C’était il y a quatre ans, ce site était balbutiant et j’avais rencontré Maxime Delpierre sur une terrasse de café qui dominait Paris. J’étais, et je suis toujours, un grand fan de Limousine, son groupe inclassable et j’avais adoré l’album qu’il venait de sortir avec VKNG. Il en était sorti deux interviews passionnantes qui racontaient la carrière de Maxime. Au moment de se quitter, il m’avait indiqué qu’il travaillait sur un album solo.
Quatre ans plus tard l’album est là, il s’appelle « Naoned » (Nantes en Breton) et il est superbe. Un disque intimiste, brillant et inclassable à l’image de son créateur. Sachant que ce disque sortait sous peu, j’ai envoyé un message à Maxime pour lui proposer d’en parler. On a pris rendez-vous pour quelques jours plus tard pour une conversation passionnante avec un des musiciens des plus discrets et des plus talentueux de sa génération.
https://www.buzzonweb.com/2016/03/interview-de-maxime-delpierre-part-1-une-jeunesse-en-six-cordes
https://www.buzzonweb.com/2016/04/maxime-delpierre-interview-part-2-une-vie-en-six-cordes
Il y a quatre ans tu m’avais indiqué que tu préparais un album solo ?
A l’époque j’étais dans VKNG , on fait une tournée et puis on a arrêté tranquillement. J’ai donc planché sur un album solo, tout seul devant mon ordinateur, pendant un an ou deux. J’ai été contacté par Pascal Schumacher, un super artiste Luxembourgeois avec lequel nous avons fait un album “Drops And Points” et une tournée et puis j’ai rencontré Gaétan Levesque qui est un artiste metteur en scène de cirque. Sa spécialité est le trampoline, il m’a contacté et j’ai placé mon projet de musique électronique dans son spectacle ‘Esquive”. J’ai beaucoup aimé ça, je trouvais que c’était une belle destination.
(Maxime Delpierre - Photo Bastien Burger)
C’est bizarre pour quelqu’un comme toi qui est un des meilleurs guitariste Français de faire de l’électronique ?
Merci (rires), en 2020 je crois que c’est assez fréquent. Mais c’est vrai je suis un guitariste et j’étais content que Gaétan me propose de faire la musique de son spectacle. Quand je suis allé à la première répétition et que j’ai vu ces jeunes circassiens, j’ai eu envie d’entendre mes morceaux sur leur travail. Je trouvais que cette musique électronique fonctionnait bien pour ce spectacle et tout mon travail est parti pour ça. Je vais bientôt sortir cet album : c’est comme une bande-son rock faite avec de l’électronique. La seule différence avec “Naoned” c’est que cette musique n’a pas été enregistrée “live” en studio. C’est pour ça quand il a fallu que je produise mon disque Maxime Delpierre, j’ai voulu trouver quelque chose qui se passe autours de ma guitare et que ce soit enregistré “live” en studio avec le groupe.
Tu as aussi fait un album avec Limousine durant cette période ?
Oui et j’ai fait aussi un peu de promo avec Jeanne Added en guitare-voix au moment des Victoires de la Musique et on a enregistré quelques titres dans cette formule simplement parce que son label voulait avoir quelque chose à ce moment-là. On a enregistré deux trois morceaux à Hasting en Angleterre. J’ai aussi produit un album pour Fred Poulet “The Soleil” à la fin de VKNG, un peu de peu prod aussi pour divers artistes ; Les Amirales (Brest), Annika And The Forrest (Suede) et Veronika Boulycheva (Oural/Russie). J’ai aussi eu 40 ans et passé pas mal de temps à regarder par la fenêtre en me demandant ce que j’allais faire...Avec un peu d’ennui...je n’avais plus eu l’occasion de m’ennuyer depuis mon adolescence. Il y a une vraie poésie dans l’ennui.
Ton album s’appelle « Naoned » ?
Ca veut dire Nantes en Breton (rires). Tout a commencé avec Juan de Guillebon, mon ami bassiste. Il m’a beaucoup poussé à faire un projet sous mon nom. J’ai commencé par faire des répétitions avec Juan et David (Aknin le batteur de Limousine Ndlr), cela m’a permis de mettre en place des musiques. Parfois j’arrivais avec une ligne de basse ou une partie de guitare qui me permettait de créer une composition originale. On est parti en studio autours de ça et puis j’ai retravaillée la musique à la maison pour lui redonner des formats plus souples.
Cela ressemble à du jazz ?
ça je ne sais pas. J’ai le sentiment qu’à notre époque, ce clivage entre le jazz et le reste commence ENFIN à devenir plus abstrait voire superflu. Enfin, j’espère. En tout cas, j’attends cela depuis toujours. Je m’entoure de musiciens qui ont joué autant du jazz que du rock. En passant par l’improvisation j’ai commencer à trouver ma musique. J’ai besoin de passer pas la case ou je ne me pose pas trop de question sur ce que je suis en train de faire. L’improvisation est idéale aussi pour ça. Le programmateur de La Gare m’a proposé de jouer tout un week-end avec 3 sets par soirs (Salle de concerts parisienne Ndlr) et on a tout testé en live : on avait une vraie liberté à ce moment-là ! Quand on est rentré en studio, il a fallut mettre la musique par écrit. C’était comme “jeter l’encre”.
