Jacqueline Taieb ou le parcours d’une artiste hors des cadres.

lundi 26 septembre 2022, par Franco Onweb

Le premier MIDEM, en janvier 1967, consacra comme révélation une jeune chanteuse, Jacqueline Taieb, avec une chanson « 7 heures du matin » qui allait devenir un hit. Aujourd’hui en 2022, « 7 heures du matin » est toujours un hit. Depuis 55 ans, la chanson n’a pratiquement jamais quitté les ondes que ce soit à travers la publicité, le cinéma ou les nombreux auteurs qui l’ont reprise.

Attention, derrière ce hit se cachait une incroyable auteur/compositrice, loin de l’image un peu facile de Lolita que certains médias voulaient lui faire endosser. C’était au contraire une jeune femme concernée et talentueuse qui sut écrire, chanter et raconter la vie des teenagers des années 60 comme peu ont su le faire. Elle mena donc une carrière avec quelques bas mais aussi, et surtout, beaucoup de hauts : elle écrivit un tube mondial avec « Ready to Follow You » pour Dana Dawson et des chansons pour Michel Fugain ou Yves Montand…. Au cours des années 2000, elle fut, enfin, réhabilitée par la jeune génération et ils furent nombreux à se réclamer de l’héritage de Jacqueline Taieb.

Il y a peu son label a eu l’excellente idée de sortir une compilation, « Play It Like Jacqueline », de remix de ses morceaux les plus emblématiques des années 60. A cette occasion j’ai discuté avec Jacqueline Taieb pour qu’elle me raconte son incroyable parcours.

Comment la musique est rentrée dans ta vie ?

La musique est entrée dans ma vie avec le biberon ! Ma mère me chantait des chansons. Je préférais ça aux histoires. Elle me chantait du Charles Trenet, du Mouloudji, du Yves Montand, de la musique orientale, espagnole mais aussi du jazz dont du Ella Fitzgerald …Comme elle avait une voix sublime, cela m’a marqué et quand j’ai rencontré le rock roll, vers l’âge de 8 ans, cela a donné le cocktail que j’ai fait après.

Jacqueline Taieb en 2022
Crédit : Tina Helminen

Tu étais en Tunisie ?

Oui, je suis arrivée en France à l’âge de 8 ans, mais je revenais tous les étés en Tunisie. A l’âge de 12 ans mon père m’a offert une guitare. J’ai eu la chance d’avoir un copain un peu plus âgé, il devait avoir 15 ans, qui m’a appris les premiers accords. C’est ce que je voulais parce que moi depuis le début, je voulais composer !

La musique était très présente en Tunisie ?

Oui, elle était partout ! Il y avait une vraie joie de vivre avec toutes ces communautés qui vivaient ensemble. Dès qu’il y avait une occasion, comme un mariage ou la première dent du bébé, tu faisais une fête et tu invitais des musiciens. Tous les événements étaient propices à faire de la musique.

Comment as-tu commencé à faire des disques ?

J’étais avec des amis et je chantais dans un hôtel en Tunisie pendant les vacances où il y avait des recoins où nous pouvions nous réunir. Je chantais mes titres que mes copains commençaient à connaître par cœur. Ils reprenaient mes titres. Rolande Bismuth que je connaissais pas, est passée par là. Elle a souri et m’a dit « j’aime bien ce que tu fais, j’aimerais beaucoup que tu viennes me voir à la rentrée à mon bureau. Je suis l’éditrice de Michel Fugain ». J’adorais ce qu’il faisait . Elle m’a donné sa carte et quand je suis rentrée à Paris, après mes vacances en Tunisie, je l’ai appelée !

Tu es auteure / compositrice, ce qui était rare à l’époque !

C’est ce que je voulais : écrire des chansons !

Tu devais être, pratiquement la seule à l’époque ?

Oui, il n’y en avait pas beaucoup. Les autres chanteurs et chanteuses reprenaient les « tubes anglo saxons » adaptés par des auteurs. Moi, mon truc c’était de chanter des chansons à moi. Rolande était d’accord, donc on a fait comme ça même si j’aurais aimé placer « 7 heures du matin » à Dutronc ou Nino Ferrer qui auraient été parfaits pour ça. Dutronc a fait après « il est cinq heures Paris s’éveille ». Mon rêve était de placer des titres à des chanteurs… Bon, j’ai partiellement réussi avec des chanteurs comme Yves Montand avec qui j’ai fait un disque, Michel Fugain avec qui j’ai fait quelques titres dont « les Sud-Américaines » qui a été un gros tube ou Dana Dawson que j’ai découverte à New York et pour qui j’ai écrit son tube « Ready to follow you ».

