David Chazam, ou plutôt « Votre Chazam » : j’ai changé de prénom il y a peu de temps pour faire un peu plus « don de ma personne » et parce que en tant que artiste je ne m’appartiens pas : je suis la propriété des gens, mon public. Donc je suis « Votre Chazam, ami des enfants et des animaux ».
Et tu te définirais comment ?
Artiste multidirectionnel et irréductible.
Ok, tu viens d’où ?
Je suis originairement Poitevin. J’ai découvert la musique par les gens de "l’Oreille est Hardie", une association qui a fondé ensuite le « Confort Moderne » (salle de concert de Poitiers Ndlr ) dans les années 80. J’avais une quinzaine d’années et j’ai eu beaucoup de chance parce que grâce à cette association j’ai découvert pleins de groupes comme les Virgin Prunes (Groupe Irlandais de Cold Wave Ndlr ) et en 1983 j’ai été marqué par un concert des Résidents (groupe Américains dont la particularité était de monter sur scène avec des masques Ndlr ) qui m’a vraiment beaucoup marqué.
(David Chazam - Photo Caroline Petit)
Qu’est ce qui t’a marqué ?
Tout dans leur superbe « Mole Show » : les masques, l’ironie constructive par rapport à leur public mais surtout leur musique qui était faite de collages, avec des instruments électroniques, les premiers samplers…. Ce jour-là ma vie a basculé ! Je découvrais ce soir un pan entier de musiques qui correspondait entièrement à ce que je cherchais.
Autant que ça ?
Oh oui, ils faisaient des "concept albums" impeccables. En plus ils avaient un discours « Do It Yourself » (DIY Ndlr ) depuis 1973, très novateurs, une attitude punk avant les punks : le DIY c’est « on attend personne pour faire un disque, pour faire des concerts, on le fait » …
Tes parents étaient musiciens ?
Ma mère était très mélomane, elle était un peu chanteuse … Mais surtout j’avais des copains musiciens, c’est eux qui m’ont dit que j’avais une oreille. J’ai commencé à bricoler des mélodies, jouer d’un instrument et j’ai adoré ça. Mais je n’étais pas vraiment à ma place au conservatoire et c’est vrai que le discours des Résidents qui disaient : « On a pas besoin de techniques de virtuoses et d’instruments de musique pour en faire, mais juste d’un magnétophone » m’a beaucoup marqué.
Et le côté scénographie sur scène du groupe ?
Bien sûr que cela m’a aussi beaucoup marqué : je pense qu’un musicien doit être aussi un homme de spectacle et je suis un homme de spectacle. Je ne suis vraiment pas le meilleur musicien de la terre, loin de là, mais je suis un homme de spectacle ! Je sais monter sur scène avec pleins d’éléments, dont la musique…
(David Chazam en concert - Caroline Petit)
Tu as commencé comment tes premiers groupes ?
A Poitiers il y avait un vrai public qui avait été formé par cette association et qui était ouvert à des groupes comme Marquis de Sade, Suicide, Fred Frith …
Une scène très « arty » ?
Oui, très « arty » pour l’époque. Il y avait, par exemple, un groupe à Poitiers et Niort qui s’appelait « Ptôse », pour nous, ils étaient les "Residents" à la Française. Ils arrivaient à sortir des compilations dans le monde entier avec des groupes Japonais, Américains, des artiste d’un peu partout … Ils avaient une grande influence dans cette scène …. C’était un groupe passionnant. C’était une scène très expérimentale et moi je viens de là. En écoutant et en voyant ça en concert, j’ai commencé très vite à écouter des trucs barrés et inventifs.
Des trucs comme le GRM ?
Oui, Pierre Schaeffer, Pierre Henry… Mais plutôt pour le côté « Shadoks »
Jean Jacques Perrey ?
Oui, bien sûr ! Je l’ai découvert bien après. A l’époque, je certifie que pas grand-monde ne le connaissait en France - surtout dans le milieu de la musique électronique - alors que aux USA et en Angleterre c’était une référence. Il a fallu attendre la fin des années 90 pour que en France les musiciens et les journalistes le remettent enfin un peu plus à sa place de pionnier français.
Tu es doit être fan de François de Roubaix et de toute ces musiques de films ?
Oui j’en suis fan absolu mais aussi de Ennio Morricone et de Nino Rota !
Ensuite tu as quitté Poitiers pour Bordeaux ?
