Peux-tu te présenter ?
Je viens de Decazeville, une ville minière et ouvrière du Sud-Ouest. Près de cette bourgade, à Livinhac, il y avait une association qui organisait des concerts phénoménaux. Ils ont fait venir les Nomads, les Fleshtones, les Lyres… ce genre de groupes suédois, américains fan des 60’s. J’ai commencé à former mes premiers groupes vers 14 ou 15 ans. On reprenait les Sonics et des groupes garage. J’ai ensuite fait mes études à Toulouse et Joël des Boys Scouts (futur Indian Ghost et fondateur du label Pop Sisters NDLR) m’a engagé pour jouer de l’orgue dans son nouveau projet : le Prehistoric Pop. C’était en 1987. J’étais encore au lycée, c’était un détournement de mineur caractérisé ! L’aventure a duré quatre ans. C’est d’ailleurs à cette époque qu’on a rencontré Fleck qui joue maintenant aussi dans John Wayne Supermarket. J’aimais beaucoup ce groupe, très électrique mais avec de très belles mélodies pop, mais ça n’a pas duré.
Et ensuite ?
Suite au split du groupe, Joe, Fleck et moi, on a monté Indian Ghost, où je suis resté pour deux albums. A côté, on montait des groupes, notamment avec des chanteuses comme les inénarrables Boom Boom Family. J’étais en fac de philo à Toulouse et ça me permettait d’avoir du temps pour commencer à enregistrer des groupes. J’étais très copain avec Lucas Trouble du Kaiser Studio. J’ai aussi écrit pour des fanzines et on avait un label avec Pascal (l’actuel bassiste d’Indian Ghost). Ce label underground s’appelait Colorsound Records et nous avons sorti pas mal de split singles qui étaient plutôt bien avec Explosive Coolies, Indian Ghost, Otis Wood… Et quelques albums. Ensuite, je suis parti en Guadeloupe puis sur l’île de Saint Martin pendant une vingtaine d’années !
C’est là que tu as monté le John Wayne Supermarket ?
C’est là que j’ai trouvé le nom ! C’était un bazar, un supermarché, où tu trouvais tout ce dont tu pouvais rêver. Il était situé dans la partie néerlandaise de Saint Martin. Quand on allait à la plage, on allait ensuite au John Wayne Supermarket faire quelques courses, et enfin on allait voir un groupe de country ou de blue grass dans les bars de plage pour touristes américains. Avec Pascal Jacquet qui aimait bien venir me voir en vacances, on s’est dit « c’est un super nom de groupe » et voilà !
Est-ce un groupe ou un collectif ?
C’est un collectif avant tout ! J’ai eu la chance d’avoir autour de moi des gens patients et gentils pour jouer mes chansons, à commencer par Flo, ma première femme. J’ai toujours eu du matériel pour enregistrer à la maison. En étant aux Caraïbes, on avait un lien avec les USA et on a commencé à passer sur de petites radios là-bas. Ça devait les faire rire le fait qu’on soit à St Martin et qu’en plus nous chantions en français. J’enregistrais aussi des groupes de reggae, avec lesquels parfois je jouais sur scène, mais pour mes chansons c’était compliqué de trouver quelqu’un qui savait sonner comme les Byrds là-bas. Grâce à internet, heureusement, je travaillais à distance. On s’échangeait des pistes d’instruments, des morceaux avec des musiciens, de métropole, des USA, du Canada… On faisait des albums comme ça : par correspondance. On en a fait quelques uns que j’aime beaucoup, notamment avec Bratch des Dum Dum Boys, avec Pierre Chaissac de Cantharide… Parfois, pendant l’été, quand je rentrais pour les vacances, je bossais sur des albums en studio en France aussi.
Ton envie c’est vraiment d’enregistrer et de composer ?
