Je suis Daniel Dauxerre, je suis né à Paris et j’ai travaillé dans la musique. J’ai été disquaire, manager, journaliste et aussi musicien amateur (rires).
Ça a commencé comment ton amour de la musique ?
Il y a très longtemps. Vers l’âge de trois ans, une voisine me gardait. Elle avait trois filles dont une qui écoutait les Stones et pleins d’autres groupes… J’ai encore un souvenir ému de la pochette fish-eye du 45t de ’’Have you Seen Your Mother, Baby, Standing In The Shadow ».
Ton premier disque acheté ?
Je n’ai jamais eu d’argent de poche. Mon premier souvenir doit être « « les Chevaliers du ciel’’ avec ’’Le ciel nous fait rêver’’ de Johnny Hallyday, et les arrangements fantastiques de François de Roubaix. Sinon, le premier album doit être « Dark Side Of The Moon » en 1973.
Comment rentres-tu dans la scène musicale parisienne ?
En parallèle de mes études de cinéma à Censier, je lisais la presse rock française ainsi que les hebdos comme NME, Melody Maker et The Face entre autres, depuis mes 8 ans. Je voyais aussi pas mal de concerts. Et surtout et dès 1980 j’étais toutes les semaines chez New Rose et ensuite Dancetaria à partir de 1988 (deux disquaires parisiens mythiques, NDLR). Un jour un des vendeurs de New Rose partait en vacances. Ils m’ont demandé de le remplacer.
C’est à cette époque que tu montes ton groupe Colm ?
Non. En 1989, mon pote Jérôme Mestre me propose de faire de la basse dans son groupe One More Scooby Snack. On a fait notre premier concert à Nancy quelques mois après, en première partie des Membranes. Dans le groupe il y a Susannah au chant, Jérôme Mestre à la guitare et Arnaud Rebotini (futur BlackStrobe et Zend Avesta, NDLR). C’était très indie noise et cela a été bref. Alors j’ai décidé de monter un autre groupe, qui deviendra Carmine par la suite
Et ensuite ?
En 1990, je rencontre JD avec qui je vais monter Colm. Il avait un pote batteur, et un autre qui est Irlandais : Colm, d’où le nom du groupe. Au lieu de faire tout de suite des concerts, nous avons énormément répété entre en janvier 91 et novembre 91, date du 1er concert à l’université américaine. Ensuite tout est allé vite avec la sortie en juin de notre maxi ’’Colm45’’.
Colm va fédérer du monde !
Pas vraiment, nous étions assez isolés à Paris. Mais nous avions la chance d’être souvent à Dancetaria, qui va beaucoup nous aider, surtout Jérôme Mestre. Moi, j’allais souvent à Londres et j’ai sympathisé avec Stereolab. Tim (Gane, NDLR) le talentueux maître d’œuvre m’a proposé d’apporter leur premier maxi chez les disquaires. Quand je suis venu chez New Rose en juillet 91 avec le maxi, ils m’ont proposé de m’occuper de la vente par correspondance de la boutique. J’y ai rencontré Christophe Basterra (rédacteur en chef du journal Magic, NDLR). . Au même moment sortent les albums de Teenage Fan Club et Primal Scream. Je lui propose, pour avoir les disques en avance, d’en faire les chroniques. J’allais aussi régulièrement aux « Black Session » de Bernard Lenoir, si bien que lorsque nous faisons notre deuxième concert au Gibus, il va passer un morceau par soir et ensuite Hilda, la programmatrice de ses sessions, se propose d’être notre manageuse. Tout de suite, Colm a été sous les feux de la rampe. Cela a déclenché un peu de jalousie.
Cela s’est déclenché comment ?
Comme je chroniquais des disques pour Magic, j’avais du mal à faire des interviews parce que les autres pensaient que j’allais les « sabrer ». On était juste pote avec Welcome to Julian. Pourtant, on n’était pas du tout prétentieux mais bon c’était comme ça…
Quand tu es dans Colm, deux jeunes types viennent te voir avec une cassette ?
Oh oui, bon on va partir au début de l’histoire. A ce moment-là, en 1992, je veux faire la première partie de Stereolab à Paris. Ils viennent juste de signer chez Labels, une filiale de Virgin. A l’époque, je n’y connaissais rien en publishing, en tourneur, en programmation, rien du tout… mais je voulais absolument faire ce concert avant que Labels ne l’organise. Je sympathise avec le patron de l’Européen qui accepte. Labels fait pression sur Stereolab pour qu’ils ne le fassent pas mais on tient bon et on fait ce concert. Une semaine après, je suis derrière le comptoir de New Rose et je vois arriver deux petits mecs qui me disent qu’ils ont adoré le concert et ils ont une cassette qu’ils veulent que je passe à Tim. C’étaient les futurs Daft Punk ! J’écoute et je trouve ça super. Je leur propose de les manager. Je passe la cassette à Tim qui adore et me propose de sortir un double 45t avec Stereolab, Huggy Bear, Colm et un morceau des deux jeunes types qui ont pris le nom de Darlin’. Après on a commencé à se voir tous les jours avec Guy Man et Thomas, et c’était parti.
