Vincent Schmitt : On s’est rencontrés au collège avec Frédéric, qui avait les cheveux super longs à l’époque : il avait un petit côté Roger Daltrey. On voulait monter un groupe. On a cherché un guitariste, on avait fait tous les deux quelques groupes au lycée sans vraiment grand intérêt. Il y a eu plusieurs formations et puis on a rencontré Éric et là, cela a vraiment commencé. C’était le vrai musicien du groupe, mais Frédéric et moi on s’accrochait : lui était dans une école de jazz et moi à l’école de batterie avec Daniel Humair à Marly-le-Roi. C’était devenu très vite un truc sérieux, bon on avait nos parents qui nous disaient : « passe ton bac d’abord ! »
Pourtant, l’un d’entre vous n’a pas eu son bac ?
Je ne sais plus… J’ai passé un bac A4, puis un bac C (équivalent S) en candidat libre que j’ai préparé en tournée, par défi !
Vous étiez où ?
À Jouy-le-Moutier, à côté de Pontoise, où mes parents avaient une grande maison. Mais on était tous au Lycée à Pontoise. On répétait dans une cave à vins chez mes parents, un endroit capitonné avec un grand drapeau français derrière la batterie ! C’était vers 1976, 1977…
Vous écoutiez quoi ?
Au début les Stones et puis j’ai acheté « Anarchy in the Uk ». On l’a mis chez Frédéric et sa mère est rentrée dans la chambre en hurlant « arrête de crier ! » et elle est ressortie ! On s’est regardé et là on s’est dit : « voilà ce qu’il faut que l’on fasse ! » (Rires !)
Vous aviez beaucoup écouté les Jam ?
Ouais, « In the city », mais beaucoup d’autres choses aussi, à partir de ce moment là : la référence, c’était « Pogo » l’émission de radio d’Alain Maneval où l’on écoutait tout ça !
Alain Maneval qui vous a toujours soutenu ?
Oui, on avait même un morceau qui s’appelait « Maneval on est fou de toi ! », mais il n’a pas été retenu pour l’album. Alain et moi on en a été un peu dépités, mais on avait l’occasion de le jouer pratiquement à chaque concert !
Le premier concert c’est quand ?
Place des Moineaux à Pontoise avec « Shakin Street » en vedette et plein de groupes avec nous !
Mathieu Lecuyer : J’étais à ce concert : c’était le délire ! Fredo a débarqué avec des palmes… Il y avait plein de tempos surmultipliés !
C’était la grande marque de fabrique de Blessed Virgins : l’énergie en concert !
Un journaliste avait écrit à l’époque : « Blessed Virgins, c’est le seul groupe que vous risquez réellement de vous prendre sur la gueule en allant les voir jouer » (rires) ! On avait des jacks très longs, ils avaient des jacks très longs plutôt… et moi je n’étais pas souvent derrière la batterie ! Mais ça c’est l’influence des Jam, je suppose, ou de Starshooter, Bijou… Bijou était incroyable : ils arpentaient la scène avec une assurance ! J’aimais le rock pour l’énergie et tous les groupes qui manquaient d’énergie ne m’intéressaient pas ! Par exemple, j’ai mis beaucoup de temps à écouter Marquis de Sade ! C’est quand j’ai arrêté Blessed Virgins que j’ai commencé à écouter ces autres groupes. Pour moi, ce qu’il fallait c’était de la hargne et de l’énergie !
Il y a eu beaucoup de concerts ?
Oui beaucoup et puis rapidement, on a signé avec CBS.
Comment avez-vous signé ?
Ça, c’est un truc de fou. Il y avait Maneval bien sûr, mais la personne qui a tout déclenché c’est Michèle Abraham qui avait une émission sur Europe 1 le dimanche soir ! On voulait à tout prix lui faire connaitre ce que l’on faisait. Donc on s’est dit qu’on allait prendre des banderoles, des autocollants et des cassettes que l’on avait faites sur le Revox, et qu’on allait la kidnapper dans la rue, lui bander les yeux, lui chanter des chansons de Blessed Virgins et l’abandonner en lui laissant des K7 dans la poche ! Je vous jure que c’est vrai !
