Ludo : Je suis le chanteur des Kitschenette’s, un groupe de garage-yéyé . C’est la pop française ou le rock français des années 60… On rejoue les faces B et les morceaux peu connus de cette époque-là. Parmi les artistes les plus emblématiques que l’on a repris : il y a Gainsbourg, Dutronc, Nino Ferrer, Ronnie Bird, et aussi beaucoup de filles comme France Gall, Françoise Hardy, Brigitte Bardot… Et aussi plein de chanteurs qui n’ont laissé que un, deux ou trois 45 tours, mais avec de supers morceaux, et qui, souvent, n’ont pas même pas fait de scène ! Il y avait donc plein de pépites délaissées, il n’y a qu’à se baisser pour les faire revivre !
Vous ne composez pas. Vous ne jouez donc que des reprises ?
Oui, c’est quasiment que des reprises ! En plus des morceaux qui existent déjà à l’époque en Français, ce que l’on fait aussi assez souvent c’est de reprendre un morceau anglo-saxon et on fait une adaptation originale en Français dessus. Ce que faisaient les Yéyés, en fait… Sur notre dernier disque, par exemple, il y a trois adaptations, avec des textes créés par nous.
C’est née comment cette passion des sixties ?
Le point de départ, c’est les compilations « Pop à Paris ». Il y a eu cinq volumes qui ont été réalisés par Vincent Palmer, ex guitariste-chanteur de Bijou , au début des années 2000. Je suis tombé dessus et ça a été une révélation. J’écoutais déjà du sixties avant et j’aimais bien ça, mais là j’ai découvert pleins de choses. Ma copine est, elle-aussi, aussi tombée là-dedans. On habitait en Normandie à l’époque, à Saint-Lô dans la Manche, entre le Mont Saint-Michel et Caen.
Vous êtes situés où maintenant ?
On est deux à Saint-Malo, les deux chanteurs, madame et moi. L’organiste, Greg, habite à côté de Rennes, Claude le batteur et Anne la guitariste habitent à Paris, et on a un bassiste lillois, Lou, qui est arrivé il y a un an. La formation a donc un an, mais le groupe existe, lui, depuis treize ans. Il y a toujours eu six musiciens. Mais en tout, il y a eu 28 musiciens qui sont passés chez nous. Je suis le seul à avoir toujours été là ! Lucille, la chanteuse, a raté quelques concerts quand elle était enceinte : à ce moment-là on a fait quelques concerts à cinq. Elle a aussi raté, il y a sept ans les trois concerts à New York pour des raisons de boulot. Claude, le batteur, a lui raté la toute première année du groupe.
Il vient d’où, votre nom ?
Le groupe s’est monté pour une soirée que j’organisais en Normandie. Et il ne devait exister que pour un soir, en 2006… Chaque groupe devait avoir un créneau musical à célébrer : « le reggae », « le punk », « le rock », « la new-wave » et, nous, on célébrait la pop française des années 60. Il y avait beaucoup de groupes à cette époque dont le nom se terminait en « ette », comme les Ronettes, les Ikettes, Marvelettes… Lucille, la chanteuse, avait un jeu à l’époque qui s’appelait Kitchenette et voilà c’est parti comme ça ! Le groupe a finalement continué (après le premier concert) et donc la première année c’était THE Kitschenette’s et maintenant c’est LES Kitschenette’s , parce que quand même, nous chantons en Français ! C’est un nom qui ne nous a pas toujours aidés, mais maintenant c’est comme ça ! Souvent on nous dit que on fait penser aux B52’s , un groupe que l’on aime beaucoup avec Lucille et qui fait beaucoup références aux années 60. Ça nous a fait très plaisir !
Vous sentez proches de qui, en France ?
J’aimais beaucoup un groupe de Rennes : Bikini Machine ! D’ailleurs, on a enregistré notre dernier disque avec leur batteur, Romain Baousson. Il y avait chez eux cette volonté de passeur que nous aimons aussi beaucoup, je crois. Ensuite, il y a les Wave Chargers, bien sûr ! Un groupe avec qui on partage pas mal de musiciens et qui est un peu une émanation des Kitschs… Mais le groupe dont on se sentait le plus proche, en tout cas artistiquement, c’était Les Terribles, mais il n’existe plus !
Quel a été votre parcours depuis 2006 ?
Beaucoup de concerts ! Pas loin de 200 : en France, Allemagne, Belgique, Angleterre, Espagne, Suisse, Hollande, New-York… Au début dans notre Normandie natale, bien sûr, et puis rapidement on a fait la Bretagne, Paris et puis le Nord… Le gros truc important pour nous ça a été l’Allemagne puisqu’on a trouvé là-bas, un label, Soundflat, qui nous a fait jouer à son festival en 2010 et a publié un premier 45 t dans la foulée. Depuis, on en a fait trois 25 cm. Depuis la création du groupe, on a sorti un petit 45 t et trois 25 cm (6 ou 8 titres), le tout en vinyle, of course.
