Peux-tu te présenter ?
Je suis Alexandre Paugam du groupe Da Capo. C’est un groupe qui a été créé en 1996 avec mon frère, Nicolas. Le groupe a vu passer de nombreux musiciens depuis les débuts mais le vrai grand changement c’est le départ de mon frère après le quatrième album en 2012. Depuis il a monté son propre projet mais régulièrement nous faisons encore de la musique ensemble.
Pourquoi ce nom ?
Beaucoup de journalistes pensaient que cela venait uniquement de l’album ’’Da Capo’’ de Love (2e album du groupe de Los Angeles des années sixties, NDLR) mais non ! En fait c’est un terme en musique classique que l’on trouve sur des partitions de musique. Cela veut dire qu’on doit rejouer le morceau depuis le début. J’aimais beaucoup Love mais on était plus influencés par les Beatles ou les Kinks. Ce n’est pas un nom forcément relié à ce groupe.
Vous avez sorti votre premier album en 1997 sur le label Lithium, qui était très respecté à l’époque ?
Oui, on n’a jamais retrouvé un tel engouement (rires). C’était un label que nous adorions et à l’époque c’était le Graal d’être signé dessus. On envoyait des maquettes depuis longtemps à Vincent Chauvier (responsable de Lithium, NDLR). Il nous a d’abord signé pour un quarante-cinq tours et ensuite il a vu qu’il y avait du potentiel et il nous a proposé un contrat pour trois albums.
Cela vous a donné une très belle exposition ?
C’était dû surtout à la distribution qui était faite par Labels/Virgin. C’était une grosse force de frappe et ça nous a bien aidés.
Vous aviez quoi comme influences ?
C’est assez classique : la pop des années soixante comme les Beatles ou les Kinks mais aussi pas mal de songwriters moins connus comme Peter Hammill que j’adore depuis mes 18 ans (leader du groupe Van Der Graaf Generator, NDLR). On retrouve toujours ces influences aujourd’hui dans ma musique. Il y a eu aussi le folk américain avec Neil Young, ses premiers disques, que j’aime toujours. On écoutait aussi beaucoup de jazz grâce à notre beau-père et on a beaucoup baigné dans le bebop (Bud Powell et Thelonious Monk).
Est-ce que le fait que Da Capo soit très orchestré vient de là ?
Oui, bien sûr mais ça vient aussi de la musique classique que j’ai découverte après. J’ai composé beaucoup de musiques pour le théâtre et le spectacle vivant. En même temps j’ai découvert la musique de film et la musique classique. Et j’ai été très influencé par la musique romantique austro-allemande (Schubert, Schumann et Mahler) et par la musique française du XXe (Ravel et Debussy)
Votre musique tourne aussi beaucoup autour du progressif ?
On nous dit ça parfois mais je ne crois pas .On peut s’en rapprocher mais sans le côté long des breaks et des solos. On serait plus proches du post-Rock ou l’expérimental. On peut parfois penser à Pink Floyd ou King Crimson, des groupes que j’ai beaucoup écouté… S’il y a une vraie influence de ce côté là, c’est Robert Wyatt ! Il m’a beaucoup marqué. Il a mélangé le jazz, le rock, le contemporain avec une grande liberté.
Mais c’est une musique de virtuose ?
Je n’ai jamais voulu être un musicien virtuose et je n’en suis pas un. Je préfère la complexité harmonique, les constructions… Je n’aime pas la musique trop démonstrative et les solos interminables.
Dès votre deuxième album vous aviez déjà moins le côté spontané du premier. Est-ce en tournée que vous avez commencé à avoir ce côté très écrit et moins DIY ?
On n’a jamais beaucoup tourné (rires). Notre grand fait d’armes c’est une tournée en Espagne avec les Married Monk et quelques premières parties comme Jay Jay Johansson ou Supergrass. Ce deuxième album, « the Fruit » est un album fait à la maison et d’une qualité sonore moyenne. Mais, on y découvre , selon moi , les véritables prémisses de la singularité de Da Capo…..
Il va y avoir un troisième album « Third » et puis vous allez un peu « disparaître » pendant sept ans avant de revenir avec un album produit par Gilles Martin.
En fait, « Third » n’est jamais sorti. Ensuite, en 2011, un label espagnol a décidé de rééditer notre premier album en Espagne et ça nous a relancé. Nous avons alors enregistré un nouvel album, « Out Of Spain » mais qui n’est jamais sorti toujours par manque de soutien. Il a été diffusé en numérique mais n’a pas été distribué. Ce que je déplore car c’est un album que j’aime beaucoup.
