Olivier Rocabois : The Afternoon Of Our Lives, le nouvel album titre par titre

mardi 28 mai 2024, par Franco Onweb

Il est enfin arrivé, le nouvel album d’Olivier Rocabois et c’est, comme d’habitude, un événement par le talent du monsieur et sa qualité d’écriture. Vous l’avez compris : je suis un fan absolu et l’arrivée d’un nouvel album d’Olivier est toujours un grand moment. « The Afternoon of our Lives » est un disque gorgé de mélodies, des arrangements incroyables avec cette voix inimitable. On navigue dans le meilleur de la pop de ces 50 dernières années, entre David Bowie, durant sa trilogie berlinoise, Divine Comedy, Brian Wilson ou encore les Zombies. Le garçon a du goût mais on le savait depuis longtemps !

Pour présenter ce nouvel opus, j’ai proposé à Olivier, qu’il nous présente « Afternoon of our Lives », titre par titre, une manière originale de présenter un disque qui est déjà une des grandes réussites de l’année !

1 Stained Glass Lena

Je voulais recréer le bien-être d’une montée d’acide, avec en ligne de mire le Would You Believe de Billy Nicholls. Le Londres éternel dans lequel j’aime vagabonder (London Social Degree, autre titre magique du même Nicholls). Je voulais renouer avec la légèreté et l’insouciance de mes 16 ans qui ont guidé l’écriture de cet hymne. Je n’ai pas le permis mais on m’a dit que Stained Glass Lena était potentiellement un morceau de bagnole. 115 bpm / 70 mph. La genèse du track ? J’ai croisé un amour de jeunesse à Marseille juste après un concert et nous avons passé une heure délicieuse à discuter sous l’ardente lumière du Midi (il était autour de midi, notons la folle mise en abyme !) Le titre naissait en temps réel dans mon cerveau saturé. Je voulais évoquer la pureté et la beauté quasi-divines de la saynète, capter l’essence de cet instant magique en suspension vers l’azur et les aéroplanes. Et la coda, c’est la dégringolade : rideau, la fête est finie, la bulle du songe explose.

2 45 Trips around the Sun

Cette chanson fait référence au premier disque paru sous mon nom de naissance, l’année de mes 45 ans : le 45T Ship of Women / Somewhere in a Nightmare.
Il m’aura fallu des décennies pour accepter de pouvoir publier des chansons sous mon blaze. Je viens d’une famille très complex(é)e, il faut se frayer un chemin dans la jungle à la serpe. Rien à cirer du qu’en dira-t-on, je trace ma route sinon je retombe dans un schéma hyper inhibant. Alors la chanson commence comme une citation de Your Daddy’s Car de Divine Comedy et puis on bascule ensuite dans une ambiance un peu opératique. J’adore Stravinsky et dans le brief que j’avais donné à l’arrangeur Sébastien Souchois, il y avait bien sûr Stravinsky et Jean-Claude Vannier. Les cordes arrangées par Seb portent littéralement le titre. Nous les avons enregistrées à Rouen juste avant les fêtes. La petite pause piano seul au milieu est un clin d’oeil à Bridge Over Troubled Water, un hit planétaire qui m’a toujours bouleversé. J’y raconte mes moments de désespoir voire de désespérance parce que je suis un mec très pessimiste : je donne le change en société, j’essaye d’être jovial mais au fond il y a une noirceur qui est chevillée au cœur et au corps donc voilà je tempère avec une sorte d’humour un peu régressif et ça m’aide très clairement à vivre. How many trips does it take ?

3 The Coming of Spring

Écrite en mars 2020, à l’orée de la confinade #1. Lors de cet épisode de grande claustrophobie mondiale, j’avais la chance folle d’être avec ma femme et nos enfants dans notre petit pavillon des Yvelines. Rappelez-vous, ce printemps 20 : il faisait hyper beau, moins de pollution dans l’air donc les fleurs poussaient plus vite que d’habitude, on avait de quoi manger, je pouvais faire du piano 8h par jour donc moi j’ai plutôt très bien vécu ce moment-là et sa fin fut même un brin délicate à gérer psychiquement. J’aimais bien l’idée selon laquelle il y avait cette double attente : le printemps qui n’en finissait pas de nous exploser à la gueule et l’attente de la fin du sketch des attestations, l’espoir d’un vaccin : on était tous complètement lost.. Il y avait cette distorsion que je voulais fixer dans la chanson. Encore Stravinsky (We all need the Rite of Spring, don’t we ?) et puis une interview de Jim Morrison dans la beauté de ses 23 ans : il marmonne, grommelle et balbutie et un moment il lève les yeux au ciel en parlant de Coming of Spring et cette archive m’a beaucoup marqué. Cette chanson est un melting pot de mes influences majeures. Les riffs et les saillies du camarade François Dorléans à la guitare électrique complètent le tableau (Franz est devenu entretemps un membre permanent du band)