Bientôt un album ?
On y réfléchit : la nouvelle formation est vraiment bien, et on s’entend tellement que l’on devrait sortir quelque chose… A la base, l’histoire discographique du groupe aurait dû s’arrêter après les trois 25 cm de notre « trilogie frenchie » (un rouge, un bleu, un blanc) ! Ça a été assez compliqué de faire le dernier que je pensais vraiment que cela allait s’arrêter après quelques concerts. Mais on a réussi à remettre en place une super équipe. Là, tout le monde est méga motivé ! Du coup, je me dis que ce n’est pas possible que l’on ne sorte pas un autre disque… En plus, l’idée que l’on sorte aussi des compositions originales n’est plus saugrenue : on est en train d’y plancher ! On peut espérer quelque chose en 2020.
La définition de votre musique est « garage-yéyé » ?
Il y a une vraie différence entre ce que l’on montre en vidéo et quand on nous voit en concert : on est beaucoup plus rock que l’image que nous véhiculons… Attention, on est très pop et on chante en français, ce qui n’est pas aussi courant dans ce milieu… On essaye surtout de ne pas faire un truc chiant ! Quand tu écoutais les compilations « Pop à Paris », ce qui nous plaisait c’était le côté masculin/féminin. On a donc pris le chant à deux : Lucille et moi pour garder ce côté. On essaye de donner la pêche aux gens, mais on a vraiment parfois un côté rock‘n’roll : ça bouge beaucoup ! Comme je ne joue pas d’instruments, je n’ai pas peur d’aller vers le public. Et ça, c’est un truc que le public se prend dans la gueule ! Ca nous est arrivé que des programmateurs qui nous faisaient jouer, avec de grosses réserves, viennent nous voir à la fin du concert en nous disant : « Mais c’est vachement bien votre truc, en fait ! » (rires).
Vous faites donc vraiment de la pop !
Pas seulement ! On a des orchestrations avec l’orgue et la guitare « fuzz » qui font que on est un peu garage, mais on tient à chanter en Français. La plupart du temps, on essaye de raconter des histoires un peu rigolotes.
Mais qu’est-ce qui vous fascine dans cette époque ?
Moi, je suis né en 1971, j’ai écouté la « new wave Anglaise », « l’indie-pop » et « la britpop »… Mais à un moment, j’en ai eu un peu marre d’écouter des trucs en Anglais que je ne comprenais pas… Je suis donc revenu à des choses que j’écoutais assez jeune : Dutronc, Gainsbourg et Nino Ferrer. Il y a aussi quelqu’un qui a été très important pour moi, c’est Étienne Daho. C’est aussi un grand fan des 60’s. Il m’a incité à aller écouter cette période. J’ai trouvé là-dedans du groove, super dansant et super bien jouée…
Mais vous êtes Bretons, proche de Rennes, qui a été LA ville « new-wave » en France !
Oui, je viens de là ! C’est mon adolescence… Mais aujourd’hui, même si j’écoute encore Marquis de Sade de temps en temps, la musique qui me botte c’est vraiment les années 60 : c’est plus fun, ça groove et ça fait danser les filles ! Et ça, crois-moi, ce n’est pas une petite motivation !
Enregistrez-vous en analogique ?
Oui et non ! Le fait que l’on soit éloigné les uns des autres nous empêche de répéter fréquemment. Autre handicap : les gens qui sont là depuis le début (les deux chanteurs) sont les moins musiciens du groupe. Enregistrer en analogique demande un vrai gros travail en amont que nous ne pouvons pas fournir… On l’a un peu fait, et on en est revenu ! Bien sûr, on aimerait le faire beaucoup plus, mais c’est quelque chose qui n’est pas si simple que ça… On a jamais réussi à être intégralement en analogique. Si on suit notre logique, on devrait faire que ça, mais il faut le studio, les disponibilités et l’argent pour tout financer. Le dernier enregistrement s’est fait en deux sessions, avec des changements de musiciens au milieu. Pas le plus simple… Peut-être qu’avec la nouvelle équipe, on y arrivera… Mais avant cela, on doit d’abord écrire les chansons !
Êtes-vous dans les réseaux sixties ?
Oui, mais on pâtit du fait qu’on est loin d’une grande ville. Au départ : on venait de Saint-Lô, 20 000 habitants : on était loin de Paris et donc loin des réseaux… On a réussi aujourd’hui à être dedans en se faisant notre place tout seuls. C’est une histoire qui dure depuis 13 ans, quand même ! Il a fallu vraiment s’accrocher pour arriver à être reconnu par ces réseaux. Le milieu sixties, au début, ne voulait pas vraiment de nous ! Mais, on est restés collés à leurs boots !