C’est l’album où Da Capo devient ton projet ?
Oui mais c’était le cas dés « Third » … En tout cas au début il y avait Nicolas, mon frère. On n’avait pas toujours les mêmes goûts. On voulait faire de la pop au début et puis mes influences, plus sombres, plus écrites sont arrivées et Nico voulait faire des choses plus légères…
C’était autre chose ?
C’était, peut-être, un peu moins… spontané mais j’ai toujours laissé des plages d’improvisation. C’est pour ça qu’aujourd’hui encore j’ai toujours du mal à classer ma musique
Vous avez un côté plus technique que beaucoup de groupes avec des influences qui peuvent rappeler le jazz dans l’approche ?
(Silence) Il y a une recherche musicale c’est sûr mais j’aime tellement la musique, la composition, les arrangements que toutes mes influences se mélangent dans une sorte de maëlstrom musical. Je ne veux surtout pas me cantonner au rock, à la pop, ni même au jazz… Je cherche à composer une musique ambitieuse avec la volonté d’aller toujours sur de nouveaux terrains musicaux. Ce n’est pas du tout de la prétention de ma part, juste de la curiosité. En y réfléchissant, probablement un héritage des Beatles qui ne se refusaient rien…
Tes influences ont donc beaucoup évolué ?
Oui, dans un sens mais je suis aussi resté fidèle à mes influences initiales.
J’ai vu aussi que tu avais ton propre label : Autruche Records ?
Oui, dès « The Fruit » on a monté cette structure. J’ai gardé le nom mais le label n’existe plus vraiment. Depuis 2017, on a fait des disques avec la complicité du label Microcultures. Sur les derniers, on est simplement distribués par Inouïe Distribution. On attend toujours le nouveau Lithium, à savoir un label réellement aventureux….
Vous avez beaucoup tourné ?
Non, pas beaucoup. En fait, on joue une musique exigeante qui demande de l’écoute et c’est difficile à vendre. Les salles de concerts ne prennent plus trop de risque. Mais, je viens de trouver une chargée de diffusion qui va s’occuper de ça. J’espère qu’on va pouvoir jouer plus en 2023 et 2024.
Mais est ce que le rock ne t’ennuie pas ?
(Rires) Si, souvent, surtout quand il est trop basique. Mais, j’écoute toujours mes grandes influences : Neil Young, Bowie, Lennon, Alex Chilton….
Da Capo est juste un groupe de musique donc ?
Oui, ça me va mais je ne sais pas trop comment nous situer. On n’est pas un groupe indé c’est sûr ! Une chose que l’on a gardé du rock c’est la violence et la noirceur, surtout en concert où c’est moins ’’léché’’ et plus jazz parce que nous avons un sax. Ce que je n’aime pas dans le rock, ce sont les clichés. Par contre quand le rock est violent, noir et lyrique à la Peter Hammill ou Nick Cave ça me va.
Tu ne te sens pas un peu isolé en France ?
Un peu… tu sais, il ne faut pas oublier qu’on est dans le pays de la chanson française…
Vous sortez un nouvel album « The light will shine on me », pourquoi ce titre ?
C’est parti d’une chanson de l’album qui s’appelle comme ça et dont je suis assez fier. Le titre me plaisait et voilà ! Attention, ce n’est pas une chanson autobiographique . C’est l’histoire d’un junkie qui essaye de trouver une sorte de rédemption en sentant la mort arriver.
Tu avais quoi en tête quand tu as fait cet album ?
Je suis parti de morceaux composés à la guitare classique. Je voulais revenir à des morceaux plus mélodiques, très harmoniques et très composés. Je voulais quelque chose de plus pop, de plus léger… A l’arrivée il y a des morceaux ensoleillés et d’autres très mélancoliques.
Sur l’album vous avez un côté très sixties américain, comme si vous reveniez à un groupe comme Love ?
Tu as une bonne intuition, je suis d’accord avec ça. Si tu prends le morceau « Be happy » je pensais un peu à Love, avec ce côté mélodique et cette progression d’accords complexe.
Vous pouvez sonner comme du Love de 2023 ?
(Rires) Sur certains morceaux peut-être mais je ne pense pas que l’on sonne sixties au niveau du son.
Non, vous avez une manière d’interpréter la musique très 70, pas dans le son.
Là je suis d’accord et je le revendique. C’était un peu mon but au départ pour la composition de l’album.
Vous avez eu de bons retours sur l’album ?
On a eu pas mal de presse ; on a des morceaux sur FIP et on est passé sur France Inter. Il y a encore des choses qui vont arriver. Je suis plutôt content.
