Le nom du disque a plusieurs sens : c’est un jeu de mot sur ruined dreams, les rêves brisés mais aussi une sorte d’hommage à Rouen, ma ville. Il y a quelques choses d’un peu bizarre dans cette ville : on soutient les gens uniquement quand ils ont réussi ailleurs. C’est un peu la marque des villes de province : tu es rarement aidé par les gens de ton cru ! En même temps quand tu es gamin tu t’ennuies un peu et finalement tu développes ton imaginaire.
(Jean Emmanuel Deluxe - Droit réservé)
Pourtant toi tu n’as jamais quitté Rouen ?
Oui, Paris n’est que à une heure et quart et les loyers sont quand même plus abordables à Rouen. Je voulais jouer sur le constat des rêves que l’on a quand on est un gamin d’image d’Hollywood médiatique et la réalité : c’est presque une fable morale !
Pourtant ta biographie annonce que c’est un concept autours d’un hommage à Hollywood
Le concept, effectivement, c’est Hollywood vu par un Français qui n’y a jamais mis les pieds mais aussi la distance qui existe entre le fantasme et la réalité. Hollywood c’est une usine à fantasme, on nous en met plein la tête avec ça et il faut savoir faire la différence !
Le concept c’est quand même Hollywood ?
Oui, il s’agit de démystifier. Mais il y’a aussi une part de recherche de l’inconscient dans ce disque. Pour moi la démarche artistique la plus pure est celle qui vise à révéler son vrai moi. Essayer le laisser tomber le masque social. Tuer le vieil homme comme disait Saint Paul. C’est à dire de se débarrasser de ses mauvaises habitudes souvent liées à un certain conditionnement social.
Ils ont dû te regarder avec des yeux ronds à Rouen après un disque pareil ?
(Rires) Pour certaines personnes je le suppose, mais j’ai été bien soutenu par un copain qui bosse à « Liberté Dimanche », la version dimanche du Paris Normandie, ainsi que par France Bleue. Je dois beaucoup à un journaliste de France 3 qui m’a pris en amitié. Je suis soutenu par des gens de qualité. J’aimerai juste que les institutions culturelles locale me soutiennent un peu plus. Mais, bon, c’est peut-être de ma faute et puis je ne suis pas bon pour monter les dossiers. Donc, rien n’est perdu. Ça finira peut être par venir !
(Réalisation Thomas Cazals)
Pourrais t’on le décrire comme un disque « dandy moderne » ?
Je ne sais pas, je me méfie du terme dandy. C’est, comme le mot pop, un terme tellement galvaudé… Je trouve ça très prétentieux de se définir comme dandy sauf comme une blague « dandy de province », sinon c’est un peu présomptueux … J’espère juste avoir un peu de conduite morale. Pour moi quelque part le Dandy c’est celui qui peut dîner cher une comtesse et le lendemain à un relais routier sans changer de comportement. Savoir également dire non, ne pas poser l’arrivisme en valeur de base. Notre époque libérale, libertaire nous fait croire que les seules valeurs sont celle qui devraient nous porter au sommet. Randy Newman lui disait , « i feel lonely at the top ».
J’ai lu que ce n’est pas ton premier disque ?
Exact, mais je n’en avais pas fait depuis longtemps.
Donc tu es aussi musicien ?
Disons que je travaille avec des musiciens, j’écris des textes, je cherche des mélodies et j’essaye de chanter mais je me permettrais pas de dire que je suis musicien…
Quel était ton disque précédent ?
« Tribute à Alain Delon et Jean Pierre Melville » en 2002 avec Alexander Faem. Un grand ami et super musicien ! Je vous recommande son nouveau projet , The Gallant Club !
Mais il y a eu beaucoup de temps entre les deux disques ?
En fait j’ai été découragé pendant quelques année. Maintenant j’espère vraiment en faire un troisième plus vite. J’y pense de plus en plus !
En connaissant ta culture et ton travail je pensais que ton disque allait avoir un sons très années 60, très pop rétro et au contraire on a un sons très moderne …
Je me suis nourri de la pop sixties tout comme l’ami Kevin Coral responsable de nombreux arrangements et musiques de l’album. Mais on ne cherche pas à copier nos influences et surtout pas de recréer une époque. Nous vivions ici et maintenant , pas en 67 à San Francisco par exemple. Donc forcément il y’a cet aspect moderne.
