Bad Juice : « amour noir », rencontre avec un groupe qui vient de sortir un album d’exception

lundi 13 mai 2024, par Franco Onweb

Et voilà que nous arrive de Strasbourg, l’immense bonne surprise de ce printemps, et peut-être de l’année ! J’ai nommé Bad Juice, le duo strasbourgeois et leur album « amour noir » qui est juste une immense réussite ! Formé autour de deux frères, David et Thomas, ce duo guitare-batterie a déjà sorti deux albums de bonne facture et qui laissait présager de bonnes choses pour ce troisième album, mais le résultat est au-dessus de toutes nos espérances.

Voici un groupe qui a réussi à manier le vintage avec la modernité avec une assurance… tranquille ! On se croirait dans la bande son d’un film de Quentin Tarantino. La réussite de ce projet doit beaucoup à Gemma Ray, chanteuse anglaise, établie à Berlin et qui a su réaliser ce disque avec tout son talent en offrant au groupe un écrin parfait pour leurs titres. Ce disque est immense et pour en savoir plus, j’ai discuté avec David, le chanteur-batteur d’un groupe qui vient de sortir un album que vous allez adorer !

Peux-tu présenter le groupe ?

On est un duo de rock et on a la particularité d’être frères. On joue de la musique ensemble depuis le lycée, d’abord dans ma chambre…. Ce qui a causé beaucoup de soucis de voisinage à nos parents. On a ensuite voulu faire de la scène quand je suis arrivé à la fac, mon frère était encore au lycée. On a intégré un premier groupe et depuis on ne s’est jamais arrêtés. Ça fait à peu près trente ans (rires). Il y a 10 ans, on était quatre dans un groupe de Garage, The Swamp, et pour diverses raisons, on ne jouait plus trop alors avec Tom, mon frère, on a décidé de continuer tous les deux, ce qui s’est avéré beaucoup plus simple.

Bad Juice, Thomas et David
Crédit : Philippe Mazzoni

Vous avez fait quoi ?

On a fait un duo guitare, batterie-chant et comme à l’époque, Tom, mon frère avait une énorme passion pour le rockabilly. On a essayé de retrouver cet esprit en costume-cravate à deux sur scène comme à la fin des années 50. Ca a un peu évolué parce que quand tu joues ce style à deux tu tournes vite un peu en rond. On a commencé par sortir deux 45t. On a fait un premier album assez Garage et puis un deuxième un peu plus produit avec une collection de chansons dans différents styles rock’n’roll.

Et pour la suite ?

On a voulu sortir un troisième disque mais on voulait faire de la Soul. On a commencé à écrire dans ce sens et on n’a pas du tout réussi (rires). Ce n’est pas ça du tout qui en est sorti ! En fait je pense que c’est compliqué de faire de la vraie bonne Soul quand tu n’es pas américain et donc on fait un disque de pop qui a des parfums de Soul. On a réussi travailler avec une chanteuse anglaise que l’on aime beaucoup, Gemma Ray, qui a réalisé le disque, et ça a donné notre nouvel album « Amour Noir ». C’était super à faire.

Il vient d’où votre nom Bad Juice ?

C’est un hommage aux bootleggers américains qui faisaient du mauvais alcool (rires), de l’alcool de contrebande dans le sud des USA.

Quand on écoute votre disque, on est étonné de la qualité du son et de votre musique qui est bien loin d’un disque que l’on attend d’un duo guitare batterie
 !
Pour être honnête, on est sept à jouer sur le disque : on a emmené des copains de Strasbourg pour jouer dessus, Zeynep Kaya-Beraud aux chœurs et Nick Wernert à la basse. On avait aussi des personnes sur place, notamment Gemma qui fait plein de chœurs, joue de la guitare et des claviers.

Vous l’avez fait où ce disque ?