C’est quand tu as eu cette résidence à « La Gare » que tu as décidé de faire un album ?
Oui et j’ai rencontré le label à peu près dans cette période. J’avais été invité sur un album du groupe Magnétic Ensemble, un projet mené par Antonin Leymarie, un super musicien improvisateur et très bon batteur. Je le connais depuis longtemps. On a eu une vraie rencontre avec Julien Princiaux, le boss du label AIRFONO, il m’a proposé de faire un disque.
Tu avais qui comme musiciens sur le disque ?
David Aknin, Juan De Guillebon, Arnaud Roulin, Frederic Soulard… la famille, quoi !.
C’est qui Edith Progue qui chante un titre sur l’album ?
C’est un artiste song-writer et le père d’un copain : c’est un excellent guitariste avec qui je partage une vision assez similaire de l’instrument. C’est un fan de Neil Young et des Pink Floyd, ce genre de culture … Ca s’est passé simplement avec lui ! En fait j’ai eu plusieurs phases pour ce disque : j’ai voulu par exemple essayer des musiciens extérieurs à mes potes mais à la fin c’est mon entourage musical de longue date qui m’a aidé à finir ce disque.
Tu n’as pas eu peur de faire un album de Limousine en solo ?
Si un peu mais je me disais que je ne pouvais pas faire aussi bien (rires). A partir de là la comparaison ne pouvait plus exister. Limousine c’est 15 ans d’histoire commune et le plaisir de faire des disques, et des concerts, ensemble sont incomparables. Il n’y a pas de leader et chacun a sa place : donc si un membre du groupe sort un album solo, il y a des chances pour que l’on sente un peu le parfum du groupe..
(Maxime Delpierre en répétition - Droits réservés)
Dans Limousine la guitare est importante et sur ton disque aussi : tu es cohérent dans ta musique ! Ta guitare a un son très élégante avec un côté « guitare surf ».
C’est ma culture : j’adore la « Surf Music » en particulier les Ventures ! Mon père en jouait et c’est du coup un des premiers styles de musique que j’ai essayé de jouer. C’est aussi une musique où la guitare est au centre mais sans héroïsme et j’aime bien ça. En fait j’aime beaucoup l’idée que quelque chose puisse manquer sans l’on sache trop quoi... Les albums en “version instrumentale” est aussi quelque chose qui se fait dans le Hip-Hop, notamment.
Mais est ce que justement ta musique ne serait pas « du Jazz Surf » (rires) ?
(Rires) Je ne sais pas, mais j’aime bien l’idée !
Mais on sent que derrière tes musiciens ont une manière de jouer qui rappelle le jazz mais que à tout moment cela peut évoluer vers le rock et la pop ?
Pour créer ce disque j’ai été piocher là-dedans vraiment … C’était un peu l’idée ! C’est un disque d’aventuriers parce que il fallait que je cherche une manière d’aborder ma propre musique. Pour une fois je m’accompagnais personne et ça n’a pas été aussi simple. Je voulais juste que le disque soit vivant et joué avec des musiciens.
Justement il a été fait avec qui et où ?
Au studio Delta à Paris avec Thomas Bunio et toute son équipe de killer.
Tu n’as pas mis de saxophone pourquoi ?
Mon album est centré sur la guitare et les disques de guitare qui me faisaient rêver enfant c’est des albums où le guitariste est soliste. Du coup j’ai repris cette tradition-là. Maintenant il y a un deuxième album qui est presque prêt et il y aura sur ce nouveau disque d’autres influences avec, j’espère, des ouvertures sur les cuivres et donc le saxophone.
Tes compositions sont co-signées ?
Certaines, oui. Par exemple le morceau « Mantra », Arnaud Roulin est venu il savait ce qu’il avait à faire : il a improvisé une pièce directement pendant l’enregistrement. Je joue un thème et les musiciens improvisent leurs parties.
Qui a réalisé ?
C’est moi, j‘imagine et sacrément bien aidé par Thomas Bunio, l’ingé-son du Studio Delta. Il a travaillé avec Tinariwen, Stephen O’Malley de Sun O))) et Rodolphe Burger. C’est d’ailleur Rodolphe qui m’a fait découvrir ce studio. Cette rencontre a été déterminante parce que un studio c’est souvent 50% du boulot et comme celui-ci a une vraie histoire avec des guitaristes, cela m’allait … Thomas Bunio a aussi mixé l’album. J’aime beaucoup son travail ! J’ai envie de continuer comme ça.
Tu crois que le gamin de 17 ans qui jouait dans les Comics Strips (son premier groupe à 17 ans Ndlr) serait content de ce disque ?
