Peux-tu te présenter ?
Je suis Philippe Bouchey, je suis né en 1960. J’ai eu une adolescence entièrement consacré au rock : je n’avais que ça en tête. Ca explique une « petite carrière » dans le rock et comme j’ai eu peur de finir comme un vieux rockeur à trainer dans les bars avec mon vieux « press book » et mes vieilles photos, j’ai repris des études par correspondance et je suis devenu professeur. C’est un métier qui m’a réussis : les élèves m’aiment bien !
C’est quoi tes premières amours ?
C’est vraiment le rock roll. J’ai le souvenir d’avoir acheté mon premier disque au « Nouvelles Galeries » de Dijon de quelqu’un dont je ne savais même pas prononcer le nom , c’était Eddie Cocheran (Eddie Cochran Ndlr). C’était un double album chez United Artist avec une présentation de Lenny Kaye. Je me souviens de ma fascination pour la tête du mec. Il y avait quelque chose de vital là-dedans : c’était une révélation. J’ai posé le disque sur la platine et je rappelle avoir été déçus par certains morceaux qui étaient des ballades mais aussi d’avoir adoré la voix et la guitare. Ensuite j’ai rencontré un Irlandais qui était assez barré. Il était déjà nostalgique de cette époque et ensemble on a beaucoup parlé de rock.
Tu étais à Dijon ?
Oui, jusqu’au collège où je suis parti en pension en Ile de France. Comme j’étais plutôt un très bon élève je suis rentré en seconde à 13 ans.
Ça vient de tes parents ta passion pour la musique ?
Pas du tout, je ne connais pas mon père et ma mère était une des première gynécologue femme de Dijon. Elle était très ouverte : elle achetait Charlie mensuel que je pouvais lire quand j’avais 11 ou 12 ans. Les profs lui répétaient que j’étais intelligent et elle a cru que je ferai un gros truc dans ma vie comme du Droit … Elle a été assez déçu par mon amour du rock.
Et c’est quoi la suite de ton chemin musical ?
En fait j’ai fait un peu comme tout le monde : je suis passé de groupe à groupe, jusqu’à découvrir la musique noire. On arrive tous à ça, un jour tu découvres Otis Reding, Muddy Waters et à ce moment-là c’est génial. Le résultat est que tu t’intéresses aux blancs qui écoutent la musique noire et donc je me suis à écouter beaucoup le premier album de Doctor Feelggod qui était pleins de ses influences.
C’est un peu l’attitudes des Mods non ?
Un peu mais les Mods aimaient surtout la musique noire urbaine, les trucs comme « Tamla Motown » ou la Soul, la musique plus … sophistiquée, alors que si tu passes par le blues tu découvres autre chose…
Et en 1978, tu fondes les Stunners ?
J’ai passé mon bac avec deux ans d’avance, je suis rentré en fac et j’en suis reparti au bout de deux semaines. J’ai eu alors une période d’errance adolescente avec un pote. Je suis parti à Clermont Ferrand, finalement je suis revenu à Paris pour monter un groupe, c’était en 1978. Le punk était bien installé. J’ai aimé l’énergie mais ce n’était pas mon truc. Je préférais le J Geils Band ou Sousthside Johnny.
Justement, à l’époque tout le monde regardait la scène Anglaise et New Yorkaise et toi tu étais branché par le rock américain ?
Je me suis intéressé aux groupes punks ! Je suis allé les voir à la « Nuit Punk » au « Palais des Glaces » mais je ne les trouvais pas assez … stylés. L’énergie était bien mais je n’appréciais pas le côté des Clash « No Elvis in 1977 ». Mon truc à moi à l’époque, c’était Mink de Wille ou Southside Johnny que j’ai vu dans les sous-sols de l’Olympia en 1978 et on était très peu nombreux.
Tu te sentais proche de gens comme les Dogs ou Little Bob Story ?
Bon, j’ai adoré. Mon but ultime était de devenir « roadie » de Little Bob. L’album « High Time » a été un album super important, comme pour beaucoup de gens. Les Dogs c’était un peu différents, j’ai un peu plus de mal. J’aime bien ce qu’ils faisaient mais c’était trop blanc pour moi…
Comment on arrive aux Stunners ?