Oh oui, j’aime ça enregistrer. Arriver à trouver des sons qui s’agencent pour former un tout organique, rajouter des arrangements de voix, de cordes, de cuivres, de Mellotron… Je suis un vrai passionné de Phil Spector. Mon truc c’est quand même avant tout les harmonies de voix, en vieux fan des Beach Boys ou des Ronettes. Quand j’étais à Saint Martin, ça me permettait de rester un peu dans la musique que j’aime. J’habitais sur la plage et donc, climatiquement parlant, je ne pouvais pas écouter Nick Cave ou Leonard Cohen mais les Byrds, les Shangri-Las, les Ramones ou les Beach Boys ça marchait super bien (rires). A Kingston, on fait du reggae, à Detroit on fait du MC5, dans le Bayou on fait du blues, à Decazeville on fait du garage… je crois que l’on écoute et que l’on ressent les musiques différemment selon l’endroit où l’on se trouve. D’ailleurs, j’aimerais bien, à mon petit niveau, casser un peu ces cadres là, je serais le plus heureux si l’on pouvait écouter mes ritournelles ensoleillées à Charleville-Mézières ou à Monceau les Mines !
Tu l’as commencé quand le John Wayne Supermarket ?
On l’a commencé là-bas : on avait le nom, quelques chansons et on a fait quelques démos en 1997 avec mon vieil ami Ben des Ennuis Commencent qui est un fan depuis les premiers soubresauts, mais il n’y avait pas de quoi à faire un album à mon sens. Pas mal de gens aimaient le concept, les chansons mais moi je trouvais ça un peu… faible. Je n’avais ni le temps ni les moyens de faire sonner les chansons comme je les entendais dans ma tête donc ce n’était pas la peine, je suis trop perfectionniste et j’aurais forcément été déçu. J’ai gardé tout ce matériel au placard et je me consacrais plus à la musique des autres et ça me suffisait comme çà.
Tu es rentré quand ?
En 2016, le temps de me réadapter à nos vertes contrées et puis j’ai retrouvé mes vieux potes. Mais auparavant, même si je vivais sur mon île et ne revenais en France que de manière épisodique, j’étais encore relativement actif. Depuis 2012, j’ai aidé Philippe Debris à remonter Closer Records sur lequel nous avons sorti une quarantaine d’albums, j’écrivais aussi dans le fanzine « Rock Hardi » qui avait sorti des morceaux du John Wayne Supermarket, donc j’étais toujours connecté avec la scène d’ici malgré les kilomètres. J’ai toujours suivi ce qui se passait en France, j’ai toujours gardé contact avec les amis importants et ma boite aux lettres a toujours reçu des disques de France et d’ailleurs.
Tu as produit des albums pour Closer ?
Oui, pour pas mal de gens comme Bruce Joyner par exemple qui était une de mes idoles. J’ai aussi filé pas mal de coups de main à des groupes français ou étrangers pour leur mixage, leur mastering, leurs pochettes, affiches… La liste serait trop longue mais je peux te citer pêle-mêle Tio Manuel, Keith Richards Overdose, Peter Zaremba, Primevals, The Curse, Midnight Scavengers, Mystery Machine, The Needs, Belphegorz…
Tu es un activiste depuis longtemps ?
Ben ouais, même quand j’étais aux Antilles je bossais sur des disques, j’aime bien quand les choses sont gravées dans le marbre (ou le vinyl) et puis, au pays du Jump up et du zouk, le rock’n’roll devait me manquer…
Comment est né le disque ?
J’avais ces chansons qui trainaient, mais j’avais toujours deux projets minimum sur le feu donc je n’avais pas le temps de bien travailler mes chansons. A Nöel 2020, mon copain Marco de Traffik Drone m’a offert un super micro comme je lui avais fait quelques disques à la maison. Ce micro était absolument génial pour les voix comme pour les instruments acoustiques. Comme je n’avais pas de disque à faire pendant ces vacances-là et pour l’essayer j’ai enregistré une reprise de Townes Van Zandt. Pour la faire, j’ai appelé des copains, dont Joe, pour les enregistrements et puis Thierry Baron du label « Twisted Soul » est tombé sur cette reprise. Il avait fait un site il y a 20 ans où il avait dit plein de belles choses de mes chansonnettes. Il m’a proposé de faire un album sérieusement et de s’occuper de toute la logistique et du financement de A à Z. Je n’aurais qu’à m’occuper de réaliser les chansons comme je les entendais. Il voulait vraiment le faire. Il était fan. Comme on est ami depuis longtemps et que je lui fais totalement confiance, j’ai réfléchi quelques secondes et j’ai accepté !
