Il existe plusieurs façons de faire et de concevoir la musique : on apprend la musique et on s’inspire de ce que l’on a entendu, ou on essaye de créer une musique et d’explorer des territoires inconnues. Ewan Keravec fait partie de la deuxième catégorie ! Depuis plus de 20 ans il parcourt le monde, et la musique, accompagné d’une cornemuse Ecossaise, un instrument que l’on imagine mal dans des contrées avant-gardiste. Pourtant avec cet instrument traditionnel de la musique Ecossaise Erwan arrive à faire de la Free Music et de la musique contemporaine.
Pour ce virtuose de l’improvisation, les codes musicaux sont depuis bien longtemps dépassés et il a promené son instrument sur des scènes aussi diverses que le théâtre, le jazz ou les ballets de danse contemporaine. Un musicien aussi aventurier ne pouvait pas me laisser indifférent ! Alors que sort son nouveau projet « Revolution birds » j’ai posé quelques questions à ce joueur de cornemuse !
Mes parents étaient dans le mouvement associatif Bretons avec les Bagads et, naturellement, tout petit j’ai découvert l’instrument (la cornemuse Ecossaise Ndlr). Ma mère a co-fondée le bagad de Pluneret. Tout petit, je passais mes mercredis après-midi avec elle là-bas. Dès que j’ai eu 4, 5 ans je savais que je voulais faire de la cornemuse.
Tout de suite cela a été la cornemuse ? Ce n’est pas un instrument « classique » pourtant !
Oui, tout de suite ! Pour moi ça a été évident ! Je pense que c’est simplement un truc d’accès. J’étais un gamin qui a vu ses parents empoigner ces instruments, donc naturellement j’ai suivi. C’est pareil pour un enfant dont les parents font du rock et qui se met à jouer de la guitare ou de la batterie …. J’ai joué de l’instrument que je voyais autour de moi !
Tu es rentré au Bagad de Pluneret ?
Oui, tout de suite et puis vers 12, 13 ans je suis rentré au bagad de Locoal Mendon.
(Droit réservé)
A l’époque tu étais souvent associé à ton frère (Guénolé Ndlr)
On a fait tout ça ensemble ! Bon j’ai arrêté le bagad avant lui, vers 21, 22 ans … Mais on a joué tout le temps ensemble : on a monté un groupe, on continue encore aujourd’hui ensemble ….
Mais comment se passe le passage de la musique Bretonne vers le Free Jazz ?
En 1996, le bagad le Locoal Mendon a fait une rencontre avec un big band de jazz qui venait l’Association d’un Folklore Imaginaire (l’AFI). Ils avaient demandé pour un enregistrement un musicien à la bombarde et un autre à la cornemuse sur deux pièces différentes. C’est moi qui ai été désigné pour la cornemuse et c’est comme ça que je suis retrouvé devant un micro à improviser entouré de musiciens de jazz. Pour eux l’improvisation était une évidence, alors que moi je venais de la musique traditionnelle j’avais appris la musique de deux manière différente : la méthode écrite où tu déchiffres ta partition et la pratique de couple, les fameux couples de sonneurs, que moi j’ai appris avec mon frère, Mais c’est de la pratique orale et dès l’âge de dix ou onze ans j’ai appris à le faire ! Ça ne suffit pas à l’improvisation mais cela permet de faire un premier pas vers cette technique !
Tu as été dans un conservatoire ?
Absolument pas, je n’ai jamais fréquenté le conservatoire : je n’ai appris qu’avec des musiciens amateurs ! Maintenant c’est vrai que pour l’improvisation il y a des cultures comme la musique Indienne où l’on considère que tu peux improviser à partir du moment où tu commences à savoir te servir d’un instrument ou au contraire tu peux te lancer en connaissant peu l’instrument. C’est un peu le principe du Free-Jazz où la musique est accessible à tous et tout le monde peut improviser et jouer de la musique.
Mais la plupart des musiciens de Free Jazz sont souvent des super techniciens ?
Bien sûr, mais si tu prends par exemple les musiciens de Free Jazz de Chicago, eux ils sont encore dans la pratique immédiate de la musique. Ils forment des tas de musiciens qui doivent jouer tout de suite. Maintenant plus tu maitrises ton instrument plus tu offres de possibilités à la musique, mais l’improvisation peut être prise comme la plus simple expression de la musique.