4 You Only Live Thrice

Je suis mort deux fois : en 1982 et 2017. J’ai l’impression de vivre ma troisième vie, d’où le titre. Et j’aime le côté désuet de thrice qui rappelle Shakespeare et les Monty Python. Rinascimento ! The rebirth of uncool ! Mes parents se sont séparés en 82 et j’ai eu un grave accident de la circulation juste après leur split, juste avant le début du Mundial (le foot était subitement devenu ma grande passion). On ne se suicide pas à sept ans et demi donc c’était de l’inconscience pure ou un appel au secours car je vais chercher mon ballon en prenant bien soin de ne pas tenir compte du trafic et suis violemment percuté par une voiture conduite par un mec adorable (animateur radio). Mon pote Alexandre assiste à la scène, on revenait du stade. Résultat : vol plané, multiples fractures, réanimation puis 15 jours à l’hôpital et deux mois avec divers plâtres et attelles…J’ai vraiment failli y passer et donc après un truc pareil, je vais avoir l’impression de renaître une première fois. Flash forward : en 2017, après 30 ans d’alcool et de tabac à haute dose, je tombe gravement malade (pneumonie) et je suis complètement aphone pendant un mois, je ne peux ni parler ni a fortiori chanter et j’ai la trouille de ma (2e) vie car le chant est un peu le seul truc qui me permet de m’exprimer et si aucun son n’est produit par mes cordes vocales, je redeviens un bon à rien… Il a fallu un bout de temps, plusieurs radios et plusieurs médecins pour identifier le mal, je me suis soigné pendant de longues semaines et évidemment j’en ai profité pour arrêter de boire et de fumer donc au bout de deux mois (encore !), à peu près autour de Noël, j’ai recouvré la forme et là j’ai une grande phase très créative où j’écris pas mal de chansons et j’ai l’impression de naître une deuxième fois . Le titre « On ne vit que trois fois » est une référence à James Bond et John Barry (un de mes compositeurs favoris) et il se trouve que la chanson a germé le jour de la mort de Jane Birkin dont le premier mari n’était autre que John Barry comme chacun sait (lui est né à York et mort à New York, dingue non ?)

Olivier Rocabois
Crédit : Gérald Chabaud

5 All Is Well When I Go My Merry Way

Je travaille mon falsetto, hérité des frères Wilson, Gibb, Alessi !
Alors celle-ci, je l’ai écrite fin 2022 : j’étais fort dépité parce que pendant une semaine, je ne récoltais que des mauvaises nouvelles professionnelles (si tant est que j’en suis un, au vu de tous les silences/refus institutionnels que j’avais essuyés haha) : la non-réponse érigée en norme ou vous avez des retours par la bande, par un tiers. Ce mur d’incompréhension te fige dans la position faussement confortable du maverick mais c’est bon : la marge, la niche, je connais par coeur ! J’étais dans un délire extrêmement négatif et je trouvais qu’il y avait un grand delta entre les efforts, l’énergie que je déployais/brûlais dans tout ça versus les résultats et donc j’ai écrit un communiqué au vitriol que je n’ai pas publié, ç’aurait été absurde et pas très fin alors j’en ai fait une chanson et All Is Well When I Go My Merry Way raconte un peu ça car c’est la première fois que je ressentais ce genre de choses. Ce n’était pas de la rancœur ou de l’amertume, plutôt une sorte de ras-le-bol puissance 1000. L’intro avec ses arpèges à 120 bpm (joués au Wurli par mon ami Jan Stümke) pose le décor, développement, main gauche métronomique puis ça termine sur le dancefloor en pleurant ! Nous avons ajouté in extremis les synthés sci-fi pendant les fêtes avec mon copain Rémi Alexandre qui joue aussi une ligne de basse inoubliable.