Tu as travaillé avec tes copains ?
J’ai recontacté les musiciens de la scène toulousaine en priorité, Joe, Fleck, Christel (une vieille amie qui chantait dans les Boom Boom Family) … bref, des gens de confiance et j’ai commencé à maquetter. J’envoyais les morceaux, les gens les bossaient, ils venaient faire leurs prises à la maison ou j’allais à Toulouse avec un studio portable faire les démos avec eux.
Sur le disque il y a plus de quinze personnes ?
A peu près, oui. On retrouve mon vieil ami rencontré à St Martin et qui a toujours joué sur mes chansons, contre vents et marées, Gil Mesqui. Il a un super groupe de rockab’ en France maintenant, en Ardèche, qui s’appelle The Wankers. Il y a aussi Florence Borg, de Dijon, une tueuse à gage en matière de cuivres et de flûte traversière. C’est est une vraie musicienne de conservatoire. Youri Sprogis, un violoncelliste génial aussi issu du conservatoire (Belgique notamment), Carole Caucase, ma tatie dijonnaise, qui me joue de jolis ukulélés hawaïens, Phil Ze Twang (de Marie Galante), mon guitariste préféré en matière de rockab’, Elena Corbefin, une chanteuse toulousaine qui semble toute droite sortie d’une chorale adventiste, Philippe Liardet, un très grand batteur (à tous les niveaux) du Luberon , Carole Juvin une amie instit’ qui joue de l’accordéon … Et, pour le noyau dur, nous avons Christel qui est une chanteuse suave mais rock’n’roll à la fois, Véro, avec qui j’ai le bonheur de partager ma vie et qui est une fabuleuse chanteuse de country façon chorale gospel éthérée, Fleck mon vieil acolyte à la guitare Byrdsienne et à l’harmo et le magnifique Tom Popman, un killer au pedal steel, au dobro et à la mandoline.
Sur la photo du livret vous êtes quatre c’est qui ?
Ben c’est le noyau dur dont je te parlais : Christel, Véro, Fleck et moi. La photo est prise dans le Colorado du Luberon par Michel Planque.
C’est un album qui est marqué par l’acoustique et les mélodies qui rappellent le Los Angeles des années 67 – 69, Byrds, Love, Mama’s and Papa’s.
J’adore le bluegrass avec plein de voix harmonisées. Le côté « raconteur » d’histoires me plait aussi beaucoup même si, nous n’avons rien de politique ou de revendicatif dans les textes. Il ne s’agit pas du tout de protest songs comme ça se faisait à cette époque. Je ne rentrerai jamais dans le champ politique au niveau des textes, ce serait trop compliqué et inintelligible. Je te rappelle que j’ai passé de nombreuses années en fac de philo et j’étais un grand amateur de philosophie politique… Faire une chanson sur Marx, Stirner, Proudhon, Bakounine… ça me brancherait bien dans l’absolu mais ce serait terriblement casse bonbons car je n’ai pas les mots pour çà, ça sonnerait intello adolescent, je préfère écrire des chansons d’amour au premier degré ou au quinzième et chacun y prend ce qu’il veut. En fait, mon souci est que, comme Chuck Berry, on reste dans les 300 mots les plus usités de notre langue maternelle, j’ai envie de faire des chansons que tout le monde puisse entendre, un truc pour le peuple, ce doit être le fait de mes origines prolétariennes… Quelque chose qui soit « populaire » au sens noble du terme, écoutable et compréhensible de 7 à 77 ans, joli, agréable à l’écoute, bien réalisé, surtout pas élitiste.
Moi ça m’a fait penser à Joe Dassin.
Oh oui, c’est presque devenu une blague avec Christophe Van Huffel la référence à Joe Dassin. Avec Véro on fait pas mal de route ensemble et souvent elle me fait écouter Joe Dassin, entre Dylan et les Byrds. On chante ensemble à tue tête ces chansons là en essayant de trouver des chœurs à la Beach Boys dessus ! Bref, je me suis dit, que quitte à se couper du milieu du rock, il fallait que l’on sonne comme Joe Dassin qui aurait engagé les Byrds comme backing band (rires) ! On voulait même mettre une reprise de Joe Dassin sur le disque (« Je change un peu de vent »).
