Comment est né ce projet ?
Manu Low : Le projet est né à Bruxelles d’une série de concerts que Kris Dane avait organisé avec ses amis à l’Archiduc. Là-bas se sont retrouvés la plupart des membres actuels du groupe. C’était pendant les mois d’été. Tous les lundis ou mardis nous étions sur scène. C’étaient des concerts incroyables où certains proposaient des chansons, d’autres les accompagnaient… C’était vraiment une réunion d’amis, mais en musique.
David Chazam : Tous se partageaient les chansons et s’accompagnaient les uns les autres parce que c’étaient, et ce sont toujours, de supers musiciens !
Qui est dans le groupe ?
ML : Sur ce premier album, Mika Nagazaki, bassiste de Ghinzu, Jan Ducheyne, poète, Gered Stowe, Angelisa, Bai Kamara Jr, Jef Mercelis, Kris Dane, Matt Watts et moi-même, auteur-compositeur-interprètes et multi-instrumalistes, le guitariste Teuk Henri, les batteurs Frank Pay et Patrick Clauwaert. C’est un grand collectif ! Un ami pour nous définir parlait « d’égrégore » et je trouve que cela nous correspond bien.
C’est un groupe ou un collectif ?
Mika Nagazaki : C’est un groupe !
DC : C’est assez simple : il y a des concerts où tout le monde est là, d’autres où certains manquent… C’est assez fluctuant. C’est en ça que c’est plus un collectif qu’un groupe.
ML : La seule manière que nous avons trouvé pour fonctionner est qu’il y ait unanimité dans les décisions. C’est pour ça que ça prend du temps. On ne garde que ce que nous voulons pour le groupe. Il n’y a aucune obligation pour personne.
Jan Ducheyne : Je voudrais dire que pour moi c’est un groupe, même si nous avons plusieurs batteurs ou guitaristes et que nous ne pouvons pas toujours être tous présents. On est beaucoup mais c’est un groupe !
ML : Je suis d’accord avec lui parce qu’il y a un vrai son qui est sorti de cette aventure et dans ce sens, en terme de musique, c’est un groupe !
Votre disque est profondément belge par son mélange d’influences mais je dirai qu’il est aussi européen !
ML : Je suis entièrement d’accord avec toi, en tant que belge et européens, parce que nos influences viennent de partout. Nous n’avons aucune limite. Bruxelles est la capitale européenne et un carrefour culturel important donc c’est normal que nous ayons autant d’influences.
Dans votre musique on retrouve du rock, de la pop, de la chanson, du blues, de la musique latino, du folk … Il n’y a que les belges pour faire un album avec autant d’influences !
JD : Je pense même que c’est très difficile de faire un album comme ça hors de Bruxelles ! Tu ne vas pas trouver un groupe pareil à Liège, à Gand ou à Anvers. Il y a beaucoup d’influences chez nous. On chante en plusieurs langues. Il y a un mix total entre tous les musiciens.
MN : Par exemple, il y a sur le disque un morceau « Wake Up » qui nous résume bien. On jammait en studio et puis ça a commencé à donner quelque chose. J’ai dit à David « enregistre ». Il a poussé le bouton « record », et voilà. La création du morceau est juste venue du fait que je lui ai demandé d’enregistrer. C’est totalement spontané !
Il y a un morceau en Français « Regarde »
ML : Je suis à Sydney, j’y habite et ici, on est entouré par la nature. C’est une chanson que j’ai écrite pour ma fille pour lui dire « regarde », il suffit juste de se connecter à la nature. Quand j’ai raconté l’histoire à Jan, il a rajouté un poème qu’il avait écrit pour sa fille. Ça veut juste dire « regarde » la nature est belle ! Mais il y a une autre version de ce morceau par Jef Mercelis.
DC : Oui, on lui a proposé de chanter la chanson et comme il est moins optimiste que Manu, il a réécrit le texte en disant le contraire exact de la chanson de base et ça pourrait quasiment devenir un hymne écolo un peu dark.
J’ai eu l’impression que votre musique à un fond de blues mais le blues du sud des USA, celui de Nick Cave.
ML : je ne suis pas totalement d’accord !
MN : Moi non plus (rires).
ML : Dans le groupe il y a des gens qui ont cette influences très « classic rock », « Bluesy »… Heureusement que ce n’est pas tout le monde (rires).
MN : Dans ma discothèque il n’y a pas beaucoup de blues (rires).
ML : J’en parlais encore aujourd’hui avec des amis musiciens qui ont un groupe et qui doivent être classés pour aller dans des réseaux. Pour moi Individual Friends a une autre dimension : personne ne joue vraiment la musique qu’il jouerait s’il prenait les rênes d’un tel projet, mais quand on joue ensemble ça peut partir dans pleins de styles, rock, cumbia, pop … et on peut chanter en anglais, en français ou en flamand.