(Rires) Oui je crois ! C’est à ce gamin que je parle ! Il a fallu que je me libère de pleins de choses pour faire ce disque. En cela, la quarantaine c’est pas mal.
Pourquoi : tu avais peur de la liberté ?
Au contraire : j’avais peur de m’enfermer ! Par exemple j’ai fait un groupe de surf il y a bien longtemps et quand j’ai ré-écouté je me suis aperçu qu’il y avait trop de guitare : j’étais enfermé dedans ! J’aurais du tout surjouer à chaque concert ! Trouver un cadre qui semble naturel et qui nous plaise, ça prend du temps.
https://www.youtube.com/watch?v=qsD-GvDHP2k
Quand j’écoute ton disque on retrouve du Viva and The Diva , du Limousine mais pas trop de VKNG …
Ah bon, je trouve que je suis assez fidèle à mon travail, notamment avec le morceau “Holy Criminal” avec Edith Prog, ça me rappelle le travail que j’ai fait avec Thomas de Pourquery.
Mais ton disque est un album de guitariste qui veut rester accessible sans surjouer qui est souvent le problème des albums de guitariste ?
Oui, simplement parce que je n’aime pas être trop bavard avec ma guitare. Au bout d’un moment, mon propre son m’épuise. Cela me demande beaucoup de travail pour enlever tous les ornements liés à ça et qui ne sont pas nécessaires.
Tu es donc un peu un homme de pop ?
Oui, c’est ça. J’aime bien quand on est à la limite et qu’il manque peut être quelque chose mais peut-être que non, finalement …
C’est un album très intimiste avec des relents de Bretagne ?
C’est normal l’album s’appelle « Noaned » et quand tu arrives à Nantes tu as les deux pancartes et avant d’habiter à Paris je n’avais jamais remarqué que il y avait les deux pancartes : Nantes et Naoned. C’est devenu presque un lieu imaginaire parce que pour moi c’est resté le Nantes des années 80, assez différent ce que c’est devenu aujourd’hui. Un lieu ou j’ai vécu et que j’ai aimé. Aussi le fait d’avoir travaillé avec Rachid Taha, j’ai réalisé qu’il y avait quelque chose de très fort dans l’idée de raconter sa propre histoire en faisant du rock.
Quels sont tes projets ?
Vue la situation actuelle on va faire des « actions musicales » à l’automne. On va faire des résidences et on va travailler, répéter pour des mini concerts pour 15 ou 20 personnes avec un public qui tourne dans des appartements ou en extérieur. Cela donne des activités artistiques intéressantes. On sera en trio. On a des concerts déplacés et on ne connait pas la date de retour. On ne sait pas comment on va vivre de notre métier dans les prochains mois. J’ai la chance d’avoir plusieurs casquettes : compositeur, producteur… J’ai des petites commandes qui vont me permettre de vivre…
(Droits réservés)
Mais ta musique peut aller très bien pour la musique à l’image ?
Je l’espère. Je viens de finir des petites vidéos avec ma compagne. J’ai fait la musique du premier moyen métrage de Justine Triet, qui s’appelait « vilaine fille, mauvais garçons ». Avec Limousine on a fait une BO et j’ai fait la musique d’un documentaire pour France 2 sur la maladie d’Alzheimer qui n’a pas encore été diffusée. J’aimerais bien avoir une belle commande pour faire une BO.
Tu n’as jamais pensé à faire de la musique pour le théâtre ?
J’aimerais bien, j’ai fait une fois la musique pour un spectacle aux Amandier s. Mais tu sais c’est compliqué : on a mis 14 ans à faire notre première vraie BO avec Limousine . Ca parait bizarre mais c’est comme ça (rires).
Tu parles beaucoup de Limousine dis donc …
C’est notre vieux groupe, notre repère, un peu comme un totem (rires). Quoi que fassions il y a Limousine pas loin (rires)…
Et quand on t’entendra chanter ?
Je fais des “ouuuh” sur l’album et c’est déjà bien pour moi (rires).
Mais tu as de la gêne à te mettre en avant ?
Je n’ai pas la personnalité d’un chanteur c’est sûr ! Mais ce disque est un début, il y aura des choses après. Par exemple Molécule, un artiste que j’aime beaucoup, m’a proposé de faire un morceau pour sa compilation pour aider les soignants pendant le confinement. Le morceau est sorti un mois pile avant mon premier single et ce jour-là je me suis dit que venait de sortir pour la première fois un morceau sous mon nom, Maxime Delpierre. Ce n’était pas prévu : j’ai fait le morceau en trois jours et je voyais mon nom pour la première fois sans pseudo. C’était le début de quelque chose. Désormais je suis à la fois seul et super bien entouré, c’est le début et j’ai envie de sortir pleins de choses …
Tu as donc enfin accepté l’idée d’être artiste ?
Oui, c’est ça ! J’ai accepté que ce que je faisais c’était ça !
Il sort quand ?
Il est sorti, tu peux le trouver sur toutes les plateformes et dans les boutiques à partir du 19 juin !
Maxime Delpierre : Naoned - Cavalcade