C’est vraiment très acoustique !
Sur scène, pour l’instant, ce ne sera qu’en acoustique : deux guitares sèches, pedal steel, dobro, mandoline et harmonica. On a essayé de répéter avec le batteur et le bassiste d’Indian Ghost dans une formule très Violent Femmes mais ça ne me plait pas vraiment. Ce sont d’excellents musiciens, mais ça apporte un côté moins volatile à mes chansons, moins aérien. Peut être devrions nous essayer en électrique, on va le tester cet été, ça nous permettrait peut être de développer une formule plus « big band » avec les cuivres et les cordes… mais vraiment j’adore la formule acoustique car les voix sont mises en avant et on entend bien les chansons et pour moi c’est fondamental.
Il y a quelqu’un de très important sur le disque c’est Christophe Van Huffel qui a co-réalisé avec toi !
Oui, je l’ai rencontré grâce à Thierry. Je savais qu’il aimait les chansons, qui il était (guitariste de Christophe, de Tanger…) et qu’il avait un studio très bien équipé en matériel vintage. Je savais que j’allais m’entendre avec lui dès le départ. Déjà il était hors du milieu rock’n’roll tout y étant mais… « différemment ». C’est quelqu’un de très doué mais aussi très discret et surtout très aimant, attentionné, à l’écoute du moindre détail. On s’est rencontré à ce concert pour le label à la Dame de Canton. Il avait aimé notre prestation très folk et dépouillée. Une anecdote marrante qui l’avait fait flasher c’est que j’avais amené deux micros tout rouillés, des Rodes NT3, qui avaient vécus des années aux Antilles avec moi sur la plage, pour sonoriser les guitares sèches comme je n’aime pas le son des guitares sèches en électro acoustique. Je voulais un son très naturel, qui sente le foin, comme si on jouait dans la cuisine. J’ai fait évidemment enrager le sonorisateur mais ça a beaucoup plu à Christophe. On a discuté. Il était enthousiaste pour mon projet et aimait cette idée de son anormal que j’avais dans la tête.
Vous vous êtes revus ?
Oui, on est allé dans son studio en février 2022. C’est un lieu phénoménal avec tout ce matériel qui me plait, notamment de vieilles chambres d’écho qui sonnent années 50, des préamplis antiques de l’ORTF, toute une gamme de micros Neumann des années 50 à aujourd’hui… Chez Christophe il y a tout ce dont tu rêves dans un studio d’enregistrement mais toujours encore plus quand tu prends ton temps pour fouiller. J’aime ce son là, très analogique. Ce qui a déterminé mon choix d’enregistrer avec lui, c’est une blague qu’il m’a faite à ce moment là. L’effet que j’adore pour les voix c’est la chambre d’écho Copycat de chez Watkins, une vieillerie que j’ai eue il y a une trentaine d’années. Un truc très rockab’ dans l’âme. Alors que je farfouillais dans son studio qui tient plus de la caverne d’Ali Baba qu’autre chose je lui ai demandé s’il avait une Copycat. Il m’a répondu que non et qu’il n’en avait jamais entendu parler… J’étais un brin étonné et continuais à explorer son parc de chambres d’écho et, ayant trouvé quelque chose d’équivalent, je me suis retourné vers lui… Il tenait entre ses mains, un grand sourire au bec, deux Copycat, une des années 60 à lampes et une de 70 à transistors… Il m’a juste demandé laquelle je préférais et, à ce moment j’ai su que c’était avec lui que je devais enregistrer mon album et personne d’autre.
Comment s’est passée la collaboration avec lui ?