Tu as commencé quand à travailler sur ce disque ?
Il y a presque 10 ans quand j’ai commencé à y réfléchir. Cela a pris beaucoup de temps parce que il me il fallait trouver un label, un distributeur … Bref avec « Lion Production » on s’est dit on allait le faire et comme ça il sortirait aux USA, en Angleterre et en France.
L’enregistrement a pris combien de temps ?
4 ou 5 ans avec des problèmes de budget ou de label …Mais au final, quitte à sonner « vieux jeu ». Le travail et la patience paient.
Tu n’as pas eu envie de recruter des musiciens, les mettre dans une cave et faire un disque à « l’ancienne » ?
,Peur être la prochaine fois ! J’ai aussi travaillé avec un musicien qui s’appelle Olivier Colet et franchement avec lui je n’ai pas besoins d’un groupe : il joue de tout, la basse, des claviers, la guitare et il a une formation de jazz… C’est un homme-orchestre !
C’étaient quoi tes influences pour ce disque ?
Des choses assez disparates Dashiell Hedayat, Sonic Boom l’ancien leader des Spacemen 3… Mais il y aussi Faust ou encore Sean O’Hagan, le leader des High Llamas… Ensuite j’aime aussi beaucoup l’album de Michel Delpech de 71, qui s’appelle album. C’est un disque incroyable qui n’a pas marché à sa sortie. J’aime également beaucoup le Moshe Mouse Crucifixion de Boris Bergman et Michel Magne. Le Wandatta de Lio et Boris Bergman aussi.
Tu es très ami avec Bertrand Burgalat : pourquoi ce disque n’est pas sorti sur Tricatel ?
Parce que Bertrand sort dessus ses propres disques et que ce n’est pas un disque Tricatel : je fais mon propre travail, je n’ai pas l’impression de faire du Tricatel.
Pour définir ton disque on pourrait dire que c’est de la pop mais de la pop moderne ?
Oui, bien sûr, de la pop à la façon Red Crayola des groupes qui font de la pop mais un peu psychédélique. J’aime bien l’idée en fait que l’on ne puisse pas trop dater ou définir mon disque.
Il a été fait où ?
Dans pleins d’endroits différents : même si je n’y suis pas allé une grande partie du disque a été par Kevin en a fait dans son studio dans le Kent (OHIO) où il a des tonnes de matériel vintage, on a travaillé par internet. Pareil pour la partie enregistrée au Japon ou aux USA. J’ai refait des voix à Montreuil avec Nicolas Dufournet et Kevin a ensuite tout récupéré pour faire le mixage final. Il y a donc eu des ping pong un peu partout !
Il y a beaucoup d’intervenants sur ce disque. On va les détailler un par un : Helena Noguera ?
Elle fait la voix d’introduction, c’est une amie ! Vraiment quelqu’un de bien. Ce n’est pas si fréquent dans ce métier.
(Helena Noguera et Jean Emmanuel Deluxe sur scène - Photo Clément Boulland)
Bertrand Burgalat ?
Il fait une voix et joue un peu de basse sur un morceau, la forteresse de solitude.
Fifi Chachnil, une créatrice de mode ?
Oui elle a fait beaucoup de costumes pour des gens comme Lio ou Marc Almond. Elle fait une voix sur l’intro.
Don Fleming, qui a beaucoup travaillé avec Sonic Youth ?
Oui, il a enregistré les voix d’ April March. J’adorait ce qu’il avait enregistré avec Kramer.
Sean O’Hagan, ancien chanteur es Microdisney et des High Llamas ?
Oui, il a composé un morceau. Pour l’anecdote il vit dans la même rue que Lydie Barbarian une bonne amie à moi.
Et April March ?
Je l’a connait depuis 1993. Elle a enregistré deux textes et des voix ! Elle prépare un nouvel album.
Et toi tu as fait quoi ?
Les voix, les textes et j’ai cherché les mélodies. Comme je ne suis pas musicien, j’enregistre sur un dictaphone ma voix et je demande à des musiciens de me rechercher la musique.
C’est un album où les textes sont très écrits, c’est un disque de pop mais très littéraire : un peu comme toi ?