Je voulais monter un groupe, c’était mon objectif. J’avais un copain qui s’appelait Bernard avec qui j’étais en pension. Il chantait et moi je faisais de la guitare. On a passé une annonce dans « Libération » et le mec qui est arrivé, avec sa Gretsch, c’était Rachid et c’est un génie de la guitare. Il était formidable et le groupe va se construire autours de gens, comme lui, formidable ! C’est la magie de l’histoire, il y aura que des gens comme incroyables dans les Stunners comme Rachid, Saïd avec son sax ou encore Mickey à l’harmonica. Tout de suite on était à part : on faisait des reprises des Coasters par exemple. On a quand même envoyé une cassette à Best en 1979 et comme à l’époque personne ne faisait ça on a eu un petit article dans ce journal. On a commencé à beaucoup tourner : « Golf Drout », « Rose Bonbon », « Gibus »… On était vraiment à part dans la scène : pas punk, pas indépendant …
Il y a eu qui dans le groupe ?
Il y a eu beaucoup de monde mais la formation qui a vraiment était connue c’est : Hubert Evrard à la batterie, Alain Bentabou à la basse, Rachid Kheloufi à la guitare, Saïd au saxophone et Mickey Blow à l’harmonica.
Vous avez beaucoup tourné ?
C’est l’impression que ça donne mais à l’époque il n’y avait pas beaucoup de possibilités. On jouait le plus possible mais c’était la France de l’époque et il ne faut pas croire que tu ramenais 300 personnes à Verdun. Ce qui a vraiment déclenché le truc c’est un contact avec Dauga le bassiste de Bijou qui sentait que son groupe battait de l’aile et il cherchait à manager des groupes. On a rencontré aussi Antoine de Caunes qui nous a fait passer à la télé alors qu’on avait rien : ni producteur, ni éditeur. Il nous a filmé au Rose Bonbon avec les moyens de la SFP pour « les Enfants du Rock ».
Vous avez fait une première tournée avec un premier 45 t auto-produit et puis il va y avoir le premier 45 t en distribution nationale en partenariat avec une marque de bière ?
Oui Dauga nous a présenté partout et le seul truc qu’on a eu c’est un bon contact avec « Clousseau Musique » qui était une boite d’édition dirigée par Philippe Constantin, un très grand directeur artistique. Ils ont cherché une boite de production pour nous et ils nous ont dirigé vers un tremplin organisé par les bières Bush. On a gagné et grâce à ça on a eu un contrat avec Virgin qui était prévu dans l’histoire. Ils nous ont signé pour trois albums et comme ça on a pu faire un album.
Vous avez beaucoup joué mais dans vos concerts il y avait au moins un tiers de reprise ?
Oui, il y a toujours eu des reprises. L’idée c’était de mettre en avant d’où on venait, la musique qu’on aimait et nos gueules passaient après. Il fallait vraiment faire découvrir cette musique géniale. Dans les concerts ce que on préférait et que j’adore toujours, ce sont les rappels. C’est le moment où tu peux faire les reprises de morceaux qui te faisaient rêver quand tu étais môme.
Tu avais aussi une super voix ?
N’exagérons pas, je la forçais pas mal mais à la fin elle était plutôt pas mal.
Quand l’album est sorti il y avait cette pochette incroyable où vous étiez tous les six dans un bar avec toutes ces pochettes de disques.
C’étaient les miennes ! L’idée c’était de faire une pochette, où on pouvait rêver et moi j’ai rêvé devant ces pochettes. Moi je voulais montrer comment on était et montrer nos disques de chevet.
L’album donc ?
Moi je voulais qu’il soit produit par Southside Johnny, bien avant qu’il le soit par Little Bob. Il est venu nous voir en répétition, il a chanté mes morceaux pour m’aider à mieux placer ma voix. Il était partant mais Virgin qui ne comptait pas mettre autant d’argent pour ça. On a rencontré Michel Olivier par notre manager de l’époque et puis on s’est embarqué avec lui. Il n’était peut-être pas le mec le plus adapté pour nous mais c’est comme ça. Il faut préciser que on sortait d’années de galères et là on avait un budget, un beau studio avec piscine et donc on a jouis.
