Camus ne saurait dire mieux. Qu’est-ce que le bonheur sinon l’accord vrai entre un homme et l’existence qu’il mène ? Ainsi le noir de l’encre célèbre la luminescence des mots. Ainsi un jeune auteur, Grégory Rateau, célèbre la toute-puissance qui exalte des pages de Noces , ensemble de quatre essais rédigés en 1936 et 1937 par Camus, alors âgé de vingt-trois ans. Le titre de son premier roman, Noir de soleil , est d’ailleurs emprunté à Noces à Tipisa , l’un des quatre essais, où « à certaines heures la campagne est noire de soleil » . Comprendre noire de monde. S’éprendre de ce noir de vies.
Un premier roman, c’est toujours un pari. Sur quoi d’ailleurs, sinon sur ce rapport à soi ; ce grand tumulte, ce rapport en soi à la vie. Du moins c’est bien cela qui doit suinter. Et page après page, à corps égaux, âmes égales, c’est ce à quoi l’auteur nous invite ; nous comble. Autobiographique à chaque phrase. Au détour de chaque émotion. Il est question d’un cinéaste et de sa compagne, originaire du Liban. Retour pour elle dans un pays en guerre que lui découvre pour la première fois. Ils souhaitent tous deux réaliser un film. Celui-ci verra d’ailleurs le jour, du moins sous la forme d’un court-métrage ayant pour nom Ziad , réalisé par Grégory Rateau et sa compagne Sarah Taher, en 2013. Filmé à Tripoli, qui plus est. Où il est difficile d’aimer. Ce que ces pages nous révèlent.
Où il est impossible d’aimer sans cette part immense de doute, cet amour fou, irrévocable pour ce pays en ruines. Noir de soleil . Ce titre explose littéralement dès les premiers paragraphes. Car la première image de ce pays, qui semble ne jamais être sorti du chaos, c’est justement le noir. Panne de courant à la sortie de l’aéroport. De là, si vous avez une certaine exigence et de l’amour et de la vie, vous ne lâcherez plus ce livre. Les balles qui sifflent. Corps en fusion telle entre les pages de Noces . Ce pays, ces interdits. Ces personnages tour à tour incroyables, inoubliables que l’on y croise. L’exaltation de cet auteur au beau milieu de ce chaos. L’amour dès lors vertigineux des mots.
Jean-François Jacq
Grégory Rateau - Noir de soleil
(Maurice Nadeau)