Quelles étaient tes ambitions quand tu as créé le groupe en 1988 ?
Jouer, monter sur scène… C’était une motivation que j’avais déjà avant. Je jouais dans un groupe punk, on avait sorti des vinyles, fait des concerts mais dans Éjectés je voulais mélanger pleins de choses différentes, mélanger les styles… Cela allait des Blues Brothers, au punk anglais en passant par le Two Tones qui était passé par là. Il y avait aussi le Hip Hop qui arrivait avec des gens comme Run DMC ou les Beasties Boys. Je voulais faire un grand mix avec tout ça. C’était ma grande ambition. Avec le groupe dans lequel j’étais avant on essayait de s’en sortir et quand j’ai commencé Éjectes je venais d’avoir un enfant, je bossais dans une radio… J’étais vraiment là pour la musique, je ne pensais pas que je pourrais en vivre.
Il y a un groupe que vous avez dû adoré, c’est les Clash ?
Bien sûr, on adore ! On a fait en 2004 un tribute to The Clash, un concert où on reprenait tout un concert des Clash avec les mêmes amplis, les mêmes fringues, le même matériel qu’eux… On avait travaillé avec des Lives pirates, en essayant de faire une reconstitution historique d’un de leur concert. On a tourné en France et dans pas mal de pays d’Europe avec ça. C’est une passion pour moi ce groupe. Je suis tombé dedans quand j’étais petit. C’est un groupe capital qui m’a ouvert musicalement, notamment au reggae. Ils m’ont aussi donné une espèce de conscience. Avant j’étais un peu nihiliste et Clash m’a appris à me servir de la musique pour faire passer un message.
Pour moi les Éjectés sortent directement de « Sandinista » (quatrième album des Clash, NdlR) ?
De l’ensemble de leur carrière je dirais mais j’étais super fan des Damned et des Jam. Il y a aussi le Two Tones qui m’a marqué, la Oï aussi… mais aussi le rythm’n blues et la Soul, et bien sur la musique jamaïcaine.
Vous avez peu d’influences Françaises ?
C’est plus des gens comme Nino Ferrer ou Gainsbourg, Renaud , mais aussi ce que j’écoutais à la radio quand j’étais gamin, des trucs des années 60, 70, comme Brassens… Mais j’ai beaucoup plus écouté des groupes anglais ou jamaïcains. En France, par contre, j’ai beaucoup écouté Oberkampf, la Souris Déglingué, les compilations Chaos en France et les alternatifs, sans oublié la vague ragga avec des groupes comme Saï Saï ou encore Gom Jabbar et Puppa Leslie. Sinon la première vague des groupes punk français aussi, je connaissais le premier album de Starshooter par chœur.
Vous avez dû être marqués par des groupes comme la Mano Negra, Babylon Fighters ou des groupes de ska comme Les Frelons ou la Marabunta ?
C’étaient des gens avec qui on se sentait proche et avec qui on s’entendait bien. C’était vraiment une ouverture dans le monde alternatif. A l’époque je bossais dans un club comme Dj et ingénieur du son. J’ai vu tous ces groupes et je trouvais ça super bien. J’ai vu la Mano fin 89 et j’ai pris une bonne claque.
Vous venez de Limoges : la ville n’a pas été très importante dans votre carrière ?
Oui et non parce que c’est une ville où nous avons réussi à nous structurer et où on a réussi à vivre pour pas trop cher. Il y a un niveau de vie très acceptable et une qualité de vie qui est vraiment pas mal. Ce sont des choses assez importantes sur la longueur : on a par exemple réussi à avoir des locaux de répétitions pour pas trop cher. Ça aide pour une vie de non star (rires). De plus on s’est beaucoup investi, même avant Éjectes, pour qu’il y est plus de concerts, des locaux de repet… mais aussi une sorte de combat de faire reconnaitre la capacité d’un artiste à composer et être reconnu, même si il vient de province. L’image de la ville était terrible en matière de rock/reggae quand on a commencé je pense aussi que cela nous a poussé à aller aussi loin que nous le pouvions, en terme de qualité, de transmission. Quand ont tournaient à l’étranger, la ville était surtout identifiée par la porcelaine et le basket, disons que maintenant il y a aussi un peu la musique et ses groupes.
Vous avez aussi beaucoup, mais alors beaucoup joué, notamment à l’étranger et plus particulièrement dans les pays de l’Est, pourquoi ?