Sur l’album il y a des reprises ?
Oui, deux !
Et là on vous voit beaucoup à la télé, dont une reprise incroyable de « Sex Machine » aux enfants du rock, vous tournez beaucoup et puis plus rien : qu’est ce qui s’est passé ?
On n’a pas eu de hits ! On a subi en plus les transformations chez Virgin et Clouseau, ce n’était plus la boite sympa mais au contraire c’est devenu une grosse boite avec des mecs qui sortaient d’école de commerce. On comprenait plus rien : plus « d’Open Space » mais des bureaux avec des cloisons. Le PGG a changé et c’est Fabrice Nataf qui es arrivé. Il s’est retrouvé avec un album qu’il n’aurait pas voulu comme ça. Comme il n’avait pas voulu l’album comme ça mais il nous a gardé avec les Rita et les Innocents. On devait deux albums à Virgin et Mickey voulait faire un truc un peu solo. Il nous en a parlé, on était d’accord. Il était poussé par son entourage qui l’encourageait à partir en solo. Il l’a fait et Virgin nous a reproché d’avoir perdu un membre. Il y avait une clause en ce sens et ils nous ont rendu le contrat du jour au lendemain. Le fond du truc c’est que on vendait pas assez. Nataf, nous a quand même commandé des maquettes mais le groupe avait beaucoup donné et on a perdu du jus dans cette histoire. On cherchait des solutions à nos problèmes alors que musicalement on nous demandait un hit. C’était pas pour nous !
C’était en quelle année ?
En 1984, 1985. On a fait « la fête de l’Humanité » sur la grande scène en 1984 et on maquette ensuite sans grande conviction. On a même eu un côté Rap et franchement c’était pas très bien. Comme Nataf était pas idiot il a compris qu’on sortait rien d’intéressant. On avait plus aucunes énergie et donc ça s’arrête comme ça, un peu bêtement…
Tu as des regrets ?
Un peu, surtout que avant que on signe chez Virgin, un petit label voulait nous signer et j’ai dit non. Je voulais des moyens et c’était une bêtise. On aurait pu faire un truc vraiment indé comme la Mano Négra. Mais on a fait partie d’une génération qui était entre Téléphone et les Indés. Beaucoup de groupes comme nous à l’époque on fait n’importe quoi dans les grosses boites. On voulait quand même toucher le grand public. On nous conseillé de faire un Live, j’ai pas voulu et j’ai eu tort… Avec le recul je me dit que c’est la meilleure chose que on aurait pu faire : un live ! On a pas osé.
Il n’y a pas eu de reformation ?
Une fois au Plan en 1994 et c’est tout. Mais on s’est quitté bons amis. J’adore Mickey et je suis très content qu’il soit avec Bob maintenant. Je suis un peu triste que un mec aussi fort, créatif que Rachid n’est pas fait plus de trucs après. Je suis ravis que Saïd est joué avec Khaled après. En fait ces mecs étaient vraiment des types biens ! Un de mes plus beaux souvenirs c’est la première partie de Téléphone au Zénith. On arrive sur scène, il y a pleins de bruits dans la salle. On démarre avec un instrumental, je me recule et je regarde le groupe et là j’étais tellement heureux qu’on soit là. C’était un bonheur de les avoir près de moi. On s’est quitté bons amis et puis moi je ne suis pas du tout nostalgique : les choses sont passées et c’est très bien comme ça.
Pourquoi l’album n’a pas été réédité ?
Aucune idée ! Je pense que on était trop à part Les gens qui nous aimaient étaient vraiment des fans de musique. On était trop singulier pour la France. Ca n’intéresse pas assez de gens. On a vraiment essayé de faire quelque chose de bien. Pour moi c’était profond et je pense que on y est presque arrivé (rires). Un vrai groupe comme Bob ou J Geils Band mais en Français et on y arrivait pas.
Après les Stunners tu as sorti un livre ?
