Pierre Mikailoff : Un auteur complet - 1re partie

jeudi 23 juillet 2020, par Franco Onweb

C’était il y a … quelques années, une chanson passait sur les ondes des radios : « Tout ce que je veux » par un jeune groupe : les Désaxés ! J’adorais ce titre, j’adorais ce groupe. En bon fan je lisais les pochettes des disques du groupe, c’est comme ça que je découvris le nom de leur guitariste : Pierre Mikaïloff !

A la séparation du groupe, je n’entendis plus beaucoup parler de lui, jusqu’à ce jour où je découvris un livre « Some Clichés », un recueil de textes sensas sur la musique. Son auteur était Pierre Mikaïloff qui avait troqué sa six cordes pour le clavier et le crayon. Peu de temps après, pour les besoins d’une interview, j’ai rencontré Pierre Mikaïloff. Depuis nos chemins se sont régulièrement croisés : salon du livre, concerts, interviews…

Attentif et admiratif de son travail, je voulais en savoir plus sur son parcours et sa méthode de travail : j’ai donc pris rendez-vous avec lui pour une interview fleuve dont voici la première partie !

Tu es auteur, écrivain, poète, journaliste : qu’est-ce que tu mets comme profession sur tes papiers administratif ?

(Rires) C’est un peu la même chose tout ça, non ? Je mets auteur, ça suffit.

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(Celine Guillerm) 

Tu as publié aujourd’hui 47 livres, soit seul soit au sein de collectifs. Ton premier livre est paru en 2006, c’est un bon rythme !

C’est pas mal, en effet (rires). Mais je n’avais pas fait le compte. 

Tu as commencé par un livre très rock’n’roll, et peu à peu tu vas dériver vers la pop culture à partir du moment où tu vas écrire sur Taxi Girl et Daniel Darc.

Est-ce une dérive ? Je n’en suis pas sûr parce que les gens de Taxi Girl étaient complétement fascinés par la mythologie de cette époque : MC5, les Stooges , et toute la contreculture des années 70. Paradoxalement, ils vont faire une musique qu’on va juger trop sage et ils vont en souffrir. C’est un paradoxe français : on est fasciné par le rock, mais quand on veut faire quelque chose d’original on est obligé d’aller vers la pop… Je parle des musiciens qui se sont nourris de culture rock.

Pourtant tu as écris aussi sur Jane Birkin ou Françoise Hardy. On est loin du MC5 , est-ce qu’en vieillissant tu n’es pas allé vers la pop culture ?

J’ai toujours aimé ces chanteuses. Et à 14 ans j’écoutais aussi Gainsbourg. En fait je n’aime pas les chapelles ou les castes. Je n’ai jamais porté d’uniforme : j’aime le mélange à tous les niveaux, que ce soit en culture, en look ou en musique. Par exemple, je peux regarder un film à portée sociale de Ken Loach et enchaîner avec un film grand public américain. En musique c’est pareil : je peux passer de Johnny Cash à Jane Birkin sans aucun problème. 

Mais tu es vraiment allé vers la pop culture dans tes écrits ?

C’est d’abord une affaire de rencontre avec des éditeurs. Mon premier livre est vraiment parti de moi, « Some Clichés », j’avais besoin de l’écrire. Ensuite Patrick Eudeline m’a proposé d’écrire un « Dictionnaire raisonné du punk », une période qui me passionne, et, juste après, il m’a demandé d’écrire un livre pour une collection dont le concept était de raconter l’histoire d’une chanson. J’ai réfléchi et j’ai choisi « Cherchez le garçon ». Ensuite on m’a suggéré d’écrire un livre sur Françoise Hardy, qui faisait partie de mon Panthéon depuis toujours.

Juste après tu as écrit un polar que j’aime beaucoup : « Tournée d’adieu ».

Les journalistes ne m’en parlent jamais, merci de le faire ! C’est mon premier roman, mais je devais utiliser un personnage féminin créé par l’éditeur « La Tengo », qui édite aussi Schnock . Le personnage devait mener une enquête dans chacun des arrondissements parisiens. L’idée était que la collection compte vingt épisodes, confiés à vingt auteurs différents. 