Jacqueline Taieb en 1967
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Mais c’était révolutionnaire pour l’époque : une chanteuse qui écrit ses musiques et qui chante ses propres textes. C’était du féminisme ?

J’ai toujours été auteur compositeur et j’ai toujours été « féministe » même si je ne suis souvent pas d’accord avec ce que c’est devenu.

En 1967 sort le premier disque avec La chanson que tout le monde connaît : « 7 heures du matin ». Il est venu comment ce titre ?

J’avais composé une suite d’accords en gratouillant ma guitare. Je ne trouvais pas de mélodie, donc je me suis mise à parler dessus et à raconter mon quotidien et ce qui me pesait le plus : me réveiller à 7 heures du matin !

La chanson a été un tube ?

Moins que maintenant ! La chanson est sortie en janvier 1967 et le directeur de mon label, Roger Marouani l’a présentée au MIDEM, qui était le premier en 1967. Une copine m’a appelée en me disant « allume la radio ; il passe ta chanson ». Bon, la bande s’est cassée pendant le passage à la radio. J’ai entendu « c’était la bande de Jacqueline Taieb, la révélation du MIDEM, s’est cassé, on va la réparer ». Cinq minutes après elle passait !

Cela a dû être un moment de bonheur ?

Oh oui (rires). S’écouter à la radio c’est génial mais le mieux c’est de voir les gens danser dessus.

Cette chanson t’a permis d’être toujours présente entre la pub et des gens comme Bertrand Burgalat ou les Hush Puppies qui t’ont soutenue dans les années 2000 ?

Oui, les jeunes aiment encore ce titre… Julien Doré l’a reprise avec Virginie Efira, il y a eu aussi Tahiti 80… Ça parle aux gens jeunes. SI Ma chanson est indémodable , C’EST parce que tout le monde est obligé de se lever à 7 heures du matin et que personne aime ça (rires). Je reçois pleins de messages de mamans qui me disent « merci, grâce à vous, j’arrive à réveiller mon enfant beaucoup plus facilement » (rires).

Je suppose que quand on a 17 ans et qu’on sort un titre pareil on ne se rend pas compte que celui-ci va devenir un « classique » ?

Je ne me rendais compte de rien. Je ne savais pas qu’il allait franchir le temps. C’est devenu un petit tube en France et dans les pays francophones. J’étais contente mais je ne me doutais pas que 55 ans après la chanson intéresserait les publicistes. Le plus étonnant avec ces pubs c’est qu’elles n’ont jamais eu un rapport avec le texte. J’aurais pensé que j’allais faire des campagnes de pub pour les brosses à dent, le dentifrice, les réveils matins .. mais non !

Tu dis que c’était un titre « rock » alors que pour beaucoup c’est l’archétype du titre pop ?

On peut dire pop rock mais ça sonne rock, surtout avec la rythmique mais ce n’est pas Yéyé et c’est mon titre le plus rock !

Après il va y avoir « la fac de lettres » qui va être un « mini tube » qui parle encore aux jeunes. C’est un titre complètement différent.

Ah bon ? « La fac de lettres » c’est du New Orléans avec un peu de jazz. En fait j’aime trop la musique pour me cantonner à un style. Dans mes chansons, tu vas trouver une valse par exemple dans « La plus belle chanson »… Je n’ai aucune barrière : j’aime tout !

Qu’est ce que tu écoutes aujourd’hui ?

J’aime beaucoup Julien Doré, Benjamin Biolay, Lomepal … J’aime surtout les chansons et seulement les chansons… peu importe lEs interprètes. Et puis il y a toujours les groupes qui m’ont emballé comme les Beatles, les Stones, Supertramp… mais je reste chansons par chansons… Lomepal par exemple, j’aime son dernier titre mais ça ne veut pas dire que j’aime tout ce qu’il fait !

Ton deuxième single « la fac de lettres » a été un peu un échec ?

Oui, il a moins bien marché et en plus c’était le moment où j’étais en fac de lettres et je voulais réussir ma licence d’anglais. Je ne me suis pas trop accrochée.

Mais quand on écrit des titres pareils, on n’est pas contacté par pleins d’éditeurs ou de chanteurs ?

