Comment as-tu commencé la musique ?
Je suis arrivé à Lyon en provenance d’Annecy pour faire des études de Sciences Eco. J’avais vaguement fait partie d’un groupe au lycée, mais je m’étais fait virer, car il faut bien dire que j’étais pas bien bon. Ça m’avait terriblement vexé. À partir de là, monter un vrai groupe, écrire des chansons, faire des concerts, tout ça est devenu un véritable objectif, et je me suis mis à bosser (rires).
C’était la grande époque de « Lyon, capitale du rock » avec le club qu’on appelait « Le Rock’n’Roll Mops » et des groupes comme Starshooter ou Marie et les Garçons… Une fois arrivé à Lyon, j’ai cherché tout de suite à jouer dans un groupe en répondant à des annonces. À l’époque le chanteur de Slaughter and the Dogs, des punk anglais de série B, voulait remonter son groupe à Lyon, car sa femme était lyonnaise. J’ai failli commencer à jouer avec lui, mais entretemps je suis tombé sur Diamant, un groupe qui s’est ensuite appelé Dialyx et qui va devenir Floo Flash. Ils avaient un petit côté « Bijou », ça me parlait.
Ça s’est fait comment ?
Leur guitariste venait de partir. Un copain photographe a fait le lien et dès qu’on s’est rencontré, on a senti que nous avions des influences communes. C’était pas gagné parce que je n’avais pas du tout le même style que l’ancien guitariste.
Quelles étaient vos influences ?
Les Who, les Jam, sans qu’on soit vraiment mods parce qu’on aimait également tous les Pistols (je suis toujours un fan de Steve Jones) et les Clash que j’avais même suivis sur une tournée anglaise en 78. Et puis on avait également en commun les Ramones . D’ailleurs sur scène on a joué pendant longtemps « Sheena is a Punk Rocker ».
Il y avait qui dans le groupe ?
Schuss à la batterie, Denis à la basse, Jean-Luc au chant et moi à la guitare. Le groupe n’a jamais bougé. C’était un assemblage étonnant : on était d’origines sociales différentes. Il y avait deux bourgeois et deux prolos. Le groupe a fonctionné longtemps parce qu’on était souvent deux contre deux, mais jamais les mêmes « deux ». On était très complémentaires. On a surtout beaucoup rigolé. Surement l’époque la plus « fun » de ma carrière de musicien même si j’ai connu beaucoup d’autres bons moments plus tard. Le temps de l’innocence en quelque sorte…
Comment a débuté la carrière de Floo Flash ?
Je filais un coup de main de temps en temps à une association d’Annecy qui s’appelait « Mediaction » et qui organisait plein de concerts : Magazine , Téléphone, Bijou, les Boys… L’association a organisé un tremplin dans un vieux théâtre d’Annecy, aujourd’hui disparu où le premier prix était un accordeur et le deuxième prix une première partie des Dogs qui passaient la semaine d’après. Ce soir-là il y a eu des échanges de mallettes et forcément on a eu la deuxième place, celle qu’on voulait ! (rires.) C’était en décembre 80 et ça a été le premier vrai concert de Floo Flash.
Pourquoi ce nom ?
Dialyx ne nous plaisait plus et ce n’était plus la même musique. On a fait un « brainstorming » et on est tombé sur ce nom. Il y avait l’influence de Starshooter avec un nom qui sonnait à la fois en anglais et en français.
Vous avez ainsi été intégrés à la scène lyonnaise ?
C’était pas vraiment l’objectif principal, mais l es autres étaient déjà intégrés de toute façon ! Ça se faisait tout seul. Ils venaient du lycée Saint-Exupéry, dont venaient tous les groupes de Lyon. On avait des copains dans pas mal d’autres groupes.
Vous avez beaucoup joué ?
Oui, pas mal, mais jamais assez ! Un jour la mairie de Lyon nous a proposé d’organiser un grand concert gratuit sur la place des Jacobins à Lyon, une grande place dans le centre. C’était vraiment que pour nous, avec pas mal de promo, je ne sais pas qui à la mairie avait lancé cette idée… On a fait un tabac, plusieurs milliers de personnes… Beaucoup de musiciens de cette génération étaient là également. Sur les photos, au premier rang, on peut même voir le chanteur de l’Affaire Louis Trio qui était alors tout gamin, mais il y avait également Philippe Dauga, le bassiste de Bijou , une vedette du rock français de l’époque, qui va « flasher » et décider de nous produire quelques mois plus tard. Beaucoup de monde nous a découvert ce soir-là.
