Que s’est-il passé depuis deux ans et la dernière fois que l’on s’est parlé ?
A l’époque, on s’était rencontré avec ALL IF mon groupe et aujourd’hui ce groupe n’existe virtuellement plus. Je travaille toujours avec certains membres du groupe comme Jan Stümke et Antoine Pinchot - Burton (qui fut (l’architecte du premier album) mais pour moi ce nouveau disque devait sortir sous mon nom pour une vraie clarté vis-à-vis du public, en supposant qu’il y en ait un (rires). Même à l’époque du groupe, c’était déjà un peu mon projet solo même si j’ai toujours consulté les différents membres du groupe, notamment pour les arrangements : c’est moi qui écrivais, composais les titres et les chantais. Et j’en avais aussi un peu assez de travailler sous ce nom de ALL IF !
(Photo Matthieu Dufour)
Cela s’est traduit comment ?
En fait, c’est quand j’ai composé « Somewhere In A Nightmare » et que je l’ai entièrement maquetté chez moi en jouant tous les instruments, il y a eu un déclic. Je me suis dit « j’en ai assez de cette idée de groupe, ça n’a plus de sens, je sors le disque sous mon nom : Rocabois. C’est mon nom, je l’assume ! ». J’en ai averti mes collègues, c’était la moindre des choses. Donc ALL IF, c’est un peu de l’histoire ancienne mais j’ai une grande tendresse et une profonde reconnaissance pour l’ensemble des musiciens qui sont passés dans le groupe en 11 ans : presque une vingtaine depuis la création du projet ! C’est énorme !
J’ai eu l’impression avec ce 45T que tu étais devenu « mature », que tu assumais pleinement ton statut d’artiste et que tu assumais enfin d’être tout seul.
C’est marrant (rires), je le prends comme un compliment. Dans la pop, le terme « maturité » ça fait toujours ricaner ou un peu peur mais oui, j’assume mon statut d’artiste même si j’ai besoin de collaborer in fine : on a tous besoin d’un regard, d’un écho, d’un point de vue. Sinon, tu risques de basculer dans la « mirror pop » ! Il y a une dimension technique capitale qui est apparue : mon ami Pascal Layan m’a prêté du matos pour enregistrer des maquettes seul, sans avoir besoin des autres dès le départ. C’est pour moi un gain de temps et de liberté incroyables ! Je travaille vraiment beaucoup en amont maintenant. Ce single est la manifestation de cet état d’esprit ! Je suis plus serein : je suis peut être devenu -enfin- majeur (rires) !
Quand on écoute ce 45T, il y a deux références qui s’imposent : Divine Comedy et David Bowie . On sent aussi quelques influences du glam rock des années 70.
Tu as tout dit (rires) et tu as raison : je suis fan de glam rock : des groupes comme Roxy Music ou T. Rex , j’adore Bryan Ferry, Brian Eno, Marc Bolan (y compris dans sa période baba). Et Bowie est naturellement une idole depuis que j’ai découvert "Starman" à la pause dej, dans un terrain vague à l’âge de 15 ans, avec mes potes de lycée. Ce sont des artistes qui m’ont influencé par leur liberté et leur état d’esprit. On peut vraiment sentir l’influence du glam rock sur la coda de « Ship Of Women » avec ces guitares en spirale. J’avais souhaité que le quatuor à cordes jouât et harmonisât sur le solo de gratte note pour note.
On sent aussi une grosse influence de Paul Williams, le compositeur de Phantom of The Paradise .
J’adore aussi ! Le film était passé à la TV un soir au ciné-club avec Claude-Jean Philippe et ce fut une énorme révélation pour moi.
Il était comme toi : seul chez lui et multi-instrumentiste ?
C’est un immense compliment pour moi, merci beaucoup !
Tu as tout maquetté chez toi ?
« Somewhere In A Nightmare » oui, mais « Ship of Women », non ! Pour « Ship of Women » j’étais à New York en juillet 2017 où j’accompagnais ma femme qui était en tournée. Il faisait très chaud, j’avais ma guitare avec moi, comme toujours. J’ai vu beaucoup de gens qui ont plus de talent que moi et qui n’ont pas pris le train pour faire des choses. Moi je suis monté dans un wagon, je ne sais pas lequel mais je suis dedans (rires). Bref, j’ai enregistré une ébauche à New York et j’ai ensuite joué ce titre tout l’été en famille ou avec mes copains. Je sentais qu’il se passait un truc dès que je la jouais. A la rentrée, Yves Medveski, mon futur producteur, entend le titre et il me propose de l’enregistrer dans son studio. J’étais certain que ce titre devait avoir une histoire. Quand je l’entends, cela me rappelle Ground Zero et le moment précis où la mélodie du refrain a jailli : il faisait chaud, j’avais l’impression de flotter dans ce lieu très émouvant … C’était très étrange… Ce titre était une évidence !