(Rires) On essaye toujours de faire des disques qui nous ressemblent ! En ce qui concerne le côté littéraire de mes textes si tu le dit , c’est que ça doit être vrai ! (rires)
C’était quoi ton inspiration au niveau des textes ?
Ça peut être du Flaubert, du Yves Adrien, du Philip K Dick, du Léon Bloy : c’est assez large. Les influences ont les a mais elles ne sont pas vraiment évidentes : il s’agit de choses que j’ai emmagasiné. Comme disait Jacno, on essaie toujours de s’inspirer de nos artistes préférés. Mais comme on y arrive pas, ça donne quelque chose d’autre ! De l’importance d’avoir du goût ! (rires)
C’est un disque très écrit : vas-tu faire de la scène ?
Oui avec Olivier Rocabois (chanteur leader du groupe All If Ndlr ) mais pas avant la rentrée : on as pas le temps avant, Je dois d’abord finir l’écriture d’un livre avant de travailler sur mon live. En tout cas, je suis ravis de travailler avec lui.
Ce qui serait incroyable c’est que tous les intervenants de ce disque soient sur scène avec toi juste un soir, pour un concert unique ?
Ce serait un rêve incroyable mais là il faudrait vraiment du budget. C’est juste une question d’économie et de disponibilité.
Pour en revenir à ton disque, je le qualifierais comme un disque de pop électro urbain ?
C’est un disque de pop expérimentale, je ne voulais surtout pas que l’on définisse mon disque comme étant de la chanson Française électrifiée ! Parfois je me dit que je suis un artiste anglais d’expression française ! En France on est trop cartésianiste. La musique sert aussi à réenchanter le monde.
Mais c’est un album très électrique alors que je m’attendais à voir apparaitre du Moog, des claviers un peu « planants » ce genre de choses, proche de ce que peuvent proposer Bertrand Burgalat ou Air ?
Aujourd’hui tout le monde met du Moog partout, ensuite Air fait du Air et Bertrand fait du Bertrand, moi j’ai essayé de faire mon style. L’important c’est de se surprendre soit même et par conséquent surprendre les autres. Rien de pire qu’un album linéaire ou il ne se passe rien.
Donc ce disque est une manière de présenter ta culture ?
J’espère que ce n’est pas un étalage de culture mais plutôt une transmission d’émotion et de valeurs sans préchi-précha. Qu’on y rencontre une vraie personnalité et qu’il ne s’agit pas là qu’ un simple concept. Ceci dit j’aime les concepts albums qui a un début une milieu et une fin. Des disques comme « Smile », « SF Sorrow » ou encore « Tommy » ! Sans oublier the Secret life of plants de Steevie Wonder !
https://www.youtube.com/watch?v=1HQk7GD6eRI
Mais c’est un disque qui a une vraie unité ?
J’espère : c’était le but recherché ! C’est vraiment la grande réussite de Kevin qui a réussi à unir des morceaux qui venaient de un peu partout. Il a réussi à unir tout cette musique ! C’est un vrai liant ce mec ! (rires)
Je pensais aussi que on verrait beaucoup l’influence de Gainsbourg ?
Je me suis détaché de Gainsbourg : je l’ai beaucoup écouté à une époque avant d’en avoir un peu marre. J’ai fini par trop voir ses influences et sa cuisine de voleur génial. Ne pas oublier que c’est Jane Birkin qui lui a vraiment fait connaître la pop anglaise, auparavant c’était un chanteur rive gauche. Je me suis aperçu que ce que j’aimais chez lui c’était ses arrangeurs : Colombier, Whitaker, Goraguer ou Vannier, plus que Gainsbourg lui-même.
Autre particularité du disque : il y a beaucoup d’humour !
Oui c’est voulu, il faut de l’humour pour aborder la grande blague cosmique qu’est la vie ! À commencer sur soi-même.
La pochette est de ton ami Bart Johnson ?
Oui, à la base c’est parti d’un vieux casque de CRS de mai 68 que j’ai trouvé dans une brocante. Je me suis photographié avec le casque sur la tête et je lui envoyé la photo. Il a tout de suite trouvé l’idée et il a réussi à y développer son univers. Il y’a je pense une vision mystique des choses dans cette pochette. Savoir affronter ses démons, traverser son Styx mental avant d’en sortir grandi !