A Berlin, au Candy Bomber Studio, qui se trouve dans l’ancien aéroport de Berlin qui est maintenant désaffecté et qui a servi pendant la guerre froide au pont aérien mis en place par les Américains avec leurs avions qu’on surnommait justement les Candy Bombers, les « Bombardiers de Bonbons ». C’est un lieu où il y a plein de choses : des studios mais aussi des locaux de répétitions ou des ateliers d’artistes.

Pourquoi êtes-vous allés là-bas ?

Gemma habite à Berlin et elle avait ses entrées dans ce studio très cool où Nick Cave a enregistré, mais aussi les Damned… On se sentait super bien là-bas.

Le Candy Bomber Studio de Berlin
Droits réservés

Sur le disque vous avez un morceau très rock : Cockroach. Il est produit assez brut, il dénote du reste de l’album.

C’est le seul morceau que nous n’avons pas fait avec elle. On l’a écrit avec Tristan Thil, un ami membre de notre ancien groupe et qui jouait de la basse sur nos albums précédents. Il est réalisateur de films documentaires et il avait besoin d’un morceau dans le style des Animals pour un de ses génériques. On l’a mise sur le disque et c’est une forme de clin d’œil pour nos albums précédents qui sont très Garage Rock. C’est d’ailleurs lui qui a réalisé la pochette de Amour Noir.

Vous avez un son très américain, il n’y a rien d’anglais ! Pour moi votre grosse influence sur ce disque c’est Johnny Cash !

(Rires) Oui, surtout moi, je suis hyper fan de Johnny Cash. Mais quand on a écrit le disque on voulait faire de la Soul avec des chœurs féminins parce qu’on adore les Girls Groupes comme les Ronettes ou les Suprêmes.

Votre son est très Phil Spector d’ailleurs !

Oui, c’était vraiment l’envie de Gemma et on s’est retrouvés dans cette idée. L’écriture des morceaux ce ne sont que des morceaux de Soul ratés (rires). On ne sonne pas anglais mais on avait quand même pas mal les Beatles en tête, même si le groupe qui nous a le plus influencés pour ce disque est en réalité les Pixies… même si cela ne s’entend pas forcément tout de suite.

Gemma Ray
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C’est étonnant comme références !

Si tu écoutais les maquettes tu comprendrais mieux : il y avait beaucoup de cassures et de dissonances. Gemma ne voulait pas nous enregistrer comme un groupe de rock. Elle voulait faire une orchestration avec la guitare et la voix au centre. La batterie par exemple est plus vue comme des percussions. Il y avait beaucoup d’idées comme ça… C’est la première fois que j’enregistre la batterie après les autres instruments. D’habitude tu fais d’abord les rythmiques et ensuite le reste. Mais il y aussi un morceau qui s’appelle « Since You’ve Been Gone » qu’on a enregistré à l’ancienne tous ensemble, comme un groupe de bal (rires) et en plus ce n’est pas moi qui chante. En fait, on suivait pas mal les indications de Gemma.

Est-ce que c’est parce que ce n’est pas toi qui chantes mais Zeynep Kaya, que le morceau est un morceau de Soul ?

Zeyneb est une chanteuse turque incroyable que j’adore ! A la base je devais faire le lead et mon frère a insisté pour que ce soit elle qui la chante alors qu’elle ne devait faire que les chœurs. C’est un des rares morceaux que l’on a réussi à faire en Soul music. Elle est vraiment très forte et franchement jamais je n’aurais réussi à la faire comme elle.

Vous avez un côté Amy Winehouse avec ce côté à mélanger le vintage et le moderne !

C’est un très beau compliment ! Je comprends ce que tu veux dire.

Vous avez un côté passéiste mais aussi très moderne : vous vous servez de votre culture, un peu vintage, pour faire quelque chose de très moderne mais qui n’est pas passéiste !