(Rires) Et alors ?
Bon au moment d’y aller je me dégonfle, les autres me poussent et puis finalement ils y vont ! Il y en a un qui attend que Michèle sorte, qui la suit, la pousse dans la ruelle et là elle s’est dit « je suis morte » ! Ils font exactement ce qu’on avait dit ! Finalement elle est rentrée chez elle (après avoir eu la trouille de sa vie), elle a sorti la cassette et elle dit à son mec « tu ne devineras jamais ce qui m’est arrivé » et là, je vous jure, on ne savait pas que le mec en question c’était Alain Levy, le président de CBS, qui a écouté la cassette et qui a dit « je veux voir ce groupe dans mon bureau demain matin ! »
(Rires) Énorme !
Attends la suite ! Le lendemain, on arrive là-bas fier comme des coqs et on annonce à l’accueil on a rendez-vous avec Alain Levy. La fille à l’accueil, elle n’a même pas passé le message. On a attendu une heure et demie et finalement Levy a appelé en hurlant « ils est où le groupe avec qui j’ai rendez-vous ?! » (Rires.) Je me rappelle on attendait avec Nino Ferrer, on a pris l’ascenseur en lui disant : « salut Nino, bon courage » (rires). On s’est retrouvé dans ce bureau avec Alain Levy qui nous regardait en nous disant : « Qu’est-ce que vous voulez ? Parce qu’hier, exceptionnellement, Michèle n’était pas accompagnée de mon garde du corps ! » Et là il appelle un mec immense, baraque et moustachu et il lui dit « je te présente les Blessed Virgins » (énormes rires). Bon, ça c’est resté (rires.)
On peut le raconter ?
Oui, bien sûr, mais ce que je voudrais dire c’est que quand tu vis un truc pareil, sur le coup pour toi c’est normal ! C’est plutôt drôle : Michèle ne nous en voulait pas du tout !
Et là il vous signe ?
Oui parce qu’en plus, il y avait Maneval que je harcelais toutes les nuits au téléphone à la radio dans le dos de ma mère ! On signe alors chez Epic qui était là pour les groupes français avec Trust notamment et Alain Levy nous a présenté Patrice Fabien qui était le producteur d’A 3 dans les WC et de Edith Nylon, et qui nous a produit à notre tour à Londres.
À Londres ?
D’abord à Super Bear près de Nice, où on a rencontré Dauga (ndrl : bassiste de Bijou) notamment ! On a fait « Échec aux dames » là-bas qui est sorti en mai 1981. Le slogan c’était : « AC/DC en 78 tours ! » (rires.) Il fallait écouter comment jouait Éric : c’était super rapide. On avait aussi un slogan qui était « plus rusé que Dalida ». On faisait des campagnes dans notre lycée tous les six mois.
Vous tourniez beaucoup en banlieue ?
Oui beaucoup près de chez nous ! Encore un slogan : « Mondialement connus dans le Val d’Oise »
Il y a eu une première partie de U2 au Palace en février 1981 ?
Une catastrophe ! Des ordures totales : on a eu des problèmes avec notre ampli de basse, donc on est allés dans leur loge demander poliment s’ils pouvaient nous prêter le leur. Bono, sans nous regarder, nous a dit oui et quand on est monté sur scène, l’ampli était débranché et inaccessible : on a joué sans basse ! Quand j’entends Bono parler d’humanisme… Et pourtant ce n’était pas des stars à l’époque ! On était fasciné par leur sono, c’était plein de petits cubes !
Vous aviez déjà Patrick Delamarre comme manager ?
Oui, il a été là très tôt ! Je ne sais plus comment on l’a rencontré…
M.L. : L’homme à la Delsey et au perfecto (rires.)
Et ensuite, l’album ?