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Il y a plusieurs personnes qui ont été importantes dans ta carrière dont Bertrand Cantat ?

Oui, j’ai écrit une biographie sur un groupe qui n’allait plus très bien à l’époque et ce livre m’a emmené assez loin : les médias m’ont désigné comme « Le » biographe de Cantat. Je me suis retrouvé sur des chaines d’infos dans des débats avec des féministes pour défendre sa position. Je disais qu’il avait été condamné et qu’il avait purgé sa peine. On peut penser ou non qu’elle n’était pas suffisamment sévère, mais la justice s’était exprimée. Il a bénéficié d’une libération conditionnelle pour bonne conduite au bout de quatre ans. A partir de là, pour moi, il pouvait reprendre son ancienne profession qui était de chanter. Aujourd’hui, c’est compliqué, on ne sait plus très bien de quoi l’on parle, on confond le droit et la morale, avec tous ces gens qui en font un bouc émissaire.

Ensuite, il y a le groupe Téléphone . C’est bizarre, parce que tu viens d’une scène qui n’aimait pas vraiment le groupe. Tu as caché que tu étais fan d’eux ?

(Rires) Je ne l’ai jamais caché. Quand le groupe a sorti son premier album, pour moi, c’était une bombe ! Je me souviens encore de la première fois que j’ai entendu « Hygiaphone », à la radio, sur RTL. C’étaient des gens qui étaient à peine plus vieux que moi et qui faisaient du rock en France. Mais, à l’époque, j’écoutais aussi du disco, j’adorais les productions de Patrick Juvet, de Thelma Houston, « Miss You » des Stones, « Do Ya Think I’m Sexy » de Rod Stewart. Je trouvais ça brillant. C’est compliqué quand tu as des copains un peu bas du front, mais j’ai toujours écouté de tout.

Mais tu penses que le rock peut exister en France ?

C’est une question que je me pose de plus en plus : est-ce que la France est un pays qui a quelque chose à foutre du rock ? Il y a peu de temps, j’étais au salon du livre de Brive, il y avait des représentants du monde politique, de l’intelligentsia, du showbiz… Le premier soir, il y eu une soirée. Et tous ces gens se sont éclatés sur Balavoine, Bruel, Dalida… C’était consternant. Et cette musique est dans les gênes des Français.

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(Photo Celine Guillerm) 

Pourtant, tu as publié sur Françoise Hardy, Gainsbourg, tu as écrit deux spectacles sur Bashung, on nous a vendu ça comme du rock !

Bashung, c’est un bon exemple : il ne s’est pas nourri des Chaussettes Noires , mais de Gene Vincent et de Buddy Holly. Il s’est imprégné de rock américain. Mélangé à d’autres influences, Gainsbourg, Ferré, etc., ça a donné sa musique, qui n’est pas du rock, mais « autre chose ».

Alors, Gainsbourg, c’est quoi pour toi ?

C’est un génie, déjà, et un artiste multifacettes : chanteur, auteur, compositeur, réalisateur, écrivain, et peintre pendant de longues années… Mais lui, en plus, est nourri de musique classique et de jazz. Tout ça est devenu sa musique. De même que la musique de Françoise Hardy trouve sa source dans la pop anglo-saxonne, mais, comme elle a fait carrière en France, elle a eu du mal à imposer sa démarche. Il faut passer des trucs en contrebande, un peu comme le fera Etienne Daho quelques années plus tard.

Mais la démarche de ces artistes pop flirtant avec le rock et la chanson n’est-elle pas aussi celle de celui qui en est la plus parfaite incarnation : Daniel Darc ?

C’est un artiste qui a compté pour moi, mais je n’y ai pas réfléchi. En tout cas, quand je l’ai rencontré c’est plus l’homme qui m’a marqué que l’artiste. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup touché. Il m’avait proposé d’écrire avec lui son « I Need More » (nom de l’autobiographie d’Iggy Pop – Ndlr. ), ça m’avait beaucoup touché. Il m’avait accordé sa confiance.