Merci, mais on travaille comme ça parce qu’on puise autant dans le passé que dans le présent. En fait on ne cherche à imiter personne. On essaye juste de faire quelque chose d’un peu intelligent (rires). Nous avons été très bien guidés et il y a eu un très gros travail en amont. On a passé un an à cause, ou grâce, au Covid, enfermés chez nous à faire des maquettes, à proposer des trucs à Gemma, à avoir de longues conversations sur la production… C’était assez marrant mais c’est la première fois qu’on a pris le temps de réfléchir autant. A la base, tu écris des morceaux et puis tu vas en studio, avec ou sans producteur. Ça a été très pensé avant !

C’est un album qui est pour le « grand public » et qui est assez intemporel avec une production, notamment sur le son qui est incroyable !

C’est difficile pour moi de le commenter mais c’est ce que nous avions vraiment envie de faire.

Vous écrivez à deux ?

C’est mon frère Thomas qui fait la musique à 90% et moi à 90% les textes. Ça arrive que l’on mélange des choses. Il arrive parfois avec une mélodie sur laquelle il a mis du yaourt et on travaille ensemble ou au contraire, je trouve un texte et il compose dessus. Mais à la fin, on finit à deux pour la finalisation du morceau.

Bad Juice en concert
Crédit : Maxime Steckle

Ils parlent de quoi tes textes en général ?

Le tout premier album parlait de sexe, je ne sais pas pourquoi (rires). Le deuxième album, même si ce n’était pas un concept album, évoquait énormément les USA. Il y avait des morceaux de boogie, de blues… et les textes parlaient un peu de l’actualité américaine. Pour le dernier album, c’est plutôt sombre. C’est lié à ma vie et à mon quotidien. Sur le fait que des êtres te manquent. C’est un album qui a été composé pendant le confinement, même s’il n’en parle pas (rires).

Tu as composé des titres pendant le Covid ?

Oui, « Dark Train » par exemple a été composé pendant le confinement.

Qui est une des grandes réussites de l’album !

J’avais écrit le texte et Tom a composé la musique. La première version a été enregistrée pendant le confinement, à distance. Il est passé sur le site de Rolling Stone qui postait des morceaux composés pendant cette période spéciale. On l’a entièrement refait à Berlin avec Gemma dans une nouvelle production.

Il y a un côté Ennio Morricone !

Oui, avec la voix qui double la guitare.

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C’était une volonté de votre part d’ouvrir l’album avec « Amour Noir », un morceau très rock avec une grosse guitare.

Faire un ordre de chansons pour un disque est, généralement, très compliqué. Là cela nous paraissait bien de commencer avec celui-là, avec ce son de guitare qui pose les bases.

Avec un album aussi produit, cela va se passer comment sur scène ?

C’est un peu difficile ! On va faire quelques concerts à deux prochainement et franchement on a dû beaucoup réarranger. Ça va sonner plus rock, sans bassiste… Quand tu as un album aussi produit, ce qui est un peu dur, c’est d’intégrer les nouveaux morceaux aux anciens pour les concerts. Nos premiers morceaux sonnent très Garage. On a essayé de garder l’esprit des morceaux en les adaptant. S’il fallait que l’on sonne comme sur le disque on devrait être six !

Mais le public qui va écouter le disque risque d’avoir un petit choc en vous voyant sur scène ?

C’est sûr, mais pour les concerts de la sortie de l’album on sera quatre avec un bassiste et un clavier. Il faut aussi dire que ce que l’on va écouter sur scène ce n’est pas l’album ! Il y aura des moments minimalistes et c’est tant mieux. Tom a des effets avec sa guitare qui sonnent bien et le résultat est plutôt réussi. On a réussi à faire quelque chose de différent tout en gardant l’esprit.

Mais est ce que ce disque ne serait pas juste de la pop ?

On adore la pop culture et ça me va si on me dit que c’est de la pop, même si cela ne veut plus dire grand-chose en 2024. Mais finalement je ne crois pas que ce soit juste de la pop.

Crédit : Philippe Mazzoni

Ne serait-ce pas vivre dans son époque pour donner du sens à des choses populaires ?