DC : Il y a, et particulièrement dans la scène rock flamande, une forte influence de l’Angleterre, de l’imaginaire anglo-saxon, mais aussi des grands espaces des USA. Une anecdote éclairante : nous avons deux personnages dans le groupe, Kris Dane (ex Deus, ex Ghinzu, qui tout en continuant la musique, vit maintenant sa passion de dresseur de chevaux dans la province de Liège), et Gered Stowe. Ils sont tous les deux flamands et pourtant, ils parlent ensemble en anglais !
ML : C’est vrai que l’anglais est sans doute la langue la plus utilisée dans ce groupe !
MN : Kris, quand il ne fait pas de la musique, il brosse des chevaux (rires).
DC : Pour nos oreilles francophones et surtout françaises ça peut sonner comme tu le dis parce que les belges sont vraiment beaucoup plus ouverts sur les musiques anglo-saxonnes.
C’est aussi un disque très mélodique et acoustique.
ML : Je m’y retrouve bien. Mon père était diplomate et j’ai grandi dans les années 70 aux USA. Cette musique de l’époque, comme Paul Simon ou Cat Stevens, était jouée à la radio et ça a bercé mon enfance. J’ai un désir constant de revenir à la musique des années 70 pour les mélodies et le rythme.
Ça a été enregistré en Live ?
DC : En live et tous ensemble
MN : C’est vraiment organique !
JD : A notre âge, on a rien à faire avec le Vocoder, Auto Tune ou autre logiciel…. Avec l’improvisation on n’a pas besoin de tout ça. Par exemple, j’avais un texte en Néerlandais et David m’a dit « ça ne va pas, tu le mets en français ». Je l’ai traduit, c’était « 20 years » et franchement c’est mon meilleur enregistrement. David m’a dit « Lis le au micro comme tu le lirais à l’oreille de ta femme ». Il n’y a pas eu beaucoup de préparation et cela a donné le cœur du disque.
Il a été fait où et avec qui ?
MN : Dans le salon de David et avec lui derrière la console (rires)
DC : Il a fallu une semaine de prise et un bon mois de mixage au « Studio Travail et Loisirs » à Bruxelles chez moi.
Qui compose, chacun amène son morceau ?
ML : Chacun compose dans son coin et après nous partageons les droits sur les chansons. Je voudrais bien que tous les droits pour le prochain soient partagés parce que c’est une famille de musiciens et nous sommes tous dans le même bateau. Ensuite parce que chacun amène quelque chose. Prends la cas de Mika, il amène beaucoup avec sa basse et dans ce type de projets cela me paraît capital que ce soit ainsi. Et on peut dire la même chose de tous les autres.
Quand on est 13 dans un groupe, cela doit être une organisation énorme ?
MN : C’est facile : on ne répète jamais (rires général)
ML : On a répété un peu, quand même, avant l’album. Mais il y a un côté magique dans ce groupe : quand on a fini nos discussions et que tout le monde se met à jouer, ça fonctionne très rapidement. Dans ce sens-là on a pas besoin de répéter. En ce qui concerne l’organisation du groupe en tant que manager du projet, c’est compliqué, surtout que je suis à Sydney. Ça doit être quelque chose de modulable et si il y en a seulement 8 qui sont là sur 13, on doit pouvoir faire un concert Individual Friends. On en discute et il faut que cela se fasse à l’unanimité ! Ce serait des expériences, des concerts uniques … mais on doit en parler !
On peut imaginer que d’autres musiciens rejoignent le groupe et que vous soyez 15 ou 16 ?
MN : Houlà, ça peut devenir encore plus compliqué !
ML : Tous les membres ne sont pas obligés d’être là à chaque fois pour les concerts ou les enregistrements. C’est en fonction des disponibilités de chacun. Le groupe va continuer à bouger, il y a beaucoup d’idées pour le prochain disque déjà donc tout est ouvert ….
Vous avez fait combien de concerts ?
MN : on a fait un seul vrai concert vendredi dernier, sinon on en fait beaucoup mais dans des cafés concerts.
Vous envisagez une tournée ou ce sera juste des concerts événements dans certaines villes comme Paris ou Bruxelles ?
ML : comme je suis à Sydney en ce moment je vous laisse répondre !