Tout d’abord on a beaucoup parlé de musique mais aussi de gastronomie, c’est un grand amateur de produits du Périgord (rires). C’est très important dans le groupe (rires). Christel a tenu d’excellents restos, Fleck est un cuisinier hors pair, Véro est née à Bergerac et moi je suis aveyronnais… Ca aurait été compliqué pour nous si on avait dû se nourrir de pizzas (rires). En ce qui concerne la musique, ça a été naturel : on savait où on allait. Je voulais quelque chose de très organique, vivant, harmonique, qui carillonne et il l’a fait ! Mon objectif était que l’on entende tout les détails apportés aux prises, toutes les fioritures, toutes les petites choses que l’on élude habituellement. Il a su tout mettre en œuvre intelligemment, organiser l’espace sonore, structurer toutes les parties qui étaient parfois un brin anarchiques, même si le chantier était assez dantesque. Il m’a étonné car à force d’échanger il a su exactement cerner ce que j’avais en tête. Honnêtement, pour un ingénieur du son « normal » mon projet n’était pas mixable, tout le monde me l’a toujours dit : « trop de choses, trop d’harmonies, tu ne vas pas assez à l’essentiel, on ne peut pas tout entendre… ». Christophe s’y est investit furieusement et avec enthousiasme en plus ! Il a fait çà très bien. Je l’adore ! On doit souligner aussi le travail exceptionnel de mastering réalisé par Jean-Pierre Chalbos à La Source, il a su enrober le tout d’un son énorme, mais très dynamique et précis à la fois, tant sur vinyl que sur CD. Bref, Thierry nous a offert une équipe de choc !
Il était vraiment pointilleux sur le son ?
Oh oui, on a fait plein d’essais ensemble et on était vraiment deux gosses en train de s’amuser à tester toutes les possibilités des effets les plus dévergondés ! Si nous n’avions pas eu de limitation de temps nous y serions peut être encore à tester des effets psychédéliques ! Après, sur l’édition, pour replacer au millième de secondes les voix par exemple c’est un très grand professionnel, rapide et méticuleux. Son dada c’est les voix, comme c’est le mien aussi, nous nous sommes forcément entendus comme larrons en foire.
Tu dis que ton album c’est « le douanier Rousseau de la pop » ?
C’est une blague (rires) ! C’est pour le côté naïf de ma musique et uniquement pour ça. Après, si l’on veut y voir plus loin, j’aime beaucoup les tableaux du Douanier Rousseau et ça colle parfaitement avec le côté tropical nigaud de mes chansons. Quand j’écris, en fait, je voudrais que tout s’agence comme une comptine enfantine, un truc très simple, basique… Je reste un très grand fan de Jonathan Richman.
Votre imagerie c’est le côté hippie du Sud-Ouest ?
La musique s’écoute en fonction du climat comme je te disais. Ce sont des chansons qui ont été écrites, pour la plupart, au bord de la plage aux Antilles. Ça s’applique peut-être pour le Sud-Ouest de la France, pour le brin de soleil que nous pouvons avoir, mais je pense que c’est plus un disque tropical quand même. Je ne suis pas un artiste, je suis un artisan local et j’ai donc besoin de sonner local et mon pays d’adoption c’est plutôt les Antilles (rires).
Mais tu es sur un label qui monte, Twisted Soul, tu as fait un disque avec Christophe Van Huffel et tu restes un artisan local avec ta bande de copains. C’est un peu paradoxal ?
C’est le but ! On ne fait pas ça pour être célèbres ou riches. On a tous la cinquantaine et Thierry sait bien qu’on ne va pas tourner tous les soirs, ce n’est pas le « projet ». Nous sommes tous lucides. Il faut avant tout que la musique reste un plaisir pour nous. Si on se professionnalisait à outrance ce serait un peu terne, on perdrait de notre fraicheur et l’on n’a surtout pas envie de se forcer à quoi que ce soit. Par contre, on va jouer autant qu’on pourra le faire… mais essentiellement dans des endroits insolites ou pas conventionnels.
Vous êtes surtout sur un super label ?
Je n’aurais jamais signé ailleurs, même si on avait eu d’autres propositions plus intéressantes. Thierry est indispensable au projet ! Ça nous prend du temps et une immense logistique de jouer, de répéter, mais son investissement, notamment humain, est tellement immense que l’on accepte tous, sans souci, de se surpasser. Je suis épaté qu’il travaille autant pour mes chansonnettes… Quand quelqu’un croit vraiment en ce que tu fais tu essayes de faire au mieux en retour.
