Julien Osty ou la rencontre avec un caricaturiste

mercredi 26 mai 2021, par Franco Onweb

Depuis la tragédie de Charlie Hebdo en 2015 on connait tous l’importance et, surtout, la qualité des caricatures. Il suffit d’ouvrir un journal quotidien ou hebdomadaire pour en trouver. Souvent drôles, elles peuvent parfois heurter ou choquer mais on peut reconnaître que c’est pas facile de trouver une idée différente chaque jour !

Julien Osty est un de ces dessinateurs qui, jour après jour, proposent des dessins. On peut apprécier son travail dans plusieurs titres comme Sud-Ouest ou Corse-Matin mais aussi sur d’autres supports comme de la BD ou sur différents produits de consommation courante. C’est depuis Ajaccio, dans cette Corse qu’il aime tant, qu’il a répondu à mes questions sur son parcours, son métier mais aussi sur la place du dessin humoristique dans notre société. Un entretien passionnant pour un artiste plein d’humour et de passion pour un art trop souvent décrié. 

Je suis Julien Osty. Je suis dessinateur et ce n’est pas mon métier ! Je ne veux surtout pas que ce le soit !

Pourquoi ?
Parce que je vois ce que c’est d’être artiste et essayer d’en vivre c’est impossible. J’ai eu le regretté Charb au téléphone, il y a quelques années et il m’avait dit qu’il fallait beaucoup travailler, ne pas compter ses heures pour survivre du dessin. Il m’avait demandé pour qui je travaillais. J’avais énoncé tous les titres de presse et j’avais vu que je bossais plus pour gagner moins que lui. Bon, je suis mauvais commercial. Le dessin c’est ma passion et mon objectif c’est de faire en restant qualitatif. Je ne veux surtout pas me mettre la pression pour l’argent ! J’ai donc un autre métier à côté.

Thomas Pesquet
Crédit : Julien Osty

Comment t’es venu cette passion pour le dessin ?
Je me suis identifié dans un groupe de copains au collège comme étant le marrant qui dessinait. Depuis tout petit je dessinais. J’ai appris avec Astérix. Je redessinais toutes les cases. J’ai aussi beaucoup dessiné des cases de Tintin et de Lucky Luke. Cette passion de la BD venait de mes parents qui adoraient ça. Après tu dessines tout le temps : tes parents, tes copains, tes profs … Je suis parti en colonie de vacances et là j’ai fait des caricatures de tous mes copains. Attention je ne fais pas des caricatures façon « Montmartre » mais au contraire plutôt dans le style « Cartoon » en faisant dire des conneries à mes personnages. Je n’ai jamais pris de cours de dessin : je suis autodidacte. La conséquence c’est que les dessins que je faisais il y a cinq ans ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui ou qu’il y a dix ans. J’évolue en permanence.

Tu étais intéressé par la caricature ? Tu regardais des dessinateurs comme Siné ou Reiser ?
Ça ne fait que huit ans que je me suis fait connaître et je n’ai jamais voulu en faire mon métier. Comme j’étais en Corse, j’ai d’abord essayé de voir ce qui ne se faisait pas ici. En fait mon truc ce n’est pas la BD, c’est plutôt l’animation. J’aimerais aller vers ça. Le texte et le son m’animent parce qu’ un bon dessin c’est d’abord un bon texte !

Qu’est-ce que tu veux dire par le son 
Une musique, une voix … Même si je n’ai pas encore une idée d’histoire mais il y a des gens que je connais dont j’aimerais beaucoup m’inspirer pour la voix.

Comment tu arrives à trouver la bonne phrase pour un dessin ?
C’est le plus dur ! Il n’y a pas de bonne technique. En majeure partie je fais du dessin de presse, il faut donc trouver à chaque fois une information et un scénario. Le dessin de presse est peut-être plus facile que la BD, parce que le dessin de presse t’apporte un scénario tous les jours grâce à l’actu, là où pour le scénario BD il faut partir d’une feuille blanche, donc c’est plus compliqué à mon sens En plus en Corse il n’y a pas de dessinateurs de presse et donc même si je ne suis pas bon j’étais presque sûr de trouver du travail (rires).