D’abord on fait des tournées : avec le 45 t c’était beaucoup plus facile ! On a fait pas mal de premières parties notamment Starshooter qui étaient adorables. Pour te dire l’ambiance, un jour j’étais chez Epic et je croise Levy qui me montre son Libération (le journal Ndlr) avec un immense placard « Starshooter en concert » en gros dans la page et en petit, tout en bas, « première partie Blessed Virgins ». Il était là : « tu as vu, hein ? », moi je lui réponds « on est en tout petit ». Il s’en va sans rien dire ! Et le lendemain, il me sort le Libé du jour et là il y avait « Blessed Virgins » en gros et en tout petit il y avait Starshooter ! Il me regarde et il me dit : « ça te va ? ». Imagine un mec qui ferait ça aujourd’hui (rires.) Alain Levy était comme ça avec les groupes !
Patrice Fabien aussi c’est une belle rencontre ?
Oui, bien sûr, mais il a commencé à raconter des trucs bizarres : comment on devait se saper, ce genre de choses ! Après, à Londres, il nous emmenait dans des magasins et on était pas du tout branché par tout ça !
Pourtant vous avez fait des choses à Londres ?
On a vu des concerts, on est allé à Kensington et on habitait dans le même immeuble que Polnareff… Qu’est-ce qu’on rigolait ! Tu imagines, on sortait de notre banlieue…
Vous en viviez à l’époque ?
Non, on était tous chez nos parents, on se posait pas trop la question, on voulait juste ne pas bosser. Il faut dire que la signature est arrivée super vite et donc nos parents qui se posaient des questions étaient super rassurés : on a fait un disque très vite !
Vous êtes passés à la télé pendant l’enregistrement à Londres ?
Oui, dans « Mégahertz », l’émission d’Alain Maneval, toujours lui… C’était une émission sur les groupes français à Londres. Avec nous dans le studio il y avait DKP !
Arrive l’album qui a été réédité trois fois depuis trente ans et il y a LE titre de « Blessed Virgins » : « Jean-Pascal et la France ». C’est qui Jean-Pascal ?
Il existe : c’était le batteur d’Aspirine ! À la base c’est le groupe du petit frère de Frédéric (bassiste lui aussi) ! Ils s’étaient dit « ils y arrivent, pourquoi pas nous ? », mais ils avaient huit / neuf ans ! Ils étaient minuscules et le batteur c’était Jean-Pascal. Ils faisaient nos premières parties avec notre matériel, donc les gens qui ne savaient qu’il y avait une première partie voyaient arriver ces mômes avec un batteur dont on ne voyait rien parce qu’il était plus petit que la batterie (rires.) Mais attention, ça jouait ! Et Jean-Pascal me fascinait : il ne disait rien, totalement secret !
Tu as dit à l’époque que c’était une critique des lycées ?
J’en disais déjà des conneries à l’époque…
Vous aviez des textes à la fois inquiets, mais aussi plein d’énergie, vous aviez un vrai équilibre ?
Ça s’est beaucoup dit à l’époque ! Cela vient sans doute de Charles Trenet que j’ai beaucoup écouté à la maison : il a des textes super sombres, mais il a une musique qui donne la pêche.
M. L. : Vous avez beaucoup tiré sur le fil Trenet quand même et on a continué après ! Ça donnait une dimension.
Je ne sais pas si on a tiré le fil, c’était totalement inconscient ! D’ailleurs, j’ai commencé à écrire les textes et au début c’était foutraque ! C’est après que cela s’est un peu amélioré… enfin, pas beaucoup !
Tu as écrit tous les textes de l’album ?
Il y en qu’une que je n’ai pas écrit : « Transit de choc ».
Et derrière il y a eu une grosse tournée ?
Énorme tournée avec l’Olympia à la fin pour le festival « Rock d’ici », on a fait aussi les Trans Musicales de Rennes, ce genre de festivals ! On avait des dates tous les deux ou trois jours !
L’album a bien marché ?