Tu te doutais qu’ils allaient devenir énormes ?
Oui, pas à ce point-là (rires). Ils avaient un talent dingue. Ils savaient ce qu’ils voulaient, pas musicalement, mais pour le reste ils savaient où ils allaient. On avait des goûts communs, notamment « Screamadelica » de Primal Scream ou « Smile » des Beach Boys. J’étais estomaqué par leur talent. Je disais à tout le monde qu’ils étaient des génies mais personne ne m’écoutait à part Basterra. Ils étaient très jeunes, à peine 18 ans. Ils étaient très timides. Beaucoup les trouvaient prétentieux. Ils ont joué leur premier concert le 20 juin 1992 à la fac d’Orsay, il y avait plein de monde, dont une majorité de filles et tout le monde était enthousiaste. J’ajoute qu’il y avait une troisième personne dans le groupe : Branco qui va créer Phoenix.
Ils te faisaient penser à quoi ?
Tu te rappelles de ce feuilleton « L’ Autobus à Impériale », un truc avec pleins de gamins qui font des conneries ? C’était ça Darlin’ ! Et tous ces mômes étaient doués. Regarde le parcours de Gildas avec Kitsuné !
A cette époque-là, Magic et Dancetaria vont fédérer du monde et créer du carrière ?
Oui, contrairement à New Rose où les gens sont plus âgés et ont vécu ça avant. Le vrai phénomène c’est quand Jérôme et Stéphane, les responsables de Dancetaria vont passer à Rough Trade ! Là, il va se passer vraiment quelque chose ! C’est là où une autre scène va se créer !
Tu vas quitter Colm !
Oui, fin décembre 1992. J’ai ensuite monté Spring, avec Alex, l’amie de Basterra. Pour l’anecdote pour la première répétition, Spring était composé de JB Garnero à la guitare , de Kaef, mon ami graphiste, à la deuxième guitare, de Thomas à la Troisième et de Guy-Manuel à la batterie.
Pas mal !
Oui (rires) mais ça n’a pas duré longtemps : deux répétitions et exit Thomas et Kaef. Lors du premier concert, Branco remplace Guy-Manuel. Spring, devenu un quatuor sans batteur, commence à faire des premières parties dont Lush et Moose. Et un soir de concert, j’ai décidé d’arrêter. En fait, je n’existe pas dans l’histoire du groupe (rires).
Les Inrocks ont été importants ?
Oui, je les lisais depuis 1986, ils ont été importants mais j’étais plus proche de Magic pour qui j’ai bossé.. Il me semblait qu’il manquait un médias entre les artistes plus ’’underground’’ et le grand public. Par exemple, on a fait avec Magic la première interview de Tindersticks six mois avant la parution du premier album. Je ne voulais surtout pas prendre la place des Inrocks qui ont fait un travail gigantesque en parlant d’artistes méprisés par Rock&Folk.
A partir de là, tu vas avoir une réputation de « passeur » !
C’est un peu le rôle d’un disquaire, non ? Rough Trade a été la pierre angulaire de cette révolution. J’ai vraiment travaillé avec personnes qui aimaient profondément la musique et qui se battaient pour faire découvrir des groupes.
Le magasin va être capital avec au rez de chaussée l’électro et en haut l’Indie Pop !
Oui, le magasin a des vendeurs balèzes comme Arnaud Rebotini, un mec incroyable, Ivan Smagghe, un mec ultra cultivé et un DJ fantastique, Jérôme Mestre que j’admire énormément : un vrai passeur brillant ! Au premier étage il y avait Stéphane David, certainement la personne que je respecte le plus, d’une culture musicale exceptionnelle et d’une loyauté sans faille. Le Godfather !
Tu as vécu comment l’électro à Paris ?
Plutôt bien, en fait ça existait depuis 1988. Je sortais d’un monde Indie Pop où tout le monde se tirait dessus et où il y avait une sale ambiance. Quand je suis arrivé chez Rough Trade, j’ai vu des gens hyper frais, dynamiques et surtout s’entraidant. Cette scène électro faisait du bien, c’était un bol d’air frais incroyable.
Tu aimais ça musicalement ?
Il y avait des choses que j’aimais bien, comme le Garage, et d’autres moins comme la Minimale . C’est l’époque où je fais la connaissances de jeunes gens qui habitent à Paris et qui viennent du Havre, dont un que je trouve hyper doué, P.Jack.
Et là tu changes de casquette ?