Donc la pop culture, c’est ton truc ?

Si tu veux (sourire).

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Ce serait quoi ta définition de la pop culture ?

C’est un terme qu’on utilise depuis peu de temps. C’est peut-être ce que Gainsbourg désignait comme une « sous-culture », tout ce qui ne nécessite pas d’initiation pour être apprécié. Aujourd’hui, on appelle cela de la culture, mais, à la base, c’est juste du divertissement. Des gens comme Gainsbourg ou Daniel Darc arrivaient à faire passer des choses importantes sous une forme simple. La pop culture, c’est une poubelle avec du bon et du moins bon.

Mais, en faisant ce que tu fais, tu ne penses pas que toi et Jean-Éric Perrin, avec qui tu as beaucoup collaboré, vous êtes les héritiers de Gilles Verlant, qui a beaucoup défendu cette pop culture ?

Bien sûr, il a ouvert la voie. Il a été parmi les premiers à traiter de choses futiles avec sérieux, sans hiérarchiser. Dans le même ordre d’idées, j’ai publié une anthologie des années 80 chez Larousse. Eh bien, c’était passionnant et réjouissant de passer du « Rubbik’s Cube » au mur de Berlin, de « Shining » à « La Boum ». Comme Gilles, je ne hiérarchise pas. Il y a des formes d’arts humbles qui, pour moi, sont importantes.

Mais parmi tes dernières sorties, il y a une biographie de Sophie Marceau, plus culture années 80, c’est dur !

Oui, mais, en même temps, elle a tourné avec Pialat ou Żuławski , qui font du cinéma un peu moins léger que celui auquel on l’associe.

D’accord, mais elle a été la « petite fiancée des Français » dans les années 80.

Oui, mais elle n’a pas trop joué avec cette image. Elle aurait pu faire une carrière beaucoup plus prévisible en alignant les « Boums, 2, 3, 4 »… Récemment, elle a aussi tourné des films plus durs, comme « La Taularde », ou un film avec Miou-Miou dans lequel elle entre dans un commissariat pour confesser le meurtre de son mari. Elle aime interpréter des rôles durs. Elle a besoins de succès, comme beaucoup d’artistes, pour rester « bankable », mais dès qu’elle le peut, elle tourne un film plus underground.

Qu’est-ce qui t’a intéressé chez elle ?

Ce qui m’intéresse à chaque fois que j’écris une biographie : raconter comment une personne qui naît dans un milieu des plus ordinaires va connaître un parcours extraordinaire. Quand on grandit dans une HLM de Gentilly, on aspire rarement à mener une vie extraordinaire : elle si ! Elle a osé. Elle passe un casting à 13 ans, elle est choisie parmi plusieurs centaines de participantes, et le film est un carton mondial. On pouvait douter de sa longévité, mais, quarante ans plus tard, elle est toujours là. À partir de là, on peut commencer à écrire un livre, à essayer de comprendre qui est cette personne.

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Tu l’as rencontrée.

Non, je n’en ai pas eu vraiment besoin. J’ai beaucoup lu, j’ai puisé dans les archives de l’INA. La biographie autorisée, avec participation de l’artiste, c’est une autre démarche.

Quelle est ta méthode ?

Je consulte des coupures de presse, en citant mes sources, car le travail des journalistes qui m’ont précédé est précieux. Je rencontre des proches. Et puis, j’ai accès aux archives télé et radio de l’INA. Elles sont inépuisables et permettent d’observer l’évolution d’un personnage à travers l’image que les médias en renvoient. Ce qui est super avec ces archives, c’est que, souvent, l’artiste est beaucoup plus libre au début de sa carrière, il dit des choses qu’il ne redira jamais après.

 

Retrouvez la suite : Pierre Mikailoff : Un auteur complet - 2e partie