Je trouve que tout cet ensemble, musique et pochette, font de ton disque un bel objet ?
C’est très important pour moi que ce soit un bel objet ! J’aime l’idée d’artisanat. Que les auditeurs-trices, sentent que l’on ne se moque pas d’eux ! Plus tout se dématérialise plus on va avoir envie de la relation sensitive aux objets.
Mais c’est disque qui amène pleins d’images : on peut imaginer que tu ailles de plus en plus vers des films ou du moins dans l’audiovisuel ?
J’ai un projet de film et un autre de série. Je cherche une production ! le message est lancé ! Pour l’instant on va faire un nouveau clip, je travaille avec un réalisateur ; très doué Nicolas Engel qui a notamment adapté la comédie musicale « Chicago » en Français. On essaye de chercher des financements parce que ça fait longtemps qu’on a compris qu’ un clip « cheap » c’est pas terrible. Maintenant c’est quelque chose que l’on produit à perte puisque il n’y a plus de clips à la télévision : c’est le domaine de « youtube » où il faut 8 milliards de vues pour gagner trois sous (rires). Il n’y a plus d’économie ! C’est la dictature du clic.
Justement quel est ton rapport à l’internet ?
Je l’aime et je déteste. Je l’aime parce que tu peux contacter quelqu’un ou quand tu cherches un livre ou un disque tu le trouves. Il en est de même pour des documents rares. Par contre le règne des youtubers là pour moi c’est souvent le degré zéro de la créativité.
Oui, dans la même idée sortir un disque concept sur la vision que quelqu’un peut avoir par rapport à Hollywood en partant de Rouen, c’est pas vraiment dans l’ère du temps !
C’est un suicide commercial tu veux dire (rires) ! Plus sérieusement au contraire je pense que dans notre ère de l’image, des fake news et du narcissisme digital c’est plutôt d’actualité !
Mais c’est un disque de l’instantané : c’est le résultat de ton état d’esprit au moment de l’enregistrement ?
Oui, mais ce n’est peut-être que de la pop music ! (rires)
Oui mais là on parle d’une pop cultivée donc intelligente
La pop c’est comme la Tv : tu peux faire des choses bien comme des émissions stupides de téléréalité ou de voyeurisme. Comme disais Pierre Desgraupes à Michel Drucker, faites du populaire mais digne !
Mais tu as fait le disque que tu aurais voulu avoir chez toi ?
Bien sûr : Mais c’est aussi valable pour mes livres. J’écris les livres que je serais content d’avoir chez moi.
Mais tu ne penses pas que un disque pareil ne risque pas de passer au-dessus de la tête du grand public
On ne sait jamais. Je trouve que The Girls who was talking in reverse ou Lushy Life pourraient être des tubes ! si, si !
Mais n’est-ce pas un disque de mods moderne ?
J’aime pas les mods qui veulent rejouer à 1966, être mods voulait dire « modernist » donc j’espère juste que mon disque est « modernist » au sens premier du terme ! Les sixties avaoent un côté moderne, un optimisme vis à vis du futur.
Justement quel est ton rapport au jazz ?
J’aime le jazz mais je ne suis pas un spécialiste, je ne connais pas assez la musique jazz pour pouvoir être un virtuose du truc. Disons que j’aime le jazz jusqu’au free jazz, parce que là vraiment j’ai du mal. J’adore Monk, le personnage et sa musique sont fascinant.
Je dis ça parce que je trouve qu’il n’y a pas de cuivres sur ton disque alors que pour moi c’est du jazz moderne.
J’assume complétement l’image mods, j’adore ça ! Ensuite si tu écoutes bien le disque tu entendras quelques cuivres !
Tu dirais quoi pour vendre ton disque ?
C’est un conte initiatique avec un début et une fin, c’est une vraie histoire …. Et il devrait vous faire du bien. Le bon art doit toucher des parties du corps et de l’esprit que d’autres trucs n’arrivent pas à joindre. J’espère que c’est la cas ici.
Tu veux dire quoi pour a fin ?
Prenez du plaisir à écouter mon disque ! Surtout restez curieux de tout. Sortez des injonctions des écrans et découvrez que la vraie vie peut être pas mal aussi.
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