Peux-tu te présenter ?
Je suis Stéphane Perraux, un des fondateurs de l’association Lust 4 live que nous avons créée avec deux amis férus de musique. Suite à une précédente aventure rédactionnelle infructueuse, qui nous avait quand même mis le pied à l’étrier, nous avons eu envie de créer notre propre support pour parler librement de nos goûts en matière de musique en général. Même si nous ne venons pas exactement de ce monde-là, nous aimons et vivons avec la musique depuis notre adolescence en étant que spectateurs attentifs et j’oserais dire avertis. Pour ma part, j’ai toujours écouté beaucoup de musique et vu un grand nombre de concerts et forcément au bout de plusieurs années, ma culture est devenue plus exigeante et j’ai développé à ce moment-là une vraie obsession pour la musique.
Tu es peintre je crois ?
En effet je suis artiste peintre à mes heures perdues. Enfin j’ai pas mal de cordes à mon arc. Je fais plusieurs choses en même temps, ce qui pour certains, vu de l’extérieur, est déroutant. Mais bon je ne vis pas de ça, je suis graphiste de métier. Je m’adonne aussi à la photo (de concert principalement), j’aime aussi la BD et la littérature, j’écris un peu sur la musique… enfin j’essaie (rire)…
En réalité j’ai toujours été extrêmement sensible à l’art en général. Adolescent je me rêvais artiste peintre maudit ou rock star déchu à l’image des artistes que j’admirais sans modération. Je viens pourtant d’un milieu ouvrier où la culture était relativement inexistante. Hormis la TV et la radio, je n’avais pas accès à grand-chose. J’étais un enfant timide et rêveur et par déformation très solitaire, mais pas fils unique puisque j’ai un frère qui a deux ans de plus. Nous ne manquions de rien. Mes parents étaient très attentifs à notre épanouissement sans vraiment de limite. Aussi loin que je m’en souvienne j’ai toujours dessiné, je reproduisais mes héros de Bd en marge de mes cahiers d’écolier, ce qui avait pour effet de rendre dingue mes profs. Déjà que j’étais un cancre invétéré, cela n’arrangeais pas mon cas. Bref tu vois le tableau... La littérature SF, la BD, le cinéma aussi puis la musique a été une sorte d’exutoire permanent à la réalité. A le dire comme ça, ça semble triste mais bien au contraire j’étais un enfant plutôt joyeux, lorsque je sortais de ma bulle.
Pour répondre à ta question, c’est vers le début de l’adolescence que la peinture a pris un peu le pas sur le reste. Ma mère, me voyant reproduire non plus des Lucky Luke, Blueberry et autres héros Marvel mais des tableaux de Van Gogh ou de Modigliani, m’a inscrit au cours du soir des Beaux-arts. J’y suis resté un an sans réellement réussir à m’y sentir à l’aise. Il y avait une ambiance qui ne me correspondait pas, un entre-soi où je n’ai pas réussi à trouver ma place, je pense. Et comme j’étais fan des Cure, Bauhaus, Siouxsie et Smiths j’avais le look qui allait avec donc pas vraiment dans la même démarche esthétique que les autres… Pour moi le jeans bleu et les baskets blanches représentaient le sommet de la médiocrité (rire). La musique était toujours là et il ne fallait pas trop rigoler avec ça, voilà voilà… Après cette épisode catastrophique aux Beaux-arts et ne voulant pas rester sur un échec, j’ai pris des cours chez un artiste peintre, Pierre Roughol, qui ma donnée toutes les bases qui me manquaient et beaucoup plus encore. C’était un vrai père spirituel, qui au-delà de l’apprentissage de la peinture ma éveillé aussi à la poésie et à une littérature plus intellectuelle…
Voilà sans doute pourquoi aujourd’hui tout m’intéresse. Je n’ai pas de limite, sauf sur la pratique de la musique parce que je ne suis pas du tout musicien, je ne joue d’aucun instrument. J’ai bien essayé la guitare à 15, 16 ans et franchement le résultat n’était pas là. Il valait mieux pour tout le monde que je n’insiste pas (rire).