Dans ton cas le côté « musique écrite » tu l’as mis de côté rapidement ?
Pas vraiment, je suis autant intéressé par la musique écrite que par la musique improvisée. En 2007 j’ai fait un premier disque en solo « Urban Pipes » ou je cherchais à décontextualiser mon instrument (la cornemuse Ndlr). A créer une musique qui ne rappelle en rien justement l’origine de cet instrument. J’ai travaillé beaucoup avant de m’apercevoir que ma culture et la culture de l’instrument m’empêchait de faire cette musique. A ce moment-là, j’ai décidé de confier ma cornemuse à d’autre et de solliciter des compositeurs de musiques contemporaines.
(Pochette de l’album "Urban Pipes" en 2007 - Droit réservé)
Quel a été ton parcours d’écoute de disque pour arriver à cette musique ?
Quand j’étais ado j’ai commencé à écouter Coltrane et Miles Davies, mais c’étaient des écoutes d’adolescent …. Après cela a été Albert Ayler dans le Free Jazz ou Xenakis…
Et la musique contemporaine New Yorkaise des années 70 comme Fred Frith ou John Zorn ?
Beaucoup de gens m’en parlent mais j’ai pas du tout écouté… Je ne suis pas du tout passé par cette case là (rires), bon maintenant je les écoute !
On revient à ton premier album ?
Oui, je voulais vraiment savoir si je pouvais m’écarter de la tradition de l’instrument, l’emmener ailleurs, entendre quelque chose qui n’était pas de cette origine-là, essayer de ne pas retrouver la Bretagne …. C’est ce qui m’a amené à travailler par la suite avec des compositeurs pour essayer de trouver d’autre possibilités ! J’aime la musique traditionnelle, je la trouve hyper belle mais je suis curieux et je voulais aller ailleurs ….
Ce parcours est atypique : tu aurais pu au contraire jouer de ton instrument sur des musiques plus « classiques » ?
En fait je ne voulais pas être le joueur de Cornemuse que l’on appelle pour donner un coup de Bretagne ou de celtique à sa musique. Quand j’ai décidé de me consacrer totalement à la musique j’ai décidé d’amener mon instrument le plus loin possible et accompagner des chanteurs de variétés ne m’intéresse pas, c’est pas pour ça que je fais de la musique, ce n’est pas là ou je veux aller ! Attention cela peut poser des problèmes sociaux (rires). On m’a traité de doux dingues de faire de la musique expérimentale avec une cornemuse (rires) !
https://www.youtube.com/watch?v=TIJXeQkBsls
Justement, peux-tu nous présenter cet instrument, la cornemuse Ecossaise ?
La Cornemuse est une famille d’instruments à poche et à réserve d’air. Il en y a plus de 70 différentes en Europe mais il y en a aussi en Asie ou au Maghreb. Il y a trois ans j’ai formé un trio de cornemuse avec un Iranien, un Algérien et moi. Mon idée était de juxtaposer les différences des instruments et interprétations. Un Algérien ne joue pas de la cornemuse comme un européen : il a un rapport vraiment traditionnel à l’instrument avec en plus un rôle social : il joue pour les fêtes ou les mariages … Ce qui n’est pas mon cas ! Moi je joue de la cornemuse Écossaise qui a la particularité d’être jouée partout où l’empire Britannique est allé, c’est-à-dire partout (rires). Cet instrument a donc été importé partout sauf en Bretagne !
Pardon ?
Oui, si tu entends de la cornemuse écossaise aux USA ou au Canada tu entendras de la musique Écossaise alors que en Bretagne tu entendras de la musique Bretonne ! Mis à part chez nous c’est une musique homogène (rires) !
Tu m’as fait penser à une phrase de Jeff Miles (DJs Américain Ndlr) « Quand je joue, j’essaye de sculpter l’espace ! »
je vois ce qu’il veut dire et cela peut parfois s’appliquer à ce que je fais ! En fait quand je joue pour ma pièce de théâtre « Blind » je me sers de l’espace pour développer ma musique, C’est une très belle phrase (rires)
Quand j’écoute ta musique, j’ai l’impression que tu joues en fonction de l’espace ce qui amène de la liberté à ta musique !