Ce sont de supers morceaux ?
Je n’ai pas la prétention de penser cela, nous sommes avant tout humbles et conscients de nos limites. En tous cas on a réussi à faire ce que j’avais dans la tête et ça c’est déjà énorme. Christophe a fait vraiment un super boulot. Personne, avant nous, n’avait réussi à faire les Byrds en français avec une dimension Spectorienne (rires) ! Cà, nous en sommes très fiers.
Il y a deux reprises de Townes Van Zandt ?
J’adore cet artiste. Il me fait pleurer à chaque fois avec ses histoires. C’est le seul chanteur triste que je pouvais écouter aux Antilles, malgré son spleen dégoulinant. J’adore quand une chanson raconte une histoire. C’est pour ça que l’on chante en français. Une histoire doit se raconter dans sa langue maternelle pour les intonations de voix, pour la sincérité du propos… J’ai besoin que les gens entendent une histoire même si, en apparence, mes textes sont très simples. En fait, il y a plein de choses très sombres qui se cachent derrière, mais la gageure est de m’amuser avec le clair obscur et les sous entendus.
Ton disque a un côté très enfantin ?
Pour moi, ces chansons sont avant tout des comptines. Je les travaille petit à petit, déjà je me demande comment faire sonner la mélodie du refrain, au niveau des voix je cherche des voix en tierce et quinte, des contre chants, des canons… et puis j’écris (ou pas) les harmonies pour les voix, les cuivres, les guitares… Pour faire court, j’aime bien quand dans nos chansons personne ne joue la note de base de la chanson. Le principe est tout simple et très compliqué à la fois, en cela je m’entends vraiment bien avec les musiciens issus de la musique classique avec lesquels on a la chance de travailler.
Peux-tu nous expliquer la démarche de ton projet ?
Il y a un truc qui m’intéresse dans la musique c’est de dépasser les « genres » ou les niches élitistes. Je ne veux pas m’adresser à des gens d’un certain âge ou d’un certain niveau culturel ou social. J’aime le côté populaire. Je viens de Decazeville, Bassin Houiller prolétarien, et j’ai travaillé dans le ghetto à Saint Martin. Je veux faire de la « variété » au sens noble du terme et que tout le monde puisse écouter mes chansons. Par contre, les arrangements sont alambiqués et nos références sont à chercher entre 65 et 67. Ensuite, sur ce disque nous avons un son tellement millésimé et d’ « époque » vu les moyens impliqués, que nous sonnons bien plus authentiques et « rock’n’roll » que la majorité des gens qui croient l’être. Souvent, l’envie me prend de faire du rock garage ou des choses dans ce genre, les stéréotypes du genre ne sont pas difficiles à reproduire et ce sont les fondements de ma culture musicale mais… Pfff, ça m’ennuie et j’ai l’impression de m’enfermer dans des carcans inutiles et j’abandonne très vite car ça ne me correspond plus du tout. Je pense que suis trop vieux, trop libre, trop anarchiste pour me recroqueviller dans un style. Il y a une démarche et une esthétique bien particulière dans ce projet, c’est vraiment la liberté qui me guide, essayer de faire vivre des chansons, de les laisser aller sereinement sans se limiter, ni par la langue, ni par la structure, ni par les arrangements… Sans prétention aucune, j’ai juste envie que mes chansons aient une marque de fabrique propre, comme on reconnait une chanson des Ramones entre mille.
Vous allez jouer à Paris le 22 et le 29 avril et après ?
Je vais voir, c’est compliqué avec nos emplois du temps respectifs ainsi qu’avec nos histoires de vie. Mais ce projet est familial et doit le rester. Quoi qu’il en soit nous allons jouer sur scène ces chansonnettes dès que l’occasion se présentera.
On parle de la pochette ?