Oui mais sans le vouloir. Chez Rough Trade, je retrouve un copain de l’époque Colm : Nicolas Druel. Il me file une K7 que je trouve incroyable. Tout le monde chez Rough Trade adore et moi, comme un con, je leur dis « revenez dans une semaine. Avec le monde qui passe ici, vous aurez un label ! ». Ils reviennent le lendemain avec un nouveau mix, que je fais écouter et là rien. La date butoir approchant, la veille du rendez-vous avec eux, je décide de monter mon label : Kung Fu Fighting !
C’est comme ça que tu as monté ton label ?
Oui (rires), Hey, les gars, vous avez un label, le mien ! Heureusement, j’ai été choyé par Rough Trade parce que je n’y connaissais rien ! Il a fallu que Jérôme Mestre m’explique ce qu’était un mastering. Je suis donc allé chez Translab sur son conseil. Arnaud Rebotini a mixé les titres.
Sur la label il y a tout d’abord Tommy Hools ?
Le label a été créé pour eux ! Comme tout se passe génialement, KFF sort un maxi d’Olaf Hund. J’ai une boite de promo en Angleterre qui veut travailler avec moi. DJ Cam prend un morceau de Tommy Hools sur une compilation. En 1998 sortent un 45t et un maxi de de Tommy Hools ainsi que le premier 12’’ de P.Jack et un autre maxi de Tommy Hools. je vais croiser Feelgood et on va faire le premier maxi de Ciao Manhattan.
Tu vendais beaucoup de disques grâce à Rough Trade ?
Oui, mais surtout je n’avais aucune promotion à faire ! Tout le monde venait à la boutique, notamment les journalistes qui achetaient les disques.
C’était facile et excitant ?
Les premières chroniques que nous avons eu par exemple étaient dans l’Équipe Magazine et dans France Football, parce que Hools c’est pour Hooligans et parce que les quatre morceaux du premier maxi sont des noms de villes avec de gros clubs de foot. J’ai vu des mecs de banlieue débarquer chez Rough Trade, avec la page des magazines en me demandant le disque (rires) !
Et là, Rough Trade s’arrête !
Oui tout le monde était fatigué : Ivan et Arnaud avaient Black strobe qui marchait bien, Jérôme avait son label et Stéphane voulait passer à autre chose. Nous sentions que le business évoluait. De mon côté j’avais KFF sui semblait avoir un futur excitant.
Tu avais conscience que tu avais vécu une période incroyable ?
Complètement ! Mais j’étais trop un amateur pour continuer. J’avais une vision trop anglaise du business et donc je ne comprenais pas la France. Je n’avais pas l’impression qu’ici les gens aimaient vraiment la musique. J’en ai croisé deux ou trois vraiment bons, qui réfléchissaient et qui avaient une vision mais c’est tout.
Après Kung Fu Fighting, tu vas créer Coming Soon !
Oui, entre-temps, j’ai la chance de travailler comme rédacteur en chef dans un site internet pour les étudiants. Ce qui va m’aider pour rester avec des gens qui s’intéressent à la culture. Cela m’a permis de rencontrer Éric Débris (Ex Metal Urbain et réalisateur de disques, NDLR) notamment ou encore Rodney Prosser, un multi-artiste anglais avec qui je continue de travailler.
Fin 2001, Kaef et moi décidons de créer une structure de management avec un type qui s’occupait d’ Olaf Hund : Future Now Organisation. Le troisième type en question veut aussi faire un label parce que le management ne rapporte pas assez. Moi, je refuse de faire partie du label, sauf en filant un coup de main comme DA. Ce sera la fin des illusions pour moi : ce sera la pire période de ma vie musicale ! Il y aura une grosse trahison de la part de ce mec !
Une trahison ?
Il ne comprend rien ! Il monte une armée mexicaine avec 8 à 9 personnes. Tu imagines un label indépendant en 2003, qui n’a sorti aucun disque avec tant de monde ? Il divisait les gens entre eux… Ça a été la catastrophe assez vite…
Il y aura deux compilations plutôt bien ?
Oui avec des artistes très doués. Mais les compilations reflètent plus mes goûts qu’une vision de label.
Et ensuite ?
J’ai la chance de rencontrer Nicolas Armand, l’investisseur principal de Coming Soon avec qui le courant passe très vite et nous créons dans la foulée Industry Of Cool , une vraie structure de management !
Et là, il va se passer encore plein de choses ?
Trop de choses, même !