Le fait de venir de Rennes, ville importante musicalement, est-ce que cela a joué un rôle dans ton rapport à la musique ?
Rennes avait, et a toujours, une culture musicale très forte ! Je suis né à Rennes en 1970 et à 15, 16 ans tu imagines bien qu’il y avait des lieux partout avec des concerts presque tous les soirs. Et même quand j’ai fait mes études de graphiste en région Parisienne avec des amis, nous allions autant que possible dans des concerts et dans les musées. Bref, le rapport que j’ai à la musique vient donc probablement de Rennes. Quand tu es ado, cette ville est incroyable et ça a indéniablement joué sur mes goûts immodérés en la matière.
Tu fais partie des grands activistes culturels rennais : quel est ton credo ?
Activiste je ne dirais pas ça. Disons que notre asso essaie autant que possible de relayer la vie culturelle foisonnante et pas uniquement sur Rennes. Avec les autres membres de Lust 4 Live on ne parle que de ce qu’on aime, c’est une règle absolue. Pour autant il ne s’agit pas de dire que tout est parfait. Nous essayons d’avoir un point de vue aussi critique que possible. Le fait d’avoir vu beaucoup de groupes à Rennes et d’avoir mis un pied dans un support de communication me permet de discuter avec les musiciens. Avant le site je ne discutais pas vraiment avec eux, plutôt avec les spectateurs. Je n’avais pas de légitimité pour échanger avec les artistes mais à partir du moment où j’ai commencé à travailler sur un support, ça a changé les choses. J’ai affiné mon sens critique et cela a pris du sens de discuter avec eux et de leur faire des interviews. Certains artistes sont devenus des amis mais ce n’est pas parce que j’ai vu un mec quatre fois en concert que c’est mon pote.
Je te comprends totalement (rires) !
Je sais (rires) ! Si j’étais musicien dans un groupe, ce qui n’arrivera jamais, et qu’un mec venait me voir quarante fois en concerts je serai touché forcément mais il ne sera pas mon ami pour autant.
Quand est né Lust 4 Live et cette idée de développer l’art pour l’art ?
Le site est né en 2019, c’est assez récent donc. Cela existait avant mais il n’y avait pas de structure. En fait, le projet a vu le jour lors d’un concert de Republik, le groupe de Frank Darcel, où j’ai rencontré Claude Le Flohic qui travaillait déjà sur un autre support. On avait échangé ensemble. Nous avions des goûts en commun et de là est née l’idée. Attention, Lust 4 Live n’est pas un site rennais même si nous sommes sur le territoire rennais. Le travail, que nous développons, vient d’artistes que nous avons vu sur scène auparavant, que nous découvrons par le net ou par un réseau d’attachés de presse que nous développons et là cela dépasse souvent notre territoire. Je fais très attention à ce que Lust 4 Live ne reste pas que dans un style : on fait de tout ! J’écoute de la musique de manière compulsive et variée. Je voudrais bien qu’à terme le site ait vocation à défendre partout : pas que du rennais, pas que du breton mais aussi des internationaux. Dans l’absolu il ne faudrait rejeter aucun artiste ou aucun art, mais pour cela, l’équipe rédactionnelle devrait se multiplier par autant.
(Une grande partie de l’équipe de Lust4Live - Photo Stéphane Perraux)
Depuis l’été dernier vous avez aussi coproduit l’album de Jéhan ?
C’est venu d’une façon simple : on organisait quelques petits concerts à Rennes, notamment au Bistro de la Cité qui nous a permis de faire la soirée de lancement de l’association. Cette première soirée nous a donné une énorme énergie. On était passé de simples spectateurs à acteurs. Nous avions réussi à organiser quelque chose de chouette avec des artistes que nous aimons (Olivier Red, Tchewsky and Wood et Gil Riot) ! Nous avons organisé ensuite plusieurs autres soirées, toujours au Bistrot de la Cité avec Cannon Fodder, mais aussi au café-concert le Méliès avec Filip Chrétien et Frédéric Lo. C’était vraiment cool de présenter des artistes que nous aimons à des gens. Cela donne aussi du sens à ton travail. Tu as un retour immédiat, il y a un vrai échange.
