Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Daniel Jea, je suis musicien, guitariste. J’ai beaucoup travaillé avec des artistes sur scène et en studio, et en parallèle j’ai mon propre projet en tant qu’auteur-compositeur-interprète.
(Daniel Jea - Photo Richard Bellia)
Tu as commencé quand et comment ?
J’ai commencé à l’adolescence au sein d’un jeune groupe de rock parisien qui, dans les années 90, avait ses quartiers à l’hôpital Ephémère, un ancien hôpital réhabilité en friche artistique et culturelle. Ce fût un peu le point de départ de mon parcours pro. Car ensuite au fil des rencontres, j’ai continué à travailler en tant que guitariste avec d’autres artistes. J’ai joué entre autres avec La Grande Sophie, Bill Pritchard, Saez, les anglais de The Opposition , Florent Marchet, le groupe electro Junesex … J’ai fait aussi du studio avec François Hardy, Da Silva … Et ces dernières années je me suis mis à explorer la chanson française aux côté de Buridane, Jérémie Bossone ou encore récemment avec Garance … Je suis pas mal dans ce réseau chanson ces derniers temps, c’est une scène un peu plus artisanale parfois mais hyper active et bien dense. Et qui est maintenant dans une situation vraiment très difficile vu l’actualité car d’habitude, ça tourne beaucoup … !
C’est ton troisième album ?
Absolument. J’ai d’abord fait un premier album, qui est sorti en 2010. J’avais mis beaucoup de temps à le faire et à le sortir déjà, comme souvent pour un premier album d’ailleurs ! Et puis il y avait l’étape à passer, de « Sideman » à « Frontman ». Et aussi à cette période j’étais dans la logique maisons de disques, c’est-à-dire à essayer de « signer », de trouver un contrat etc, donc les démarches pour ça m’ont pris pas mal de temps. J’y croyais encore (rires) et puis finalement je l’ai sorti en auto-prod ! En 2015 j’ai sorti un EP 4 titres et puis en 2018 le deuxième album, « L’homme d’à côté ». Celui-là avait été enregistré en studio mais comme si c’était un live, avec la set-list des titres que l’on jouait en concert. Composée des titres du EP, de quelques titres du 1er album et bien sûr des nouveaux. C’était une sorte de best of quoi (rires) !
Tu as aussi fait des musiques pour du théâtre ?
Oui, j’ai travaillé à partir de 2015 avec ma sœur, qui est comédienne, auteure et metteuse en scène, sur sa création « Le Déni d’Anna ». C’était une pièce de théâtre pour laquelle j’avais composé la musique, qui était aussi jouée live au plateau, au milieu des comédiens et comédiennes. Sur scène j’étais avec un batteur qui par la suite est passé en alternance avec France Cartigny, batteuse chanteuse et surtout amie de longue date. Ça s’est super bien passé et quand on est allé plus tard au festival d’Avignon en 2018, toujours pour des histoires de disponibilités, une autre alternance a été mis en place entre France et Emilie Rambaud, que j’avais rencontrée sur d’autres projets auparavant. Ma sœur metteuse en scène voulant garder une femme à la batterie sur ce spectacle. Ça s’est à nouveau très bien passé et donc en fait l’idée de la collaboration avec France et Emilie sur mon projet perso est vraiment née de là. Ensuite après cette pièce il y a eu quelques autres projets théâtre, notamment en 2019 avec « La danseuse du crépuscule » pièce dont j’avais composé la musique et qui s’est longtemps jouée à Paris au théâtre « Funambule Montmartre ».
https://www.youtube.com/watch?v=mhbW-z-Yu3U
Tu t’es beaucoup mis au service des autres et pourtant pour ton propre disque tu n’as pas fait appel à tous les gens avec qui tu as joué ?
Oui, et je n’ai jamais eu envie à vrai dire ! A l’époque de mon premier album c’était d’ailleurs vraiment la grande idée des gens de maisons de disques que je rencontrais : « il faut faire un duo avec untel ou unetelle », collaborer avec x ou y qui était dans l’air du temps … bref plein de « featuring » quoi ! Mais moi je n’en avais pas plus envie que ça : je voulais simplement faire mon truc à moi, tout seul, comme un grand (rires) !