Cela dépend de ce que je joue et où je joue ! Quand je suis dans une dimension de musique immédiate je joue en fonction de l’endroit par contre quand je joue de la musique écrite je respecte le travail des compositeurs ! Je suis autant compositeur qu’interprète ! Ce qui me plait c’est que les compositeurs m’emmènent vers des espaces que je pourrais pas trouver !
Pourquoi ?
Simplement parce que ma culture est la culture de l’instrument ! Cela me place à un endroit que je veux dépasser.
Pourtant tu as beaucoup voyagé avec ta musique, tu as croisé beaucoup de monde, cela a du beaucoup t’inspirer ?
Bien sûr ! Mais cela m’a emmené aussi à évoluer ! Par exemple si jamais je devais re enregistrer mon premier album, paru en 2007, je le jouerais de manière différente. C’est ma rencontre avec toutes ces personnes qui m’ont fait évoluer ! Ils ont une propre culture, une vision personnelle qui amène des choses à ma musique et ce mélange est capital pour moi !
On parle de ton disque : « Revolution Birds », ton dernier projet ?
Oui, c’est un trio avec un percussionniste Franco-libanais, un chanteur Tunisien et moi. On vient d’enregistrer un premier album marqué par des thèmes et une organisation dans laquelle on s’amuse !
https://www.youtube.com/watch?v=7bCRD_3PYc8
Pardon ?
(Rires) En fait on a des repères et des rendez-vous dans la musique et entre les deux on fait ce que l’on veut, on s’amuse …. C’est une musique très souple mais pas totalement improvisée … C’est de la musique du monde, de la « World music » quoi ! (rires)
Et cela s’est créé comment ?
C’est un trio qui a été créé à Beyrouth, qui a ensuite joué à Tunis et puis à Paris, nos trois pays d’origine. On a pris le temps de ces trois concerts pour faire évoluer notre idée. A Beyrouth, on était en place mais on a évolué ensuite ! On a créé ce programme sur trois mois !
Vous vous êtes rencontrés comment ?
Cela a été deux festivals un à Paris et un Beyrouth qui nous ont réunis. Ce sont les organisateurs de ces deux événements qui ont eu l’idée de nous présenter ….
(Pochette de l’album « Revolutionary birds » - Droit réservé)
Vous allez tourner ?
Oui, on fait Vanves le 17 Octobre et Orléans ensuite… Ce sont deux endroits où je suis en résidence !
J’ai vu aussi que tu faisais de la musique de danse …
Oui, depuis que j’ai commencé l’improvisation en 1998 – 1999, j’ai commencé à travailler en parallèle avec des chorégraphes, c’est arrivé en même temps … La première c’était Gaëlle Bourges qui m’a appelée ! Pour moi c’était le même travail, le même chemin… Je ne connaissais strictement rien à la danse contemporaine. J’ai commencé par un premier spectacle avec elle et quinze ans après on collabore toujours ! Entre temps j’ai travaillé avec huit ou neuf chorégraphes différents qui m’ont sollicité au début et maintenant c’est moi qui vais vers eux.
https://www.youtube.com/watch?v=G3jgn500nQM
Ce sont des musiques très écrites, non ?
Pas du tout, par exemple je fais un spectacle avec Boris Charmatz, un chorégraphe. On fonctionne comme la musique improvisée : quand on monte sur scène on a aucune idée de ce que l’on va faire ! C’est d’ailleurs la chose qui m’intéresse le plus !
Il y a aucune répétitions ?
Aucune, c’est exactement comme la Free Music. C’est d’ailleurs cette méthode qui m’a permis de rencontrer des chorégraphes différents. Avec Boris, par exemple, on s’adapte l’un à l’autre dans l’improvisation. Puis, Il m’avait invité à Avignon sur un spectacle écrit, cette fois, fait avec des enfants il y a 6 ans et j’adore ce genre de challenge !
Il faut avoir confiance l’un dans l’autre pour faire ce genre de performance ?