Oui, j’étais amoureux d’une fille qui était à Bordeaux. J’ai été la rejoindre et vaguement poursuivre mes études d’Histoire de l’Art. C’est une ville où je suis arrivé avec un grand enthousiasme, une naïveté encore plus immense et cette volonté d’être un « agent de fête », d’organiser et d’inventer des trucs nouveaux …
A l’époque c’est une ville qui est plutôt connu pour sa scène rock pure et dure…
Je ne me rendais pas bien compte, j’étais jeune et candide. Je pensais qu’être novateur était un critère. On a créé un groupe de disco parce que j’aimais ça et je voulais faire danser les gens. Bien sûr, le terme "disco" c’était un peu provocateur ! Mais surtout pour les rockers bornés. Moi j’étais fan des Talkings Heads, de James White et de Kid Créole … Des gens capable de faire bouger les gens tout en sonnant très « Arty » ! Ça n’a pas vraiment été compris par la scène locale Bordelaise, c’est le moins que l’on puisse dire (rires) !
Tu jouais de quel instrument ?
Des claviers et je chantais. J’ai formé alors le groupe Tschack ! avec Olivier (Popincourt Ndlr ) : on était tous les deux. Il a trouvé super l’idée de faire danser les gens parce que c’était déjà quelqu’un de très ouvert. On avait chacun notre idée pour faire danser les gens : ça pouvait être son côté « Style Council » ou mon côté « Trouble Funk », peu importe. On avait un but commun, celui de faire bouger les gens !
https://www.youtube.com/watch?v=livWS4TgEC0
C’était avec des machines ?
Au début il y avait moi aux claviers et au chant, Olivier à la guitare et quelques sons de synthés. Et puis nous a rejoint Monsieur Gadou qui est devenu un autre personnage primordial de cette aventure. Tschack, c’est une histoire qui a duré 10 ans. Le groupe a réuni jusqu’à neuf personnes dans le camion ! On a beaucoup tourné y compris en Allemagne et on a réussi à faire deux disques par nous-mêmes. Je continue toujours d’ailleurs de faire de la musique avec Monsieur Gadou dans « Cassez, remboursez » le groupe que je viens de produire.
(David Chazam et monsieur Gadou - Droit réservé)
Quand on regarde tes vidéos, on sent en toi un côté très musicien mais aussi très monsieur loyal ?
Oui, d’ailleurs je suis embauché pour être le monsieur loyal d’un spectacle Africain au cabaret sauvage pendant tout le mois d’Octobre 2017. J’apprécie d’être un monsieur loyal parce que faire ce rôle il faut bien parler et aimer les gens et moi j’aime bien les gens en général. Je suis rarement déçu par eux d’ailleurs, surtout ceux qui ont de vrais projets ! J’ai aussi été monsieur Loyal du « Quartz », un concours très pointu de musique électronique : j’avais la culture et l’envie de faire le personnage !
Il parait que tu es un grand fan de David Bowie ?
Of course. C’est quelqu’un qui construit son personnage, qui a totalement intégré « le paradoxe du comédien » de Diderot et je trouve ça passionnant ! Le fait d’écrire son personnage, de le penser… Il a sa propre vie, et parfois on est obligé de le tuer pour passer à un autre personnage. Bowie a même mis en scène sa propre mort ! J’adore vraiment le mec, je suis fan, mais c’est surtout des morceaux que je suis fan.
Tu dois adorer aussi Ruichi Sakamoto ?
Oui, c’est un mec qui dit de lui-même qu’il part dans tous les sens, mais à l’arrivée il fait juste de la musique. Etre irréductible, c’est ça.
Tu as aimé la French Touch, ces gens qui ont relancé toute cette musique que tu aimes ?
J’aimais bien les premiers « Daft Punk ». « Air » ne m’a jamais convaincu. A l’époque j’étais trop dans l’action pour vraiment écouter ces gens.
Mais dans toute cette musique il y avait un côté sérieux que tu n’as pas : tu as un côté Dandy qui aime la fête que eux n’avaient pas ?
Oui, bien sûr ! Mais ce sont de meilleurs commerçants que moi, pas de doutes.
Tu es resté longtemps à Bordeaux ?
Jusqu’en 1996, 1997 … Après je suis allé à Paris.
Tu as toujours fait pleins de choses : de la musique de théâtre, de ballet, des créations pour la radios, pleins de disques et tu as beaucoup voyagé avec ta musique
Oui, je suis juste un troubadour des temps modernes !
Tout ça avec de la musique électronique ?
Attention, j’utilise la musique électronique parce que c’est plus facile pour moi et que j’en aime bien les sons et que j’ai grandi avec ces sons, mais pour moi il n’y a aucune différence pour écrire un morceau entre les sons classiques et électroniques. Je compose au piano la plupart de mes chansons et je prends l’électronique pour les réaliser. De plus en plus, j’essaye d’être multi-instrumentiste, comme François de Roubaix l’était, pour produire mes disques avec les timbres qui me plaisent et dont je dispose chez moi. C’est ce que j’essaye de faire de plus en plus sur mes albums.
