Je suis Adrien Tréchot. Je travaille depuis longtemps dans l’édition de livres plus particulièrement dans sa production et sa diffusion. Passionné, j’ai créé une petite maison d’édition BBD Editions qui a publié trois ouvrages principalement autour du vin et de l’environnement (des thèmes qui me sont chers).
Quelles vont être les conséquences de la crise pour toi ?
Aujourd’hui on ne vend plus aucuns ouvrages ! Les librairies sont fermées et la chaine du livre a complétement déraillé le 16 mars.
Qu’est-ce que cela a comme conséquences ?
Ma trésorerie est entièrement dans les librairies et dans les stocks chez mon distributeur. Les nouveautés d’avril n’ont pas pu être mises en vente. La trésorerie est un soucis majeure mais aussi les prévisions de rentrée après déconfinement. Les perspectives sont clairement très mauvaises. Tout ce qui était prévu pour les sorties en mars et avril et même mai tombent à l’eau. Sortir un livre aujourd’hui, c’est imprimer sans pouvoir vendre.
Tu n’es pas un cas isolé ?
Absolument pas, même si les librairies ont commencé à revendre des livres au compte-gouttes grâce à des systèmes « click and collect » tout le monde est bloqué. Des gros groupes, comme Hachette-Livre ou Madrigal en France, sont évidemment mieux armés pour supporter la crise que de petites structures jeunes comme la mienne. Après tout le monde est dans la même crise, on parle de centaine voir de milliers de livres qui sont bloqués. Je viens de m’intéresser, avec mon distributeur, à ce qui va se passer après. On s’aperçoit que il va y avoir un énorme embouteillage dans les librairies. La machine ne va pas se remettre en route comme ça et les conséquences vont être très lourdes pour la filière.
On peut encore commander des livres par la Poste ?
Il y a des ventes qui se sont faites via mon site internet. J’ai reçu quelques commandes que j’ai pu honorer et j’invite tout le monde à passer commande d’ouvrages à distance principalement aux libraires avec l’application « click and collect » . Il faut commencer à vider les librairies. Ce n’est pas le moment de casser la chaine. Nous devons tous travailler à relancer l’économie du livre.
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Les études montrent que les gens ont assez peu lu durant cette crise ?
Oui, l’information immédiate est privilégiée. Ce sont les médias via internet qui sont mis en avant. De plus le « livre » a du mal avec le numérique et internet. C’est un secteur très conservateur qui a toujours eu peur d’avancer dans le sens du numérique. La conséquence est une offre numérique aujourd’hui hyper faible et hors de prix. Ce ralentissement s’est toujours fait clairement au profit de la conservation du livre papier.
Justement le numérique est le grand gagnant de cette crise que ce soit en musique ou pour les films et séries. Quelle va être l’importance du numérique après dans le livre ?
C’est une bouée de sauvetage ! Il y a une explosion de la consommation en numérique pour les produits culturels. Le livre a toujours refusé le numérique et va probablement continué à le refuser pour le monde d’après. Il va pourtant falloir accepter de changer en profondeur.
Tu penses que le livre va continuer à être en papier et que le numérique ne va pas être plus important ?
Malheureusement oui ! On aurait tout à gagner à avoir une offre claire, attractive et une accessibilité de contenu en numérique. On pourrait respecter la vente traditionnelle avec les libraires mais on pourrait développer également des offres vraiment intéressantes avec par exemple des abonnements à des bibliothèques de livres numériques…
Mais ça existe ?
Les gros éditeurs freinent beaucoup pour que cela n’existe pas !
Oui mais certaines bibliothèques le font déjà, notamment à Paris …
As-tu déjà eu accès à ça ? Moi non ! C’est tellement compliqué que 99% des gens ne sont pas au courant et n’y vont pas et donc de mon point de vue une offre grand publique n’existe pas !
Pour toi les conséquences de cette crise vont être des dépôts de bilan dans ton secteur ?
Oh oui ! Il va y en avoir beaucoup malheureusement ! Et principalement des petites structures. Maintenant je pense qu’un éditeur dans sa vie frôle des dizaines de fois la mort. C’est un métier où nous sommes constamment confronté à ce risque. Nous survivrons à la pandémie.
(Droits réservés)
Mais quelles pourraient être les solutions ?
Il y a deux grands axes pour moi. Le premier c’est le développement et la diffusion du livre au plus près de la demande avec un système d’impression à la demande des livres. Aujourd’hui on a un système qui fait que il y a une surproduction évidente. Des milliers de livres qui sortent en même temps et qui n’ont aucune visibilités. Ils sont imprimés à des milliers d’exemplaires parfois à de dizaine de milliers de kilomètres pour être détruit parfois jusqu’à 80 %. C’est ce qu’on appelle le pilon. Il y a également un système financier qui s’appelle « l’Office » qui a pris le pas. Il s’agit de vente d’office (imposées) aux libraires. Par ce biais les groupes d’éditions sont devenus les banquiers de toute la chaine. Encore une fois un système qui serait plus raisonnable serait un système de disponibilité à la demande des ouvrages. Il faudrait revoir cette disponibilité des ouvrages, non pas en continuant à produire des milliers et des milliers d’ouvrages pour avoir la plus grosse place sur les tables des librairies mais travailler à rendre disponible la totalité des catalogues à la demande. Donc rapprocher l’édition du consommateur !
Mais ça le numérique peut le faire ?
Tout à fait ! Le numérique dans tous les sens du terme est une véritable opportunité pour l’édition.
Et quelle est la deuxième chose à faire pour toi ?
C’est la disponibilité sur internet des livres avec des offres plus attractives que le papier comme celles qui sont nées dans la musique ou la vidéo avec des systèmes d’abonnement.
Mais cette crise va permettre, peut-être, à une génération d’auteurs d’apparaitre mais aussi à une autre de disparaitre : on risque d’avoir une sorte de « balayage » ?
Je ne sais pas mais c’est le moment de se poser des questions sur notre chaine de valeurs pour la faire évoluer et suivre le monde de demain avec un monde plus apaisé et plus respectueux de l’environnement. On doit pouvoir fabriquer moins de livres en Chine par exemple. Nous avons la possibilité de relocaliser la production de nos ouvrages en France ou en Europe… C’est une occasion de se remettre en question sur nos pratiques qui nous amènent à notre perte.
C’est quoi tes projets ?
Redémarrer, continuer à sortir des ouvrages de façon réfléchie et qui font sens ! Et profiter de cet étrange moment que le monde a vécu ensemble pour changer durablement.
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