Qui joue sur le titre ?
Jan Stümke au piano, Guillaume Glain à la batterie, je fais toutes les voix et toutes les guitares, même la basse ! Avec l’aide de Raphaël Elig, nous avons ajouté des cordes synthétiques et le morceau est resté en l’état pendant un temps avec une première version. Cela me rendait un peu dingue, j’avais un sentiment d’inachevé et suite à une conversation avec mon épouse Virginia, qui est de très bon conseil, tout s’est éclairé : elle a suggéré de mettre de vraies cordes. C’était une évidence, j’ai trouvé l’idée géniale. La musique orchestrale m’obsède. Si le budget l’avait permis, on aurait engagé le LSO (London Symphony Orchestra) ! On a recruté les musiciens, réalisé une séance et le quatuor joue sur les deux titres. Raphaël a écrit les cordes de « Women » et moi, celles de « Nightmare ».
(Jan Stümke et Olivier Rocabois - Droits réservés)
On parle du deuxième titre : « Somewhere In A Nightmare » ?
Je l’ai écrit à la fin de l’été dernier. Grâce à Franck Zeisel de Life is Minestrone, j’ai pu faire de superbes premières parties. J’ai joué en ouverture d’Avi Buffalo (on joue ensemble son « Overwhelmed With Pride » quand il vient en Europe) et de Joel Henry Little, de grands musiciens américains. On voulait faire un morceau avec Joel et on s’est dit que plutôt que de faire une reprise, nous allions jouer une de ses compos. On l’a répétée ensemble chez moi à Conflans, Joel à la guitare et moi au piano. Il y avait un accord de neuvième que j’aimais bien. J’avais une grille d’accords en stock. On fait le concert et à la fin, on joue ensemble. Cela a servi de déclic : j’avais gardé en tête l’image de deux femmes superbes, la cinquantaine, aperçues en train de manger des pêches très grandes dans un parc de la région de Vérone, allongées dans les vignes, pieds nus. C’était un peu l’image de l’Italie éternelle (rires). Aussitôt, j’ai pensé à ce texte que j’avais griffonné dans cet Eden blotti entre les collines de Custoza. J’ai réalisé une démo juste après le concert en faisant une voix criée – chantée : je voulais ce côté planant, l’ivresse des hauts plateaux. Jan a fait les claviers, je lui ai juste donné de vagues indications (« plus gazeux », « pense à Alpha du Centaure ») et il a brillamment emmené le titre dans une stratosphère de synthés. Guillaume est toujours à la batterie, mon vieux compagnon Antoine Pinchot-Burton est à la basse.
Et ensuite ?
J’ai incorporé ce refrain un peu « variétés ». Je voulais faire coexister « Ram » (Paul McCartney ), « Hunky Dory » (David Bowie ) et le panache kitsch des émissions de Maritie et Gilbert Carpentier dans un même titre. Mission accomplie ?
J’ai l’impression que pour la première fois, tu as eu un vrai retour des médias, notamment en Grande-Bretagne, qui ont salué ton talent : beaucoup de playlists, d’articles : tu n’as pas l’impression que là tu as réalisé un grand truc ?
Peut-être que j’émerge enfin dans le microcosme pop parisien et j’ai effectivement l’impression d’avoir fait un bon disque !
Quand on voit le clip de « Ship of Women » on pense vraiment à Phantom of The Paradise et aux Daft Punk ?
J’aime beaucoup les Daft , mais pour être honnête l’idée du clip vient du réalisateur Christophe Alexandrie, qui est un vieil ami. On s’est vraiment bien entendu : je lui ai littéralement donné les clés. Le clip est produit par Stéphane Quester, un ami d’enfance. On l’a tourné au Motel, un des lieux-cultes de la pop à Paris. J’ai travaillé de la même manière pour le graphisme avec Pascal Blua qui a réalisé un gros boulot. Quand je n’ai pas les compétences, je délègue aux spécialistes, c’est normal !
La suite, ce sont des concerts ?
Oui, j’ai remonté un groupe avec lequel j’ai joué deux fois dont une première date au Silencio à Paris. Il y avait Laurent Saligault à la basse, Jan aux claviers, Guillaume à la batterie et moi à la guitare et au chant. On a rejoué ensuite au Walrus pour la sortie du disque, toujours avec les mêmes (Frantxoa Erreçaret excepté, un vieux camarade, aux percussions) et maintenant je sais que j’ai une équipe de choc pour jouer à quatre, en duo avec Jan ou tout seul. J’ai déjà plusieurs dates pour la rentrée sous plusieurs formules.
(Olivier Rocabois au concert au Walrus avec son groupe - Photo Olivier Popincourt)
Et on peut espérer un album pour bientôt ?