6 From Hampstead Heath to Saint John’s Wood

Ecrite en marchant dans Londres le 17 avril 23 (l’idée avait jailli 3 jours plus tôt alors que je dégustais un fish & chips sur un banc de Soho Square, en face des bureaux de Macca)
Revolver est un album de printemps et j’étais en plein dans cette vibration. J’adore l’Angleterre, j’aime Londres et me suis longuement promené ce jour-là, c’était un weekend où je rendais visite à mon ami David Tanguy (l’artwork de l’album est l’oeuvre de Praline, sa boîte de graphisme) qui vit dans le Kent avec sa famille mais le vendredi et le lundi, j’avais passé la journée seul dans London Town ce qui m’a permis de déambuler (just like a bloody tourist !) : 10 miles à peu près à chaque fois et le lundi, j’ai décidé de prendre le métro jusqu’à Hampstead Heath au nord-ouest et de marcher jusqu’à la maison de Paul McCartney, située dans Saint John’s Wood.
Il y avait un grand soleil, on était mi-avril donc Full Bloom et c’était hyper fort, tout se mélangeait : la passion dévorante du fan, l’enthousiasme du musicien, la joie d’être en Angleterre parce que quand je suis là-bas j’ai l’impression d’être chez moi, c’est vraiment étrange, je m’y sens très bien et pas seulement grâce à la musique et la marmelade, y’a plein d’autres éléments qui me parlent et me touchent. La chanson m’est venue d’une traite et je me rappelle, en rentrant à Paris tard le lundi soir, je me suis foutu au piano avec la sourdine et j’ai chopé la grille. Et donc j’ai développé les idées que j’avais eues là-bas car en plus de la marche du lundi, j’étais passé aussi à Soho Square où se trouve la boîte d’édition de Paul et un bourgeon d’érable est tombé sur mon épaule à la seconde où je voulais déposer un disque et j’y ai vu un signe me disant « Olivier, t’es pas prêt, c’est trop tôt ou ce sera jamais le moment : ne le fais pas maintenant ». En bon Breton, je suis extrêmement superstitieux. La mort, le merveilleux et l’irrationnel sont partout (« Salut l’Ankou, ça roule ? »). Mécaniquement, cette peur de claquer vous ouvre un appétit renouvelé pour l’existence, un élan vital et une soif du lendemain

Crédit : Alain Bibal

7 Prologue / Trippin’ on Memory Lane

Premier titre de la face B, si l’on prend le vinyle comme mètre-étalon. Les faces auraient pu être inversées mais j’avais peur de perdre les auditeurs en balançant d’emblée un titre de 8 minutes. Avec mes ingés son, on l’appelait « la pièce du boucher » pendant l’enregistrement et le mixage. Le prologue, je l’ai écrit juste après une journée à Giverny avec mon amoureuse : j’ai trippé complètement sur Monet, les nénuphars, la vie subaquatique, la barbe, le côté reclus : tout ça me parle. Et dans Trippin’, je raconte ma vie en quelques flashes : un mauvais trip d’acide chez ma mère, une amourette d’adolescence, mon père qui venait me chercher à l’école tous les lundis, la peur de disparaître avant/après les gens que j’aime. Je décris une scène authentique et cocasse vécue au cimetière de Vannes où je croise un fossoyeur qui me demande : « vous cherchez quelqu’un ? » et le mec me le demande avec gourmandise, comme si je voulais rejoindre mes grands-parents ou d’autres personnes dans un caveau : c’est un peu une référence explicite à « Supplique pour être enterré à la plage de Sète », cette longue chanson de Brassens qui me fait immanquablement chialer. C’est tout ce maelström d’émotions que je voulais restituer dans ce titre, la présence des cordes (Souchois encore !) et du sitar (joué par le sémillant Martin Kubasik) illustre ce désir de foisonnement kaléidoscopique.

8 Merrymakers

Un modeste hommage aux victimes du terrorisme. Composé juste après le Bataclan, je l’ai rejoué à la mort de Monsieur Paty (que nous avions la chance de connaître car notre fils aîné l’a eu en 3e). Il est entré douloureusement dans l’Histoire en tant que Samuel Paty, mais pour nous, il était d’abord le prof d’histoire-géo de notre fiston, un homme brillant et généreux que nous appelions donc « Monsieur Paty ». L’obscurantisme se balade partout ces temps-ci, pas seulement chez les islamistes. Il faut rester hyper vigilant et ne pas sombrer dans le manichéisme, ce qui est rendu très difficile par les réseaux notamment. La tristesse le dispute à la colère, je ne sais pas où va finir cette histoire car je nous sens très impuissants.
Merrymakers devait être sur le disque. J’ai pu l’enregistrer dans une église l’hiver dernier en Normandie, un 6 décembre par une température de 4 degrés celsius (grâce à notre ami Gilles Meursault, un notable de la pop installé dans la Manche)