Mais vous avez avec une formule qui peut vous amener vers le grand public ?
J’en suis conscient. Merci du compliment ! C’est à la fois notre chance, mais aussi parfois notre malheur… Ça dépend. Ça aurait été notre malheur si le milieu de nous avait pas du tout reconnu et pas du tout programmé, mais c’est aussi notre chance par ce que nous sommes des « passeurs », des ambassadeurs de cette scène auprès d’un public plus large que cette niche… Ça fonctionne d’ailleurs souvent très bien auprès des gens qui ne nous ne connaissent pas du tout ce son, et le découvre grâce à nous…
Vous avez fait quoi comme festivals ?
Y’en a eu pas mal, rien que cette année. Le Binic Folks Blues (en Bretagne), le « Rock’à’Bylette » (un gros festival à Autun), on a aussi fait le Wild Weekend à Palma de Majorque (l’île espagnole des Baléares) en avril… L’an dernier, « I’m from » Rennes dans un théâtre de verdure. Et avant, on a beaucoup joué en Allemagne entre 2010 et 2014, mais aussi cinq fois à Londres, notamment dans des soirées garage-punk du club Weirdsville, et plusieurs concerts à New York.
Vous avez eu de bons retours à l’étranger en chantant en Français ?
Ça se passe très bien, surtout en Angleterre et en Allemagne, où le public était très francophile et aimait beaucoup ce qu’on faisait… Aux USA, ça a été différent : on a vraiment eu affaire au public garage, et il n’y avait pas du tout de mods, contrairement à Londres…
Comment choisissez-vous les morceaux que vous reprenez ?
À la base, c’est le désir de Lucille et de moi-même de chanter les morceaux. Ensuite, il faut savoir si le groupe aime, et peut les reprendre, les faire sonner… Pendant longtemps, on décidait tous les deux des morceaux. Maintenant, avec la nouvelle équipe, c’est beaucoup plus ouvert… Surtout avec le bassiste Lou qui est très au point avec cette culture, même s’il n’a que 24 ans ! Les musiciens actuels se sentent plus concernés par le projet. Ça aide ! On en discute beaucoup plus entre nous. Et comme ils sont aussi meilleurs musiciens, les morceaux sont plus facilement intégrés.
Est-ce que le fait que vous soyez dispersés géographiquement n’entraine pas chez les uns et les autres des frustrations de vie de groupe ?
Si, bien sûr ! Mais l’histoire du groupe a presque toujours été comme ça ! Sauf une toute petite période, où nous étions tous en Normandie dans la même ville. On s’y est habitué, depuis le temps ! Mis à part les trois Bretons, les trois autres ont tous un ou deux projets à côté : Claude est dans les Wave Chargers, Lou est dans deux groupes psyché 60’s à Lille (The Psychotic Sidewinders, et The Groundswell Motion), et Anne a des projets, notamment avec Saba Lu, la fille de King Khan. Eux trois ont d’autres occasions de jouer alors que pour nous, les Bretons, qui n’avons que Les Kitschs. Parfois, on rue dans les brancards de ne pas se voir plus…
Tu gères tout ?
Presque ! Enfin, pour ce qui est hors musique… Je gère le management, le booking concerts et toute la logistique, ainsi que l’animation de la com. La création visuelle, par contre, c’est Lucille qui s’y colle. Elle s’occupe aussi de notre (petite) boutique en ligne (Bandcamp)…
C’est quoi la suite pour le groupe ?
Comme je l’ai déjà dit, on prépare un nouveau disque avec, pour la première fois, des compositions originales. On va continuer à jouer, si possible en festivals. Et à l’étranger… Mais on a tous des boulots, et pour certains des enfants… C’est donc compliqué de partir jouer à l’étranger. On est un groupe amateur, certes, mais on peut prétendre à des plans professionnels, même s’il n’y a pas d’intermittents chez nous. On pourrait le devenir pendant un temps, mais on est heureux comme ça, alors je ne vois pas pourquoi changer…
N’avez-vous jamais essayé d’aller voir un gros label pour décrocher une grosse sortie pour présenter cette époque et cette scène, comme certains l’ont fait pour le rockabilly ?
La question ne s’est jamais posée : on n’a jamais été approché, sauf par Soundflat, notre « petit » label. J’ai bien fait quelques envois promos pour des journalistes, mais c’est tout… On est bloqué par la vie professionnelle, donc je ne vois pas ce que l’on pourrait faire de plus ! On continuera comme ça.
Mais vous n’êtes pas un groupe fétichiste qui respecte les codes des sixties à la lettre ?