Et il y a eu la première partie de U2 ?
Oui, j’aime bien raconter cette histoire parce que la plupart des gens ont découvert ce groupe en écoutant leurs disques ou à la radio. Moi c’est en entrant dans la salle de l’ENTP à Lyon que j’ai entendu pour la première fois U2 ! En vrai devant moi The Edge qui s’accorde et qui met au point son son. Le choc ! C’était en février 1981, notre troisième ou quatrième concert. On s’était fait voler notre matériel trois jours avant. On avait eu le plan par CBS Lyon. Notre bassiste Denis, qui travaillait également chez un disquaire, était pote avec un mec de CBS qui nous a appelé pour nous dire : « il y a un groupe irlandais qui cherche une première partie pour sa première tournée française, ça vous intéresse ? ». Nous, de toute façon, on prenait à peu près tout ce qui passait alors on n’allait pas refuser. À la balance ils nous ont envoyé « I Will Follow » dans la poire. C’était énorme ! Le lendemain matin je suis parti m’acheter la chambre d’écho que m’avait conseillé The Edge. Elle était un peu chère. J’en ai pris une autre, mais quand même.
Et alors ?
Ils étaient cools. On a sympathisé avec eux et ils semblaient vraiment apprécier ce qu’on faisait. Quand on s’est présenté, Bono a dit « Je suis Bono » et notre chanteur lui a répondu « Ben moi c’est Capone » (rires). Et le ton était donné. Pendant tout notre set, ils restaient sur le bord de la scène le pouce levé pour nous encourager. En même temps à l’époque tout ça nous paraissait normal (rires).
On parle de votre « Look » ?
Le look, c’était un peu un problème au début. Mais en fait, on n’aimait pas les Who et les Jam que pour leur musique. On trouvait qu’ils avaient une super dégaine. Il y avait le graphisme « pop art » également. J’allais souvent en Angleterre. Je ramenais des fringues. Je faisais un peu le styliste. Je voulais qu’on se démarque des autres et surtout qu’on ne fasse pas la gueule. Ça n’était pas difficile, remarque… C’est un peu pour ça qu’on n’était pas vraiment intégré à la scène française de l’époque où tout le monde se déguisait en corbeau. Beaucoup de corbeaux ne nous aimaient pas d’ailleurs.
Il va se passer quoi ensuite ?
Pas mal de concerts, notamment beaucoup de premières parties : les Dogs encore, Starshooter … J’en oublie. Des festivals aussi. Et puis, en décembre 82, on entre en studio pour la première fois… Mais tout allait beaucoup plus lentement qu’aujourd’hui.
Ce fameux EP ou maxi 45 t : comment ça se passe ?
Je connaissais des gens qui montaient un studio à Annecy, le studio Dagobert, Nicolas Varrot et Thierry Lestien. Comme ils lançaient leur studio, ils nous proposaient un bon prix pour y enregistrer. On ramait pour signer sur un gros label. J’ai donc décidé d’emprunter et de monter notre propre label FLAMB, nom inspiré par BOMP, le label des Plimsouls dont j’étais devenu fan…
Denis le bassiste a eu le contact de Dauga dont on savait qu’il aimait bien ce que l’on faisait. Personnellement, je ne voulais pas rentrer en studio sans personne pour nous encadrer. On n’y connaissait rien. Philippe a eu un vrai rôle de réalisateur. J’ai appris plein de trucs sur ces premières séances. Il a également essayé ensuite de nous faire signer en major, mais sans succès.
Mais vous aviez un manager ?
Jusqu’à la sortie du EP, on n’en avait pas, et après c’est Jean-Pierre Lafoy qui manageait Starshooter à l’époque qui s’est occupé de nous. On commençait à parler de nous sur le plan national, ça devenait plus facile.
Vous avez vendu du disque ?
Probablement quand je vois comme on en parle encore aujourd’hui, mais on n’a jamais su combien (rires). Quoi qu’il en soit cela ne nous permettait pas d’en vivre. Le disque nous a surtout aidé à nous faire connaitre et à trouver des concerts.
