1974… nous nous sommes tant aimés. Non je ne vous ferai pas croire que je l’ai vu à sa sortie, j’avais 4 ans. Certes j’étais précoce cinématographiquement parlant, mais quand même… Je devais avoir dix ans à tout casser quand je l’ai vu lors d’une diffusion télé (oui, oui, dans le poste ! sur Antenne 2 ou FR3 je ne sais plus…) Je ne l’ai jamais revu depuis mais je me souviens de nombreuses scènes avec précision. Ce n’est pas franchement un film destiné aux enfants et pourtant j’avais adoré cette histoire d’amitiés passées, d’amours manqués, emprunte de nostalgie, voire de mélancolie. Qu’est-ce qui a bien pu toucher mon cœur d’enfant ?? A quel personnage ai-je pu m’identifier, moi qui ne connaissais encore rien à la vie ou presque ?! Est-ce à Luciana, pleurant dans la cabine de photomaton ? A Elide, l’épouse délaissée qui cherche en vain à susciter la jalousie chez son mari indifférent ? Ou à Nicola, le cinéphile incompris, qui échoue à la finale d’un jeu télévisé à cause d’une mauvaise interprétation de la question ?… Et qui m’a laissé un grand sentiment d’injustice.
En parlant d’injustice, quel film en parle aussi bien qu’Une journée particulière ? Je l’ai vu plus tard, vers 18-20 ans je crois, à l’âge des révoltes, des prises de position, des choix idéologiques. Et j’ai été bouleversée, forcément, par ces deux êtres esseulés, qui n’ont pas l’air d’avoir grand-chose en commun au départ, mais qui finissent par se trouver, un peu par hasard. Rencontre de circonstances. Je les revois tous les deux, dans cet immeuble déserté en pleine Italie Mussolinienne, comme les seuls rescapés d’un cataclysme. Je me souviens de leur étreinte désespérée qui ressemble plus au sauvetage de deux noyés qu’à un irrépressible désir charnel. Pas sexy pour un rond d’ailleurs, les deux. Elle, mère au foyer mal fagotée, la savate trainante, et lui l’intello homosexuel, bien peu préoccupé par cette question – et pour cause, il a d’autres chats à fouetter ! – et c’était quand même gonflé d’avoir choisi deux sex-symbols pour les incarner ! Mais Marcello Mastroiani et Sophia Loren sont sublimes, quoi qu’ils fassent… Et même si cet acte physique ne change rien à l’orientation sexuelle de Gabriele, ça change tout. Pour elle en tout cas. Comment va-t-elle faire maintenant pour continuer à vivre ainsi, entre son mari machiste fachisant et ses 6 enfants ? L’histoire ne le dit pas, et nous laisse avec ce poids. Gloups.
Après ça curieusement, mon histoire avec Ettore Scola s’est interrompue pendant longtemps. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas eu envie de continuer avec lui. Peut- être parce que j’avais atteint le Nirvana ? J’avais peur d’être déçue ?…
J’ai attendu sa mort pour voir enfin Le bal, un ovni cinématographique de 1983. Un film sans parole, quelle drôle d’idée ! Mais pas comme The artist, qui se justifie par l’époque à laquelle il est censé se passer. Non, lui il évoque différentes époques, de 1936 à 83. C’est le lieu par contre qui ne change pas. Tout se passe dans un dancing. Un dancing… tout est dit ! Qui va encore au dancing aujourd’hui ??! Mais il est là le charme de ce film : dans le désuet, qui va même jusqu’au ringard, mais c’est touchant. Comme ses personnages, qui ne sont pas sans rappeler les Deshiens : ils frisent le pathétique parfois mais c’est drôle et ça reste tendre. Ils viennent là pour danser, se montrer, parader, frimer, se bagarrer, se frotter, séduire, trouver l’amour. Pas besoin de mots pour ça, le langage des corps suffit. Un regard, un sourire ou des larmes en disent assez long, on comprend tout. Et ça ne marche pas toujours pour eux. Entrés chacun séparément ils repartent pour la plupart seuls, comme ils sont venus.
Et c’est peut-être cette impression générale qui me reste de l’œuvre d’Ettore Scola : le sentiment que les choses ne se sont pas accomplies, que les gens sont passés à côté, se sont loupés, auraient pu… mais non. Caramba encore raté… Mais chez Scola l’échec est beau, il fait partie de la vie.
Allez promis, la prochaine fois je vous parle d’un vivant. Parce que oui, la vita e bella.
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