MN : Je n’imagine pas faire des concerts sans Manu en fait ! C’est lui qui est à l’origine du projet et qui a composé il y a 20 ans une chanson qui s’appelait « Individual Friends » sur laquelle il a invité quelques copains à jouer. Il l’a ensuite mise sur son disque qu’il a pressé dans sa cave. On fait quelques showcases et un concert sans lui et ça fait bizarre … Bon, cela va peut-être nous conditionner pour la suite mais on va tâcher d’éviter ça !
ML : Je suis bloqué depuis un an et demi à Sydney à cause du Covid. La dernière fois que le ai vus c’est quand on préparait la sortie de l’album en mars 2020. On répétait quand on apprenait le confinement et que tout fermait. J’ai dû repartir en catastrophe en Australie et les autres ont dû rentrer à la maison. C’est presque un miracle qu’ils aient réussi à faire des show cases et ce concert. On va en discuter entre nous mais j’ai dans l’idée que ce partage musical peut être un concept avec des artistes qui font des choses sous leurs noms et qui vont aussi faire des projets à côté, pour l’amitié et la solidarité, dans notre collectif. Je tiens aussi à dire que je n’étais pas au concert mais je l’ai écouté et c’était vraiment très bien. Je ne suis pas de leurs avis donc on va en discuter (rires).
JD : On peut faire des concerts sans Manu mais c’est quand même mieux quand il est là (rires).
ML : Je suis un peu le ciment du groupe, peut-être … Mais il y a des gens capitaux pour le groupe comme Jan et Mika mais aussi Jef aux claviers qui a fait un travail incroyable ! J’adore son travail au Korg : il est devenu un maître de son instrument !
Mais est ce que ce groupe ne serait pas pour vous une sorte de recréation ou même un moment d’infidélité à vos projets principaux ?
JD : On a tous nos projets personnels c’est vrai ! Mais on ne peut pas dire que nous faisons des infidélités à nos groupes parce que nous le faisons vraiment avec sérieux !
MN : Moi je n’ai que des infidélités parce que mon projet principal est dans un poumon d’acier (rires).
Vous faites des reprises sur scènes ou vous allez en faire ?
ML : Un de nos fans nous a demandé ça sur les réseaux sociaux et la réponse du groupe a été : « non, pas de reprises ! ».
MN : Je n’ai jamais vu un fan demander une reprise ! Si c’est « Blitzkrieg Pop » des Ramones pourquoi pas ? Mais sinon non (rires) !
ML : Il faut que tout le monde soit d’accord pour en faire une et donc pour l’instant c’est non !
Vous avez des concerts en prévision ?
ML : On doit en discuter, je reviens l’année prochaine et on espère pouvoir en faire.
DC : le groupe est assez nombreux, c’est compliqué parfois mais le groupe est soutenu par mon label pour la production, un label de distribution pour les pays Flamands « Starman », un tourneur bruxellois … les choses sont en place mais le marché est fragile en ce moment. C’est compliqué de jouer mais le groupe est prêt à y aller !
Quels sont les retours sur le disque ?
JD : On vend trente disques par semaine !
DC : Moi qui me suis occupé de tout, je peux dire que le disque a vraiment souffert de la situation Covid. Tout a pris du retard et de simples petits soucis anodins suffisaient pour que tout déraille. Dans cette situation, même la promotion est compliquée. Elle a été assurée par deux personnes en Belgique, une pour le côté flamand, l’autre pour la Wallonie. Mais avec les retards, les journalistes étaient un peu … perdus ! On est en train de reprendre le travail. En matière de promo, c’est complètement paradoxal : un disque « vieillit » super vite ! Alors qu’il est là « for ever »… Il va y avoir un nouveau single à la fin du mois « White Dresses », mais tout a changé depuis le Covid … Le disque est là et pour longtemps. On va le vendre parce qu’il existe !
Est-ce qu’il va y avoir quelque chose en France ?
ML : On est en train de voir pour des festivals, ce serait bien … Une tournée pour la France est un peu prématurée. On va voir aussi avec les radios parce que notre musique se prête bien à ce média. On est programmé sur une des principales radios de Wallonie.
MN : Pour la France, on va essayer de faire un circuit normal avec des festivals, comme tous les groupes qui commencent et pourquoi pas une petite scène à Paris pour que le public parisien commence à nous connaître et que les journalistes puissent en parler ?
Ce serait l’influence quoi principale du groupe ?
JD : Alan Vega mais aussi the Stooges, Daft Punk, Aphex Twin ou encore LCD Soundsystem…
MN : Mes influences à moi ce serait les Stranglers, Gainsbourg ou William S Burroughs…
ML : De la country, Radiohead, Dylan, Neil Young … mais ça ne sert à rien de trop en parler parce que cela ne rentre pas dans notre manière de faire de la musique ensemble !
Vous savez vers où vous allez musicalement ?