Malheureusement comme il n’y a plus de concerts et que nous voulions malgré cela continuer nos actions envers les artistes indé, nous avons alors imaginé aider un artiste à sortir un disque. il y a une continuité et une certaine logique là-dedans, je pense…
J’avais rencontré Jean-No Le Jéhan alias Jéhan lors d’une de mes expositions de peinture chez Nora, une amie qui tenait un lieu d’expo où j’avais demandé à Filip Chrétien et Pierre Corneau de jouer en acoustique pour le vernissage. Avec Jean No, nous avons beaucoup parlé ce soir-là, il appréciait mon travail, comme il écrit en plus de ses chansons des poèmes, nous avons pensé à une exposition collaborative, moi avec mes peintures et lui avec ses poèmes. De cette rencontre un lien amical s’est créé et nous avons monté ce projet en réussissant à faire une exposition en commun dont le vernissage était la veille du 1er confinement (le 12 Mars 2020). Les concerts se sont donc arrêtés nets laissant du temps à Jean No de peaufiner des chansons pour un nouvel album. Il m’a fait écouter les premières maquettes et de là je lui ai proposé de cofinancer celui-ci avec l’association et de le sortir en Cd et Vinyle sur le label de Bruno Green.
C’était une envie commune et une aventure qui nous intéressait. Parce qu’au début de la création de Lust 4 Live nous voulions parler des artistes qu’on aimait, organiser des concerts et pourquoi pas dans nos rêves les plus fous, sortir des albums. Maintenant c’est acté à notre humble niveau, c’est une progression ! Il a fallu une grosse énergie de tout le monde pour y arriver !
Peut-on imaginer une suite avec votre propre label ?
Pour l’instant, Lust 4 Live n’est pas un label, c’est une association, qui en effet, pourquoi pas, pourrait devenir un label. Nous avons envie de faire toujours plus de choses parce que nous savons qu’il sera compliqué d’organiser de nouveaux concerts dans les mois à venir. En tant qu’association, nous voudrions aider des artistes à sortir leurs albums. Nous réalisons déjà des shooting photos, des bio, des clips (avec les moyens du bord), avec toujours les interviews et les chroniques. On va faire des demandes de subventions (comme tout le monde) mais en essayant de garder notre indépendance et en privilégiant les partenariats.
Nous sommes une dizaine dans l’équipe : photographes, rédacteurs ou simplement passeurs. Ils sont comme moi bénévoles… Claude, Guillaume, Annick, Anne, Bruno, Sylvain, Laurence, Vanessa, Carole, Anma, Philippe, etc… chacun fait ce qu’il veut, comme il le peut. Nous essayons de nous répartir les tâches selon les disponibilités et les compétences de chacun tout en respectant le cadre de bienveillance avec une certaine forme de cool attitude. Enfin faut pas trop déconner quand même ! (rire)
Quels sont vos projets ?
Nous travaillons souvent avec « Persona » qui est une magnifique revue. J’essaie autant que possible de mettre les artistes que nous découvrons au sommaire de chaque numéro. Et Persona nous a beaucoup aidé pour nous lancer. Il y a un vrai lien intime qui s’est tissé entre nous. Ce type de partenariat, nous voudrions le développer aussi avec des labels ou des festivals. On est très dans l’échange. Lust 4 Live va aller dans ce sens-là, qui me semble être positif. On aide les autres, on s’aide nous-même et tout le monde est content. Je voudrais bien que l’asso avance toujours plus, ne stagne jamais !
Dans l’avenir, on va essayer d’organiser des expositions, des concerts, ou de participer à des festivals pluriculturels. J’aimerais beaucoup aussi faire des choses autour de la littérature. Ce sont des arts qui se rejoignent, se regroupent. Il y a tellement de choses qui gravitent autour de la musique, que cela donne envie de tout découvrir avec une vraie boulimie. Enfin pour cela il faudrait déjà que la Covid nous lâche les baskets …
(Stéphane Perraux et Philippe Tournedouët, le patron du bistro de la cité - Photo Anne Marzeliere)
Mais c’est l’école rennaise ? Ce sont les groupes rennais qui ont été les premiers à avoir dépassé le strict côté musical pour aller vers d’autres choses ?