13 000 ventes, c’était pas terrible, mais Alain Levy nous a consolés en nous montrant les chiffres de vente du premier album de Police. Nous on était déçus : on n’était pas disque d’or avec ce que nous avions fait ! (Rires)
Et pourtant Jean-Pascal tourne beaucoup en radio et vous allez aussi à la télévision ?
Oui, les radios libres nous ont beaucoup programmés. On est passé chez Jacky à Platine 45, chez Danièle Gilbert avec Adamo en parrain (rires)… En tout cas, tout Pontoise s’est mobilisé pour nous ! Ils appelaient pour le hit-parade…
Vous préparez ensuite un deuxième album et là, tu quittes le groupe ?
On a commencé à enregistrer des maquettes et à ce moment-là, j’en avais ras-le-bol. Il y a plusieurs raisons : Frédéric, et c’était légitime, voulait écrire les textes, et c’est ce qui me plaisait le plus : écrire ! Jouer de la batterie, ça va un temps ! (clin d’œil avec Mathieu.)
Tu te considérais comme un bon batteur ?
Non, pas du tout ! Il y avait un morceau qui a beaucoup compté pour moi c’était « Teenage Fever » des Dogs, je voulais jouer aussi vite que le batteur, et quand je l’ai rencontré trois ans après en Normandie, il m’a dit : « c’est marrant quand j’ai enregistré ce morceau, je suis tombé en syncope » (rires.) C’est ahurissant, il jouait à toute vitesse…
Quelles sont les autres raisons pour lesquelles tu pars ?
On venait de finir la tournée de Téléphone, ça n’a rien à voir avec eux, mais pendant cette tournée je me suis dit qu’il y a un âge pour chanter des choses qui a un rapport avec le public et quand ce rapport est cassé, ça devient compliqué pour moi : j’étais trop vieux pour jouer ces morceaux ! Je sentais qu’il y avait un truc qui n’allait plus et en plus quand tu es à trois dans un groupe, tu as une pression supplémentaire ! C’est un truc de cinglés : au bout de 500 km quand il y en a un qui tousse les deux autres disent : « pourquoi il tousse ? ».
Tu pars comment ?
Je ne sais plus… Peu de temps avant, on avait joué à Créteil, dans la petite salle du théâtre et en attendant le concert, je suis allé dans la grande salle où ils jouaient « les Trois Mousquetaires » mis en scène par Maréchal : j’ai trainé dans les loges, rencontré les cascadeurs, (avec lesquels j’ai travaillé plus tard), les costumes… Les acteurs m’ont fait monter sur le plateau et là, j’ai su que je ne pourrais plus m’en passer. J’ai appris des répliques et j’ai commencé les cours, le conservatoire et les auditions et j’y suis toujours sur les plateaux de théâtre !
Et les autres, ils ont réagi comment ?
Ça a été assez violent ! Ils savaient que je n’en pouvais plus, je me mettais à l’écart de plus en plus et un jour je leur dis : « je pars ». Ils ont été obligés d’accepter ma décision ! J’ai donné rendez-vous à Patrice Fabien et à notre manager qui ne sont pas venus ! Je suis allé tout seul voir Alain Levy qui m’a juste dit : « c’est dommage tu es un super batteur ». Il n’a pas cherché à me retenir, en même temps, comment tu veux retenir un musicien qui veut arrêter !
Tu les as revus après ?
Oui bien sûr ! J’ai lu tout récemment dans les Inrocks que Frédéric m’en aurait beaucoup voulu, qu’il avait écrit « les lâches » pour moi ! Ironie de l’histoire, il ne m’en a jamais rien dit en face ! Tout cela n’est pas bien grave. Après, je suis allé les voir en concert pour l’enregistrement du live.
M. L. : On avait discuté, tu m’avais félicité pour mon jeu de batterie !
Depuis tu es acteur ?
Oui, Théâtre, cinéma, radio, Shakespeare, Koltès, Brecht et Sénèque !… Je pense juste que je suis parti au bon moment ! Mais Blessed Virgins reste un super souvenir !