Tu sais quand j’ai fait mes premières improvisations avec les jazzmen et le bagad, j’ai eu une énorme sensation de saut dans le vide parce que il y a rien et plus je fais ça plus je trouve des solutions pour se rassurer avec les musiciens ! Avec un chorégraphe comme Boris c’est pareil : c’est excitant de monter sur le plateau quand tu sais qu’il y a rien devant et que tu vas créer quelque chose qui sera différent de la dernière fois !
Mais il n’y a pas d’appréhension ?
Si bien sûr (rires), on a aucunes garantis qu’il se passera quelque chose, c’est une performance ! On élabore en temps réel le spectacle. On est à la fois interprète, acteur et créateur.
Quel est ton rapport à l’électronique ?
Jusqu’à la semaine dernière je n’en avais pas ! Je m’y suis intéressé il y a sept ou huit ans mais ce n’est pas allé plus loin. Il y a trois ans j’ai monté un duo avec un saxophoniste suédois Mats Gustafson qui vient du free noise. La semaine dernière on a enregistré un album et il avait emmené un piano électronique et on a joué une pièce qui fait vingt minutes qui est basé sur la relation entre la cornemuse et l’électronique.
(Mats Gustafsson et Erwan Keravec – Droit réservé)
Tu vas essayer de développer ça pour tes projets personnels ?
Ça fait partie des choses possibles ! J’ai commencé par modifier et faire évoluer mon instrument avec des effets comme ils l’ont fait à New York d’ailleurs mais j’en suis revenu ! Je veux travailler l’instrument comme il est ! Je fais de la musique expérimentale avec une cornemuse mais avec l’instrument de base. L’instrument est mon sujet ! Je veux avoir ce rapport avec mon histoire, mes origines …
Justement comment ta démarche a été saisi en Bretagne ?
C’est difficile à répondre ! Je suis peu dans l’univers de la musique traditionnelle en Bretagne même si j’y vis ! Je joue dans des lieux de théâtre et très peu dans les réseaux traditionnels. Je sais que l’on me cite mais c’est tout ! En fait je ne m’en occupe pas !
Mais penses-tu que ta démarche a été comprise ?
Je ne sais pas et je ne cherche pas à la savoir ! Quand j’ai décidé d’être musicien c’était pour dire quelque chose sur l’instrument et moi je suis dans ça. La manière dont les musiciens le reçoivent ne me concerne pas ! Bon, je serais ravis si ils appréciaient mais ce n’est pas ça que je cherche ! Ça ne me préoccupe pas.
Tu comptes aller vers ou avec ta musique en terme de géographie ?
Dans ma partie interprète c’est des choses qui sont prises très en avance ! Par exemple je vais créer en janvier 2019 une pièce avec 24 chanteurs à la Philharmonie à Paris : tout est presque en place, j’ai déjà des partitions prêtes … Pour la partie improvisations je ne sais pas, j’attends des opportunités !
Je voudrais te parler de « Blind » cette pièce de théâtre assez … originale ?
Ah ça j’adore ! C’est une pièce que je joue beaucoup en ce moment ! Les spectateurs ont les yeux bandés avant de rentrer dans la salle. On les amène dans une pièce et les quatre musiciens jouent en se déplaçant autour d’eux ! On essaye de susciter de l’émotion et cela amène parfois des situations complexes : c’est très introspectif … On retire l’image au son : les gens ne voient pas comment ce son est produit ! On a eu des retours extraordinaire sur cette pièce !
Les gens ne savent pas ce qu’ils vont entendre ?
Pour tout t’expliquer il n’y pas de scène, des hauts parleurs disposés dans la salle et nous on se promène autours d’eux ! C’est une musique totalement abstraite … Ce n’est pas un concert, c’est une immersion dans du son. Cela crée des choses … remuantes et même très puissante, pas forcément agréable ! Cela ramène à la personne !
Tu as un mot de la fin ?
Mats Gustafsson, avec qui je fais cet album de jazz, signe ses mails toujours avec « Peace and fire » (rires), c’est très bien pour finir (rires) !
En concert avec Revoltionary Birds le 17 Octobre à Vanves , le 18 Octobre à Orléans et le 19 Octobre à Tours.
Blind du 22 au 30 Novembre au theâtre 71 à Malakoff