Les choses se sont faites un peu par hasard. On a commencé tout de suite à beaucoup jouer. Le groupe a commencé en juin 1988. On a joué dès la fin de l’année. On a fait une démo en 1989 et tout de suite on a commencé à jouer un peu partout en France et beaucoup. On a remplacé les Dirty District sur une date en Suisse. Il y a une période en 1988, 1989 où on jouait plus à Genève qu’à Limoges. J’avais cette envie de découvrir le monde avec la musique. Ça a commencé avec l’Italie et le deuxième album qui a été distribué là-bas par un label Italien qui nous a fait jouer. On a dû faire toutes les villes du nord de l’Italie entre 1990 et 2000. On a eu cette expérience dans les pays de l’Est où il y a eu une première tournée fin 1995 et début 1996. On est allé en Allemagne, en Tchécoslovaquie et en Pologne. Il y a un truc qui s’est passé, surtout avec les Tchèques et les Polonais. C’étaient des pays qui venaient de s’ouvrir et nous, on avait une envie folle d’échange. On y était encore l’été dernier. Autre pays qui a marqué : l’Espagne. Un label nous a fait jouer une semaine dans un club à Barcelone, « la Boite ». Ça a marché, donc ils ont sorti une compilation et on a fait des festivals… Pareil pour le Canada, on a été faire les Francofolies de Montréal. On a jamais fait les Francofolies de La Rochelle, juste le off deux ou trois fois, mais au Canada ils nous ont tout de suite pris. On a fait quatre concerts dans la semaine et dans le public il y avait des gens qui nous ont fait revenir dix ans après pour une dizaine de dates. A chaque fois, c’est une histoire de gens, de structures, de rencontres… En Pologne, c’est un mec qui avait un label et qui a sorti le deuxième et le troisième album en cassettes. On en trouvait sur les marchés, c’était nouveau pour nous (rires) ! C’était passionnant toutes ces rencontres et ça l’ai toujours !
Vous êtes un grand groupe de scène : les gens quand ils vous voient ne peuvent qu’adhérer. Vous avez une grande générosité de votre part ?
Oui, oui… C’est un peu gênant pour moi de le dire comme ça mais j’ai toujours essayé de le faire comme ça. On a vraiment envie de faire ça, c’est une passion…. Je voulais vraiment jouer et voir le monde et ça s’est traduit dans la musique. Le barrage de la langue n’a jamais été un problème. Quand on est retourné en Pologne, on a été épaté : le public connaissait les textes des chansons en Français. Mais le studio est aussi quelque chose que l’on a beaucoup travaillé, et peaufiné au fil des ans. Que ce soit au niveau des prises de sons ou du mixage , voir même du mastering, je ne laisse rien au hasard, c’est une recherche constante, et je me suis toujours entouré de très bon et très humain ingénieurs du son.
Vous avez travaillé avec Dennis Morris, le chanteur de Basement 5 ?
Oui, c’était le premier groupe black « punk ». Il a influencé pleins de monde comme les Bad Brains… ça a été une expérience très forte de travailler avec lui, et on a appris beaucoup en peu de temps.et puis Dennis été un intime de Bob Marley ou encore de John Lydon des Sex Pistols, deux représentants majeur de deux mouvements musicaux qui me passionne.
Vous chantez principalement en Français ?
Oui, c’est intéressant de « frotter » la langue française sur des rythmes Jamaïcains. C’est plus facile en anglais mais j’avais plus de choses à dire en français. C’est ma langue maternelle. Pour tout te dire, j’ai appris l’anglais en Pologne (rires). J’ai donc un anglais assez moyen (rires). C’est un tour de force de faire sonner cette musique en français. Je pense que cela nous a aussi aidés pour l’étranger. Il y a une hégémonie de l’anglais sur cette musique. En Pologne on a vu pleins de groupes qui chantaient en Polonais.
Vous avez un parcours assez incroyable : vous avez été signés en Major (Warner, NdlR). Vous auriez pu sombrer dans la facilité mais au contraire vous êtes restés fidèles à vos convictions ?
La signature Warner était notre deuxième signature après Musidisc. Ils nous ont signé parce que c’était la pleine vague du reggae-Ska à la Française à la fin des années 90. Musidisc nous avait signé parce qu’ils avaient perdu la Mano Negra qui était partie chez Virgin. Je n’ai jamais essayé de faire un tube mais au contraire j’ai essayé que chaque chanson soit un tube. J’ai toujours essayé d’être sincère dans ma musique et mes démarches. On nous a demandé de faire un truc comme ça ou comme ça mais nous on répondait qu’on cherchait un ressenti. On a toujours gardé cette liberté pour faire de la musique : on a fait les choses comme on le sentait. On a fait du Dub en 2018 et 2020 et c’était le moment où j’avais envie de le faire… bien après tout le monde (rires) ! Bien que nous ayons commencé à « duber » nos morceaux dès le deuxième album (1994)
Depuis vos débuts en 1988, vous avez beaucoup évolué : vous êtes passés de 8 ou 9 sur scène à un trio maintenant : tu la vois comment cette progression musicale ?