Vous étiez décalés ?
On n’a jamais été un groupe branché. On voulait pas. Avec le temps on l’est devenu un peu, mais à l’époque on ne l’était pas du tout (rires)… On a failli signer partout, mais à chaque fois cela ne s’est pas fait pour une raison ou une autre. On agaçait certaines personnes par notre espièglerie, je pense… Du coup, je suis allé voir Patrick Mathé chez New Rose et l’affaire a été réglée en trois minutes, l’écoute d’une chanson (rires) ! On n’y connaissait vraiment rien : par exemple on n’avait pas d’attaché de presse alors qu’on a réussi à avoir plein de chroniques, notamment celle de Michka Assayas dans Rock & Folk qui avait bien compris quel genre de groupe on était. Pas mal de radios aussi… Je pense que Patrick Mathé envoyait quelques disques aux bonnes personnes en douce. On voyait tout qui tombait et nous, on trouvait que c’était juste normal. J’ai appris bien plus tard que la promo, c’est un vrai métier…
Vous avez beaucoup joué ?
Pas assez à mon goût. C’était moins facile qu’aujourd’hui. Il y avait moins de lieux pour les groupes indé. C’est dommage parce que j’ai re écouté les bandes des dernières répétitions et je pense qu’on jouait de mieux en mieux !
Suite à ce maxi, vous avez fait encore plein de premières parties ?
La plus grosse première partie qu’on a failli faire c’est les Rolling Stones à Lyon quand Starshooter a refusé de la faire, et finalement c’est Jean-Marie et les Redoutables qui l’ont faite… Mais oui, on en a fait beaucoup. C’était un bon moyen de jouer devant beaucoup de monde.
Il y a eu REM ?
On a eu une vraie relation avec ce groupe : Peter Buck (guitariste de REM Ndlr) a parlé de nous récemment encore dans une interview. Quand on a jouait avec eux, on avait exactement le même matériel sur scène. Il y avait une vraie filiation…
Il y sept ou huit ans je suis allé voir REM à Genève, je connaissais un ingénieur du son qui travaillait sur leur tournée. Je lui ai dit de signaler à Peter Buck que j’étais là. Il est sorti aussitôt des loges avec un grand sourire : il pensait qu’on avait fait cinq albums depuis notre première rencontre (rires). Il m’a également dit qu’on était la meilleure première partie qu’ils aient jamais eu, ce qui m’a paru extrêmement flatteur…
Comment était l’ambiance au sein de Floo Flash ?
Franchement, on s’est beaucoup marré : Jean-Luc notamment avait beaucoup d’humour. On était très porté sur la dérision, encore un de nos côtés « british » sans doute… On avait également un de nos roadies, « Von », qui ne dépareillait pas… Dès qu’il nous arrivait une galère, comme il en arrive tout le temps à tous les groupes de rock, on en rigolait assez vite.
En 1982, le groupe s’installe à Paris ?
Oui, je devais y aller pour mes études. On s’était tous fait réformer, ce qui n’était pas si facile à l’époque (rires). On commençait à tourner en rond à Lyon, mais en arrivant à Paris on a commencé à moins répéter. C’était une autre vie qui commençait. On fréquentait souvent un studio de répétitions à Arcueil que l’on partageait avec les Désaxés et les Innocents … Philippe Dauga à ce moment-là, a parlé de nous à Paul Scemama, l’ingénieur du son de Bijou qui, du coup, a voulu nous rencontrer. Peu à peu, Paul est devenu mon directeur artistique. Il aimait mes chansons. Il a misé sur mes qualités de songwriter à long terme sans savoir vraiment si le groupe allait durer. Il a passé beaucoup de temps avec moi. Il est également devenu mon éditeur quelques années plus tard.
Vous avez fait la première partie d’autres tournées également, The Alarm, par exemple. Des concerts au Palace, aux Bains douches…
On a fait pas mal de trucs sympas. J’aimais bien les premières parties ! Gagner le respect du public, ne pas se faire jeter… Le challenge me plaisait. En fait peu de groupes voulaient faire les premières parties que l’on faisait. C’était un peu la fosse aux lions. Je regrette que l’on n’ait pas enregistré davantage ces concerts, car sur la fin je me souviens que ça devenait vraiment bien… À cette époque, on a également maquetté 4 titres chez Polydor, notamment une adaptation de la chanson des Nerves, « Hanging On The Telephone », rendue célèbre par Blondie. Je viens juste de retrouver les bandes !