On parle de Jean Jacques Perrey ?
Je l’ai rencontré à la fin des années 90. Dans une interview pour le magasine américain RE/SEARCH il avait déclaré qu’il était ouvert à de nouvelles rencontre et il donnait son adresse. Je lui ai écrit, naïvement, avec peu d’espoir, mais il m’a répondu. On s’est rencontré et on est devenu amis immédiatement. Il habitait à Vichy à l’époque et moi à Bordeaux. On s’est rencontré à Paris dans un café gare de Lyon et six mois après il était dans mon studio. On a fait un premier album ensemble avec les musiciens de Tschack !
(Jean Jacques Perrey et David Chazam - Photo Clayton Burckhard)
C’est l’un des pionniers de la musique électronique, qui a appartenu au GRM mais surtout un des plus grands spécialistes des Dauphins et de leur langage. Ca a du te plaire ?
Oui, il avait un côté enfantin qui n’avait pas vraiment convenu au sein du GRM ; contrairement à eux, il ne voulait pas se prendre trop au sérieux. Comme moi il avait eu la flemme d’apprendre le solfège ! On avait la même démarche : il ne voulait pas aller au conservatoire et pourtant il a dédié sa vie à la musique !
Vous êtes restés très proches ?
On est devenu des amis et on l’est resté pendant 20 ans. J’ai fait deux disques avec lui, une série de concerts, on s’appelait presque toutes les semaines. Il est mort en novembre dernier.
Beaucoup lui ont rendu hommage ?
J’étais à son chevet quand il est parti, dès le lendemain sa fille a reçu des témoignages du monde entier. Moi aussi. C’est un épisode très douloureux pour moi dont je suis à peine en train de me remettre.
https://www.youtube.com/watch?v=6HlUI3xKvJE
Tu es quelqu’un qui a besoins de s’exprimer dans pleins de directions ?
C’est pour ça que je dis que je suis un musicien omni-directionnel, comme les micros idoines. On ne peut pas me réduire à un style ou à un genre, je capte le maximum de fréquences.
Ça te dérange le terme « Arty » ?
Non, pas du tout, je suis même un vrai et assumé "branché Arty » ! Je vais t’expliquer : un jour je suis rentré chez un disquaire à Paris, totalement électro, méga up-to-date etcaetera. Je discute avec le vendeur qui me connaissait un peu et commence à me rendre compte qu’il me voyait comme le pire branché qui soit, sans doute parce que j’étais juste dans l’attitude du gars provincial qui vient de Poitiers, mais qui est super ouvert, pas dans le giron des branchés Parisiens, et qui a des connexions partout ailleurs. Sorry, je n’ai pas de réseau dans la capitale, je n’ai pas grandi ici, je n’ai jamais partagé de cocaïne avec les clubbeurs Parisiens, ni de joints, ni rien parce que je n’ai jamais pris de drogue de ma vie …. Le fait d’avoir eu des ouvertures, d’avoir pu jouer partout en Europe, d’avoir développé de multiples projets, d’avoir pu faire des disques avec des gens comme Jean Jacques Perrey ou Monsieur Gadou, c’est ça mon ouverture d’esprit.
Mais tu as un réseau pour avoir fait tout ça.
Je l’ai créé par ma musique, mon enthousiasme…
On a presque l’impression que ton attitude est punk ?
Je suis un gros fan de Lucrate Milk (Groupe Punk Parisien du début des années 80 qui est un peu à la base du mouvement alternatif Ndlr) . C’est vraiment un groupe fondateur pour moi !
Mais quand tu écoutes ce groupe et tous les artistes dans cette veine, ce n’est pas vraiment joyeux alors que toi tu es plutôt joyeux comme type ?
il faut rappeler que années 80 ce n’était pas vraiment la joie ! Quand Klaus Nomi, que j’adore, est mort, ça a été une claque dans notre gueule. C’était terrible : à l’époque, je me suis dit que j’allais bientôt découvrir la sexualité, mais que cela n’allait pas être cool !
Pourtant ta musique est joyeuse, elle explose, elle est pleine de vie
Oui parce que je suis d’un naturel positif et je déteste rester dans les cadres. En fait je crée ou j’utilise des cadres pour mieux les exploser !
Ne penses-tu pas que tu es un artiste au sens complet du terme ?
Je ne sais pas trop, j’ai admis en fait depuis longtemps que je suis musicien et cela fait partie des beaux-arts ! Disons que je suis musicien avec des escapades ailleurs. En même temps mes premiers amours sonores viennent de la radio et j’adore toujours ça, j’en fait toujours. J’adore la littérature, la musique et les sons : la radio c’est l’ensemble de ces éléments.
Tu as un morceau autour de l’orgue avec ce clip très drôle avec tes deux enfants ?