Ce n’est pas complètement vrai ! On joue sur du matériel des années sixties, nos guitares sont sixties, je le sais elles sont pratiquement toutes à moi (rires). On a quand même ce côté-là… Par contre, j’espère que le public comprend que nous faisons, tout ça dans un but de passeur et d’ambassadeur et pas par obscurantisme et sectarisme ! On montre juste qu’à cette époque-là, il y avait un esthétisme super dans les fringues, les guitares… qui est super cool ! Moi, j’adore ça ! Peu de gens le remarquent mais, par exemple, quand on a joué en Angleterre un truc qui m’a fait vraiment plaisir : c’est une bande de mods qui a photographié nos guitares tellement ils les trouvaient belles. Franchement, ça m’a fait très plaisir…
Mais vous un groupe non-parisien, vous parcourez la campagne : est-ce qu’il n’y a pas chez vous un manque total de snobisme ?
Pas sûr du tout : on joue quand même sur du matériel d’époque, on fait attention à nos « looks »… On porte des boots, des vestes d’officier… On doit être un peu snobs quand même ! Mais c’est vrai on n’est pas dans l’entre-soi : on veut vraiment faire connaitre cette culture !
Tu n’as jamais été tenté de développer pleins de choses autour du groupe et de son univers : des compilations, des soirées ?
J’ai l’impression qu’on le fait déjà : on fait des disques, on a du merchandising… Ça prend du temps et faire plus cela risquerait de devenir un boulot… J’avoue que je serais parfois content si quelqu’un m’aidait pour la gestion quotidienne du groupe, mais en même temps je suis un peu jaloux et j’aurais du mal à accepter que quelqu’un vienne maintenant me dire comment faire, et jouir de nos petits lauriers. Tout ce que l’on a on l’a eu grâce à nous !
Mais vous pourriez aller plus loin dans le concept ?
On le fait en étant « Dj’s » avec Lucille sous le nom de « 2 Many Lulu’s » (comme c’est Lucille et Ludo). On le fait au festival de Binic tous les ans, par exemple. C’est quelque chose que l’on propose en plus des lives, si l’organisateur veut que la soirée dure plus que le simple concert. On a monté des soirées quand on était en Normandie. Il y avait un lieu qui s’y prêtait bien. J’ai essayé d’en organiser à Saint-Malo, mais c’est compliqué. À chacun son boulot : moi je dois déjà manager le groupe, si en plus je dois organiser la soirée, je ne profite de rien… C’est pas le but, hein ?
Tu dois être un super spécialiste de cette époque ?
Oh, il y a des gens qui s’y connaissent mieux que moi ! Mais on se défend pas mal, Lulu et moi dans le domaine… Je crois que notre force, ce que l’on arrive à la fois à faire danser les gens qui s’y connaissent, que ceux qui n’y connaissent rien. On a la capacité de fédérer des gens : on est de très bons passeurs pour cette scène. Ceci dit, je pense que le groupe est sous exploité par rapport à ce que nous pourrions faire. Un exemple : à un exception-près, on ne nous a jamais appelé pour des salons vintage ! Je pense qu’en France, les gens n’ont pas la culture sixties. Ils ont une vision des années 50 grâce à des gens comme Elvis, Johnny, les Stary Cats ou les Forbans, mais pas des sixties ! Quand on parle 60’s en France, le grand public voit soit les années 50 (avec la banane gominée) ou les années 70 (babas cools en pat d’eph !). Très peu de gens pensent : Dutronc, Gainsbourg, ou même les Beatles ! C’est comme ça…
Vous avez eu des retours des gens que vous reprenez ?
Pas vraiment… Quand on a été à New York, j’ai appelé Ronnie Bird parce qu’il habite là-bas… Mais sinon, on n’a pas contacté ces gens-là ! On aurait pu, ou dû, mais non, on ne l’a pas fait…
Parce que ce que vous faites, c’est un hommage à leur travail ?
Tout à fait !
Comment peut-on trouver vos disques ?
Sur le Bandcamp du groupe, ou en nous écrivant sur notre page Facebook.
Tu veux dire quoi pour la fin ?
Qu’il y a une super voiture des années 60 qui vient de passer ! Véridique !
Quel disque donnerais-tu à enfant pour l’amener vers la musique ?
Je pense que notre musique est très bien pour les enfants ! ça bouge, ça chante en Français, avec un vocabulaire imagé, voire rigolo. Presque à chaque fois, ça marche ! Sinon, mon fils de 5 ans aime beaucoup Jimmy Smith, l’organiste… Mais c’est sans doute pour la pochette du disque, avec une belle Jaguar Type E Et puis on peut aussi conseiller les B52’s, car notre fils (toujours lui) adore ça. Surtout le 2e album, sorti en 1980. Mais là, c’est peut être à cause de la pochette toute rouge. Il adore le rouge.