Et ensuite ?
Quand on a commencé à travailler avec Paul, il était clair qu’il voulait que nous fassions un tube, un vrai, pour se retrouver premier au Top 50 ! (rires)… C’est à ce moment-là qu’est arrivée la (deuxième) nouvelle vague anglaise, très pop, avec des groupes comme Tears for Fears, Talk Talk… Je suis un peu tombé dedans (rires). Tout à coup le travail de studio s’est mis à me passionner davantage que la scène.
C’est bizarre pour quelqu’un qui a l’image d’avoir écouté les Stones, les Jam , Paul Weller et les Kinks ?
Pas tant que ça, Tears for Fears était un ancien groupe Mods, The Graduate , et ça restait de la pop. Paul Weller avait fondé le Style Council . Je respectais ce virage, mais je ne voulais pas faire cette musique. Weller, qui nous connaissait, nous a d’ailleurs écrit à cette époque en nous conseillant de nous dégager de l’influence des Jam et de trouver notre propre voie. Je publierai peut-être cette lettre un de ces jours…
À l’époque il y avait une scène Mods en France ?
Oui, mais assez réduite quand même. Bikini , Tweed… Il y avait eu une soirée mods aux Bains douches, intitulée « Rock in Tweed » (en référence au festival « Rock in Loft » de l’époque), avec plusieurs groupes et je me souviens qu’on avait bien mis le feu aux Bains ! À cette époque, on jouait également pas mal de chansons des Who , « My Generation », « The Kids are All Right », « Run, Run, Run »…
Parle-nous de ta collaboration avec Paul Scemama ?
J’ai cherché avec lui à comprendre ce que l’on pouvait tirer d’un studio d’enregistrement. Paul n’avait pas travaillé qu’avec Bijou. C’était un ingénieur du son de renom, le grand ingénieur français des années 70. Il avait fait presque tous les disques de Dutronc, beaucoup de choses avec Gainsbourg, William Sheller, ect… On a commencé un vrai travail de production sur un titre. Puis on a fait le tour des maisons de disques pour le faire écouter et là, changement d’ambiance, tout le monde voulait nous signer ! Le PDG de CBS appelait même ma mère le week-end pour qu’elle me conseille de signer chez eux (rires).
Et donc ?
Avec Paul on a enregistré ce titre « Sha Ho Ho », qui allait devenir le single. Pour nous faire plaisir, il nous a permis d’enregistrer également deux anciens morceaux de Floo Flash, « 500 km », et « Les yeux fermés » qui allait devenir la face B. C’était une période un peu bizarre, comme assis entre 2 chaises.
Tu as des regrets ?
Non, ou plutôt si, je ne comprends pas, quand j’ai écouté l’autre jour des K7 de répétitions, qu’on n’ait pas signé sur un gros label à la « grande époque » Floo Flash . Je dirais vers 83/84. Il nous aurait fallu un bon manager… Ça s’est joué à pas grand-chose.
On peut espérer vous revoir ensemble sur scène ?
Je ne pense pas… Je joue de manière très différente aujourd’hui : à mes débuts, je jouais tout à l’oreille. Je ne connaissais pas le nom des accords. Mais du coup j’avais un style très particulier et ça donnait une couleur originale à notre musique. On était vraiment un bon groupe, mais le contexte de l’époque ne nous aidait pas : on n’était pas dans l’air du temps. Par contre, depuis quelque temps, on me parle à nouveau beaucoup de Floo Flash . On est sur pas mal de compilations, même en Asie ! On figure aussi sur une compilation vinyle éditée par la mairie de Lyon « 40 ans de musique actuelles à Lyon », en tant que groupe qui a marqué l’histoire de la ville. Il y a également une expo et un film. À l’inauguration de cette expo, j’ai rencontré le boss d’un petit label qui voudrait sortir un disque sur nous, sur lequel pourrait figurer des enregistrements inédits, des live, dont un avec une apparition de Bertignac en guest, les fameuses maquettes Polydor, etc. Qui sait ce que je vais encore retrouver dans mes tiroirs ! Affaire à suivre… (rires)