Oui mais sur ton disque tu es dans une formation très resserrée ?
Effectivement, au début c’est d’ailleurs parti d’une contrainte liée au live : j’étais un artiste « en développement » comme il se dit ! C’est-à-dire peu connu, peu identifié, avec peu de public etc. Donc dans une économie fragile, alors moins le plateau coute cher, mieux c’est. Du coup on t’encourage le plus souvent vivement à avoir une formation live légère sur scène. Voire même si possible à jouer en solo. Tout ça essentiellement pour des raisons économiques donc. C’est chouette d’être en développement à 20 ou 30 ans mais entendre encore ça quand t’es un bon quadra, parfois ça peut bien saouler (rires). Et donc comme je ne voulais pas du tout faire essentiellement des concerts en formule solo, j’ai remodelé ma formation. D’abord duo, guitare et batterie, puis enfin trio avec les filles, guitare et 2 batteries. Et finalement c’était hyper bien, j’ai adoré.
Mais tu n’as pas joué de ton carnet d’adresse ?
Bah je n’en ai pas vraiment (rires). Non mais les choses ne se font pas comme ça, ce n’est pas parce que tu fréquentes à certains moments des personnes avec lesquelles tu travailles que t’es forcément méga pote avec elles d’abord, ou que tu vas forcément pouvoir par la suite avoir des collaborations fructueuses. Si elles doivent se faire, les choses se font souvent naturellement et simplement. Donc c’est vrai, je n’en ai pas joué, ni surjoué d’ailleurs. Et puis ce n’est pas aussi simple que ça. Mais j’ai malgré tout parfois eu l’occasion de faire des 1res parties de La Grande Sophie ou d’Olivia Ruiz par exemple, pour des concerts de mes précédents albums.
(Daniel Jea en concert au Point Ephémere - Droits réservés)
Et donc on arrive à ce nouvel album : « A l’instinct, à l’instant ».
J’avais écrit les chansons relativement vite, comparé à d’habitude. Nous avons ensuite répété les titres en groupe pour préparer l’enregistrement qui a suivi sans trop tarder derrière. Je voulais justement vraiment garder un côté instinctif et instantané. D’où le titre aussi bien sûr ! J’ai enregistré l’album au studio « Midilive », les anciens mythiques « studios Vogue ». II a une formidable acoustique, absolument parfaite pour jouer live en groupe. J’ai fait cet album à nouveau avec l’ingénieur du son Stéphane Prin, qui a enregistré et mixé. C’est notre troisième enregistrement ensemble et à chaque fois je suis super content, le résultat est vraiment celui que j’attendais. Avec donc bien sûr les deux batteuses, France et Emilie. Emilie faisant la batterie principale avec son set complet tandis que France complétait la rythmique à la caisse claire et d’autres éléments. Elles ont toutes les deux faits beaucoup de chœurs aussi. Et sur quelques titres ont été rajoutées des basses synthés. Le tout au final donne un côté brut que j’adore !
Quand j’ai écouté ton disque et notamment le premier morceau « Au milieu », j’ai eu l’impression que tu te rapprochais de la chanson rock à texte façon Florent Marchet ou Bertrand Betsch ?
Je vois ce que tu veux dire ! En fait mon influence première est surtout la musique anglo-saxonne, plutôt rock, mais j’aime les textes en Français. D’ailleurs dans le communiqué de presse on a préféré mettre « Rock en Français » car ça reste du rock. Dans le réseau chanson française que je fréquente ma musique est souvent considérée comme trop « dure », enfin avec trop de guitare électrique, trop de batterie etc … Mais oui, je suis d’accord, je fais de la musique française aussi bien sûr.
Tu avais quoi comme influences pour ce disque ?
Je n’avais pas vraiment des choses très définies : j’avais envie de quelque chose d’assez brut, d’assez rock, d’instinctif … avec des batteries et guitares incisives. En pensant à des groupes comme Arctic Monkeys , Queen Of The Stone Edge , Strokes ou Arcade Fire … Des choses que j’écoute. Et j’avais surtout aussi envie d’entendre les musiciennes, leur jeu, leur sensibilité, leur âme. Et tout ça avec ma guitare et ma voix au milieu. En ce sens l’ingénieur Stéphane Prin a su parfaitement saisir cette énergie commune à l’enregistrement.