C’est une artiste tchèque qui s’appelle Katerina Pinosova qui a fait le recto. Au début, je voulais juste un aquarium, quelque chose d’un peu surréaliste. Thierry connaît bien la Tchéquie et là-bas il y a beaucoup de surréalisme. C’est comme ça qu’il a pris contact avec Katerina et le courant est de suite passé entre nous. Ses tableaux me fascinent et j’adore ses sculptures en papier mâché. Pour le verso, Thierry a fait appel à son ami le peintre surréaliste Guy Girard, son univers est plus foisonnant, métaphysique et ses poésies sont de haute voltige !
Il va y avoir un concert exceptionnel avec notamment de la danse le 22 avril au centre Tchèque ?
Moi je ne danse pas hein (rires) mais pour remercier les peintres pour la pochette, comme ils exposent au Centre tchèque pour l’occasion et qu’ils sont poètes en même temps, pour leur rendre hommage, on s’est dit qu’on allait faire une performance de danse avec Véronique, ma compagne, qui chante dans JWS, mais qui est aussi et surtout une danseuse contemporaine. On va faire de l’ « art total » ce jour-là ! Pour la performance, j’ai composé des musiques assez Suicide, Spacemen 3 ou Velvet, plus atmosphériques, plus noires, plus hypnotiques que JWS. J’aurai une guitare électrique, une pédale fuzz, quelques claviers, avec un éclairage psyché et les deux peintres / poètes vont intervenir pour lire leurs poésies surréalistes pendant que leurs œuvres seront projetées. Ce sera passionnant et surprenant je l’espère. Je n’étais pas amateur de danse en général, à part le zouk et la bachata (rires). Mais Véro m’a fait découvrir cette esthétique si particulière qui émane de la danse contemporaine improvisée et ça m’a vraiment interpelé. J’ai trouvé ça très rock’n’roll en fait et je me suis dit que l’on devait pouvoir parvenir à créer un univers psychédélique superbe grâce à la danse. On travaille d’arrache pied pour cette performance que l’on devrait refaire ensuite ailleurs, à Prague par exemple. Ce n’est plus Laurel Canyon mais la Factory (rires), au moins on reste dans la même époque (rires) !
On pourrait envisager un concert avec tout le monde sur le disque ?
J’aimerais tellement mais ce serait compliqué avec nos emplois du temps. Rien que pour mettre en place nos quatre voix c’est compliqué, alors tu imagines avec 15 musiciens. C’est vraiment du boulot ! Il faudrait une énorme mise en place pour faire sonner tout ce beau monde ensemble mais dans le cadre d’un festival par exemple ce n’est pas exclu.
Ta musique est très écrite ?
Pour l’écriture, j’avoue que j’écris, à ma manière, pas sur partoche. C’est réécrit ensuite en partition par de vrais musiciens quand c’est trop compliqué à suivre. Je connais un brin les harmonies donc on se comprend, après, comme j’ai un studio à la maison, j’enregistre plus les parties que j’entends, avec un clavier par exemple, et les musiciens les refont ou carrément m’expliquent que ce serait mieux autrement, dans ce cas ils me montrent leurs idées et on échange là-dessus. Je suis ouvert à tout en fait et j’adore être confronté, en tant que musicien sommaire de pop / rock’n’roll à des musiciens classiques, à chaque fois je prends des choses, j’apprends et je m’améliore. Comme dirait Jean Jacques Rousseau, j’essaye d’être perfectible !
C’est quoi la suite ?
Tout est possible car j’adore la formule acoustique que nous avons, elle laisse la place aux chansons. On peut aussi la faire en électrique. On va s’y atteler cet été.
Tu réfléchis à un deuxième album ?
(Rires) J’ai plein de chansons partout, dans plein de tiroirs différents !
C’est un disque pour l’été et la campagne au soleil ?
Pas que, tu peux le mettre en ville en plein hiver le matin, ça te met la pêche ! La musique doit te permettre de t’amener des émotions contradictoires et j’espère qu’on y est arrivé. Christophe Van Huffel a décrété que cet album devrait être remboursé par la sécurité sociale car c’est pour lui le meilleur antidépresseur de l’année !
Le mot de la fin !
Merci à Christophe Van Huffel d’avoir compris ce que je voulais faire et d’y avoir adhéré. Merci surtout à Thierry Baron pour son incroyable investissement et à tous les musiciens que j’adore !
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