On est parti sur quelque chose qui mélangeait beaucoup de choses : punk, ska, reggae, blues, soul, rock… On s’est retrouvé dans des conditions de tournées dignes des Blues Brothers (rires), parfois on hallucinait (rires). Mais d’un album à l’autre on a évolué. On a modifié notre musique du ska à la soul. En 2010, on a fait un passage en trio avec un disque qui s’appelait « to the roots » qui était un retour aux racines. Ça s’est fait par hasard cette formule en trio : on faisait Pologne, Bulgarie, Roumanie…. A deux semaines du départ, il y a eu un clash avec les cuivres qui ne voulaient pas faire toutes les dates. On s’est retrouvé en trio. J’ai appelé tous les organisateurs et tout le monde a été d’accord, sauf un festival. Finalement, cela a fait beaucoup de biens au groupe. Tous les soirs après les concerts on se remettait en cause, on discutait de l’évolution des morceaux. Je me suis senti beaucoup plus libre, sans carcans, on est revenu aux racines du groupe. On a mis un peu de soul, un peu de bossa, un peu de rock, un peu de ça et de ça… Ça évolue selon l’humeur.
Tu as fait un album en 2012 « Doctor Rocksteady » : c’est un peu marqué ! C’est vraiment ta musique de base ?
En tout cas c’était LE truc avec lequel je me sentais à l’aise à l’époque ! C’est le truc important : se sentir à l’aise avec ce que tu fais à ce moment-là ! La musique Jamaïcaine des années 60, 70 c’est énorme et je me sentais à l’aise avec ça à l’époque. Je suis retourné explorer ma discothèque ! Et le ska et le rocksteady restent des musiques qui reviennent régulièrement sur ma platine.
Tu sais combien il y a eu de musiciens dans le groupe depuis le début ?
Je dirais une bonne cinquantaine. On a commencé à six et puis rapidement c’est devenu un groupe à géométrie variable. A partir de 1992, 1993, quand on a beaucoup commencé à tourner, on a décidé de prendre un guitariste en plus, des choristes…. Ça nous a branchés et on a commencé à tourner comme ça. On a joué comme ça de 1994 à 2010 jusqu’à la formule trio. Ça peut arriver que l’on fasse des concerts en grosse formation ou encore en quartet.
La formule trio vous permet d’être plus direct ?
On est plus direct effectivement ! On est plus rock, plus dans l’énergie… même si avec la grande formation, on était déjà très énergique ! Mais pour te donner un exemple concret, après de notre passage en formule trio, ma liberté était tel que l’on a pu enregistrer trois albums consécutifs entre 2010 et 2012.
Quel est le rôle de l’électronique dans le groupe ? Avec le Dub vous êtes allés dedans. Tu penses à en remettre ?
C’est un mélange qu’il faut un peu utiliser. On a un son très roots, j’utilise des boucles sur scène que je peux faire grâce à l’électro. Je l’utilise de manière vintage.
Vous sortez une compilation « Since 88 – Vol2 », le premier volume étant paru en 2015. Comment s’est faite la sélection des titres ?
Ça a été super dur. Le volume 1 avait déjà pris un temps fou. J’avais demandé à pleins de gens, des potes, des gens qui nous suivent, de faire leur sélection et à la fin j’avais carrément presque tout notre répertoire (rires). J’avais essayé de réunir les morceaux qui avaient marqué l’histoire du groupe. Pour celle-ci j’ai fait un peu la même chose, en allant aussi chercher des morceaux qui n’existaient pas quand la première est sortie mais aussi des versions inédites comme « la petite maison ». Il y a aussi un inédit de 1992 « Dope crack dreu ». Ce qui a été compliqué a été de trouver des choses intéressantes qui collent les unes avec les autres. J’ai cherché à travailler cet album, comme le premier, comme un disque de compos : un début, une fin, une progression… Ça a été un peu compliqué : on a enregistré 200 morceaux depuis le début et il a fallu choisir.
La pochette vous résume bien avec cette fille qui a un Fred Perry, des bretelles, un bandeau Two Tones… On est loin des influences françaises. C’est important l’image pour toi ? Parce que cette pochette, c’est vous !