Il y a un morceau totalement en dehors des autres : « non-séparables », un long morceau d’improvisation, presque une forme de jazz …
Ce morceau a été créée lors d’une performance artistique faite avec des chercheurs en physique quantique dans une galerie d’art à Paris l’an dernier. C’était dans le cadre d’une exposition mélangeant sciences et arts, sur le thème comment tisser des liens tout en gardant l’identité de chacun et représenté par les différentes langues parlées. Pendant que les chercheurs parlaient de la notion de non-séparabilité en physique (!), j’improvisais autour d’un thème que j’avais créé. Et c’est ce même thème que j’ai repris ensuite sur l’album, réarrangé avec les musiciennes et sur lequel j’ai rajouté aussi un montage des différentes voix de ces chercheuses et chercheurs, parlées dans différentes langues. J’ai trouvé que c’était très beau toutes ces voix ensembles. Ces gens avaient tous un côté exalté et passionné dans leurs propos, dans les intonations de leurs voix. Et comme ce disque est un album de rencontre, je trouvais ça super bien de finir par toutes ces voix … On a enregistré ce morceau en une fois, après juste une petite répétition et hop voilà !
Dans ton disque il y a une montée en puissance et à un moment tu fais du rock ?
On a enregistré les morceaux dans l’ordre du disque effectivement, et tant mieux si on sent une montée. En fait les chansons ont même un sens chronologique dans ce qui est raconté, de la première à la dernière chanson. De la rencontre au milieu de tous à la non-séparabilité (rires) !
Ils viennent d’où tes textes ?
Mes textes viennent de mon vécu, que j’adapte forcément un peu aussi parfois … mais c’est du ressenti essentiellement. Ce sont toujours des histoires personnelles. Et finalement assez peu romancées. J’essaye surtout de faire sonner les mots plutôt que d’essayer d’écrire des « poésies » ou autre. Mais bien que j’écoute beaucoup plus de musique anglo-saxonne, c’est en français que j’écris tout simplement parce que je parle et je rêve en français !
Il sort quand le disque ?
Le 12 juin, on pourra le trouver sur toutes les plateformes et dans les bacs (rires) pour ceux qui veulent l’attacher en physique, avoir le cd.
Quels sont tes projets ?
Comme en ce moment malheureusement plus personne ne peut jouer, faire de concerts, je me concentre pour l’instant sur des vidéos. On va faire une captation live du groupe au local pour avoir une sorte de concert filmé. D’autres vidéos live en solo aussi vont suivre. Et je travaille en ce moment avec un réalisateur sur un projet de clip … On va donc essayer de faire de l’actu sur le web. Sinon j’ai aussi déjà en tête un autre album que j’espère pour l’année prochaine !
Justement : que penses-tu de la situation actuelle et comment tu vois la suite ?
Je suis comme tout le monde, je pense : je ne vois pas grand-chose de très clair encore devant nous ! J’ai trouvé ce confinement hyper violent pour moi. Tout ça fût d’une grande violence et je suis resté super en colère face à tout ce qui s’est passé. Je n’ai pas du tout fait partie des gens qui ont kiffé le confinement, en en profitant pour créer, se ressourcer ou faire du yoga. Je n’ai vraiment pas besoin de ça pour faire tout ça ! C’est vrai aussi que je n’étais ni dans une maison à la campagne ou au bord de la mer, ni dans un loft, mais dans un petit appartement parisien. Alors c’est sûr que ça n’a pas aidé, ce n’était vraiment pas du tout confortable pour moi … Mais pour l’avenir je reste optimiste, enfin je veux l’être, même si je sais que le retour sur scène ne sera pas pour tout de suite. Il va falloir que l’on se bouge et que l’on crée d’autres trucs. Qu’on soit inventifs et surtout qu’on réfléchisse vraiment à tout ça, à tout ce qu’il s’est passé et qu’il se passe encore d’ailleurs. C’est certain qu’il y a beaucoup de comportements, beaucoup de choses qui méritent vraiment d’évoluer, d’être changés. En attendant, je suis assez mal de ne pas pouvoir aller à des concerts, à des spectacles, que ce soit comme musicien sur scène ou comme spectateur dans la salle. Ca me manque déjà terriblement !
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