Eh bien non, le seul qui m’a contacté c’est Michel Fugain mais nous étions sur le même label ! Il m’a vue à la télévision, il a aimé et il m’a envoyé des mélodies. J’ai choisi celle qui me plaisait et c’est devenu « les Sud-Américaines ».

Tu es une égérie des années 60 même si ta « carrière » s’est ralentie après le deuxième EP ?

Je me pose la question depuis longtemps : comment ai-je pu rater ma carrière d’auteur compositeur à l’époque ? Bon, je me suis rattrapée sur la longueur (rires) et en plus « 7 heures du matin » a été le titre « coqueluche » des américains, des anglais … Tous les films ou les publicités qui ont pris le titre étaient anglais, américain, suédois mais très peu de français. Nul n’est prophète en son pays (rires).

Tu vas te mettre en retrait du show business jusqu’à la fin des années 70, début des années 80 où tu reviens avec un disque où il y a Yves Montand, la première apparition de Maurane, Michel Fugain : « le disque de la paix » !

Ce fût génial sauf avec Maurane qui a été assez … ingrate avec moi ! Michel Fugain était vraiment sympathique, j’ai beaucoup appris avec lui et Yves Montand c’était énorme : un grand professionnel avec une humilité incroyable et d’une gentillesse exemplaire.

Quand tu étais en retrait de la musique dans les années 70, tu continuais à écrire ?

Oui, je n’ai jamais arrêté ! J’ai énormément de chansons chez moi que j’essaye de placer à des éditeurs et interprètes.

Dans ta musique il y a du rock, du jazz, de la pop mais aussi tu es une des premières à faire de la World Music : sur « Juste un peu d’amour » il y a du violon oriental et de la cithare. Tu es complètement avant-gardiste surtout que le « parler chanter » de « 7 heures du matin » annonce Gainsbourg et le rap !

Oui, ma chance a été d’avoir un arrangeur incroyable : Jean Bouchety ! Il travaillait à Londres avec des musiciens fantastiques qui étaient très ouverts. Peu importe ce que j’amenais, il faisait un super boulot dessus.

Pourquoi ça n’a plus décollé ?

Je ne sais pas ! J’étais timide à l’époque. Dés que je faisais un truc on me demandait de la chanter mais moi ce n’était pas trop mon truc.

Tu as aussi fait un tube mondial avec Dana Dawson et « Ready to Follow you » ?

Oui, j’avais cette chanson, à laquelle moi et certaines personnes croyaient. On m’a incitée à partir à New York en 1987 et à passer une pub dans le Village Voice pour organiser une audition. J’ai eu une vingtaine d’appels et j’ai fait passer une quinzaine d’auditions à des chanteuses qui étaient toutes très bien. Il y en a une qui avait trente ans, elle était parfaite mais un peu trop âgée parce que moi il me fallait une Teenagers à cause du texte. Au moment de partir, elle était devant la porte, elle s’est retournée et m’a dit « je connais une petite jeune de 13 ans qui a une super voix ». Je lui ai demandé de lui donner mon numéro. Elle m’a appelée et c’est comme ça que Dana Dawson a débarqué avec sa maman le lendemain. Dès qu’elle a chanté j’étais en extase.

Suite à ça on ne t’a pas demandé des titres ?

Eh bien non ! Le succès me fait peur. J’étais terrée chez moi , au lieu de sortir et de me faire connaitre pour « draguer » des interprètes.

Au début des années 2000 tu réapparais avec la compilation « French mademoiselle ». Tu reviens dans un cercle pop rock.

J’ai signé au début des années 2000 avec FGL et son directeur Thierry Wolf croyait, et croit toujours, en mes titres des sixties et des seventies. Il s’est aperçu que les japonais m’adoraient et c’est eux qui ont sorti en premier la compilation « Lolita Chic » qui reprenait tous mes anciens titres. J’ai voulu ensuite produire un nouvel album « Jacqueline Taieb is back » avec des titres plutôt rock et ce n’a pas donné ce que j’espérais …

Mais à l’époque beaucoup de gens, assez médiatisés comme les Hush Puppies ou Bertrand Burgalat vont te mettre en avant et pourtant tu n’as pas été très médiatisée ?

Oui je ne comprends toujours pas.

Il y a eu aussi Mareva Galanter qui a repris un de tes titres ?

J’étais contente mais je voulais placer mes nouveaux titres et Mareva, que j’aime beaucoup, a repris un ancien titre.

