.
DL : Sortie également de la bande son du spectacle « La Scaphandrière » du metteur en scène Olivier Letellier dont j’ai composé la musique.
Et tes anciens groupes ?
GG : Ce pourrait être amusant de ressortir le premier album de Grégoire 4 ou l’intégrale des Dragueurs, il faudrait les remixer mais surtout, et là il y a un problème : je n’ai rien pour transférer les bandes.
Mais vous vendez peu ?
Oui, c’est ça qui est frustrant mais les disques existent. Malgré notre structure nous sommes dans une logique d’autoproduction à deux personnes, nous sommes des artisans ! Mais avec l’arrivée de Godefroy nous allons entrer dans une logique entrepreneuriale !
Tu pourrais faire une soirée du label ?
Oui, ce serait compliqué car il faut s’occuper de l’organisation et jouer lors de la même soirée mais j’y ai déjà pensé. Nous voulions faire un concert avec Marie Ospiri en première partie, Long Chris ensuite avec Marie aux chœurs, le Cool Feedback puis Muriel Holbea pour finir en dansant !
Mais un jour nous aurons droit à un album de Grégoire Garrigues tout seul ?
(Rires) Grégoire 4/Super Wagner c’était déjà un peu ça ! Moi ce que j’aimerais c’est faire un album avec des adaptations de morceaux que j’aime bien : j’ai déjà commencé à travailler sur ce projet il y a plus de 10 ans avec des titres d’Eddie Cochran, Seeds, Jerry Mulligan Quartet, Bobby Fuller Four… Ce serait un album solo avec des morceaux qui ne seraient donc pas de moi (rires). Bon, je ne le sortirai peut être jamais mais c’est un projet qui m’amuserait !
Le mot de la fin ?
DL : Agrandir notre label.
GG : J’aime la création, j’aime composer, c’est un besoin. Et comme j’aime produire des artistes, Milano Records est un très bon vecteur.
http://www.milano-records.com/