Tu passes beaucoup de temps devant les médias pour arriver à ça ?
Je suis curieux. Je m’intéresse à l’actualité, y compris sportive parce que je travaille pour la partie sport de Sud-Ouest et je travaillais pour l’AS Monaco et les Girondins de Bordeaux. Je prends une actualité et je vois ce que j’en pense. Ensuite je regarde ce que les autres en pensent et en font. J’essaye de faire un pas de côté et de regarder sous un autre angle. Je ne suis ni méchant, ni subversif comme Charlie Hebdo. Beaucoup de gens disent : « Je suis Charlie », pour moi ça veut juste dire que le dessin de presse peut exister et que l’on peut dire n’importe quoi.

Vaccin
Crédit : Julien Osty

Tu travailles pour qui ?
Ma première publication c’était avec l’AC Ajaccio. Mon beau-père y travaille et je suivais l’actualité du club. Je leur ai proposé de leur faire un petit dessin après chaque match. C’était en 2012. Après très rapidement j’ai envoyé des mails avec mes dessins et « Corse Matin » m’a répondu. Après il y a eu une radio Corse. J’ai bossé ensuite pour des trucs improbables… impossible de tous les dire (rires). Actuellement je travaille pour « Corse Matin », « Sud-Ouest », « Absolu Rugby » et Jarry !

Jarry !
Oui, ça c’est énorme ! Un jour pendant le confinement, je travaillais sur ma page Instagram. Comme tout le monde je regardais beaucoup la télé et Netflix. Il y avait des gens que l’on voyait beaucoup à la télé comme Cyril Lignac, que je caricaturais. Ma femme regardait les Lives de Jarry. Je le connaissais mal mais je trouvais qu’il était drôle. Bref j’ai fait un dessin de lui et je l’ai posté, comme j’en ai posté plein. Je l’ai tagué et lui, contrairement aux autres, m’a répondu tout de suite en me remerciant. Il m’a envoyé en privé un message sur Instagram : « j’ai une idée. Est-ce que je peux vous appeler ? ». Bien sûr j’ai dit oui. Il m’a appelé en Visio pour me prouver que c’était bien lui, en plein confinement ! Il est dans la vie comme à la télé et même en mieux : il est gentil, abordable, intelligent et même plus drôle qu’à la télé. Tout de suite il m’a dit qu’il faisait des vidéos avec ses enfants. Il voulait faire une BD avec mes dessins pour adapter les vidéos. J’ai dit « Ok ». Il m’a dit : « tu prends deux vidéos, tu les adaptes, on les proposent à une maison d’édition et on voit ». Il m’a donné quelques jours. Je n’ai pas attendu, je l’ai fait tout de suite. Il a envoyé ça à Michel Lafont qui a accepté de faire la BD.

Super !
Oh oui ! Il m’a proposé le truc le 7 avril, le 17 avril Michel Lafont nous a répondu. Il s’est occupé de la partie scénario et tous les jours je lui ai envoyé des planches. C’était à un moment où je n’avais pas trop le temps : je faisais l’école à la maison, je devais bosser… J’ai donc beaucoup travaillé la nuit et à chaque fois il me répondait aussitôt : il ne dort jamais (rires). On a bossé comme ça tous les jours et en un mois et demi on a fini. On a sorti le tome 1 tout de suite, on a fait le tome 2 cet été de la même façon et là on vient de finir le tome 3. Il va y avoir un tome 4.