Houla !!!! Le 45T a été enfanté dans la douleur donc j’avance mais je ne veux pas aller trop vite. Comme j’ai du matériel à la maison, je peux maintenant travailler vite pour maquetter et poser les bases mais, comme tu le sais, pour faire un disque il faut peu ou prou une dizaine de personnes entre les musiciens, les ingé sons … Cela peut prendre des semaines et des mois pour caler un truc et ça me rend dingue. Toutefois, je te rassure : une dizaine de demos est prête, plus d’autres titres plus freestyle que je maquette comme ils viennent : au total, une vingtaine de chansons éligibles : grosse actu phonographique à prévoir l’an prochain !
Mais tu peux tout faire tout seul, sauf la batterie et les cuivres ?
Attention, je veux bien préciser que je suis un instrumentiste médiocre : je joue du piano, de la guitare, de la basse (ma nouvelle fixette !) mais je suis loin d’être un virtuose… Mais j’ai beaucoup d’idées et il faut bien les ordonner alors je passe beaucoup de temps à peaufiner mes morceaux parce que j’écris un peu partout … Pour en revenir à l’album, ce sera donc probablement en 2020 mais je ne sais vraiment pas quand. J’en profite pour exprimer toute ma gratitude à Yves Medveski et Rodolphe Dauthel, surtout à Yves qui nous a quittés en juin, pour leur aide précieuse sur ce projet.
J’ai vu aussi que tu allais accompagner pour ses concerts, Jean-Emmanuel Deluxe ?
Oui, Pierre Sojdrug, un ami commun m’a recommandé auprès de lui, on s’est rencontré, on s’apprécie, le courant passe bien et il est donc possible que je l’accompagne pour de futures dates.
Est-ce que, comme Jean-Emmanuel Deluxe, tu ne serais pas un représentant de ce que l’on appelle « la Pop Culture » ?
Bien sûr, je suis comme un poisson dans l’eau avec toute cette mythologie ! On en a beaucoup parlé ensemble et c’est vrai que c’est aussi mon univers : depuis mes quinze ans, j’écoute de la pop anglaise, je lis en anglais tous les jours, je fréquente pas mal d’anglophones, je vais à Londres le plus souvent possible, je me lève le matin en pensant aux Beatles, je me couche le soir, je pense à Bowie, j’ai vu Divine Comedy vingt fois en concert et j’adule Jarvis Cocker (le chanteur de Pulp Ndlr) qui est pour moi le meilleur auteur de pop contemporain… Tous ces personnages m’éblouissent, c’est vraiment ma culture. Leur travail me laisse pantois et ils agissent sur moi comme de puissants stimulants et en effet, ce sont de glorieux représentants de la « Pop Culture ».
(Photo Francis Lennert)
Ne serais-tu pas devenu aussi le représentant d’une scène pop française qui enfin est reconnue avec des gens comme French Boutik ou Popincourt ?
Tu peux aussi rajouter The Last Detail (Mehdi Zannad), Xavier Boyer (Tahiti 80) ou le SuperHomard (Christophe Vaillant) . Ce sont tous des copains, voire des amis comme Popincourt. On se connait tous : on a beaucoup de points communs et je pense qu’aujourd’hui, il y a peut-être de la place pour nous. Même si on est inondé de musique, notre style pop est enfin accepté, avec le fait de chanter en anglais. Attention, j’adore le français, mais l’anglais reste la langue de la pop. Les bases de la grammaire pop ont été posées il y a soixante ans et on ne peut pas trop les changer (rires). Pour en revenir à ta question, je crois que si on commence à être accepté c’est que notre époque est ultra créative : il y a un vrai dynamisme et c’est chouette !
On peut imaginer que tu écrives pour d’autre gens ?
Oui : par exemple, je fais deux textes pour le SuperHomard en ce moment. Super collaboration, très fructueuse. Et je commence à écrire aussi pour mon vieil ami Popincourt ! Mon nouveau disque a peut-être changé mon statut dans le monde de la pop parisienne, même si on sait tous que les statuts, c’est fragile et ça évolue à toute vitesse (rires). Je suis content de travailler ma musique tous les jours, d’être aspirée par elle. Je suis juste heureux d’être vivant, père de deux garçons, parce que même si le monde se déchire, on continue à faire de la musique avec nos 12 notes. Alors si on me contacte pour écrire, merci par avance : j’ai une vraie soif de musique, de composition…
Il y aura un clip sur « Nightmare » ?
Oui, c’est possible. En pourparlers. In the pipeline !
Avec ce disque, il est où ton côté Breton et plus précisément Morbihannais ?
(Enorme rire) Je ne sais pas peut être dans le fait que la Bretagne soit à proximité de la Grande-Bretagne. Je me sens peut être à l’aise à cause de ça, quand je vais à Londres ou à Liverpool.