Oui, on avait rencontré pas mal de gens et grâce au journaliste Paul Moreira, un mec formidable. On avait fait « Mozaique » une émission de télé parce que il y avait deux Nords Africains dans le groupe et certains y ont vu une nouvelle version du métissage. On a fait une interview pour le magazine de Moreira et comme ma façon de répondre lui a plu, quand on lui a propos de faire un livre sur le rock, il m’a aussitôt proposé. Et je l’ai fait.
Vous vous en foutiez du métissage ?
Complétement ! On était là avant « Touche pas à mon pote ». On aimait le rock et c’était comme ça ! En fait la signification politique du rock, ça me fait chier !
Mais quand vous arriviez dans la France profonde, c’était pas trop compliqué de reprendre du Otis Redding ou de la Soul ? l
Non, parce que on ne jouait pas assez bien (rires). On a fait des trucs , des festivals, des concerts programmés avec du rockabilly, du hard rock et on s’en est sorti à chaque fois parce que on partait à 200 à l’heure. Tous les publics aimaient ça. Ça l’a toujours fait. On a triomphé de tout sauf du public babas cools.
A partir de 1990, je n’entends plus parler de toi jusqu’au jour où j’apprends que tu as un nouveau groupe : les Vincents.
En fait la seule chose qui me passionne c’est de faire de la musique et de composer. Il y a un moment où c’est trop compliqué pour moi de relancer un groupe. J’ai trainé dans des opérations souterraines mais sans vraiment s’y lancer vraiment. Je n’ai pas l’énergie nécessaire pour ça. Avec un pote j’ai monté un duo et on a fait ce 45 t parce que j’aimais bien ces deux titres.
Mais est ce que la littérature n’a pas pris la place de la musique ?
Non, parce que je sais que le rock s’est mon truc. J’adore la littérature, je suis prof de lettres. Parfois j’ai des envies, des volontés mais ça ne va pas plus loin. Ma mère était persuadée que j’aurais dû plus écrire mais bon je suis une mauvaise tête et je ne fais jamais ce que on me demande. Ça me fait un peu mal de n’avoir pas pu communiquer la valeur des mecs qui étaient avec moi.
Il y a un 45 t des Vincents et quelques concerts : tu n’as pas envie de repartir sur un truc plus « ambitieux » ?
Le rock tu y vas ou tu n’y vas pas ! Les Stunners s’est 10 ans de ma vie où je n’ai fait que ça. Je n’ai plus l’énergie pour trouver des concerts, la promo et tout ça. Pour tout te dire au début je voulais juste faire des reprises de Johnny Cash et Graham Parker, rien d’autre… Le seul truc qui m’amuse c’est que je fais un truc de country avec ma fille et les morceaux sont supers biens.
Mais quand tu vois des groupes comme les Bellevilles Cats, ça te démange pas ?
Non, pour moi c’est fini. Attention, c’est pas triste c’est comme la phrase de Balzac : « pensons y comme un livre lu pendant l’enfance ». C’est fini et c’est tout. Je suis content de voir des groupes comme les Bellevilles Cats, c’est un groupe vraiment excellent qui a réussi à me faire penser aux Hot Rods ou au J. Geils et rien de plus.
Ça t’a laissé un goût amer les Stunners ?
Non, pas du tout mais c’est fini … J’ai réussis à faire pleins de choses. Je suis triste juste pour mes chansons qui n’ont pas forcément trouver leur public.
Vous ne reformerez jamais ?
Oh non, tu nous vois à cinquante ou soixante ans sur scène. Le rock c’est un truc d’ado ou de jeunes gens et il y a un âge où il faut savoir s’arrêter sinon tu es ridicule.
Vous pourriez le faire : vous n’étiez pas dans votre époque, vous ne seriez donc décalés.
Mais ce n’est pas possible : la plupart des mecs du groupe sont partis à gauche et à droite. Le rock nécessite un minimum de tension et passer un certain âge ça le fait plus. Je préfère être un vieux Johnny Cash avec ma fille.
Tu veux dire quoi pour la fin ?
Rien qui ne peut intéresser les gens !
Quel disque tu donnerais à un enfant pour l’amener à la musique ?
Amy Whinehouse mais mes filles ont adoré les Coasters et les Shangris Las.