Ça veut dire qu’on a bien réussi ! C’est la même personne qui est sur les deux pochettes des compilations. On était en Pologne et moi je travaillais sur le volume 1. Je cherchais une idée de pochette et je n’en avais pas. A Varsovie, on a rencontré Anna Wojtecka, une photographe qui nous a photographié pendant le concert et elle a discuté avec nous. Elle nous a montré son book et il y avait pleins de pin-up et j’adore ça. Je lui ai demandé de nous faire une série de photos et elle nous a proposé plusieurs choses dont celle avec Magda qui est sur les deux pochettes. J’ai vraiment flashé sur ces photos. C’est moi qui avait demandé juste les fringues et après elles ont fait comme elles voulaient. On a pris une photo pour la première compilation et pour la deuxième je suis revenu sur une autre série mais de la même période.
Quand tu regardes ce parcours quel est ton sentiment : 14 albums, des centaines de concerts, des rencontres incroyables… ?
Ça a été et c’est toujours incroyable ! Quand tu sais avec quels moyens on a réussi à faire ça pour moi c’est une réussite : on a fait pleins de disques, vues pleins de pays et j’ai réussi à comprendre plein de choses à travers la musique. Ça s’est super ! C’est un voyage et un trip de toute une vie mais c’est la mienne. Tu dois accepter de passer ta vie sur la route, quand tu n’es pas sur la route tu es en studio, tu es tout le temps la tête dans la musique mais c’est un choix ! Dans ce sens c’est une réussite mais je t’avoue que je n’ai jamais regardé en arrière parce qu’on est toujours à préparer une nouvelle date, à organiser la prochaine session studio… On ne prend pas le temps de s’arrêter beaucoup, mais si je regarde un peu en arrière je me dis qu’on a réussi à faire à peu près ce qu’on voulait faire et ça c’est une réussite !
A Limoges, ils doivent vous regarder comme une institution locale ?
Ouais, mais c’est partagé il y a un côté institution mais aussi un côté vieux débris (rires)…
Mais vous avez fait « école » à Limoges et en France : il y a des gens qui ont commencé la musique grâce à vous ?
C’est gentil de dire ça. Je suis toujours ému et content de voir des gens qui nous citent parmi leurs influences
Tu le revendiques ?
Ce que je revendique c’est de continuer à faire de la musique, des tournées lointaines, des albums que l’on veut faire avec le meilleur son possible pour être au niveau des grosses productions. On a des trucs à dire et on continue.
Pourquoi le nom du groupe à changer de Éjectés à Steff Tej & Éjectés ?
On a changé trois fois de nom ! Au début, c’était les Éjectés de 1988 à 1992. Quand on a pris un deuxième guitariste et des choristes c’est devenu Éjectés et quand on est passé en formule trio, là j’ai décidé de changer le nom du groupe parce que la formule avait encore changé. Et c’est donc devenu Steff Tej & Éjectés.
Ce sont les mêmes qui jouent en trio depuis 2010 ?
Non, ça change. Il y a des anciens qui reviennent régulièrement, et des nouveaux qui restent généralement deux ou trois ans, Souvent il y a des musiciens qui intègre le groupe, qui apprennent comment faire les choses et qui, ensuite, vont faire leurs groupes. C’est incroyable le nombre de groupes qui se sont formés grâce aux Éjectés et dans plein de styles différents d’ailleurs. On est un peu un organisme de formation.
On peut imaginer qu’un jour tu feras un album solo ?
Oui, je suis dessus… Ça fait deux ans que je dois le faire (rires), je suis super en retard. J’ai été invité dans un festival de jazz à Limoges dont le président nous suit depuis longtemps. Je devais jouer à six heures du matin. J’ai été d’accord et j’ai préparé un spectacle solo d’une heure qui mélangeait bossa et punk. Ça a fonctionné, j’ai trouvé un distributeur pour le disque et puis avec la compilation, le confinement, le fait de « rebondir » après le confinement, je n’ai pas eu le temps de finir le disque. J’ai aussi eu d’autres aventures musicales : je joue aussi avec un groupe de Psyché Doom, des filles, Odonata, qui joue un rock lent et psychédélique. Je ne m’attendais pas à me retrouver sur ce type de projet, mais du coup on a enregistré un album qui devrait sortir en 2022.
Quels sont les projets du groupe ?
On repart sur la route, je travaille sur la promotion de la compilation et on va reprendre la route en février-mars. On est vraiment DIY. On va faire un gros festival reggae le 1eravril, on retourne en Pologne au printemps et j’espère enregistrer un nouvel album Éjectés, j’ai une dizaine de morceaux… On va voir comment l’année se passe mais on devrait être occupé !
Tu veux dire quoi pour la fin ?
Soutenez votre scène locale, achetez des disques, faites des fanzines… Je suis à fond pour la vitalité de la scène musicale : bougeons nous !
Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’amener vers la musique ?
« Sandisnista » du Clash, c’est un triple album qui ouvre plein de portes !