Mais on peut imaginer que l’on puisse avoir de la musique gaélique sur tes titres comme de la harpe celtique ?
J’aimerais bien, parce que c’est de la musique écrite et souvent quand je travaille à l’Opéra, je reste bouche bée devant l’orchestre. Dans le prochain disque, il y aura des morceaux dans la lignée des chansons du 45T mais aussi des titres plus épurés où justement on pourrait placer juste une guitare avec une voix et des cordes et peut être de la harpe, qui sait ? Je veux garder ce côté respectueux pour la musique dite classique. J’ai eu l’honneur d’être guitariste pour un ballet contemporain à l’Opéra et franchement j’avais vraiment le trac, j’ai trop de révérence pour cette musique ! Balancer un solo de gratte électrique dans la fosse de Garnier pendant dix représentations fut un des sommets de mon modeste parcours ! Jan participa aussi à cette aventure.
(Photo Matthieu Dufour)
Justement quel est ton rapport au Rock’n Roll qui est loin de tout ça ?
Avec cette musique j’ai un rapport de proximité, de fascination, de tendresse, d’admiration et d’attraction…
Mais ta musique est une musique d’adulte alors que le rock c’est une musique d’adolescent que tu n’es plus ?
Tu crois ? Je ne sais pas… J’assume mon âge et je veux pas souscrire au délire du jeunisme. Par exemple, j’adore la scène. Je joue tout le temps. Une moyenne de 20-30 dates par an. Il y a 30 ans quand j’étais au lycée, j’ai arrêté d’écouter le Top 50 et j’ai commencé à écouter des choses plus "sérieuses". J’ai commencé à boire, à fumer des pétards, à prendre des acides, bref à me défoncer. Depuis deux ans je ne bois plus, je ne fume plus et je me suis découvert une nouvelle énergie qui pourrait laisser croire que je suis plus "adulte" ! Mon rapport au Rock’n Roll a muté comme ça (rires). Mais le sens de l’émerveillement demeure ! Regarde les Stones, McCartney, Dylan, Neil Young : ils approchent les 80 balais et tournent tout le temps. Va donc leur dire que « le rock, c’est une musique d’adolescent » !
Mais la pop song est quelque chose d’intemporel et toi tu respectes vraiment les fondamentaux de la pop telle que Phil Spector ou Brian Wilson les ont définis. Quand j’écoute tes titres, c’est vraiment ce que je ressens.
Merci, tu cites des artistes que je vénère, surtout Brian Wilson…lui-même fan de Spector ! Je joue presque toujours une reprise des Beach Boys en concert. Et oui, je travaille à l’ancienne. Dans ma salle de musique, il y a un piano droit, une guitare acoustique, une basse, une paire de synthés, un Mac, deux micros et quelques amplis. Alors oui, hormis l’ordi, j’écris des chansons comme en 1971 et j’adore ce format !
Mais tu ne penses pas que si ta musique touche aussi les gens c’est parce que elle est totalement organique sans électronique ?
Détrompe-toi, il y en a un peu pourtant (rires) !
Mais tu revendiques un côté artisan ?
Absolument, je suis beaucoup plus à l’aise avec le terme artisan qu’avec l’appellation d’artiste qui est toujours, dans mon cas, un peu … présomptueuse… Je suis un artisan quand je suis devant mon piano ou ma guitare. Quand je prends des notes pour composer, c’est complètement de l’artisanat . J’adore cet exercice qui me permet d’exister de manière cérébrale. Je me sens comme un menuisier quand il prend ses mesures. Il faut juste trouver des cohérences.
Que veux-tu dire pour la fin ?
Tout d’abord merci et maintenant je vais me remettre au travail pour finir la chanson sur laquelle je travaille avec beaucoup de plaisir. Le titre s’appelle « High As High ». J’ai une énergie folle avec un côté apaisé, c’en est presque irréel.. Je vais prouver à mon entourage que je ne suis pas qu’un adolescent attardé, même si je dois toujours l’être un peu (rires)
(Pochette du 45 t - Graphisme Pascal Blua)
- Double single Olivier Rocabois « Ship Of Women / Somewhere In A Nightmare » d isponible en physique (45 tours vinyle) et sur toutes les plateformes.
- Album ALL IF « Absolute Poetry » d isponible en physique (33 tours vinyle) et sur toutes les plateformes.
A retrouver aussi chez les disquaires favoris : Walrus & Balades Sonores (Paris), Cosmonotes & Cheminant (Vannes), Bazoom (Auray)
-Prochains concerts :
*14 septembre
Conflans Ste Honorine https://www.facebook.com/events/2673615589337800/
*18 octobre
Paris https://www.facebook.com/events/2197717617020796/