Je vais d’abord faire une erreur de débutant ! Au début, cette boite existe pour Dombrance mais grâce à mon amie, Bianca, je vais découvrir qu’il se passe quelque chose à Paris autour du Bar3. Nous sommes à la fin de l’année 2004. Là, je rencontre de nouveaux artistes. Les premiers, ce sont Nelson. Deux jours après, je suis présenté à un type extraordinairement talentueux du nom de Sourya. Je le rencontre et là encore ça le fait. Je fais ensuite la connaissance de Ben Ellis, le leader Brooklyn. J’adore ce groupe ! Ensuite je croise François de The Agency. Et comme nous avions gardé Tcharlz, Bishop Invaders, Dombrance de l’époque Coming Soon. IOC se retrouve avec sept groupes qui débutent ou presque.
Tout le monde va sortir ses disques au même moment ?
Non, c’était impossible. Celait aurait pu être le cas dans les années 90, une époque où le format court comme les 45 tours et maxis étaient de vraies rampes de lancement . Le premier groupe qui a signé c’est Nelson chez Diamond Traxx. Avant Dombrance avait signé chez Virgin, où cela s’est très mal passé.
C’est l’époque des Baby Rockers et là, tu es au cœur de la scène ?
A ce moment-là oui, beaucoup plus qu’à l’époque de Colm. J’ai retrouvé l’enthousiasme des débuts de Rough Trade mais aussi les coup bas que je venais de vivre. C’était la même histoire mais en accéléré. Les Majors en sont responsables. Des enfoirés de maquignons qui se sont servis de Rock&Folk pour cornaquer tous cette jeune scène et n’en garder que 2.
Tu continuais à t’inspirer de l’Angleterre ?
Oui, je pensais qu’il ne fallait pas signer un groupe mais cinq ! Il fallait créer une scène et non pas en prendre un et massacrer les autres mais ça c’est la France ! Ici, il faut un groupe et son contraire.
Ça marchait bien donc Industry Of Cool ?
Oui, ça a très bien commencé avec Nelson mais on s’est retrouvé prisonnier de notre système avec beaucoup de groupes en management. Un jour, on m’a proposé la première partie des Strokes mais je devais choisir un groupe de notre catalogue. Je n’ai pas su lequel prendre et cette première partie nous est passée sous le nez. C’est moi qui ai fait cette erreur et seulement moi : j’ai pris trop d’artistes à la fois.
A l’époque tu étais très proche de Jérôme Makles alias Captain !
Je l’ai rencontré quand il était guitariste de Bishop Invaders à l’époque de IOC. Son label A Quick One Records m’a aidé . On a sorti ensemble l’album de Sourya, par exemple, il a aussi fait The Agency…
Après Industry Of Cool tu fais quoi ?
La boîte s’est arrêtée quand Nico, est décédé dans un accident de moto. A l’époque IOCt à s’intéressait à des documentaires. Peu avant, j’avais retrouvé une personne que je connaissais de l’époque de Kung Fu Fighting. Il voulait monter une boutique à Paris et un label qui serait collé à la boutique, Contours .
Tu as sorti combien de disques ?
De ma responsabilité j’ai sorti deux disques : Sylvain Jacques, un super disque, un peu compliqué et Ojard qui a bien marché. L’idée ’était de faire aussi de la musique pour des installations, des galeries. Mais pour des raisons personnelles, j’ai tout quitté, la musique et Paris. Bon, je donne des coup de mains à de jeunes artistes et à Laurent pour quelques sorties même si ça a été difficile avec le Covid.
Quand tu regardes ton parcours (Darlin’, Colm, Tommy Hools, Rough Trade, Nelson, Dombrance…), tu as permis de créer des scènes, de sortir des disques incroyables ….
Non, je n’ai rien permis du tout ! Que dalle !
Tu n’es pas fier de tout ça ?
Non, pas spécialement ! Ma seule fierté c’est d’avoir permis à des gens comme Nelson, Dombrance ou P Jack de rester dans le milieu de la musique… Je suis aussi content que tous ces musiciens aient pu passer de bons moments. Je sais que certains groupes, m’en ont voulu. Mais avec le temps, ils auront de beaux souvenirs à raconter à leurs petits-enfants. En réalité, j’ai eu un bol énorme de croiser la route d’individus fantastiques.
Cette histoire est finie pour toi ?
Oui, je suis trop vieux. Je ne comprends pas ce que font les jeunes de 20 ans. Attention, Je n’ai rien contre la production actuelle ! Simplement, ils n’en ont rien à foutre de mon avis et c’est tant mieux ! Ils n’ont rien à apprendre de moi. Par contre, papy peut raconter de jolies histoires en échange d’un Gin-Fizz ou d’un Cognac.
Tu ne penses pas qu’avec les MP3, le Streaming ou les intelligences artificielles, la musique a perdu son charme ?
Non. A la fin du 19e siècle quand les gens sont arrivés avec le Gramophone, ils ont révolutionné le rapport à la musique. Aujourd’hui le support a de nouveau changé mais les fans sont aussi excités. Simplement cela ne me correspond plus et je n’ai plus les mêmes envies qu’il y a trente ans.