Bistrot
Crédit : Julien Osty

Depuis Charlie Hebdo, les caricaturistes sont très visibles. Aujourd’hui ils ne peuvent plus dire grand-chose : tu en penses quoi ?
En tant que lecteur je pense qu’il faut que cela existe, que ce soit subversif, que ce soit drôle et que ça fonctionne. Le dessinateur de presse a une mission, pas forcément de faire rire mais de proposer une information différente d’un article de presse, avoir un autre œil et être un peu drôle. A partir de là on peut dire ce qu’on veut sur tout le monde. Mais moi en tant que dessinateur ma limite c’est : « est ce que ça me fait rire et que ça amène quelque chose ? ». A partir de là il y a des dessins que je vois tous les jours que moi je ne ferais pas.

Mais on peut penser qu’il y a une très grande intolérance à l’humour ?
Ça c’est une phrase que j’entends souvent de la part de certains dessinateurs et pour moi c’est la réponse de ceux qui ne font pas rire les autres ! Je n’ai pas la prétention de me comparer aux autres mais moi j’ai été censuré qu’une fois, et encore c’était par moi-même ! Mais je savais en faisant le dessin qu’il n’était pas bon ! Aujourd’hui j’entends dire que Coluche ou Desproges ne pourraient pas faire les mêmes sketchs aujourd’hui et bien moi je pense que oui ! Quand c’est drôle et que c’est bien fait ça fonctionne.

Mais aujourd’hui il y a des lobbies qui bloquent tout : l’écologie, les féministes …
En effet ça va, parfois, loin… Mais si tu commences à penser à tout ça, tu ne dessines plus rien.

Mais tu restes dans un humour assez consensuel, drôle mais consensuel !
Oui, je suis d’accord. Il faut rester consensuel ! Je ne suis pas subversif mais je ne me bride pas. Je ne vais pas sur le terrain de la religion parce que ça m’emmerde ! Je m’en fous ! En fait, la plupart des dessinateurs de presse pensent la même chose. Comme je te l’ai dit, je regarde ce qui se fait et il y a des trucs excellents qui se font. Ai-je un point de vue sur tous les sujets ? Pas toujours mais ça peut évoluer. Je suis dans une forme d’humour égocentrique : je me fais rire moi ! Si ça peut en faire rire d’autres, tant mieux !

Le fait d’être Corse et de se moquer d’eux provoque des réactions ?
Je fais des dessins pour « Corse Matin » et donc ça s’adresse aux Corses. Il n’y a aucun cliché chez moi. Quel que soit le sujet, mon but est de montrer l’absurdité des gens. Je me moque des cons et d’où qu’il vienne un con est un con (rires). L’humour Corse est particulier : on est un peu pince sans rire assez flegmatique, un peu comme les Britishs. Je regarde beaucoup les humoristes pour m’inspirer et depuis longtemps, comme je te l’ai dit un dessin c’est d’abord un bon texte ! Le dessin n’est qu’un prétexte.

Autotests
Crédit : Julien Osty

Tu n’as pas l’angoisse de la page blanche ?
Bien sûr ! Parfois j’ai le dessin ou mon personnage et je n’arrive à rien ! Ca peut durer des heures. Je peux aussi avoir l’inverse : j’ai la vanne mais je ne sais pas comment l’amener. J’écris un texte et je ne sais pas qui va le dire. Tout le monde a cette angoisse.

Tu as travaillé pour d’autres choses que le dessin de presse ou la BD de Jarry ?
J’ai fait pleins de trucs et je continue ! Je travaille pour un fabricant de biscuit, pour ses boîtes en fer. Je fais aussi des trucs pour des pots de confitures. J’ai fait un logo pour Reem Kherici, une actrice qui est dans « la bande à Fifi ». Elle a créé sa boite de production, elle voulait un logo. Elle a lancé un concours et j’ai gagné ! J’ai fait des dessins pour des Tshirts pour une société sur l’Ile « Pascal m’a dit » où il reprend le personnage de Pascal Paoli qu’il met dans des situations improbables : conducteur de kart, maître-nageur … (rires)

Mais ça reste très Corse !
Forcément tu vas au plus près de chez toi mais grâce aux réseaux sociaux j’ai pu m’exporter !