JD : On va continuer à aller vers nos envies individuelles. On ne va pas faire un album punk ou pop… Ça restera toujours nos envies.
ML : Il n’y a aucune préméditation chez nous . On va continuer à faire ce qu’on aime bien. Les musiciens vont amener des chansons, si elles plaisent à tout le monde on les fera sinon il ne se passera rien ! On fonctionne comme ça : il faut que tout vienne naturellement !
Vous allez enregistrer un prochain album ?
ML : On espère le faire l’année prochaine. On essayera de répéter la semaine d’avant, tous ensemble pour que chacun puisse participer. Après on fera une semaine de studio. En tout cas, on sera content de se revoir ! Moi, à chaque fois que je rentrais d’Australie j’allais voir tout le monde et après on se réunissait, on partageait des moments ensemble, de la musique … Dans Individuals Friends il n’y en a pas un qui prend le dessus, c’est vraiment un groupe de plaisir. J’anticipe un peu, j’ai quelques idées de chansons, je vais les proposer aux autres, peut-être qu’on en composera ensemble, on verra bien sur quoi cela débouche …
Peut-on imaginer qu’il y aurait une ouverture dans votre collectif avec des gens qui font de l’image par exemple ou vous comptez rester seulement dans la musique ?
ML : je voudrais bien développer l’image bien sûr. On n’en a pas discuté ensemble mais ce ne serait pas impossible que nous nous ouvrons à des gens qui font de l’image. Je pense que la musique doit s’accompagner d’un vrai visuel, c’est un peu obligatoire … Ça et des bons concerts aussi !
Ils parlent quoi de vos textes ?
MN : C’est très personnel souvent. Nos textes sont, en fonction de celui qui les a amenés au départ.
ML : chacun amène son univers et chaque chanson à son histoire
DC : Pour moi qui suis un peu extérieur, je dirais qu’il y a des niveaux très différents. L’écriture de Gered Stowe est très profonde, avec des images fortes, assez sombres et personnelles. Jan, lui, est très connu à Bruxelles, il organise des sessions de slam. Il a une écriture très prolixe, il joue en permanence avec les mots, dans toutes les langues. Liza a des positions éthiques et politiques très affirmées. Il y a vraiment des niveaux très différents mais à chaque fois passionnants.
Mais votre musique est très travaillée en amont ?
MN : Pas vraiment, on fonctionne vraiment à l’instinct. Comme on ne répète pas beaucoup, on avance chacun de notre côté. Depuis qu’on a enregistré le disque j’ai trouvé des lignes de basses différentes pour les morceaux. Parce que nous n’avons fait que deux répétitions de deux heures avant l’enregistrement, on n’a pas beaucoup travaillé certains arrangements mais ça fait partie de l’ADN du groupe : on ne va pas passer 15 jours sur un morceau ! Si ça se passe comme ça c’est bien et après pour la scène j’ai amélioré mes lignes de basse. Ça fait partie des bons et mauvais côtés de ce projet !
DC : attention, on parle ici de musiciens rompus qui connaissent leurs instruments : « ça » joue vraiment très bien !
JD : On a beaucoup d’expérience et donc ça fait partie du projet. Ce que j’écris maintenant, je n’aurais pas pu l’écrire il y a 10 ou 20 ans. On évolue et c’est tant mieux ! En ce qui concerne les vidéastes nous avons déjà Charley Case qui a réalisé un clip et notre prochain clip a été fait par un jeune vidéaste, en une journée. C’est rapide mais nous avons de l’expérience.
Mais dans ce groupe vous vous autorisez plus de choses que dans vos groupes ?
ML : C’est plutôt que ce que nous faisons avec ce groupe, on ne s’y attendait pas au départ. C’est une heureuse surprise ! Dès que nous jouons ensemble, il y a une sorte de magie !
Que voulez-vous dire pour la fin ?
ML : Je veux dire un truc un peu simple mais, s’il y a quelqu’un a servir, c’est la nature !
MN : Bonjour à mes copains Français !
JD : Nooddzakeliijk Kwaad, c’est mon projet personnel avec des membres d’Individual Friends !
DC : Retournez chez les disquaires. Reprenez cette habitude super chouette, commandez leur le vinyle du groupe : il est super !
Quel disque donneriez-vous à un enfant pour l’amener vers la musique ?
ML : « Melody Nelson » de Serge Gainsbourg et l’album d’Individual Friends, parce que le son du vinyle est incroyable !
DC : « Meets The Residents » réponse complétement perso, qui n’a rien à voir avec le projet !
JD : « Alan Vega », mais j’ai aussi passé les « Beastie Boys » à mes enfants
MN : « Atom Heart Mother » des Pink Floyd !