Vous avez une formation de musiciens différente des autres ?
Oui, on a un batteur, un guitariste, un clavier-chant, un cor et un sax soprano : une formation pour
le moins atypique.
Vous avez avec cette formation du rock, de la pop et du jazz : c’est très original ?
Oui, mais c’est voulu. Depuis notre deuxième album, on a toujours eu ce côté-là. Par exemple, notre batteur joue du Cor sur scène sur les ballades en complément du saxophone. On a aussi un côté un peu « free » avec les cuivres. Ça donne une formule singulière !
Justement qui sont les musiciens de Da Capo ?
Il y a d’abord le guitariste Cédric Sabatier qui est un fidèle depuis quatre albums. Il est très impliqué C’est un guitariste classique qui est très inventif. Il aime les sons de guitare un peu barrés, il amène beaucoup au live et au disque. Il y a aussi Sylvain Haon au saxophone et Hariz Greca à la batterie (et cor) qui sont là depuis un an. Ce sont de très bons musiciens ; je suis ravi de cette formation.
Pourquoi il n’y a pas de bassiste ?
On a fait quelques concerts avec David Fauroux, un bassiste du Puy mais pour des raisons financières on joue à quatre . De plus, je fais pas mal de basses au piano.
Tu ne rêverais pas d’enregistrer avec un orchestre à cordes ?
(Rires) Tu as tout deviné ! J’ai travaillé sur le dernier album avec une musicienne classique mais aujourd’hui on peut se débrouiller avec des samples qui sonnent pas mal. Ce serait mieux avec un vrai orchestre mais c’est une question de moyens…
Tu es un fan de l’organique ?
Oui et j’ai intégré depuis longtemps les samples dans ma musique. J’aime bien les sons un peu barrés. Il y en a chez Da Capo. J’utilise beaucoup l’informatique musicale que je trouve de plus en plus riche et passionnante.
Si tu avais l’occasion tu ferais plus de la musique à l’image, comme un ciné concert ?
Oui, j’y ai déjà réfléchi et c’est pas impossible que l’on fasse de la musique sur des images à l’avenir (en live, j’entends)
Vous avez joué depuis la sortie de l’album ?
Pas encore, je gère beaucoup de choses et ça prend du temps de chercher des concerts. Maintenant qu’on a une chargée de diffusion, ça va aller mieux. On a quelques dates qui arrivent dont une au Puy chez nous le 15 juin.
Tu l’as fait tout seul cet album ?
Je l’ai fait à la maison en Home Studio parce que je pense qu’avec les années j’ai pas mal progressé. Je me suis fait aider pour le mastering par Yves Roussel qui est à Barcelone et avec qui je travaille depuis longtemps. Il fait un gros travail en reprenant des voix, des batteries… Concrètement, j’enregistre les parties de piano, samples et guitares rythmiques. Ensuite, les musiciens viennent à tour de rôle pour faire leurs parties.
Quels sont tes projets ?
J’ai déjà des morceaux pour le prochain disque. Comme toujours, je vais essayer de trouver un label pour avoir plus de visibilité. Je voudrais composer plus de musiques à l’image mais c’est un milieu difficile à pénétrer.
Peut-on espérer un jour un album solo d’Alexandre Paugam ?
Les disques de Da Capo s’en approchent. Je suis libre artistiquement. Mon frère, qui fait de la musique sous son nom, est dans la même situation que moi : il fait la musique qu’il veut ! Si, c’était sous mon nom, il me faudrait de la même manière l’intervention de musiciens extérieurs. Quel que soit le projet, on a besoin d’autres musiciens et je suis reconnaissant à Cédric, Sylvain et Hariz d’apporter leur pierre à l’édifice.
Le mot de la fin ?
Pas très optimiste quant à l’évolution musicale dans le monde et particulièrement en France. On est dans un appauvrissement de la musique sur les ondes nationales et une absence totale de diversité dans les grands festivals. Il n’y a qu’à regarder la programmation dans les grands festivals de l’été : toujours les mêmes têtes et pas la moindre prise de risque. En résumé, quelques gros qui se gavent et les autres qui se contentent des miettes.
Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’emmener vers la musique ?
Je fais de l’éveil musical dans les écoles avec les enfants. Je leur fais chanter de la pop anglaise et je peux te dire que les Beatles, ils adorent !
Pour répondre précisement à ta question, je leur ferais écouter « Le Carnaval des animaux » de Saint-Saens ou « Pierre et le Loup » de Prokoviev.