Sans doute ! Avec des groupes comme Marquis de Sade, Les Nus, Complot Bronswick, Frakture, Ubik, End of Data et plus tard Kalashnikov, Marc Seberg, Trotskids, Daho, etc... il y avait un potentiel novateur, initiateur, à l’esthétique très forte. Après, la vision que nous avons de Rennes des années 80, 90 est aussi liée à nos personnalités, nos sensibilités propres. En étant graphiste, peintre et fan de musique, photo, littérature, quand tu es rédacteur d’un média, si tu as la possibilité de parler des choses, la tentation est trop forte pour t’en priver. Maintenant je ne sais pas comment nous allons faire cohabiter tout ça, surtout qu’on n’est pas encore sorti des problèmes actuels. Je voudrais justement avoir une pensée pour tous les artistes, musiciens, organisateurs, techniciens, attachés de presse et autres qui sont dans un silence morbide depuis plus d’un an. Je trouve cela dramatique de penser que toute cette culture vivante puisse être encore en off sur des décisions pas très justifiées et difficilement justifiables. Je ne parle pas que pour moi mais pour tous ceux qui en subissent les conséquences y compris les spectateurs. L’arrêt de cette culture depuis plus d’un an, va avoir un impact social indéniable.
Tu ne penses pas que l’on défend ensemble des artistes dont tout le monde se moque et qu’ils sont sacrifiés au profit des plus gros.
C’est le problème majeur du moment ! On veut mettre en avant des artistes qui ne sont pas très connus. La culture est très vaste et il y a beaucoup d’acteurs qui font des choses très bien mais qui n’ont pas de retours des médias « traditionnels ». Ils financent souvent entièrement leur projet avec leurs propres deniers. Il y a un gouffre entre ces artistes et les artistes qui sont « reconnus » ou « soutenus par des multinationales ». Aujourd’hui quand tu écoutes les grandes radios ou que tu regardes une chaîne comme Culturebox, tu te demandes si ces gens sont vraiment conscients de ce qu’est le terrain d’où vient souvent l’énergie première de la musique. Pourquoi ne vont-ils pas voir les artistes qui se battent tout seul ? C’est bien que ces grands médias existent ok, mais c’est dommage qu’ils ne mettent pas en avant les artistes qui en ont le plus besoin. Je trouve cela navrant qu’en 2021, avec la covid, une Télé nationale ne présente que des choses déjà attendues, des rediffusions de rediffusion. Pourquoi créer une chaîne, si elle reprend ce qui existe déjà ailleurs ? Cette "culture rock" que nous avons, est très populaire et vivante, pourtant à les entendre elle est mourante. C’est une scène qui bouge énormément. Il y a plein de labels partout qui sortent des disques de qualité tout le temps. Mais pourtant, on vient te dire sur les grands plateaux que le rock est passéiste. Non, il est foisonnant et il se porte bien en terme de création. C’est juste une affaire de mode...
Le mot de la fin ?
Je voudrais vraiment que l’on puisse revivre les concerts, même s’il le faut avec des mesures sanitaires. Le gouvernement devrait faire un peu confiance aux organisateurs. J’ai vu quelques concerts en 2020 notamment dans des petits lieux avec des mesures sanitaires adaptées ou encore des festivals comme Rock in the Barn, Les Vagabonds, ... qui prouvent bien qu’on peut organiser des choses pour que tout se passe bien en respectant les règles. Cette interdiction n’a pas de sens. Le fait d’interdire bêtement, c’est provoquer des actes irresponsables.
Et puis surtout, il faudrait que les gens soient plus curieux, qu’ils aillent écouter les artistes indépendants, acheter leurs albums pour les soutenir et lorsque nous le pourrons à nouveau, qu’ils viennent les voir dans les salles de spectacles. Faites-vous plaisir en découvrant des choses !!!