Si, bien sûr, je pense que l’on s’inscrit dans un patrimoine. On n’invente pas la musique mais on a essayé de l’adapter à notre époque. On fait de la musique en 2024 mais avec des références des années 50 ou 60… Tu m’as dit que tu n’entendais pas l’Angleterre dans notre musique mais on est des grands fans de Radiohead et cela peut un peu s’entendre même si Bad Juice a les yeux rivés vers l’Amérique.

Vous avez joué où ?

On a joué à Paris, à Lyon, à Lorient, au Havre, beaucoup autour de chez nous…. On n’est pas beaucoup allé très au Sud. On a joué en Suisse aussi et bien sûr en Allemagne avec The Courettes. On a failli jouer à Berlin alors qu’on était en studio là-bas mais ça s’est avéré un peu compliqué. C’est aussi plus difficile de tourner depuis la pandémie. Ça reprend un peu mais on a tous pâti de la situation….

Crédit : Thomas Llouka

Vous avez joué où à Paris ?

La Boule Noire, à L’Olympic Café, au Point Ephémère… On a fait quelques bonnes salles… On vient tout juste de jouer dans un Trabendo plein à craquer avec les Howlin’ Jaws.

C’est quoi vos projets ?

Une tournée, on espère avant la fin de l’année pour défendre l’album. On a déjà écrit les deux tiers du prochain album et on commence à réfléchir à sa production. Avec qui on a envie de le faire. Où on va l’enregistrer…

Vous savez où vous allez aller musicalement ?

Notre album et le travail que l’on a fait dessus a laissé des traces et maintenant quand on fait un morceau on essaye de faire quelque chose d’intelligent et d’élaboré… moins pop et plus direct, tout en restant accessible !

Crédit : Thomas Llouka

Vous allez retravailler avec Gemma Ray ?

Je ne sais pas. Pour cet album nos univers ont très bien marché et là je ne sais pas comment elle appréhenderait nos nouveaux morceaux. En plus elle est très prise par ses obligations familiales : elle était enceinte de sa deuxième fille quand on a enregistré.

Pourriez-vous jouer avec elle ?

On en rêverait mais elle ne tourne plus pour les raisons que je viens d’évoquer. Elle joue sur le disque de la guitare et fait des chœurs et il y aurait une certaine logique mais ce n’est pas à l’ordre du jour.

Vous pourriez produire vos disques vous-mêmes ?

On l’a fait sur le premier album même si ce n’était pas très produit. Mon frère en a envie et on en parle. Moi, j’aime bien l’idée d’avoir une personne extérieure qui a des idées auxquelles nous ne penserions pas. En plus j’aime bien le principe de la rencontre avec quelqu’un, qui nous apporte des choses. On a beaucoup appris avec Gemma et j’ai été très impressionnée par sa façon de travailler, de sublimer les morceaux.

On peut espérer cette formation à six pour l’album ?

Cela me parait très compliqué : la claviériste habite à Berlin par exemple. C’était un groupe très international sur le disque avec une turque, un allemand, des anglais et trois français (rires).

Vous sortez sur Twisted Soul Records

Oui, c’est une signature assez récente. Thierry (Baron NDLR) est un fan de musique qui sort des disques qu’il aime et c’est un amoureux de la musique. Il fait des bons choix d’investissements. Notamment en rééditant nos deux premiers albums. Pour nous c’est très positif un label comme ça !

Crédit : Philippe Mazzoni

Le mot de la fin ?

Je rêve que les gens aillent découvrir eux même notre disque et que ce ne soit pas les algorithmes qui décident. Personnellement j’aime l’idée d’aller chez un disquaire et de flâner, d’être conseillé… Que ce ne soit pas un ordinateur qui décide et que cela crée des liens. Je crois que notre album parle aussi un peu de ça. J’espère qu’il va trouver son public.

Ton disque est un disque de fans pour fans ?

(Rires) je n’espère pas ! Pour moi c’est surtout un disque qui a été fait par des gens qui aiment la musique pour des gens qui aiment la musique !

https://www.twistedsoulrecords.com/
https://www.facebook.com/badjuice2menband