« Joie de l’orgue » Je n’ai pas été au bout du projet avec ce clip et cela risquait d’être encore plus idiot que ça… J’aime bien me mettre ridicule en tant que personnage. Je trouve ça vraiment intéressant, cela crée une distance super intéressante. C’est un morceau que j’ai composé en heure et demie, deux heures avec le mixage et une heure pour la vidéo. C’est donc un boulot de trois ou quatre heures (rires), c’était une carte de vœux pour 2012 (année de la lose) je crois …
On parle de ton nouveau projet : « Cassez, remboursez »
C’est un projet de monsieur Gadou avec qui je joue donc depuis longtemps. C’est un très bon musicien, notamment de jazz, il vit encore à Bordeaux. Il est une fois venu me voir en concert solo et il m’a dit « je t’engage comme chanteur dans mon duo » (rires), on a fait un premier album avec des chansons très tristes et très lentes qui s’appelle « Survivants ». On a continué de travailler ensemble et il est arrivé avec d’autres idées morceaux beaucoup plus "rentre-dedans". Au départ on voulait les faire sonner radicalement comme du "Métal Urbain" ou "Berurier Noir" avec seulement une boite à rythme et la guitare. Mais ça ne suffisait pas, donc on a engagé la "meilleure rythmique de Bordeaux" Vincent Mérienne à la batterie et Christophe Jodet à la basse, deux copains qui jouaient à l’époque dans l’autre groupe « Arty » que les rockers détestaient : « RWA » .
C’est dur d’être musicien maintenant ?
C’est un cauchemar tu veux dire de faire de la musique, surtout en France ! Les clubs ferment les uns après les autres. Sous prétexte de « professionnaliser le champs musical » à partir des années 90 on a obligé les bars à déclarer les musiciens, or ils n’en n’ont pas les moyens ! Une vraie hécatombe culturelle. Un projet comme « Casser Rembourser » est impossible à tourner. Pour les groupes signés, c’était juste la perfusion « promo » des labels qui permettait de jouer. L’industrie du disque est maintenant décédée (…je ne la pleure pas) et donc les groupes ne comprennent pas ce qui leur arrive. « Merde, en fait, on était pas vraiment des stars, juste des pions… » C’est assez déplorable, mais ça ne me concerne pas trop.
Pourquoi tu continues ?
Parce que la musique est intrinséquement sauvage et doit partout pousser comme le chiendent et les orties. Et parce que souvent tu as des retours incroyables et émouvants. Un jour je déjeunais dans un restaurant tout seul. Un fille à côté de moi me dit « Ah David », je ne savais pas qui c’était. « Avec Tschack vous m’avez énormément aidé », je lui demande pourquoi, elle me répond « parce que à l’époque je vivais dans le noir, j’étais une junkie et les seuls moments de couleurs que je vivais c’étaient vos concerts, vous m’avez sauvée ». Ce genre de témoignage aide beaucoup à continuer.
Tu revendiques le fait de faire plaisir aux gens ?
Bien sûr, on est là pour faire danser les gens.
Tu es aussi comédien ?
Oui, depuis peu de temps, je fais du théâtre aussi en tant que comédien. En fait j’ai toujours joué dans les pièces dont j’ai composé la musique !
Donc j’ai raison : tu es artiste au sens global du terme ?
Je voyage, je joue, je produis, j’écoute, je partage, je rencontre du monde …. Si c’est ça être artiste, alors, tu as raison.
Tu n’es pas été tenté de faire du rock classique : guitare, basse, batterie ?
Je ne saurais pas faire !
Si tu devais jouer avec quelqu’un ce serait qui, le concert idéal, serait-ce un concert déjà ?
Je n’ai pas vraiment d’ambition à ce niveau-là, je suis vraiment très content de jouer avec Monsieur Gadou. Un moment j’ai été impressionné par David Cuningham le leader des Flying Lizard, c’est quelqu’un que j’admire. J’aurais aimé éventuellement faire un concert ou un disque avec lui.
Plus je t’écoute plus j’ai l’impression que tu as un côté enfantin ?
N’oublie pas que je me suis présenté au début de cet entretien comme « ami des enfants ». Ils sont un excellent public, très difficile, très exigeant mais très chouette. Mais le meilleur public, ce sont les handicapés mentaux, car ils ont une réception très directe et authentique de la musique.
Quel disque tu ferais écouter à des enfants pour leur faire découvrir le rock ?
Lukrate Milk, les Residents et les Stranglers dont je suis également un grand fan. Pour commencer. Ils peuvent aussi écouter mon groupe belge MONIQUE SONIQUE, c’est marrant, ça cause de cul et d’animaux.
https://votrechazam.bandcamp.com/