Tu fais aussi de la télé ?
Je suis sur France 3 Corse. Laurent Vitali, qui est un peu le « Michel Drucker Corse », je le connais grâce au Volley Ball que lui et sa femme pratiquent et moi aussi. Un jour j’ai fait un dessin pour quelqu’un qui travaille sur France 3 Corse, un personnage en Harley. Laurent voit le dessin et il ne savait pas que je dessinais. A l’époque, en 2012, cela faisait cinq ans que France 3 Corse était autonome et ne relayait pas toute la journée les programmes nationaux. Il y avait une grosse émission pour fêter cet anniversaire et il m’a proposé de faire des dessins en direct. J’ai dit ok. En même temps je dis toujours ok et après je suis souvent dans la merde (rires).

C’est dangereux !
Très dangereux parce que je me suis retrouvé sur un plateau télé avec une caméra au-dessus de moi en train de faire des dessins en direct sur des émissions que je ne connaissais pas (rires). Comme cela a bien fonctionné, il m’a proposé de continuer. Il faisait une émission hebdomadaire. Il m’a proposé de faire une petite chronique sur trois ou quatre sujets d’actualité. Il voulait voir si j’étais à l’aise. J’ai fait l’émission avec lui. J’ai fait des chroniques et des dessins qui fonctionnaient assez bien. Après l’émission, il m’a dit ensuite que s’ il avait un projet il m’appellerait. Il a tenu parole : trois mois après, il a lancé une émission où il y avait trois chroniqueurs. On avait un invité par semaine : je le caricaturais et je faisais une chronique. L’émission s’est arrêtée mais en 2019 il m’a rappelé pour une autre émission-plateau. Avant j’existais grâce au dessin mais avec le confinement c’est devenu compliqué : on ne pouvait plus être en plateau. Il m’a demandé de proposer quelque chose qui n’avait rien à voir avec le dessin. Il m’a fait confiance. Je lui ai proposé de faire des faces caméras avec des interviews avec des enfants. L’invité parle de ses souvenirs d’enfance de télévision. Les souvenirs ont plus de dix ans et moi j’en parle avec des enfants. On en fait une deuxième saison.

Tu dors la nuit ?
Pas beaucoup (rires) !

Gaza
Crédit : Julien Osty

Quels sont tes projets ?
Le tome 4 avec Jarry, je fais une BD avec un artiste corse sur des histoires corses dans un village. Je vais aussi essayer de faire un recueil de mes dessins de l’année avec « Corse Matin », un peu comme almanach. J’aimerais bien le faire tous les ans. J’écris un projet, dont je ne sais pas encore si ce sera de l’animation, une BD ou une série. J’ai une idée : j’essaye d’écrire. Maintenant grâce à Jarry j’ai un réseau et un agent. C’est précieux ! C’est important d’avoir quelqu’un qui te donne un avis et qui est capable de négocier ton travail. Souvent je pense que ce que je fais n’est pas bien et donc un œil extérieur est capital ! Je ne suis pas du tout commercial et donc mon agent est important.

Tu comptes rester en Corse où un jour tu vas venir dans des rédactions à Paris ?
J’ai fait mes études à Paris ! Maintenant avec internet on n’a plus besoin de se déplacer. Je travaille pour « Sud-Ouest » et pourtant je n’ai jamais mis les pieds à Bordeaux (rires).

Mais Jarry tu l’as rencontré ?
Deux fois, la première fois c’était pour un déjeuner à Paris et sinon il est venu me voir à Ajaccio (rires). Maintenant pour revenir à ta question, je suis bien dans mon coin (rires).

Le mot de la fin !
J’espère faire ça longtemps, continuer à m’amuser, ne pas faire ça pour l’argent, ne pas avoir à courir après mes cachets, que ça fonctionne et surtout ne pas devenir esclave de ça. 

www.instagram.com/giugiuhoy