En février 2013, tu as sorti un album de reprises d’Elvis enregistré au studio Sun. C’est bizarre : on aurait pu penser que tu allais enregistrer tes propres titres plutôt que des reprises ?

Oh non si tu vas à Memphis, au studio Sun où Elvis a enregistré, c’est pour faire du Elvis ! En tout cas pour moi parce que c’ est mon numéro 1. J’avais envie d’essayer avec des musiciens de là-bas quelque chose : c’était génial, inoubliable expérience !

J’ai lu aussi que tu m’aimais pas la scène ?

Et oui, quand il faut en faire j’en fais si je suis obligée mais pour moi c’est trois mois d’enfer. J’ai tellement le trac ! Si je dois faire un live à faire, il ne faut pas me croiser : je suis insupportable. Je n’aime pas être devant, par contre j’adore le studio. C’est mon monde, je suis vraiment heureuse… J’adore la recherche du bon son. Quand j’ai fait « 7 heures du matin », tout le monde est devenu gentil avec moi et je n’ai pas aimé cette situation. Je n’ai pas aimé être connue. Je préfère être dans l’ombre et que mes chansons accompagnent les gens dans leurs vies.

Si aujourd’hui tu es encore écoutée, c’est aussi parce que les arrangements de tes titres sont incroyables ?

C’est vrai, c’était incroyable, il y avait un gros travail d’arrangement. Moi, j’avais 17-18 ans. Jean Bouchety m’amenait dans son studio du Swinging London . Tout était écrit en amont et les musiciens étaient cools : ils acceptaient tout. Il y avait un vrai savoir-faire. Aller en studio, c’était un énorme travail. Aujourd’hui cela coûte trop cher, on ne peut plus travailler comme ça.

Tu sors un mini album de remixes avec notamment une nouvelle version de « 7 Heures du matin ».

Le morceau a souvent été remixé, mais par des amateurs. Là c’est Thierry Wolf qui a trouvé l’idée et aussi le titre de l’album « Play It Jacqueline » que j’adore. Il m’a présenté les remixeurs. Je leur ai trouvé pleins de talents et sur les six titres, il y en a quatre que je trouve géniaux.

Mais est ce que ces titres avaient un besoin de remixes ?

Ce sont des remixes destinés aux clubs quand même. Bon, on va voir ce que cela va donner même si les clubs passent souvent l’original. Remarque : la version anglaise de « 7 heures du matin », « 7 AM », n’a jamais été prise pour des pubs ou des séries surtout aux USA et en Angleterre. Donc, on verra si un arrangement fait pour les boîtes va fonctionner ou s’ils préfèrent l’original. C’est une interrogation pour moi.

Quels sont tes projets ?

Je travaille avec une chanteuse belge installée à Los Angeles, SteffY B, qui m’a demandé des titres. Elle m’a contactée sur Facebook et m’a demandé des chansons. Je lui ai fourni deux titres qu’elle a commencé à Los Angeles. Elle vient d’arriver à Paris pour finir le travail avec Jean Claude Dequeant mon associé.

On peut espérer un nouvel album de Jacqueline Taieb ?

Je ne sais pas !

Jacqueline Taieb en 2022 en plein travail
Crédit : Benjamin de Diesbach

Quand tu regardes en arrière sur cette carrière : quelle est ton impression ?

Un karma détourné (rires), je voulais être auteur compositeur, je suis devenue chanteuse. On m’a oublié pendant des années et on m’a redécouverte en me disant que j’étais fabuleuse. Mais ça a été merveilleux. Il y a eu des moments où j’ai dû faire autre chose comme prof d’anglais, j’ai même ouvert une petite boutique de de prêt à porter, mais j’ai réussi à revivre de la musique. Je trouve incroyable et invraisemblable que 55 ans après « 7 heures du matin » des Américains payent de très grosses sommes pour utiliser ma chanson, qui me fait vivre… C’est unique en France ! Une histoire inédite dans le show bizz, C’est très curieux !

Parce que le titre est culte !

Oh oui, mais il parle à tout le monde et il va rester parce qu’on devra toujours et encore se lever à 7 heures du matin.

Quel conseil donnerais- tu à un artiste débutant ?

10% d’inspiration et 90% de transpiration, travailler et ne jamais se décourager mais surtout travailler.

Le mot de la fin ?

Merci à toi !

https://jacquelinetaieb.fr/