9 All the Suns

Une compo ancienne, datant de 2014-15 . La majorité de l’album a été écrite et maquettée en 22-23. Mais j’avais de la tendresse et de l’affection pour elle (je ne parle pas d’une vieille tante mais bien d’une chanson) et c’était le bon moment pour l’inclure dans un album. J’y narre ce que je vivais à ce moment-là, en temps réel : crise de la quarantaine en pleine face, alcoolisme aigu, grande solitude (ou ressentie comme telle) : tous les clichés du genre. Alors que nous habitions encore Paris, une époque où je sortais beaucoup, notamment la nuit. Mirage ! Illusion éthylique ! Le riche dialogue intérieur devient un misérable monologue en société et c’est pathétique. Je perdais la boule, j’avais l’impression d’être en train de me dissoudre, d’être un fantôme (fantasma en italien, c’est plus beau). Une de mes chansons en trois mouvements, je n’ai pas collé trois idées différentes, je l’ai élaborée ainsi !

Crédit : Gérald Chabaud

10 Over the Moon

Écrite et composée au petit matin un jour d’épiphanie, qui est aussi la date de naissance de mon épouse. Il était 5h du matin, je ne voulais pas réveiller la maisonnée donc j’ai tricoté ses arpèges tout doucement dans le salon. J’ai essayé de l’enregistrer au moins quatre fois avec plein d’arrangements différents : piano, basse, batterie, guitare électrique, cordes : rien ne fonctionnait donc je me suis résolu à la faire en une prise guitare-voix le 13 décembre dernier dans le Korrekt Klang Studio de mon camarade Clemens Hourrière à Colombes (où furent aussi enregistrés Prologue / Trippin’ on Memory Lane et All the Suns). C’était la Sainte-Lucie, fiat lux et bim, take 1 en sortant de mon Transilien.

11 Lifetime Achievement Award Speech

J’avais cet instrumental dans un tiroir depuis quelques mois, je l’avais enregistré à la maison fin 22.
Les influences sont multiples : la BO de Living Dead At the Manchester Morgue par Giulano Sorgini, Tous les Bateaux, tous les Oiseaux de Polnareff, l’école italienne de Lucio Battisti à Andrea Laszlo de Simone. Et naturellement mes trois batteurs/batteuses favori(te)s : Ringo Starr, Keith Moon et Janet Weiss (Quasi, Sleater-Kinney)
Celle-ci, je l’ai donc enregistrée tout seul comme un grand, chez nous : tous les instruments, en one-man band : ça me faisait marrer car j’avais juste au départ deux-trois bricoles au piano, un truc Gainsbourg/Roubaix et une autre partie avec une grille assez bateau de 4 accords mais ils se répondaient bien avec les contrechants qui donnaient du relief. Puis j’ai commencé à rajouter des couches de synthés et il manquait un ciment. Il faisait froid, c’était l’hiver : la batterie du fiston était dans la salle à manger et je me suis mis à jouer sur la maquette, la mayonnaise commençait à prendre et j’ai joué les roulements (jamais deux fois le même, j’ai essayé tout du moins !) pendant des jours : j’ai fait trois prises avec juste un micro d’ambiance. Ensuite j’ai rajouté une basse (une trentaine de prises car je suis un piètre instrumentiste, pas exactement James Jamerson). J’ai ensuite fait un montage qui me semblait intéressant, à défaut d’être satisfaisant. Je l’ai fait écouter à mon poto Guillaume Glain, batteur de son état et avec lequel j’ai la chance de jouer depuis six ans. Guigui m’a dit « bah écoute deux options : moi je peux te refaire ça en plus orthodoxe, ce sera plus carré ou sinon tu fais mixer cette version dans son jus car c’est cohérent ». J’ai écouté mon Guillaume et j’ai fait mixer le titre par Antoine Chaperon, magicien tourangeau et guitariste raffiné. Un miracle s’était produit car Lifetime Achievement Award Speech sonnait exactement comme dans ma tête avec toute la mélancolie et l’ancrage, l’attachement très fort aux gens, aux lieux et aux situations. Je voulais conclure sur une musique vibrante aux accents cinématographiques et je trouvais amusant d’appeler ainsi un instru-mental.

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