Ma première passion, en même temps que la photo, a toujours été la musique. J’avais un groupe en 1977 : TVC 15, qui a joué aux premières Transmusicales. Le nom était un hommage à un morceau de David Bowie. C’était un groupe où nous avions invité le Dj Etienne Daho, étudiant en anglais, à chanter avec nous. Je n’arrêtais pas de dire à Etienne : « tu as une tête de chanteur, il faut que tu fasses quelque chose ! ». J’ai fait sa première maquette avec lui en 1978 … Le groupe était né de la séparation du groupe malouin de Philippe Pascal, « Pentathal Lethally », qui a eu lieu quand je l’ai présenté à Frank Darcel et Christian Dargelos qui étaient dans Marquis de Sade.
(Nico et Etienne Daho - Photo Richard Dumas)
Ça ressemblait quoi Rennes en 1977 ?
C’était la naissance de « Rennes musique » (magasin de disques mythique de Rennes Ndlr) qui a été déterminant pour la suite. Il n’y avait pas beaucoup de groupe à l’époque : Marquis de Sade, Frakture et un groupe de hard rock, « Excès de zèle » …. Le phénomène punk nous avait réveillé, nous avions tous entre 15 et 20 ans et une vraie envie de bouger. Mais la ville, à l’époque, était très différente d’aujourd’hui : beaucoup plus morte … Il n’y avait pas de sorties tous les soirs. Il y avait juste ce bar, « l’épée » rue Vasselot ou l’on se retrouvait tous … Marquis de Sade, Frakture, Etienne … et on jouait au flipper. Voilà c’était ça la vie des Punks rennais (rires) ! Il faut savoir qu’en plus, le dernier bus pour le campus était à 23 h…
Tu étais étudiant à l’époque ?
Oui j’étais étudiant en fac de sciences, j’habitais dans le centre-ville contrairement à la plupart des autres qui étaient sur des campus en dehors de la ville.
Comment la photo arrive-t-elle ?
J’avais un appareil photo depuis l’âge de dix ans. Je l’avais mis un peu de côté vers mes seize ans pour me mettre à la guitare. J’étais un passionné de musique et rapidement j’ai rencontré d’autres gens comme moi. Il y avait ce groupe de 20 personnes à Rennes qui aimaient vraiment la musique : Frank, Christian Dargelos, Sergeï, Etienne … On se connaissait tous !
(Verso du 45t de Frakture « Sans Visage » 1980 . Première pochette de disque de Richard D umas)
C’était quoi l’état d’esprit de ces 20 personnes ?
On était tous aidés et chapeautés par Herve Bordier (fondateur des Transmusicales de Rennes et grand activiste rennais Ndlr) qui était le vrai activiste. Il était un peu plus âgé que nous. Il organisait des concerts depuis des années. Je me rappelle que lorsque j’étais au collège, j’avais vu « Can », le groupe allemand et c’est lui qui l’avait organisé. Gong passait souvent… Donc le punk a été important pour nous, pour cette étincelle. Et à travers Frakture et les autres on vivait l’histoire, notre histoire en fait !
Frakture qui est d’ailleurs ta première pochette ?
Oui, on avait fait la photo du groupe qui est au verso de la pochette du 45 t « sans visage », dans la cave de ma maman !
Et 39 ans après tu as fait la pochette du nouveau maxi de Frakture ?
Cette fois ma photo est devant, en recto (rires) ! Ça fait plaisir de voir que le groupe est toujours là et qu’il renait de ses cendres …. On est de vieux complices maintenant !
(Frakture et Richard Dumas, troisiéme en partant de la gauche, en 2016 - Photo June Dumas)
Dans ton parcours, il y a trois artistes importants : Frakture, Etienne Daho et Alain Bashung ?
Pour Etienne, j’ai fait les deux derniers albums. On se connait tellement bien depuis le temps … Et pour Alain Bashung, j’ai fait deux pochettes : « l’imprudence » et « le cantique des cantiques ». Deux photos, dont une « l’imprudence », qui ont changé son image de marque !
(Portrait de Alain Bashung pour la pochette de l’Imprudence - Photo Richard Dumas)
Est-ce que le fait d’être à Rennes à la fin des années 70 et au début des années 80, ne vous a pas permis de vous former culturellement, mais qu’aussi vous vous êtes tous formés mutuellement en partageant des choses ?
Si forcément, à travers les concerts d’Hervé, les Transmusicales, les concerts à la Maison de la Culture, les nuits de l’Ubu… Il s’est mis à se passer plein de choses ! On ne peut pas le nier, si j’étais resté à Paris plutôt que d’aller à Rennes je n’aurais pas eu le même parcours ! C’était comme faire partie d’une famille : dès qu’on découvrait quelque chose, on le faisait partager ! A Paris, ils étaient déjà dans le business : c’était très organisé, on ne pouvait pas aller dans les coulisses alors qu’à Rennes tout était ouvert, il suffisait de demander pour aller faire des photos… C’était de l’amateurisme au sens noble du terme, de celui qui aime…
N’y avait-il pas un sentiment de liberté incroyable ?
Une volonté de liberté oui ! On revendiquait ça ! Il ne faut pas oublier qu’on était encore dans une France sous chappe de plomb !
Tu as encore des contacts avec tous ces musiciens, comme Frank Darcel, Philippe Pascal ou Pinpin ?
Herpin, non, il est à la Réunion, c’est compliqué. Pourtant on a fondé ensemble les Sax Putuls avec Pierre Fablet.
Selon toi, pourquoi parle-t-on encore de cette époque ?
Si on devait trouver une comparaison ce serait, à notre niveau, la Factory avec le Velvet Underground en 1967. Et comme le disait Eliott Murphy « ils vendaient peu de disques mais ceux qui en achetaient partaient fonder un groupe le lendemain ». Marquis de Sade et Frakture c’est un peu ça. Cette époque a changé l’état d’esprit de beaucoup de gens, même si le succès commercial n’a pas été là. Je pense que la plupart des acteurs avaient de très fortes personnalités : ils savaient ce qu’ils voulaient et comment y arriver. Ils se sont tous mis en route pour aller là où ils voulaient ! C’était Frank Darcel, Philippe Delacroix-Herpin, Christian Dargelos, Etienne bien sûr… En ce qui concerne Philippe Pascal c’est différent, lui c’était incroyable, sur scène c’était aussi fort que Joy Division ! Frakture aussi c’était très fort ! Cela reste seulement des affaires de personnalités selon moi…
(Marquis de Sade en 1978 De gauche à droite, Sergeï Papail, Philippe Brunel, Frank Darcel, Richard Dumas et Philippe Pascal - Droit réservé)
Tu as la nostalgie de cette époque ?
Non puisque je l’ai vécue et bien vécue ! J’ai la nostalgie de ne pas avoir vu les Stones en 1965 ou le Velvet Underground en 1967 à la Factory … J’ai peut-être une mauvaise définition de la nostalgie (rires).
Un dernier mot ?
Oui, j’ai une anecdote qui me résume bien ! Quand Sergeï (Papail Ndlr) a quitté Marquis de Sade, Philippe (Pascal Ndlr) est venu me voir et m’a demandé si je ne voulais pas arrêter la guitare pour me mettre à la basse et rentrer dans le groupe. Je l’ai regardé et lui ai dit : « c’est gentil de me le proposer, mais jamais ne je me passerai du plaisir de vous voir sur scène » (rires) !